Thaïlande et Laos

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Vendredi 3 mars 2017.

Surin

 

le moine et le dragon ! Le gros tambour résonne tous les matins ! Un monceau de sacs de riz
offerts par les villageois...
Le temple est en constante évolution

 

Ban Koko, notre village, est vraiment sans caractère : des routes bordées de maisons hétéroclites, parfois mal entretenues, une école énorme comptant environ cinq cents élèves, mais trois superbes temples, comme on en trouve dans de nombreux villages. Les gens n’attachent pas beaucoup d’importance à l’esthétique de leur demeure, par contre, ils donnent sans compter pour la beauté de leurs temples. Alors, on restaure, on améliore, on agrandit, on repeint, bref, le temple est en constante évolution, et je trouve le résultat formidable. Bien sûr, les statues en ciment et les fresques peintes de couleurs vives peuvent paraître très kitch, mais c’est un art local qui s’exprime, et je trouve intéressant ! Un bonze, juché sur une échelle, repeint les sept têtes du serpent-dragon que l’on trouve dans tous les temples. Sept têtes… Pourquoi sept ? Comme les sept nains, les sept péchés capitaux, les sept branches du chandelier de la synagogue, les sept frères du Petit Poucet, les sept jours de la semaine… C’est ce serpent qui sauva le Bouddha de l’inondation en se lovant sous lui alors qu’il méditait, et on le retrouve souvent déployant ses sept têtes derrière la tête de Bouddha. On retrouve des queues de dragon aux extrémités des toits de tuiles jaunes vernissées des temples. Sous une tonnelle, deux gros tambours et une cloche résonnent, dès cinq heures du matin, pour appeler les novices et les bonzes qui se dispersent dans le village pour le tak bat, c’est-à-dire la quête du repas de midi, le seul autorisé chaque jour. Autour de l’entrée du temple, on trouve différentes statues d’animaux devenus mythiques comme le tigre et surtout Ganesh, le dieu à tête d’éléphant. Il est fils de Shiva, ce qui prouve la fusion qui peut exister entre l’hindouisme et le bouddhisme. L’histoire de Ganesh est assez curieuse. Un jour, sa mère lui demanda de garder la porte de sa chambre et de ne laisser pénétrer aucun importun. Shiva, qui était parti depuis bien longtemps revint à son domicile et son fils qui ne le connaissait pas, lui interdit fermement d’entrer. Shiva, ne supportant pas qu’un enfant s’oppose à sa volonté, lui trancha la tête d’un coup de sabre. Sa femme désespérée lui signala sa bévue. Shiva ordonna alors à ses serviteurs de leur ramener la tête du premier animal qu’ils trouveront sur leur passage. Et ils revinrent avec une tête d’éléphant. Ganesh est un personnage très bienveillant et sympathique. Il tient dans sa main la défense qui lui manque et avec laquelle il va écrire les veda, textes sacrés ou mythologie indienne (c’est comme on veut…).

J’entre dans le temple. Une fraîcheur et une pénombre bienfaisantes incitent au repos. Par rapport à la chaleur lourde de l’extérieur, on se sent mieux. J’aurais envie de me coucher sur les tapis ! À ma droite, un amas de sacs de riz arrive presque au plafond. Ce sont les donations des fidèles qui réservent une partie de leur récolte aux bonzes. À ma gauche, à mi-voix, un bonze assis tailleur dicte un texte à un autre bonze plus âgé. Au fond de l’immense salle, c’est le rayonnement doré d’une dizaine de statues de Bouddha, scintillant dans la pénombre, et, de chaque côté, des photos d’un bonze devenu « Bouddha ». Sur la droite, un bonze pendant le tak bat, la quête de nourriture journalière porte son bol à aumônes et à côté de lui, on voit un énorme éventail de forme ovale. Cet éventail ne sert pas uniquement à ventiler, il est surtout utilisé pour l’isoler, le séparer de tout ce qui peut présenter une tentation. Au Myanmar, j’ai vu des bonzes mettre leur éventail entre eux et une jeune fille venant de monter dans le train ou dans le car. En Thaïlande, le problème ne se pose pas souvent, car ils ont un endroit réservé dans les trains et aucune femme ne peut s’asseoir à côté d’eux dans les transports en commun. Une femme ne doit même pas leur donner un objet de la main à la main, elle doit le laisser tomber dans leur main.

 

 

Je sens une présence derrière moi. Je me retourne : une longue silhouette enveloppée dans sa pièce de tissu orange s’approche. Le bonze doit avoir une trentaine d’années, il porte des lunettes qui lui donnent l’air d’un professeur. Il me salue en anglais, à mi-voix, et sourit, un peu gêné de ne pas pouvoir engager la conversation, car deux jeunes filles viennent d’entrer, et elles s’avancent vers lui, les mains jointes à hauteur des yeux, dans un waï respectueux. Je monte à l’étage. Dans d’immenses pièces au parquet verni, des colonnes de bois soutiennent un plafond identique au plancher. Sur les parois, d’immenses fresques très colorées, de style plutôt naïf, relatent des épisodes de la vie de Bouddha. Quand je redescends et que je reviens dans le temple, voilà que les deux jeunes filles sont mortes, recouvertes d’un drap blanc, allongées devant le bonze qui, mains jointes, sans prêter la moindre attention à ma présence que je veux la plus discrète possible, récite d’un ton monocorde des prières dont personne ne saisit le sens. C’est glaçant et sinistre, même quand on comprend de quoi il s’agit. Il s’agit réellement d’une mort, pas celle du corps qui n’est qu’une enveloppe périssable et temporaire, mais bien de l’esprit. Si tout est éphémère, notre âme, elle, est indestructible, et elle retrouvera sa place dans un autre corps, dans un autre être vivant, et avec plus ou moins de confort suivant la vie que nous menons en ce monde. On peut ainsi être réincarné en être humain dans un milieu à l’abri de toute misère, ou dans un animal prestigieux comme le serpent ou l’éléphant, mais peut-être aussi en scolopendre ou en blatte, ce qui serait très regrettable ! Si l’on se comporte très bien et qu’on n’a commis aucune mauvaise action, qu’on n’a jamais été jaloux, qu’on n’a jamais fait de mal à personne, alors on ne sera plus réincarné : on restera dans le néant pour l’éternité, au Nirvana. Donc, pour en revenir à nos deux jeunes filles, elles tuent leur mauvais esprit, font le ménage dans leur conscience, et chassent de leurs pensées tous les phis qui les assaillent et rendent leur vie impossible. L’officiant a noué un fil autour de son poignet droit, ce fil fait le tour des deux jeunes filles allongées sous leur drap blanc et revient noué à son poignet gauche. C’est une barrière infranchissable pour des phis qui viendraient déranger la cérémonie. Et le bonze continue inlassablement ses litanies dont j’aimerais bien comprendre le sens, mais il s’agit d’une langue utilisée par les bonzes, que même les deux « cadavres » ne comprennent pas. Rien ne bouge sous les draps, je ne perçois même pas la respiration qui devrait les soulever légèrement et régulièrement. Pourtant, je sais que les deux jeunes filles vont revenir doucement, comme le petit poussin sortant de sa coquille ! Elles auront alors retrouvé une âme toute neuve, toute propre. Je suis désolé de faire une telle comparaison, mais je crois que c’est la plus juste et la plus facile à comprendre : c’est comme si l’on venait de formater le disque dur de son ordinateur ou si l’on venait de faire un « reset » !

 

Je me demande d'où vient l'eau
des canaux, car il n'y a pas de fleuve...
La collecte des déchets recyclables:
c'est le travail de quelques "parias"
La campagne passe du jaune au vert
suivant les saisons.

 

Je sors, retrouve la pleine lumière et la chaleur tropicale. Je traverse le village jusqu’à l’autre temple. L’endroit est désert, mis à part quelques moines qui habitent ici, dans des bâtiments à demi cachés sous les arbres. Ils ont édifié un four, semblable à une termitière dans lequel ils fabriquent régulièrement du charbon de bois. À la saison des pluies, le plus ancien des deux édifices est entouré d’eau et c’est superbe, car on croirait qu’il a été construit sur un miroir. Je ne peux pas entrer, car la porte n’est pas ouverte tous les jours. Ce temple n’est fréquenté que lors de fêtes ou d’obsèques. Une peinture représente Bamcha coupant sa longue et épaisse chevelure pour éponger l’eau qui menace d’engloutir Bouddha réfugié sur un rocher. Sur le tympan du portail, une statue dorée représente un ancien moine devenu « Bouddha ». La position des mains posées sur les genoux ne laisse aucun doute : il s’agit bien d’un bonze. Devant le temple, un autre four, surmonté de sa haute cheminée est utilisé pour les crémations. La porte en est ouverte, ce qui est rare et qui me permet de prendre une photo de l’intérieur.

Dans l’enceinte même de ce monastère, on a creusé un étang artificiel et construit, sur une forêt de pilotis, un nouveau temple. À l’entrée, les cendres de certaines personnes décédées récemment sont placées dans de petites niches scellées par une plaque portant la photo de la personne. Je suis ému devant le sourire de cette jeune fille de dix-huit ans et devant la photo de cette jeune dame de vingt-sept ans qui porte un T-shirt avec une inscription en anglais : « we want future ». Pour elle, le futur fut de bien courte durée !

      « we want future »
 
 


Les moines fabriquent eux-mêmes leur charbon de bois dans de gros fours en terre.

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