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Du 22 janvier au 7 février 2017.
Le Roi est mort, vive le Roi.
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En octobre dernier, le Roi de
Thaïlande, après soixante-dix ans de règne, est mort des suites
d’une longue maladie dont il était interdit de dire le nom.
Peut-être la maladie de Parkinson, peut-être une tumeur au
cerveau… Donner des nouvelles de la santé du Roi l’aurait ramené
au niveau du commun des mortels. Les Thaïlandais n’en parlaient
pas en société, mais en famille, ils se posaient des questions.
Le Roi, la plupart des
gens l’aimaient comme un membre de la famille et le respectaient
comme ils respectent ces vieux bonzes qu’on retrouve statufiés
et vénérés comme des bouddhas après leur mort. La Thaïlande est
une monarchie constitutionnelle, et il faut dire que le Roi
avait réglé bien des problèmes lors des nombreux coups d’État,
allant même jusqu’à demander à un chef de l’armée ayant tenté de
prendre le pouvoir de s’exiler. Lors des deux derniers coups
d’État, ces dix dernières années, il a perdu de son prestige en
soutenant la junte militaire après sa prise de pouvoir. Mais
était-ce bien lui qui prenait alors les décisions ?
Personnellement, il me semblait bien sympathique, avec son Nikon
en bandoulière, et ses discours étaient toujours des paroles de
paix (du temps où il pouvait parler). Il jouait de la trompette
et surtout du saxophone.
Le premier journaliste qui avait divulgué cette information
avait connu pendant quelque temps, la moiteur des geôles du
pays. Dire que le Roi jouait de la musique était le ramener au
niveau d’un vulgaire trouvère. Depuis, on a appris que Sa
Majesté était aussi compositeur de musique de jazz, un peu
guimauve, mais aussi paisible que sa personnalité. On trouve les
disques de sa musique dans le commerce.
Je ne porterai pas de jugement sur
le prince héritier, son fils sexagénaire qui vient de s’asseoir,
sans grande conviction semble-t-il, sur le trône.
Le pays est en deuil pendant une
année. Tous les bâtiments officiels, écoles, gares, postes… sont
cernés par un calicot noir et blanc, toutes les personnes ayant
une fonction publique sont vêtues de noir, et beaucoup de gens
portent le deuil. Amnoay ne met que des vêtements sombres
lorsqu’elle sort. À la télé, les animateurs sont vêtus de noir,
les commentateurs aussi, et chaque jour, une cérémonie
officielle est organisée au Palais Royal devant l’énorme
catafalque doré sous lequel repose la dépouille du Roi. Les
officiels vêtus de blanc ou de noir, le nouveau Roi, les bonzes
et quelques personnes autorisées assistent à la cérémonie qui
est retransmise sur la plupart des chaînes de télévision. Il en
sera ainsi d’octobre dernier jusqu’en octobre prochain. Je ne
sais pas si après un an le deuil national a encore une
quelconque signification ? Puis la crémation aura lieu sur
l’immense place de Sanam Luang devant le palais Royal et le
grand temple de Bangkok. Ce sera alors un grand moment de
libération pour le peuple et pour l’âme du défunt.
Mercredi 8 février 2017.
Surin.
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Aujourd’hui, matinée chinoise ! Je
vais d’abord au cimetière chinois à cinq kilomètres de la
maison. Ni fleurs ni couronnes, ni personne pour se recueillir
sur les tombes : le désert bien entretenu, mais le désert !
Seuls les Chinois fortunés peuvent se payer le luxe de
s’installer confortablement dans un de ces cimetières. Pour le
« mort ordinaire », il devra se contenter d’une crémation et
d’une urne pour ses cendres : il passera son éternité en vase
clos ! On ne vient pas se recueillir sur la tombe, parce que
« les ancêtres » ont leur petit autel dans chaque maison, et
c’est là qu’on les honore de sa présence chaque jour, c’est là
qu’on leur offre non pas des fleurs, mais des bâtonnets
d’encens, et une petite veilleuse rouge, lampe discrète et
vacillante, rappelle leur présence dans le logis, parmi les
vivants. On ne quitte pas les défunts, on vit avec eux
différemment, mais on les garde sous son toit ! On va au
cimetière au mois d’avril, tous ensemble, les jeunes, les vieux,
les parents et amis, et on fait un pique-nique géant parmi les
mausolées bien nettoyés et repeints pour la circonstance. C’est
jour de fête, on emmène même le dragon et la musique !
En sortant du cimetière, je me suis
arrêté au temple chinois. J’aime ces temples un peu kitch ! Leur
architecture n’est pas de pierre, tout est éphémère en ce monde…
Mais il y a un souci artistique qui ne laisse pas indifférent.
On choisit les couleurs les plus criardes, les dragons
s’enroulent le long des piliers, rampent sur le faîte des toits,
et tout un panthéon zoologique figure dans les fresques ou sur
les rebords des murs. Dans ce bestiaire religieux, le plus
respecté de tous, c’est le dragon, animal mythique bienfaisant,
surtout s’il est rouge ! Si vous montrez à des Chinois une icône
de Saint Georges terrassant le dragon, pour eux, le méchant ce
sera le Saint ! Nous venons de terminer l’année du singe et nous
entamons l’année du coq. Attention, le coq n’est pas un animal
aussi bénéfique que le singe… Il faut s’attendre à une année qui
pourrait être un peu difficile ! Pour les Chinois, le soleil se
lève à l’est, du côté du dragon azur, et se couche à l’ouest,
chez le tigre blanc. Le sud, c’est l’oiseau vermillon, le nord
la tortue-serpent noire ! On voit aussi l’importance des
couleurs. Pas étonnant que leurs lieux de recueillement soient
si colorés !
En entrant sur le vaste parvis,
j’entends comme un battement sourd venant du temple. Devant la
façade ornée de fresques à la fois naïves et poétiques, des
lanternes rouges se balancent mollement avec un léger souffle de
vent venant du dragon azur. Par la porte ouverte, j’entends
battre le cœur du temple. Je me déchausse à côté d’une vasque
remplie de sable dans laquelle des bâtonnets d’encens dégagent
des parfums entêtants. Près de la porte ouverte, un personnage
vêtu de blanc, semble officier à une cérémonie, assis sur une
chaise. Des hommes vêtus de pantalons blancs et de tuniques
blanches un peu translucides descendant jusqu’aux pieds viennent
à tour de rôle le saluer avec une grande déférence. Ils portent
un chapeau de mandarin et une cape rouge et verte, sauf l’un
d’entre eux qui a une cape orange. Les sons d’une flûte et d’un
gamelan électronique viennent se joindre aux pulsations que je
percevais tout à l’heure. Au fond de la salle, de lourdes pièces
de tissu aux couleurs insolentes encadrent, comme un rideau de
théâtre, un autel sur lequel sont déposés toutes sortes
d’objets : des bols de faïence bleue et blanche, des cadres
représentant peut-être Confucius ou quelques Mandarins
respectés, une statue de Bouddha. Là devant, un petit autel sur
lequel je distingue des objets rituels, cloches ou bols, des
icônes. De chaque côté du maître de cérémonie, deux gros
paniers d’osier
hermétiquement fermés sont reliés entre eux par une palanche de
bois rouge. L’homme habillé de blanc me salue courtoisement, et
c’est, dans mon esprit, un peu comme s’il descendait de son
piédestal ! Quand l’officiant d’une cérémonie, que je pense être
religieuse, prend la peine de saluer le pauvre intrus que je
suis, dans ce temple, ça démystifie la cérémonie. Les acteurs
aux manteaux rouges viennent s’incliner devant le maître, puis
ils repartent vers le petit autel qu’ils contournent, et se
mettent alors à danser, faisant voler leur cape et agitant des
drapeaux rouges bleus, noirs ou verts. Je ne sais pas s’ils
suivent la musique ou si c’est le rythme des
musiciens qui
s’adapte à leurs mouvements. Ils tournoient et évoluent dans une
chorégraphie
compliquée, sans jamais ni se heurter ni même se gêner. À tour
de rôle, chacun d’entre eux tourne comme une toupie pour finir
par un salut au maître de séance. Le public s’est installé sur
des chaises de chaque côté de la salle, les femmes vêtues d’un
pantalon noir et d’un chemisier rose d’un côté, les hommes ayant
enfilé une longue
tunique blanche semblable à celle des danseurs, de l’autre.
La séparation des femmes et des hommes, encore une fois ! Je ne
connais pas une seule religion qui prône la mixité ! Les
chrétiens, notamment au Pays Basque, placent les hommes à la
tribune ou au fond de l’église, les bouddhistes, au Myanmar,
interdisent aux femmes de déposer les fines feuilles d’or sur
les statues de Bouddha, quant aux musulmans, c’est la
ségrégation totale. Des gens m’appellent pour que je vienne dans
leur coin pour avoir de meilleurs angles de prises de vues, ils
ont l’air satisfait de me voir m’intéresser à leur cérémonie.
Maintenant les danseurs évoluent en se croisant dans une
chorégraphie encore plus compliquée. Dans ce décor de tentures
rouges et dorées, sous le regard sévère d’un dragon échevelé aux
multiples crocs étincelants, ce spectacle semble à la fois
profane et chargé de croyances ancestrales. Je suis touché par
le côté intime et exubérant de cette cérémonie. Quand je renoue
mon bandana sur ma tête que je remets mes chaussures et que je
remonte sur mon vélo, il me semble que je sors d’un autre monde.
La rue me paraît vulgaire !
Je dois dire que quand on arrive, en
plein soleil, devant un petit temple étincelant de couleurs, et
que, dans la demi-pénombre d’une salle décorée comme pour un
opéra ou assiste à un spectacle auquel on ne s’attendait pas, ça
surprend ! C’est un moment délicieux !
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