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Mardi 17 janvier 2017.
Savannakhet – Mukdahan (23
km)
Je quitte le Laos en fin de matinée.
Il n’y a pas grand monde à la frontière. Les Laotiens sont
toujours aussi « relax ». Ici, on s’intéresse davantage à mon
vélo qu’à mon passeport ! Après avoir fait viser mon passeport,
je passe par le parking des bus, et je me dirige vers la
dernière barrière, juste avant le pont. Personne ne se
manifeste. Reste à convaincre le « portier ». Il sort de sa
guérite et ne me fait aucune difficulté : il me laisse m’engager
sur le pont. C’est gagné ! Je roule bien sagement sur le
trottoir et les dalles de béton claquent sous mes roues. C’est
impressionnant, j’espère qu’elles sont bien fixées, car je
n’aimerais pas faire un plongeon dans le
Mékong du haut du pont
suspendu ! J’espère que du côté thaïlandais, personne ne va me
voir arriver, car pour eux, bien qu’aucun panneau ne le stipule,
la circulation des cyclistes sur le pont est formellement
interdite ! Le jour où il y aura un gros trafic et beaucoup de
véhicules entre les deux pays, il y aura des embouteillages, car
il n’y a que deux voies étroites, et pas de bande d’urgences. Ce
« pont de l’amitié », bien que récent, est déjà dépassé !
J’arrive au poste frontière thaï. Personne ne me voit arriver du
Laos en vélo, ou plus exactement tout le monde fait semblant de
ne pas me voir ! Je suis un peu inquiet, car les lois changent
sans arrêt en Thaïlande, et je ne sais pas si l’on va me donner
un permis de séjour de quinze ou de trente jours. J’ai droit à
trente jours, ça me soulage, car il me suffira de faire une
petite incursion au Cambodge ou au Laos à nouveau pour avoir un
autre permis d’un mois. Sur la petite route tranquille qui longe
le fleuve, je m’arrête toujours chez le même marchand de soupe
de nouilles, et je me régale. La nourriture thaï est davantage à
mon goût que la nourriture laotienne qui est beaucoup plus
« rustique ». Au Laos, on mange pour calmer sa faim, alors que
le côté hédoniste des Thaïs les pousse à mitonner de succulents
petits plats avec des ingrédients qui ne sont rajoutés que pour
rendre les plats agréables.
Je retrouve mon hôtel ("Huanam")
et la télé avec la chaîne française ; « TV5 Monde ». Les infos
de « télé matin » et question pour un champion me laissent
croire, l’espace d’un instant, que je suis « chez moi », et
quand je vois les Français glissant sur les trottoirs verglacés,
bloqués en montagne par des congères ou des coulées de neige, je
me dis que, même s’il fait parfois un peu trop chaud, je ne suis
pas mal du tout « sous les tropiques » ! Le soir, un petit air
frais rend l’atmosphère respirable. Je me rends au marché de
nuit, mais mon marchand de canard rôti n’a pas amené sa cuisine
roulante. Je me rabats sur un plat de poulet bouilli, sur une
assiette de riz servi avec un petit bol du bouillon dans lequel
la viande a cuit. Je rajoute quelques sauces posées sur la
table : du jus de poisson fermenté, de la sauce de soja, un peu
de vinaigre d’orange dans lequel macèrent des petites rondelles
de piments, et l’inévitable pincée de sucre en poudre. Je suis
allé acheter ma bière au « 7-eleven » du coin… Après le repas,
je reviens chez la vendeuse de flancs aux œufs, et je lui achète
aussi des petites boules ressemblant à du nougat mou et
couvertes de noix de coco râpée. Parfois je me dis que ceux qui
croient que le bonheur est au fond du cœur se trompent
lamentablement. Le bonheur, il est au creux de l’estomac !
Mercredi 18 janvier 2017.
Mukdahan
– Loem Nok Tha (55 km)
Je pars à sept heures, car si je
n’ai qu’une cinquantaine de kilomètres à faire, je sais aussi
que la route n’est pas toute plate. Monter et descendre des
petits « tape-culs », c’est très désagréable en pleine chaleur.
Quand j’arrive à Loem Nok Tha, il fait déjà presque chaud. Je
pars me réfugier dans « mon » hôtel habituel (Pudin), en me
jurant de profiter de la piscine l’après-midi. Hé bien je
devrais avoir honte, mais j’ai plutôt choisi de faire la sieste.
En fin d’après-midi je me promène un peu autour de la place du
marché de nuit. La halle est déserte à cette heure, et je
remarque, sur les étals qui vont à nouveau présenter leurs
marchandises, des paniers contenant des récipients en aluminium,
des balances, des outils nécessaires au commerce. Ici, personne
ne met sous clé ses outils de travail. Les marchandises sont
protégées par des grillages cadenassés, mais les outils, on les
laisse sur l’étal. Cela veut dire que les voleurs ne dérobent
pas ce qui est vital pour le commerçant. On chiperait bien
quelques vêtements ou quelques paquets de nouilles, de biscuits
ou de riz, mais ce qui permet au marchand de gagner sa vie, on
n’y touche pas, c’est sacré ! Quel merveilleux pays où les gens
malhonnêtes ont une bonne moralité !
Jeudi 19 janvier 2017.
Loem Nok Tha - Yasothon (69
km)
Je quitte ma chambre à regret, car
peut-être que si je restais, aujourd’hui, je profiterais de la
piscine de l’hôtel… Je pars au lever du soleil, à 6 h 45. J’ai
presque froid, il fait 25° ! Le vent me pousse, je roule presque
à quarante à l’heure, et je m’ennuie dans un décor d’une
monotonie désolante. Les vingt derniers kilomètres me semblent
interminables, mais ça, c’est tous les jours ! Que je fasse
quarante, soixante, quatre-vingts ou cent kilomètres, ce sont
toujours les vingt derniers les plus longs. C’est ce qu’on
appelle « sentir l’écurie » ! J’arrive à Yasothon à dix heures,
juste quand la route commence à devenir brûlante.
En début d’après-midi, je vais
manger dans un endroit idyllique. Dans un terrain vague arboré,
des tables ont été installées à l’ombre. Un couple quadragénaire
a amené une de ces cuisines roulantes qu’on trouve au bord des
avenues, et on peut manger de délicieuses soupes de nouilles.
Encore une fois, c’est « la débrouille », on squatte jusqu’au
moment où quelqu’un viendra déloger ce restaurant « sauvage »
qui rend bien service à tout le monde !
Le soir, je vais dîner au restaurant
de l’hôtel. C’est une immense salle meublée de chaises
recouvertes de housses blanches les faisant ressembler à des
fantômes. Il y a juste une table de cinq convives dans ce qui
ressemblerait presque à un hall de gare. Je commande un riz frit
et juste au moment où je commence à dîner, des hurlements
sauvages résonnent dans cet endroit auparavant si calme. Un
olibrius boiteux, coiffé d’un petit chapeau tyrolien fait son
entrée. Je ne sais pas s’il est tordu de nature ou s’il est un
peu penché à cause d’un apéro un peu « musclé ». Il est suivi de
six personnes aussi bruyantes que lui. Ils connaissent les gens
si calmes qui étaient déjà installés à une table. Alors, voilà
que tout le monde se met à brailler, les femmes à caqueter et à
jacasser, et je suis content, car il y a quelques instants
l’endroit semblait sinistre. Un homme vêtu d’un costume sombre
s’installe au piano, sur une estrade. Avec de tels sauvages dans
la salle, je ne vois pas ce qu’il va bien pouvoir jouer ?
Certainement pas « rêverie » de Schumann, ni des préludes de
Chopin ! Un homme vêtu comme un ouvrier agricole monte aussi sur
l’estrade… certainement pour effectuer quelques réglages… Mais
non, il s’empare d’un micro, échange quelques consignes avec le
pianiste, et le voilà qui entame quelques vocalises… Mais non !
Il doit chanter, car tout le monde hurle son bonheur et
applaudit, une femme se lève et commence à onduler, les bras en
croix, les mains frémissantes comme des papillons blessés.
Alors, le chanteur, rassuré par son succès force un peu la voix,
et on dirait les miaulements d’un chat en rut, puis les
hurlements d’un coyote affamé. Le pianiste a programmé une
musique guimauve sur l’orgue électronique et les quelques notes
qu’il frappe sur son clavier tombent comme des cailloux sur un
toit de tôle. Et les spectateurs s’agitent, se trémoussent,
clabaudent en frappant dans leurs mains. Je me dis que je n’y
connais rien et que ce chanteur à la tessiture de voix si
étendue doit être un artiste. Quand il a terminé, des femmes se
précipitent pour lui offrir une rose à laquelle elles ont pris
soin de fixer un petit billet de cinquante bahts. Moi, j’en
profite pour m’éclipser discrètement.
Vendredi 20 janvier 2017.
Yasothon – Tha Tum (91 km)
C’est curieux comme on peut avoir
froid quand il ne fait que vingt-quatre degrés ! Mais c’est bien
agréable, et j’aimerais que le soleil se montre aimable ! Le
vent vient du nord-est, il apporte de la fraîcheur du Vietnam,
et il me pousse légèrement. Je ne jette même pas un regard vers
le décor dans lequel je pédale, car c’est d’une monotonie
consternante, et je préfère surveiller la route de façon à ne
pas rouler sur des débris de verre. Je m’arrête à un de ces
superbes étalages de melons et de pastèques, juste pour le
plaisir de raconter quelques histoires avec la marchande. Elle
me raconte que les
cucurbitacées viennent des champs cultivés par la famille,
et qu’elle préfère, évidemment, vendre sur les marchés ou au
bord de la route, qu’à la coopérative. Sa famille ne cultive
plus qu’un peu de riz pour la consommation familiale, car, bien
que le cours du riz soit en nette progression, on le leur paye
de moins en moins bien ! La Thaïlande, premier producteur d’un
riz de très bonne qualité, voit de plus en plus ses agriculteurs
abandonner la riziculture pour cultiver des légumes, de la canne
à sucre ou même, malheureusement de ces horribles palmiers à
huile avec lesquels on fait cette huile de palme dont la
consommation est de plus en plus déconseillée ! La marchande est
très aimable, elle ouvre un petit melon blanc et m’offre une
tranche. La chair est juteuse, mais loin d’être savoureuse comme
nos petits melons de Cavaillon. Je pense qu’avec un peu de
porto, on arriverait à peine à avoir quelque chose de potable !
Par contre, les grosses pastèques vertes sont succulentes,
juteuses, sucrées, goûteuses !
Aujourd’hui encore, je me suis
« dopé » au Lipovitan, car l’étape est longue : vitamine
C, caféine, codéine et je ne sais quel produit « déconseillé » ;
il ne me manque qu’un petit moteur dans le vélo pour être « aux
normes » pour participer au Tour ! quand j’arrive à Tha Tum,
juste avant midi, je ne suis pas fatigué, mais j’ai faim. J’en
déduis que quand on prend du melon au porto, ce n’est pas le
porto, mais bien le melon qui ouvre l’appétit !
Samedi 21 Janvier 2017.
Tha Tum – Surin (62 km)
Dernière étape, je sens venir
l’écurie. Aujourd’hui, pas de vent, pas trop de circulation, des
travaux sur vingt kilomètres, ce qui me permet, comme à l’aller,
de rouler sur une large portion de route rien que pour moi ! Je
suis sur un vélodrome, et quand j’arrive à Surin, à neuf heures
et demie, j’ai fait un honnête vingt-cinq de moyenne, et je ne
suis pas fatigué ! La chaise longue, quelques livres, la
maison... Je vais
vite reprendre mes habitudes!
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