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Quelque part,
entre Yasothon et Laem Nok Tha, un temple de style lao.
Jeudi 12 janvier 2017.
Yasothon – Laem Nok Tha.
(70 km)
Ce matin, je me sens un peu flasque.
Les quatre-vingt-dix kilomètres d’hier m’ont usé. Alors je
décide de me doper. Oh pas comme un pro, pas à l’insu de mon
plein gré, non, en toute connaissance de cause ! J’achète une
petite fiole de Lipovitan, un produit énergétique.
J’avais montré l’étiquette à un médecin en France et il m’avait
dit qu’il y a trois produits interdits par les contrôles
antidopage : caféine, vitamine C et un autre excitant. Les Thaïs
font une consommation irraisonnée de ce genre de produits. On
trouve le Lipovitan, le M150, le Carabao deng,
et le Crating deng, connu chez nous sous le nom de Red
Bull. D'ailleurs, le Red Bull est un produit thaïlandais.
Les chauffeurs de poids lourds ou de bus consomment énormément
de ces produits, et certains le payent avec des problèmes
cardiaques, souvent mortels. Les ivrognes de villages mélangent
ces produits avec leur alcool de riz local allongé d’un peu
d’eau gazeuse… en ce qui me concerne, je me contente d’un dopage
léger ! Je prends une route secondaire un peu moins fréquentée
et parmi les forêts d’hévéas. Les arbres sont bien alignés,
chacun supportant son petit pot placé sous la blessure d’où
coule un sang blanc. Les saigneurs ont vidé les pots et déposé
la demi-sphère de latex coagulé au pied de chaque hévéa. Les
gens qui font ce travail vivent dans des conditions précaires,
dans des cabanes dans la forêt, ils ont toujours été mal payés,
et la baisse du prix du latex n’arrange rien.
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Les derniers kilomètres sous la
chaleur, entre dix heures et midi, me paraissent interminables.
À Laem Nok Tha, je me rends à l’hôtel « Pudin », comme l’an
dernier, sur la place du marché. L’immense halle est presque
déserte. Le marché commence à une heure du matin et finit à neuf
heures. Nous sommes ici en pleine région agricole et les paysans
vont vendre ou acheter leurs produits avant de commencer leur
travail dans les champs.
Rien n'est
assez grand pour le Roi et pour Bouddha...
Vendredi 13 janvier 2017.
Laem Nok Tha
– Mukdahan (53 km)
Je pars à sept heures trente, avant
que la chaleur ne vienne rendre le voyage difficile. De petites
gouttes, comme des picotements glacés viennent tomber sur les
bras et mes jambes sans même mouiller mes lunettes. La route est
sèche, et je pense que les gouttes elles-mêmes ont séché avant
d’arriver au sol. Il pleut des gouttes déshydratées ! La route
est large, parfois bordée de forêts, mais le vent contraire rend
la progression difficile. La région est légèrement vallonnée,
mais on ne s’en rend pas compte, car c’est tout le paysage qui
penche une plaine infinie en pente ! Je me demande parfois ce
que je viens faire dans cette galère, il n’y a même pas de noix
de coco pour me redonner la vigueur qui me manque. Je m’arrête
dans une forêt classée parc national, et je reste un moment à
observer un employé qui balaye des feuilles tombées sous les
arbres. Il y aurait de quoi faire un film comique, car balayer
des feuilles quand il y a du vent… Le brave homme fait ça pour
la beauté du geste, c’est tout. Je m’amuse, mais moi aussi, je
fais des efforts totalement inutiles vu que des cars climatisés
me doublent sans arrêt !
Une dernière montée, et me voilà à
Mukdahan. Je vais à l’hôtel Hua Nam, et je pars traîner
dans la rue devant le Marché Indochine. C’est un lieu
d’approvisionnement pour les Laotiens, on retrouve la même chose
dans toutes les villes frontalières.
Au
bord du Mékong. Sur l'autre rive, c'est le Laos.
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Le soir je mange mon canard, une
grande portion, sur le marché de nuit. Je suis si fatigué que je
reviens aussitôt à l’hôtel. J’achète tout de même un petit flanc
aux œufs et un carré gélatineux à la noix de coco que je vais
manger en cachette, tout seul dans ma chambre !
Samedi 14
janvier2017.
Mukdahan –
Savannakhet (Laos) (18 km)
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Voilà une
bonne astuce pour descendre les sacs d'aliment
et pour remonter les poissons ! |
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Je profite au maximum de ma chambre
confortable, de TV 5 Monde jusqu’à onze heures, puis je pars
vers le « pont de l’amitié »,
cet énorme ouvrage de près de trois kilomètres de long enjambant
le Mékong et
permettant d’aller au Laos. J’ai connu l’époque où il fallait
traverser le fleuve dans une barque métallique qui n’inspirait
guère confiance, surtout à la saison des pluies quand on devait
faire du slalom entre les troncs d’arbres épars qui filaient
dans l’eau boueuse, entraînés par le courant ! Il y a de cela 25
ans, on ne voyait, sur la rive laotienne que des bosquets
touffus, surmontés du panache en étoile de quelques cocotiers et
quelques rares bâtiments aux toits de tôle rouillés. On passait
de la vie animée de la ville thaïlandaise de Mukdahan à une zone
paisible, presque en dehors du temps ! Aujourd’hui, les deux
rives sont constellées d’immeubles blancs, à peine plus hauts
que les rares cocotiers qui ont survécu à l’urbanisation de ces
cités frontalières. Je longe la rive droite du Mékong, du côté
thaï, sur sept ou huit kilomètres par une petite route bordée de
villas plus ou moins cossues et de boutiques ou de dépôts de
marchandises. Je m’arrête pour manger une soupe de nouilles, car
c’est bien meilleur, à mon goût en Thaïlande. Je paye moins d’un
euro ! Le marchand me raconte qu’au Laos, c’est plus du double,
que la vie est devenue très chère là-bas, de l’autre côté du
fleuve. Ça, je le savais déjà, car tout est importé de Thaïlande
et, de plus en plus, de Chine ! J’arrive au poste frontière
thaï, mon passeport est visé juste le temps d’y apposer un
tampon et de vérifier sur l’ordinateur, si je n’ai pas fait de
bêtise dans le pays ! Si je n’ai pas payé un hôtel, si j’ai dit
des vilaines choses sur des gens respectables, si j’ai été
signalé pour une raison ou une autre, l’ordinateur me
dénoncera ! D’accord, je suis un gentil garçon, on me laisse
passer, mais on ne m’autorise pas à traverser le pont à
bicyclette. Le chauffeur du car-navette ne peut pas me prendre,
car il est complet. Il hésite un peu devant mon petit billet
rose de cent bahts, mais finalement il part sans moi. C’est
alors qu’une employée des douanes me dit de voir le chauffeur de
bus allant de l’autre côté, au Casino. Je me retrouve, comme
l’an dernier, dans le car des joueurs qui vont jeter leurs
dernières économies sur le tapis vert. Au poste frontière
laotien, ça va aussi vite qu’en Thaïlande, et me voilà à
Savannakhet ! Ici, on roule à droite, mais si j’oublie et que je
pars à gauche, comme en Thaïlande, ce n’est pas grave, car en
réalité, on roule où il y a de la place ! Les motos vont
lentement, les voitures klaxonnent pour se frayer un passage,
les deux roues vont en sens interdit, ne marquent aucun stop,
passent parfois au feu rouge. Je vais à Nogsoda Guest House,
comme d’habitude, et j’ai une grande chambre climatisée pour
cent mille kips. Ça peut paraître cher, mais en réalité ce n’est
que douze euros !
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Le soir, je vais manger au Xok
Xay, sur la place du marché de nuit, près de l’église
catholique. Je rencontre un couple de Français avec une
charmante petite fille de cinq ans. Ils voyagent en camping-car.
Ils ont amené leur véhicule par bateau jusqu’en Malaisie, ils
sont passés en Thaïlande (grâce au carnet de passage en douane),
sans aucun problème, puis ils sont arrivés au Laos, mais ils ont
besoin de revenir en Thaïlande pour repartir de Malaisie en
bateau. Et voilà qu’ils apprennent que la circulation des
camping-cars est dorénavant interdite en Thaïlande ! Une loi,
parmi tant d’autres, vient de passer. Cela illustre bien le
climat actuel avec des gens au gouvernement qui font ce que bon
leur semble, même si ce n’est pas toujours bon ! Le gouvernement
militaire doit avoir une bonne raison pour interdire la
circulation des camping-cars, au demeurant extrêmement rares,
car je n’en vois jamais sur la route !
Dimanche 15 janvier 2017.
Savannakhet (17 km)
Je n’ai rien à faire aujourd’hui,
dans cette ville sans caractère et sans intérêt, qu’à attendre
demain que l’ambassade de Thaïlande ouvre. Alors, j’attends en
faisant des zigzagues avec mon vélo dans les rues et en
m’adonnant à une sieste comateuse. Je suis un peu fatigué, je
vais me refaire une santé ! Le soir, un vent doux souffle sur la
ville, alors au Xok Xay, je mange à l’intérieur, un
succulent poulet au curry arrosé d’une grande bouteille de bière
(630 ml).
Lundi 16 janvier 2017.
Savannakhet (16 km)
Il me faut aller à l’ambassade de
Thaïlande. Quand j’arrive, à l’heure de l’ouverture (c’est
marqué sur la plaque : 8H30) il n’y a que quatre personnes,
attendant dans la rue. Il nous faut rester en plein soleil
jusqu’à neuf heures pour voir enfin la porte s’ouvrir. Il y a
alors une bonne quarantaine de personnes. Le premier qui se
présente au guichet se voit le visa refusé : il lui manque un
papier. Il n’est pas très content, le monsieur. Le deuxième, je
le vois discuter, parlementer… Même chose : il lui manque un
document ! Le troisième n’a pas de justificatif de sa banque :
pas de visa ! Il n’est pas très content, lui non plus, mais il
ne le montre pas. Le quatrième n’a pas non plus tous les
documents demandés. Quant à moi, le monsieur veut savoir
pourquoi je veux rester deux mois en Thaïlande. Je lui dis que
j’ai une maison à Surin et que ma femme est Thaïlandaise. Ah
parfait ! Alors, il veut voir mon contrat de mariage. Je lui dis
que je l’ai laissé dans le tiroir du buffet, chez moi, alors il
veut voir la copie du billet d’avion… Bon, je comprends très
bien que, quel que soit le document que je présente, il en
manquera toujours un… alors, je fais comme à l’ambassade de
France, je remercie poliment et je m’en vais. Je ne sais pas
pour le reste de la file, mais en ce qui concerne les deux
personnes derrière moi : une Américaine qui enseigne à Bangkok
et un Français, il leur manquait aussi quelque chose. Échec à
l’ambassade de France le trois janvier, à celle de Thaïlande le
dix-sept, je vais finir par être totalement allergique à ces
petits gratte-papiers qui se donnent de l’importance en faisant
du zèle. Que ce soient les Français ou les Thaïlandais, ils sont
certainement aigris d’être « expatriés » ! Je ne cherche même
pas à me procurer la copie du titre de voyage, car je peux très
bien revenir en Thaïlande demain et j’aurai une autorisation de
séjour de trente jours, ensuite j’irai passer un jour ou deux au
Cambodge.
L’après-midi, il fait chaud, je
pense à tous ces malheureux qui, en Europe, fuient l’horreur,
qui n’ont plus de maison, qui n’ont pas d’abri, qui meurent de
froid dans l’indifférence égoïste de gens bien habillés qui
s’inquiètent car l’interdiction du cumul des mandats leur ferait
perdre de l’argent. Alors, je regarde couler le Mékong, juste
devant mon hôtel, et je me dis que les Laotiens vivent encore au
rythme des flots qui glissent lentement, presque insidieusement.
Ici, ils ne savent même pas qu’il y a des guerres dans le monde,
ils ont eu leur compte, leur piste Ho Chi Minh et leur plaine
des jarres ! Ils ont reçu plus de bombes qu’on en a déversé sur
le monde entier durant la Seconde Guerre mondiale, et
aujourd’hui, non seulement ils sont en paix, mais la plupart
vivent mieux que leurs parents ! Alors, on trouve chez ces gens,
une envie de vivre, de rire, de profiter, de s’amuser. Le
comportement dans la circulation est un exemple de cette
nonchalance. On roule où on peut, où on veut ; on ne crie pas
après celui qui fait des bêtises, car on vient d’en faire
soi-même et on en fera d’autres dans quelques instants. Pour ce
qui est du code de circulation, c’est la « technique de
l’évitement », et ça fonctionne assez bien, car il n’y a pas
beaucoup de bousculades !
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Les maisons
coloniales, parfois en mauvais état, parfois restaurées
et colorées ! |
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