Page précédente
Du vendredi 6 au lundi 9 janvier
2017.
Surin.
Que fais-je quand je reste à la
maison ?
C’est tout simple : le matin, je
fais une petite promenade à bicyclette parmi les rizières
moissonnées, c’est-à-dire dans une campagne desséchée de couleur
jaune ou brune. Autant le décor est coloré et attrayant à la
saison des pluies, autant il est sans intérêt en ce moment. Tout
paraît sale et poussiéreux, même les petites vaches faméliques
qui broutent les quelques tiges de paille de riz qui sortent
encore de la boue desséchée.
À midi, je mange au petit restaurant
installé à côté de chez nous. J’ai le choix entre différentes
soupes de nouilles ou de riz, entre du khao phad, ce
délicieux riz frit, ou même quelques brochettes. Si nous
n’allons pas au restau de la voisine, Amnoay va acheter un
poisson frit ou du poulet rôti.
L’après-midi, la chaleur m’enlève
toute énergie et surtout toute motivation. Je m’abandonne à ma
flemme, je me vautre dans ma léthargie, et, dans ma chaise
longue, je m’endors sur un bouquin qui ne parvient pas à me
captiver. Je ne regarde jamais la télévision, sauf parfois les
matches de boxe thaï du dimanche. La télé ? C’est l’instrument
le plus abrutissant du pays. On a le choix entre plusieurs
dizaines de chaînes toutes aussi idiotes les unes que les
autres. Dès le matin, aux infos qui durent environ trois heures,
on nous montre le cambrioleur qui explique, sur les lieux de son
délit comment il a réussi à pénétrer dans le local où il a
dérobé toutes sortes d’objets qui sont exposés devant lui dans
le poste de police. On a droit aussi à la flaque de sang ou au
cadavre de la victime d’un assassinat, à la voiture pulvérisée
par le train ou au motocycliste les bras en croix sur l’asphalte
d’une avenue. En ce moment, les images des inondations de la
région du sud (Surathani) tournent en boucle : les gens
pataugeant dans la rue inondée, les familles réfugiées dans leur
maison construite sur pilotis, comme de nombreuses habitations,
les voitures partant à la dérive dans un torrent fougueux… On
nous montre aussi les gentils militaires distribuant de la
nourriture ou des bouteilles d’eau. Les journalistes
questionnent des sinistrés qui récitent le texte
consciencieusement appris, n’oubliant pas de remercier les
gentils militaires ! Si l’on parle des événements de Syrie ou
des problèmes d’autres pays, c’est vraiment en quelques
secondes ! À huit heures, c’est l’hymne national. L’autre jour,
à Bangkok, je descendais les escaliers de la station de métro
Saphan Taksim quand soudain, tout le monde se figea en une
fraction de seconde. Les passagers restèrent sur la marche où
ils venaient de poser le pied, dans une immobilité totale. On
aurait dit un arrêt sur l’image dans un film ! Je n’avais pas
prêté attention à une musique qu’on percevait à peine : l’hymne
national. Avec un léger temps de retard, je me figeais au garde
à vous, de façon à ne choquer personne. Dès que la musique
s’arrêta, la foule retrouva vie et la station son animation
coutumière ! Puis, pour revenir à la télé, au cours du reste de
la journée, on a droit à des pièces de théâtre d’un comique si
lourd que je suppose que les spectateurs sont punis s’ils ne
rient pas. Car tout le monde est plié en quatre. C’est souvent
la tarte à la crème en pleine poire, ou le transsexuel qui
s’empêtre dans le tapis et tombe en se roulant par terre… Quand
il y a des jeux culturels, il faut deviner quelle est la
capitale du Mexique ou du Guatemala, combien il y a de dents sur
la mâchoire à Jean ou combien font onze fois douze… Et voilà
dix-huit heures et à nouveau l’hymne national. Ce qui m’étonne,
c’est que le clip n’a pas été renouvelé, on voit donc encore le
Roi disparu en octobre saluer la foule… Un peu comme s’ils ne
voulaient pas admettre sa disparition. Personne n’a osé proposer
un nouveau clip avec le nouveau Roi (son fils). Puis, sur toutes
les chaînes, il y a le quart d’heure du premier ministre. On n’a
pas le choix, c’est la même chose sur toutes les chaînes de
télévision. Ce premier ministre ressemble étrangement à François
Fillon, il a le même air enjoué, la même tête ! Et ensuite, on a
le choix, suivant la chaîne entre un film où les gens se
disputent, où la femme trompée pleure dans les bras de son futur
amant, entre le film chinois où tout vole, même les chevaux, ou
alors on a quelques jeux où on départage des chanteurs qui
miaulent dans un micro. Toutes ces émissions, sauf le quart
d’heure de propagande, sont hachées par des publicités qui
tombent sans préambule. À tel point que lorsqu’on est captivé
par l’action d’une course poursuite, on plane soudain dans un
nuage… de mousse de la super lessive « bricks » !
Heureusement que j’ai Internet où je
peux lire la presse française.
Mardi 10 janvier 2017.
Surin – Tha Toum. 66 km.
Une bonne température de
vingt-quatre degrés un soleil radieux, un petit vent
sympathique… C’est l’idéal pour partir en vélo. Pourtant, je ne
suis pas motivé. Je suis blasé ! J’ai l’intention de me rendre
au Laos pour renouveler mon visa thaï, et je connais déjà la
route puisque j’y suis allé l’an passé. Il y a un peu moins de
trois cents kilomètres que je vais parcourir tranquillement en
quatre jours. Je pars à huit heures et la circulation est assez
dense dans la ville de Surin. Tout le monde va au marché, soit
pour vendre, soit pour acheter. Je remarque avec satisfaction
que les automobilistes respectent davantage les cyclistes
qu’auparavant. Sur la route étroite et fréquentée où j’étais un
peu inquiet l’an passé, des travaux sont en cours pour élargir.
De ce fait, j’ai tout un bas-côté de la largeur de deux voies
pour moi tout seul. Je m’arrête au
temple que j’avais visité
l’an passé, et l’immense bouddha de ciment ne devrait pas tarder
à prendre une belle couleur dorée. Les ouvriers travaillent avec
des échafaudages en bambou. J’arrive à Tha Toum sans trop de
problèmes à onze heures et demie, et il commence à faire chaud !
(33°)
Je vais au même hôtel que l’an
dernier, dans la même chambre, je vais au même restaurant le
soir et le patron me reconnaît et se souvient que j’avais pris
un riz frit aux crevettes avec une
bière Chang ! J’ai donc là
aussi le même menu que l’an dernier !
Mercredi 11 janvier 2017.
Tha Toum – Yasothon. (90 km)
La journée commence bien, car le
ciel est couvert et bien que le thermomètre affiche déjà
vingt-sept degrés lorsque je prends la route, j’ai une
délicieuse sensation de fraîcheur. La route est bonne, le vent
presque favorable, mais le paysage toujours aussi monotone. Je
dois avouer d’ailleurs que je roule sans jeter un œil au décor.
Je fixe la route, dix mètres devant moi, de façon à éviter les
tessons de bouteilles ou les divers objets jonchant parfois le
sol. Alors, bien entendu, le voyage semble monotone, les
kilomètres défilent lentement, et j’ai tendance à forcer
l’allure pour arriver le plus tôt possible. Les cyclistes ne
sont pas nombreux : je n’en vois pas un, à part quelque paysan
avançant tellement lentement que son équilibre en devient
précaire ! Par contre, les motocyclistes sont les plus
dangereux. Ils me frôlent, ils arrivent sur la bande d’urgences
à contre-sens, m’obligeant à me déporter sur la chaussée pour
les croiser. En toute logique, ils devraient me laisser serrer
le long du bas côté, puisque roulant à contre-sens, ils voient
les véhicules arrivant dans mon dos, mais non ! Ils me forcent à
me déporter sur la chaussée ! Dix heures, voilà que le soleil
fait son apparition. Aussitôt, je suis dans un four avec
l’asphalte qui renvoie la chaleur et le soleil qui me brûle. Sur
le bas-côté, une petite cabane bancale couverte d’un petit toit
de paille contient des merveilles, un trésor : des noix de
coco ! Et la vendeuse qui se trouve là, coiffée de son chapeau
de paille, me propose une petite poche en plastique contenant du
lait et un peu de pulpe de noix de coco. Elle sort son trésor
d’une glacière, fait un trou dans la petite poche avec une
paille et me tend cette boisson délicieuse. Je fais une razzia
dans sa glacière, je remplis même le bidon du VTT. Quand je
reprends la route, je me sens nettement mieux. Le breuvage est,
en plus, sucré avec du jus de canne ! Il n’y a certainement pas
mieux comme boisson reconstituante ! Six kilomètres avant
Sawanaphum, je passe un petit moment dans un
temple fréquenté
par des nuées de macaques qui vont jusqu’à traverser la grande
route parmi la circulation. Ils ne se font pratiquement jamais
écraser, car les usagers font tout pour les éviter. Le serpent,
le singe et l’éléphant sont des animaux sacrés. Les tuer porte
malheur ! (Au fait, si je suis davantage « respecté » sur la
route, ne serait-ce pas, tout bonnement parce qu’en prenant de
l’âge, ma face devient simiesque ?)
Le ciel est d’un bleu profond,
constellé de gros nuages blancs qui paraissent étincelants et
qui sont aussi utiles, pour moi, qu’un bon parasol. Alors,
lorsque je remarque que l’ombre avance dans la même direction
que moi, sur la route, j’accélère un peu pour rester sous la
protection du nuage. Et puis ça me flatte, j’en déduis que le
ciel me vient en aide !
J’arrive à Yasothon rôti, cuit,
rouge comme une merguez, avec les bras et les jambes rôtis ! Je
vais à l’hôtel « Green
Park », comme l’an dernier, mais
j’ai une chambre au premier étage. Comme ma bicyclette ne
saurait me laisser seul, elle dort avec moi, toutes les nuits.
Il me faut donc monter l’escalier avec mon vélo sous le bras
dans un hôtel assez « sélect ». En haut de l’escalier, en
tournant dans le couloir, je tombe sur une femme de ménage qui
reste coite, me regardant avec des yeux en phares d’auto. Je
fais drelin-drelin avec ma sonnette, j’ouvre la porte de ma
chambre et je la laisse penser que les étrangers sont des gens
bien singuliers !
|