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Mercredi 4 janvier 2017.
Bangkok – Ayutthaya.
Dès sept heures trente, je vais à
l’ambassade de France. Il y a du monde dans le
métro, mais c’est
curieux, on n’a pas l’impression d’être nombreux. Je ne réussis
pas à comprendre comment font les Thaïs, pour ne jamais se
toucher, même quand il y a foule. Je ne sais pas non plus
comment fait la personne se trouvant à l’opposée de la porte
pour sortir sans bousculer aucun voyageur. Ces gens ont à la
fois du chat et de l’anguille ! Chacun est avec son petit
téléphone, et ça pianote, et arrivés à la station, ils sortent
même du train sans cesser de cliquer sur leur écran. Ils
descendent les escaliers, marchent sur le trottoir, traversent
la rue en pianotant. Celui qui n’a pas sa tablette ou son petit
téléphone est le dernier des ploucs ! J’ai regardé par-dessus
l’épaule de ma voisine, dans le métro, elle jouait à empiler de
la vaisselle alors qu’un méchant gnome tournait autour… Le
voisin, lui, il massacrait des soldats qui surgissaient par les
portes et les fenêtres d’un immeuble d’où tombaient des bombes
incendiaires… Je me demande parfois s’ils savent où ils sont ?
Ils vivent à longueur de journée dans des décors de jeux idiots
et abrutissants. Si on leur confisque leur téléphone pendant
toute une journée, ils tombent malades !
Hier, j’ai reçu une confirmation de
mon rendez-vous à l’ambassade dans un message… en anglais ! Je
me demande si l’on ne fait pas tout pour laisser disparaître le
français ? La francophonie est bien morte ! Quand l’ambassade
met en ligne un site en anglais et envoie aux ressortissants
français des messages en anglais, c’est consternant, c’est
affligeant, c’est complètement idiot ! J’arrive à l’ambassade
pour renouveler mon passeport qui est bientôt plein. Il ne me
reste que trois pages. L’ambassade est un véritable fortin :
portes blindées, hauts murs hérissés de piques, portes vitrées
surveillées par une multitude de caméras, sas de sécurité,
fouille des bagages… J’avais rendez-vous à huit heures
trente-cinq, donc je ne poireaute pas. Je passe au premier
étage, je vais au bureau 109. Je suis reçu par une employée aux
lunettes de myopes, une incisive plus proéminente que les autres
lui donnant l’air d’un castor acariâtre, le cou tendu comme
celui d’un dindon arrogant. Déjà, dès mon arrivée, je sens que
ça ne va pas aller que la photo ne sera pas « aux normes » ou
qu’elle va me demander quelque chose que je n’ai pas. Elle
commence par ouvrir le passeport à une page qui est encore libre
et me lance d’une voix aigre : « Mais il est encore valable,
votre passeport ! » « Oui Mademoiselle, il est encore valable
pour un visa, mais si j’en veux deux, c’est cuit ! » Je lui dis
« Mademoiselle », car ça la rajeunit, et j’ai vu qu’elle n’a
aucune bague. Et puis ça fait toujours plaisir aux rombières de
son acabit quand on les prend pour des jeunes filles ! Mais « le
castor » ne se laisse pas rouler dans la farine elle ne se
radoucit pas et me dit, en étant sûre de me prendre en faute :
« Vous avez un justificatif de domicile ? » Comment aurais-je un
justificatif de domicile à dix mille kilomètres de chez moi ? Je
lui dis que c’est une prorogation et non un renouvellement de
passeport, que mon passeport étant encore valable six ans… « Non
Monsieur, il vous faut un justificatif de domicile. Vous n’avez
pas lu les formalités ? » « Bon, Madame (du coup je la vieillis
un peu, pour me venger) ça n’a pas d’importance, vous avez
raison, mon passeport n’est pas encore plein, il est toujours
valable, et je vous remercie en vous demandant de bien vouloir
m’excuser pour le dérangement occasionné ! » Et je reprends mon
passeport, et je sors de son gîte. Je pense qu’elle a téléphoné
en bas, à la réception, car le responsable me conseille de
donner l’adresse de mon épouse en Thaïlande, ou de contacter la
mairie de mon village pour obtenir un justificatif. Bah ! je
laisse tomber, j’ai déjà eu affaire à l’ambassade lorsque nous
nous sommes mariés, et tout ce que je vais gagner, c’est d’être
coincé à Bangkok sans passeport.
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L’après-midi, nous prenons le train
pour Ayutthaya, encore un train gratuit pour Amnoay, et
seulement vingt bahts pour moi (cinquante-cinq de nos centimes).
En ce moment, les bus dans Bangkok et de nombreux trains sont
gratuits, Amnoay prétend que c’est un cadeau pour la mort du
roi… Les choses sont tellement bizarres ici que ça ne
m’étonnerait pas ! Nous voyageons dans le bar du train. Pour
avoir le droit de voyager dans ce wagon, il suffit d’acheter une
boisson. Je m’en sors avec une cannette de café à vingt bahts.
Les deux sièges se faisant face, de chaque côté de la petite
table, sont en bois verni. C’est beau, très rustique, mais nous
sommes contents de ne pas avoir à y rester plus d’une heure et
demie, car c’est vraiment inconfortable !
Le soir, nous allons au marché
Huaro, au bord de l’eau. On y trouve toutes sortes de
restaurants en plein air, de stands de nourriture, et je
remarque que la plupart des commerçants sont des femmes portant
le foulard. Ce sont des musulmanes récemment converties à
l’islam. Il y avait, jusqu’à présent, une faible proportion de
la population de confession musulmane dans le sud du pays.
Aujourd’hui, on a bâti de nombreuses mosquées un peu partout
dans le pays pour calmer les « rebelles » du sud et de ce fait,
le prosélytisme aidant, les musulmans sont de plus en plus
nombreux. Ajoutons à cela que si les bouddhistes acceptent de se
convertir, ils ont droit à des aides de toutes sortes avec des
capitaux venant peut-être d’Arabie Saoudite ou de quelques pays
du Golfe Persique. Cela n’a pas empêché Bangkok d’être touché
par un attentat qui a fait plus de quarante victimes, mais à
propos de ce problème, les médias (c’est-à-dire la junte au
pouvoir) se montrent très discrets.
Jeudi 5 janvier 2017.
Ayutthaya - Surin.
Nous nous rendons à la gare en touk-touk
pour prendre le train de huit heures vingt-cinq qui arrivera à
Surin à trois heures, si tout va bien. J’aime bien les petits
touk-touk d’Ayutthaya, ils ressemblent un peu à des grenouilles
tristes. Ils sont plus grands et plus confortables que ceux de
Bangkok, et aussi moins bruyants. La cabine du chauffeur est
fermée et on conduit avec un volant et non pas un guidon comme
ceux des autres villes. Ils sont de toutes les couleurs,
certains sont artistiquement décorés avec des représentations
des temples de la ville. On dirait un peu des voitures de fêtes
foraines, et j’ai toujours l’impression que je monte dans un
manège quand je m’assieds sur la petite banquette de ce drôle de
véhicule.
Dans le train, nous avons de la
place pour étendre nos jambes, car aujourd’hui, cinq janvier les
ouvriers ont repris leur travail, les gens partis en province
ont regagné leurs pénates, et tout est redevenu calme. J’ai
chaud, je somnole, je n’ai pas faim et c’est bien dommage, car
toutes sortes de nourritures défilent sans arrêt dans la travée.
Les marchands et les marchandes se suivent en vantant la qualité
de leur produit. Ils descendent à une gare, reviennent avec un
autre train, ce qui fait qu’il y a un renouvellement constant de
victuailles vendues ! À un moment, le train s’est arrêté en rase
campagne et a commencé une marche arrière plutôt inhabituelle.
Je me penche un peu à l’extérieur, et je vois des têtes à toutes
les fenêtres. Je ne suis pas le seul à être intrigué. Et on
recule sur trois cents mètres, jusqu’à une petite gare. Sur le
quai désert, le chef de gare agite un drapeau rouge, et on
recule, lentement, et quand les wagons de queue arrivent à
hauteur du quai, le train s’arrête. Le drapeau devient vert le
train klaxonne longuement et repart… Personne n’est monté ni
descendu, mais il vaut mieux ne pas oublier de s’arrêter à une
gare, d’abord parce que nous sommes sur une voie unique, qu’on
ne plaisante pas avec la « feuille de route », et ensuite parce
que ça vexe le chef de gare ! Nous arrivons à Surin presque à
l'heure prévue, avec seulement dix minutes de retard !
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