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Vendredi 23 décembre 2016.
Bangkok – Surin.
Nous prendrons le train de nuit ce
soir jusqu’à Surin. Comme nous avons libéré la chambre d’hôtel à
midi, il me reste toute l’après-midi pour musarder dans Bangkok.
Le temps estival, les filles en short ou en minijupe, les hommes
en chemisette… je n’arrive pas à réaliser que c’est Noël ! En
plus, le deuil national d’une année impose le silence dans les
grands magasins, donc, pas de rengaine souvent insupportable de
« ringue bêle » le chant de Noël que l’on retrouve d’habitude
dans tous les endroits où l’on va. Il y a du monde partout, des
gens qui vont et viennent, et je n’arrive jamais à savoir s’ils
vont ou reviennent de leur travail ou s’ils « magasinent »,
comme disent les Canadiens. Le métro est bondé. Quand la porte
s’ouvre, on croirait qu’on ne va pas arriver à se caser dans
cette multitude, et pourtant, comme par miracle, la foule trouve
toujours un peu de place pour les nouveaux passagers, et ce qui
est curieux, c’est que dans cette population entassée, on ne
bouscule personne, on ne touche pas son voisin. Dans la rue,
c’est pareil : la même densité de voitures qui ne se touchent
que très rarement et qui réussissent avec plus ou moins de
succès, à se faufiler. Jamais un coup de klaxon, pas de signe
d’énervement. La vie est un long fleuve tranquille, les avenues
aussi, mais dans ce fleuve-là, le débit stagne un peu !
Pratiquement tous les véhicules ont les vitres teintées de noir,
ce qui empêche de voir le conducteur et ce qui rend toute
démarche anonyme. Par exemple quand un véhicule force le passage
pour sortir d’un « soy » (ruelle), on ne voit pas le conducteur
et cela empêche tout signe d’approbation ou de désapprobation.
Personnellement, je trouve très pénible de ne jamais savoir qui
est dans la voiture se trouvant à côté. Les embouteillages sont
déshumanisés !
Pour aller à la gare, il faut
habituellement un quart d’heure, mais à l’heure de pointe à six
heures du soir, nous mettons une heure et vingt minutes. Le
chauffeur de taxi a accepté un compromis sur un tarif correct
sans mettre le compteur. Tout le monde s’y retrouve. Il fait la
conversation avec Amnoay qui, retrouvant dans son pays des
interlocuteurs qui comprennent ce qu’elle dit se montre
volubile, racontant sa vie en France, son odyssée entre Lube et
Bangkok. Nous passons devant le petit temple Erawan où
l’attentat à la bombe de l’an dernier a fait plus de quarante
victimes. Il y a foule autour du monument représentant Ganesh,
l’éléphant sacré du panthéon hindouiste. Suivant la somme
octroyée par les fidèles, des danseuses évoluent plus ou moins
longtemps. Je ne vois aucune plaque, aucun détail rappelant « à
la mémoire » l’horreur d’un jour où quarante personnes
innocentes laissèrent leur vie, et où plus de cent autres furent
marquées à jamais par cette tragédie. Le chauffeur de taxi nous
dit que ce fut un attentat perpétré par un intégriste musulman,
mais il ne rajoute aucun commentaire. C’est du passé !
Le hall de la gare Hua Lamphong est
occupé sur la moitié de sa surface, par une exposition de photos
de qualité sur le Roi et sur le pays. Dans le fond, un immense
catafalque couvert de
fleurs de jasmin blanches trône comme un retable de cathédrale.
Le train est à quai. C’est un train tout neuf, bien que déjà
obsolète, acheté à la Chine. Les wagons en inox sont rutilants,
à l’intérieur les couchettes sont confortables, mais le trajet
ne sera pas plus rapide, car on reste sur des voies très
vétustes et en mauvais état. Comme pour les bus de Bangkok, les
trains n’ont pas changé depuis plus d’un demi-siècle.
Samedi 24 décembre 2016.
Surin.
Nous voilà "chez nous", à la
maison ! Nous passons la journée à faire du
ménage, à déballer nos affaires, à installer celles que nous
avions stockées dans des malles. La petite chienne que j’aimais
tant ne reparaît pas et je ne demande pas ce qu’elle est
devenue, car on va me répondre un mensonge. Noy,
le chien est
complètement bouffé par la galle, tout pelé, et je n’ose pas le
caresser. Il tousse d’une toux roque qui ne laisse rien présager
de bon. La sœur d’Amnoay ne fait rien pour le soigner et le plus
étonnant c’est que ce chien galeux traîne à longueur de journée
dans l’école voisine sans que cela n’inquiète ni le directeur,
ni les enseignants, ni les parents d’élèves. Il y a des choses
parfois difficiles à comprendre.
Dimanche 25 décembre 2016.
Surin.
C’est le jour de Noël ! Je sors sur
la terrasse, au lever du jour. Il est six heures, le ciel, tout
rose à l’horizon a déjà pris une belle teinte bleue au zénith.
Sous mes pieds nus, le carrelage a gardé un peu de fraîcheur de
la nuit, mais la journée sera chaude : le thermomètre affiche
déjà vingt-quatre degrés. Une tourterelle roucoule perchée sur
le fil électrique. Ici, elles sont toute petites, grises et
blanches et elles sont si familières qu’on craint même parfois
de leur marcher dessus. L’an dernier, l’une d’entre elles était
venue nicher et pondre dans le lustre du plafond de notre
terrasse couverte. En Thaïlande, pays bouddhiste, on ne fête pas
Noël, on s’affuble parfois d’un ridicule bonnet rouge et blanc
en croyant que c’est la tradition pour le Nouvel An ! Les Thaïs
sont toujours à l'affût de la moindre occasion de s’amuser,
alors ils fêtent trois nouvelles années : la Saint Sylvestre
qui est leur changement de calendrier officiel, en quelque sorte
leur Nouvel An administratif, la Nouvelle Année chinoise en
février, et le « pee may » qui est le Nouvel An thaï en
avril. Pour eux, c’est le pee may la principale fête.
Ils se jettent des bassines ou des seaux d’eau à la figure, ils
lancent des pétards partout, ils s’éclatent, même sur la route,
car c’est à chaque fois une hécatombe ! Aujourd’hui, Amnoay est
contente, car sa fille va venir manger avec ses deux enfants,
les petits enfants d’Amnoay et sa belle-mère. Cela n’a aucun
rapport avec la Noël, c’est tombé comme ça, mais ils arrivent
chargés de cadeaux : que des choses qui se mangent ! Il y a les
inévitables marmites en alu toutes chaudes avec le poulet au
curry et à la noix de coco, plat réservé aux jours de fêtes, aux
grandes occasions, on a aussi apporté des haricots verts de
cinquante centimètres de long que l’on croque tout crus au cours
du repas, de la salade, et tout un assortiment de cookies et de
biscuits aux fruits secs. On va se goinfrer ! Amnoay a mis les
assiettes sur la table basse du salon et nous voilà tous en
rond, assis sur des petits tabourets de quinze centimètres de
hauteur, autour du repas qui embaume. Moi, je mets beaucoup de
poulet avec un peu de riz dans mon assiette, alors que les
invités versent la sauce avec juste un peu de viande, sur un bon
plâtras de riz. Avec ce qui est pour nous une ration, on fait
manger toute une famille, ici. Nous sommes des goinfres par
rapport aux Thaïlandais. C’est pour ça que le gros hamburger
plein de viande ne leur réussit pas et qu’on voit de plus en
plus de personnes et surtout d’enfants obèses. La belle-mère de
la fille d’Amnoay, à quatre-vingt-sept ans, a un appétit féroce.
Elle est rayonnante, elle est dans son assiette ! D’ailleurs, au
moment de partir, elle se lèvera et ira vers la porte en
oubliant sa canne. Dans l’après-midi, Amnoay fait des mises en
plis à tout le monde, et les jeunes regardent un film sur leur
portable. Moi, j’ai bien mangé, alors je suis en pleine « boatitude »
et je vais m’allonger dans la seule pièce où l’air conditionné
rend l’atmosphère moins étouffante ! Il n’y avait ni beau sapin
ni « divin enfant » mais c’était tout de même une belle fête de
Noël !
Lundi 26 décembre 2016.
Surin.
Je pars faire un petit tour dans les
environs avec mon vélo. En Thaïlande, que ce soit en ville ou à
la campagne, d’une année à l’autre, on ne s’y retrouve plus. Les
choses changent sans arrêt. Non loin de chez nous, une immense
autoroute traverse les rizières, c’est la rocade permettant de
contourner la ville de Surin. Au milieu, à la séparation des
voies, il y aura un canal d’irrigation, me semble-t-il, car on a
creusé un énorme fossé qui sera rempli d’eau à la saison des
pluies. Ceux qui quittent la route ont intérêt à savoir nager !
Je roule sur un asphalte parfait, avec juste quelques véhicules
qui ne me dérangent guère. Sur les bas-côtés, on a aménagé
d’immenses esplanades, peut-être de futures usines ou quelque
hypermarché. Les responsables de l’aménagement du territoire
anticipent. Ils savent que la ville est en plein essor, et l’un
des supermarchés est situé à plusieurs kilomètres à la sortie de
Surin. La ville va s’étendre. On n’attend pas d’être paralysé
par les embouteillages, on fait déjà des rocades, et pas des
petites routes à deux voies, des autoroutes ! Je trouve
cependant que dans toutes ces nouveautés, on ne trouve pas de
rond-point. Ils en sont restés aux classiques feux tricolores
qui ralentissent le trafic inutilement. Sur le bord de la route,
d’anciens garages sont devenus des restaurants, à la place d’une
échoppe de nouilles on trouve une épicerie, tout change sans
arrêt, car les bâtiments sont peu solides, soit en bois soit
avec des murs peu épais, donc faciles à démolir et à « remolir » !
Je remarque que dans Surin, les automobilistes respectent
davantage les cyclistes : personne ne m’a serré contre le
trottoir, et j’ai même vu une voiture s’arrêter pour me laisser
la priorité. C’est sans doute ma tenue « FDJ » qui les
impressionne ! Il me faut rester vigilant, car il va bien y en
avoir un, dans le lot, qui va démarrer du stop au moment où
j’arrive !
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