Phetchaburi

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Dimanche 26 décembre 2010.

Bangkok – Phetchaburi.

J'ai réussi à me faire violence et à quitter le Crown Hôtel. Je ne suis pas très motivé, mais je pars à Phetchaburi. Je prends le métro souterrain, et je commence par me tromper et par partir dans la mauvaise direction, et il me faut cinq stations avant de m'en apercevoir. Il va falloir que je me méfie, car il est des jours où J'ai tendance à faire tout de travers. Comme, étant seul, je n'ai personne pour me remettre dans le droit chemin, je pourrais très bien me retrouver dans un train partant à Chiang Mai.

Dans la gare, c'est toujours la même affluence : des voyageurs assis sur les chaises en plastique mises à leur disposition sur les côtés de la salle d'attente, d'autres dormant par terre ou sur leur baluchon. Il y a ici de quoi vivre reclus : de nombreux restaurants, des cafés et même des douches. Je monte dans le train partant vers le sud, une demi-heure avant le départ. Heureusement que je m'y suis pris à l'avance, car avec mon billet troisième classe, on n'a pas de place réservée, alors les premiers arrivés sont les premiers servis. Je trouve une place en face d'une petite dame sympathique et toute ronde, et à côté d'un vieux monsieur qui, au lieu de parler, aboie comme un roquet. Bien sûr, c'est un peu fatigant, mais c'est tout de même mieux que de rester debout. La voisine âgée d'une cinquantaine d'années veut tout savoir de ma vie privée : mon nom, mon âge, si je suis marié, pourquoi je parle thaï... C'est l'interrogatoire en « bonnet de forme ». Que je sois marié, et que je voyage seul, elle trouve cela surprenant. Dans son esprit, je ne sais pas si c'est moi ou ma femme, mais il y en a un des deux qui n'est pas bien de laisser ainsi son conjoint tout seul. Ah ! ces « farangs » ( étrangers ) sont des gens bien singuliers ! Nous partons à treize heures très précisément. Les trains sont toujours à l'heure pour quitter la gare de Hualamphon ce n'est que lors du trajet qu'ils prennent toujours du retard. Dans le wagon, j'ai droit à l'inévitable ivrogne qui boit bière sur bière, et qui ne devrait pas tarder à déranger tout le monde dans quelques instants. C'est le défilé des marchands de boissons et de nourriture. Une bonne odeur de nouilles frites, puis de soupe de poulet, puis de riz aux crevettes... Je salive, je peux même dire que j'ai faim, mais je me réserve pour le « khanom mokeng », le flan aux œufs qui est la spécialité de Phetchaburi. L'ivrogne est passé aux alcools forts. Il a trouvé un assoiffé comme lui, et ils descendent avec application une bouteille contenant un liquide brun comme de l'hydromel. Je pense qu'il s'agit d'alcool de palme, cette boisson si proche du poison que Raspoutine n'y aurait pas survécu. Tiens ! justement, voici la marchande de mokeng ! Ah ! les beaux flans dorés, dans leur moule d'aluminium... J'en bave d'envie. De tout ce qui peut se manger en Thaïlande, c'est incontestablement le mokeng qui a ma préférence. Je m'apprêtais à en acheter quand soudain je prête attention à la vendeuse. Jusqu'à présent, elle n'avait pas attiré mon attention, obnubilé que j'étais par le flan. Mais lorsque je la vois, mon appétit pour le délicieux dessert disparaît. C'est une femme sans âge tant elle est laide. Elle a le cou si noir qu'un charbonnier en crèverait de jalousie. Ses bras sont couverts de cicatrices noires qui sont sans doute des souvenirs d'une variole mal soignée, et son visage est si taché de brun qu'on jurerait qu'elle vient de faire la vidange d'un trente tonnes. De ses mains osseuses aux doigts crochus, elle range proprement les petits plats en aluminium contenant les flans, pour rendre son panier plus présentable. Moi, de peur que ce ne soit elle qui fabrique les flans, je préfère m'en passer. Tant pis, j'attendrai d'être à destination pour me régaler.

Le train arrive à Phetchaburi. Je prends une petite camionnette-taxi jusqu'à Rabieng Rim Nam guest house. C'est une petite auberge comme on n'en fait plus, avec un petit restaurant tout en teck noirci par les ans donnant sur la rivière. D'ailleurs, le nom de l'hôtel signifie « balcon sur le bord de l'eau ». Les toilettes sont communes comme dans les guest houses de routards, la chambre, tout en bois, avec des trous laissant filtrer les moustiques et la lumière... Je vais vite en ville pour acheter un mokeng. Ah le succulent flanc aux œufs ! On me le vend dans son moule carré, en aluminium, et qui fait bien quinze centimètres de côté. C'est un dessert pour huit personnes au moins, ici. C'est un peu comme si je mangeais ma bûche de Noël tout seul dans la rue. La marchande me donne une cuillère en plastique. Je ne sais trop où me cacher pour me goinfrer en égoïste, alors je m'installe près de la rivière. Ah comme c'est bon ! Comme je suis bien ! Pas pour longtemps, car les moustiques viennent casser la croûte, eux aussi, et leur repas, c'est moi ! J'adore le mokeng, et les moustiques, j'en suis mordu... ( en langue thaï, on dit que le moustique "mord" )

Je vais au marché de nuit. On y vend principalement des vêtements pour femme, comme dans tous les marchés. C'est à se demander où les hommes s'habillent ? Et puis il y a « la bouffe », toutes sortes de plats, tous plus appétissants les uns que les autres. Je craquerais bien pour un bon morceau de canard, mais le flan n'étant pas encore descendu, je m'abstiens... Et puis d'ailleurs, je ne saurais trop où aller me cacher pour le déguster, les moustiques étant prêts à prélever leur ration d'hémoglobine. Vers huit heures, je reviens à l'hôtel tristement, car les rues de Phetchaburi, le soir, c'est sinistre. Je mange du porc au curry et à la noix de coco. C'est très moyen, acceptable, mais moyen. Le restaurant tout ouvert sur la rivière et sur les moustiques est agréable, et comme musique, ils ont mis du country, ce qui est tout de même mieux que « jingle bells ».

 

Lundi 27 décembre 2010.

Phetchaburi – Nakhon Pathom.

       

Les moustiques, dégoûtés pas l'odeur que je dégage après m'être tartiné de lotion, m'ont laissé dormir. Je déjeune avec une salade de fleurs de bananier, et je pars à l'assaut de Phra Nakhon Khiri par une route pavée, dans une forêt où les singes s'ébattent joyeusement. Ils ne s'intéressent pas du tout à moi, et c'est tant mieux, car en ce début de matinée, ils sont si nombreux que j'en ai au-dessus de ma tête, dans les arbres, devant mes pieds sur la route, à côté de moi sur la murette... À un endroit bien déterminé, ils ont leur atelier, et ils travaillent. Ils prennent une pierre de la grosseur d'une mandarine, ils l'enveloppent dans un morceau de poche en nylon, et ils frappent contre les rochers, toujours au même endroit. Ce qui est curieux, c'est cette préparation de l'outil. Pourquoi se donner la peine d'aller récolter une poche en nylon pour envelopper la pierre ? Le rocher est usé à l'endroit où ils « travaillent », j'en déduis donc qu'ils doivent venir ici régulièrement. Parmi la colonie, seuls quatre singes s'adonnent à cette surprenante activité. Au fur et à mesure que je grimpe, je découvre la ville de Phetchaburi, parsemée de temples plus ou moins grands. L'ascension n'est pas pénible, car il ne fait pas encore chaud. Au sommet, l'ancien appartement du Roi Mongkut transformé en musée n'a rien de bien passionnant, par contre, du fait que je suis pratiquement seul là-haut, le petit temple rouge et blanc du sommet me plaît bien. On trouve toujours, ici, des havres de paix. Les singes ne sont pas venus jusqu'ici, et c'est à peine si la rumeur de la ville monte jusqu'à moi. Je n'avais même pas remarqué ce couple qui me fait sursauter en frappant sur la cloche, juste derrière moi. On fait un vœu, on sonne matines et on revient ici faire une offrande lorsque le vœu s'est réalisé. C'est tout simple ! Je redescends par le funiculaire, et je paye 25 bahts au lieu de 40... sans ticket. Je pense que la petite jeune fille employée ici a trouvé un moyen d'arrondir ses fins de mois. Je ne me plains pas, car on m'a déjà rançonné de 150 bahts pour avoir accès au site...

           

Je négocie un petit taxi pour aller voir les grottes. Ce n'est pas facile, mais j'arrive à deux cents bahts pour deux heures de visite. Je commence par Khao Luang. Il faut monter, parmi les singes jusqu'à l'ouverture d'un gouffre dans lequel on descend par des escaliers. C'est grandiose et un peu magique comme toutes les grottes, mais en plus, ici, il y a le regard des statues dorées et le sourire énigmatique du Bouddha. Il n'y a personne, je suis seul, dans l'immense grotte, avec deux nonnes vêtues de blanc. Elles papotent sans retenue et leur rire résonne comme le rire sarcastique de la sorcière. Je fais attention : si elles me donnent une pomme, je refuse ! Je ne suis pas tombé de la dernière pluie, j'ai lu Blanche Neige ! La grotte est éclairée, par endroits, par la lumière tombant de la voûte, tout là-haut, à plusieurs dizaines de mètres. Je m'engage dans des couloirs souterrains au plafond très haut, toujours percé de trous par lesquels les rayons du soleil de midi arrivent à pénétrer. Ici, un immense Bouddha couché, là un alignement de statues de laiton, plus loin un Bouddha ventru et hilare. C'est magique ! Je remonte péniblement vers la surface où le soleil m'assomme dès les dernières marches. Mon chauffeur attend : nous allons à Khao Bandai-it. Encore des grottes, mais différentes. L'espace est plus restreint, le plafond plus bas, bien que par endroits, il faille compter une vingtaine de mètres de hauteur. Encore des trous dans la voûte pour laisser passer la lumière. Dans certains coins, les chauves-souris ont élu domicile et leur grouillement ajoute au mystère des lieux.

Je reviens à la guest house pour manger. Ils sont un peu dépassés, car il y a vingt clients en même temps. Je commande, j'attends, rien n'arrive et finalement on me sert un plat que je n'avais pas demandé en me disant que ce que j'avais commandé « ya pus, a pas, ya pus rien ». Tant pis, de toute façon c'est de la viande de porc hachée, et comme dans le cochon tout est bon...

     

Je prends un minibus pour Nakhon Pathom. Le chauffeur roule vite, mais il conduit bien et ne fait pas de bêtises, alors je n'ai pas peur ! Je vais à « l'hôtel » ( son nom ne figure nulle part sur sa façade, près de la gare, puis je pars errer dans le quartier, vers le grand stûpa. Dans les arbres, des milliers d'oiseaux font un raffut inimaginable. Tout juste si l'on s'entend parler ! Au fond de la rue, le grand temple trône comme un joyau tout doré dans le soleil déclinant. C'est, avec 127 mètres de hauteur, le plus grand stûpa du monde. Un stûpa, c'est une sorte d'entonnoir renversé, ou de chapeau pointu, sous lequel on a placé des reliques. Celui-ci contiendrait quelques cheveux du Bouddha. Vu qu'il s'était rasé le crâne régulièrement, ils doivent être bien petits ! Dans l'alignement de la rue, dans une niche du monument, une immense statue dorée attire les fidèles, car ce Bouddha a bonne réputation : il écoute ce qu'on lui dit, et il fait en sorte de satisfaire les demandes. Dans les rues adjacentes, c'est la foire : on vend des friandises, des vêtements, des brochettes... C'est un de ces marchés de nuit où l'on a l'agréable impression d'être arrivé le jour de la kermesse ! Moi, ça me va. Il est dix-huit heures, je bois ma bière bien fraîche et c'est la fête !

           

Mardi 28 décembre 2010.

Nakhon Pathom – Bangkok.

Je suis levé de bonne heure, mais pas suffisamment pour prendre le train de sept heures. Peu importe, car je sais qu'il y a toujours un moyen de transport à notre disposition ici. Je vais à la gare, et effectivement je n'ai que dix minutes d'attente pour « attraper » le train de sept heures qui accuse plus d'une heure de retard. Je m'installe en face d'un Malais d'une cinquantaine d'années qui veut se rendre au Cambodge, et qui me demande s'il y a des filles à Poipet, à la frontière. Je lui dis qu'il y a surtout du trafic de marchandises et un casino, et qu'à défaut de parties de jambes en l'air, il peut toujours dilapider sa fortune sur le tapis vert ! Je vais au wagon-restaurant où je suis seul. Pour déjeuner, il n'y a que des œufs frits préparés de la veille et présentés dans des ramequins en polystyrène, recouverts de cellophane. Ils sont tout fripés et peu appétissants. Alors, je ne prends qu'un café, et je mange un mokeng que j'avais eu la précaution d'acheter « en cas » à Phetchaburi.

Dans la journée, je fais quelques achats à Pratunam. Je remarque, depuis quelque temps, que les jeunes filles ont un drôle de profil. C'est la mode de se faire retoucher le nez en rajoutant de l'épaisseur entre les yeux. Quand l'opération réussit, la fille n'a plus l'air de rien, ni d'une Thaïe, ni d'une Indienne, et quand ça a raté, elle se retrouve avec un groin de porcelet.

Le soir, je vais dîner au Suda du soi 14. J'assiste à une scène assez cocasse : un vendeur de montres que je connais, depuis trente ans que je viens ici, a un peu forcé sur la bouteille. Il est déjà bien handicapé par un physique des plus ingrats, suite à une malformation de naissance qui donne l'impression, lorsqu'on le voit de face qu'il est de profil. La boisson n'ayant rien arrangé à l'affaire, il dérange la clientèle et le personnel. La serveuse, une limace adipeuse que je connais également depuis que je viens ici pour être une personne d'une exaspérante placidité lorsqu'il s'agit de servir les clients, s'énerve soudain et décide de chasser l'importun personnage. La patronne qui va bien sur ses quatre-vingts ans s'en mêle, et voilà nos deux gorgones agrippées à l'ivrogne, le prenant chacun par un aileron pour le chasser. Mais c'est que le loufiat ne se laisse pas faire... Alors, la serveuse s'empare d'une bouteille de bière, vide bien sûr, car même dans les colères les plus extrêmes on veille à ne pas gaspiller la marchandise, et elle menace de la casser sur la tête de l'ivrogne. Déjà qu'il a une tronche en forme de bulbe de gingembre, cela n'arrangerait rien ! Voyant sa physionomie ainsi menacée, il bat en retraite. Les clients sont prêts à porter en triomphe la serveuse qui devient pour un instant Adelita, Ma Dalton et Calamity Jane à la fois. Si je raconte cette petite aventure sans grand intérêt ni sans conséquence, c'est parce que je trouve là un trait caractéristique des Thaïlandais. Il ne faut pas se fier à leur aspect débonnaire : ils sont prêts pour n'importe quel prétexte, à se battre à coups de pieds ou à coups de bouteilles.

 

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