Traversée du Sahara
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Vendredi 15 juillet 1977.
Tlemcen –
Bechar. (569 km). Dès le matin, je vais au service des urgences de l’hôpital pour chercher les sérums antivenimeux. Je vais dans un secteur de l’hôpital qui me semble encore plus crasseux que celui que j’ai vu hier ! Je suis sûr qu’il y a des rats dans le bloc opératoire… en tout cas, j’y ai vu des compresses et des cotons usagés sur le sol ! Le pharmacien est très aimable. Il m’explique que je ne peux pas payer les médicaments, car ils sont gratuits, ainsi que les soins médicaux. Malheureusement, ils sont plutôt démunis en ce qui concerne les médicaments, et les bons médecins sont partis à l’étranger où ils gagnent dix fois le salaire algérien. Il me parle du problème de la drogue qui touche aussi la jeunesse algérienne, des méthodes anciennes et modernes de l’éducation, du fonctionnement de la Sécurité sociale… Il m’avoue regretter l’époque où, « du temps des Français », l’hôpital était un bâtiment moderne et respectable! Pendant ce temps, Pancho garde la voiture en pistant les femmes voilées qui attendent devant le portail de l’hôpital. On ne leur voit que les yeux, alors il aurait du mal à les dévisager… Quant à les déshabiller du regard, il aurait du boulot, car elles ont plusieurs couches de tricots de châles, de froufrous, de foulards… Heureusement qu’il fait chaud !
Nous reprenons la route : la température monte : vingt-cinq, puis trente, puis trente-cinq, nous atteignons les quarante degrés… Le désert, le désert : nous avons chaud, et nous imaginons les copains en France buvant des bières fraîches à la terrasse du café. Le paysage est monotone, à peine vallonné. La route est bordée de barbelés, et c’est la seule chose qui accroche l’œil ! Pancho a enfoncé le béret basque sur l’oreille, chaussé ses lunettes de soleil, enfilé sa gandoura, et il ressemble à un touriste américain perdu au fin fond de la vallée de la mort… Pour tout arranger, car un voyage sans ennuis ne serait qu’une randonnée, la pompe à essence commence à nous lâcher. La voiture fait « teuf-teuf », puis « pouf-pouf », puis plus rien ! Pancho doit démonter, remonter, réamorcer… en pestant contre la chaleur, en jurant contre la voiture, puis contre le garagiste espagnol qui nous a vendu la pièce… Il fait de grands gestes énervés qui risquent de tout casser alentour. J’ai un peu peur pour la voiture ! Et le scénario se reproduit plusieurs fois en suivant, et Pancho, contrairement à toute logique, est de plus en plus calme… ou de plus en plus fatigué. De panne en panne, nous arrivons à Bechar. La ville n’est qu’un gros village, les rues sont sales, le restaurant où nous mangeons est douteux, mais c’est une oasis, et nous sommes sûrs que Pancho pourra réparer la voiture demain. Notre 4L fourgonnette est bien équipée pour dormir à l'intérieur : un système de rallonge peut se déplier, par-dessus les dossiers de sièges jusqu’au pare-brise, formant ainsi un lit à deux places assez confortable ! Nous avons donc dormi dans la voiture, sur la place, et avec trente-cinq degrés dans la « chambre », c’est dur de trouver le sommeil. Nous avons tout de même réussi à nous endormir, entre deux gorgées d’une eau au goût douteux !
Samedi 16 juillet.
Bechar –
Adrar. (590 km) Ce matin, il fait bon. Si ça pouvait durer ! Au garage Renault, nous trouvons la pompe à essence, et Pancho l’installe aussitôt. Nous achetons de beaux chapeaux de paille et des turbans qui nous donneront un petit air « nomade du désert » qui risque de nous faire passer inaperçus ! Nous voudrions des pastilles de sel contre la déshydratation, mais même à l’hôpital, ils n’en ont pas ! Alors, nous sommes forcés d’avaler des pincées de sel. Qui se serait douté qu’un jour nous en serions réduits à manger du sel comme les chèvres ? Nous prenons la route du sud vers Adrar entre midi et une heure. C’est le moment caniculaire ; assis à l’ombre, dans la voiture, j’observe la route qui vibre sous mes yeux éblouis. Tout est blanc : le ciel, le désert de pierres et de sable, l’horizon… Nous sommes brûlés par l’air chaud qui entre par les portières. Il fait quarante-cinq degrés, et nous utilisons nos gandouras pour nous aérer : on les met devant les bouches d’aération du tableau de bord, le vent s’engouffre à l’intérieur, nous gonflons comme des « Bibendum », et c’est presque comme si nous avions l’air conditionné ! Est-il nécessaire de spécifier que Pancho a viré au violet, aujourd’hui encore ? La bouteille se soulève de plus en plus souvent. On boit, on transpire, on se sent cuit. Pancho est malade : plus de force, plus de jambes, presque plus de moral. C’est pas qu’ il regrette d’être venu, mais il n’aurait jamais cru qu’une telle chaleur, ça pouvait exister ! En ce qui me concerne, je dois dire que j’avais connu la même chose en Afghanistan. Et pour tout arranger, voilà que les dunes du Grand Erg occidental ont la bonne idée de traverser la route ! Alors, premier ensablement. Dégonfler les pneus, creuser à la pelle, poser les échelles de désensablage… ne nous énervons pas ça risque d’être notre quotidien dans les jours qui viennent ! C’est tout de même dur quand il fait plus de quarante degrés à l’ombre, et qu’il n’y a pas d’ombre ! Au moindre effort, nous buvons une bouteille d’eau cul sec. Il faudra faire attention dans quelques jours, quand nous allons aborder le désert sans ravitaillement, car il nous faudra deux cents litres d’eau si nous ne nous rationnons pas ! Pas un camion, pas une voiture à l’horizon… Nous nous surprenons à rêver de douche froide, de boisson fraîche et d’un petit coin d’ombre au bord d’un ruisseau. Au lieu de tout cela, une route droite comme un cordon de goudron noir, se perd dans la réverbération de l’horizon, comme si elle finissait dans un lac métallique. C’est ce qu’on appelle des mirages. Nous le savons bien qu’il n’y a pas de lac, que c’est un effet de la réverbération, que le désert s’ouvre pendant mille kilomètres devant nous et que nous n’en sommes qu’au début de la traversée ! Ça ne nous effraye pas puisque c’est justement le désert que nous voulons voir ! C’est ce paysage monotone de sable et de pierres qui nous attire : des dunes, un squelette de chèvre sur le sable, un chameau mort et momifié sur le bas-côté, des carcasses de vieux pneus, un ciel blanc un air brûlant… c’est beau ! Enfin presque ! Quand la nuit tombe, la température ne baisse pas beaucoup, et ce n’est qu’à onze heures du soir que nous trouvons un peu de fraîcheur : trente-deux degrés ! Nous nous arrêtons, et nous nous allongeons sur la route pour observer les étoiles et écouter le silence du désert. C’est qu’on s’y endormirait, sur le goudron ! Il vaut donc mieux reprendre le volant et terminer l’étape du jour. Nous arrivons à Adrar à minuit et demi : nous n’en pouvons plus. Je me demande si la chaleur va perturber notre sommeil ?
Dimanche 17 juillet.
Même les mirages laissent Pancho indifférent.
Adrar. (18
km). Pancho est aussi malade que la veille. Il se traîne lamentablement. Nous retrouvons Pierre et Marc, les deux Nantais rencontrés à Ceuta avec joie, car nous sentons qu'à deux, avec une seule voiture, le voyage est trop risqué ! Nous décidons de faire la traversée ensemble. Nous sommes tous écrasés par la chaleur, bien que nous passions la journée à l’ombre sous la tonnelle d’un café. Il n’y a rien de frais puisque le bar n’a même pas un réfrigérateur ! Alors, nous bricolons un système relativement efficace : nous entourons une bouteille de toile de jute que nous humidifions, et grâce à l’évaporation, nous parvenons à boire de l’eau relativement fraîche. Il faut dire que c’est mieux que le Coca Cola tiède ! Nous vivons au ralenti, tout doucement, en transpirant, en racontant des histoires de tonnelles ombragées et de bières avec de la buée sur la bouteille ! Quarante-cinq degrés à l’ombre, c’est dur ! Le soir, nous dînons dans un petit restaurant très sympathique, mais le menu n’est pas très varié : spaghettis comme à midi… Nous réussissons à nous faire préparer un couscous acceptable. Nous allons dormir derrière la caserne des pompiers, à la sortie de l’oasis, après avoir fait chacun nos petits besoins sur le « terrain vague » comme dit Pierre. Et ici, le terrain vague, il a six cents kilomètres de longueur, avec des vagues de dunes et des tempêtes de sable, alors ça ne gêne personne !
Lundi 18 juillet 1977.
Adrar - Reggan
(161 km). Si nous avons passé la journée à Adrar, hier, c’est principalement parce que nous attendions que la douane veuille bien s’occuper de nous, et bien que nous soyons les seuls à traverser vers le Mali, il faut « faire la queue ». Ici, le temps ne compte pas, et il ne faut surtout pas s’énerver, car les douaniers ont le pouvoir de nous empêcher de passer. On revient à la douane, et on se montre très poli, et très patient. Contrôle des devises : il faut mettre toute notre fortune sur la table. Des explications nous sont demandées, car n’ayant pas pris la peine de compter des pièces de cinq francs en argent que je compte faire fondre pour faire fabriquer des croix du Sud, il y a cent soixante-dix francs de plus que sur la feuille de déclaration de devises. Je sens qu’en faisant cadeau de quelques pièces, les choses seraient plus simples, mais je préfère faire semblant de ne pas comprendre où le douanier veut en venir, et il se lasse avant moi. Il se montre soudain très « fair-play » et renonce à ses « pourquoi » et à ses « comment » qui devenaient agaçants ! Mais l’heure a tourné, et il est onze heures, quand nous pouvons enfin reprendre la piste, l’heure où la chaleur devient pour le moins gênante ! La piste vers Reggan, ce n’est pas la joie : des trous, du sable, de la tôle ondulée* (*on appelle « tôle ondulée » le revêtement de terre qui ondule sous l’action du vent ou des vibrations dues au passage des véhicules)… Nous nous ensablons en plein midi, sous un soleil de plomb, par une température de quarante-cinq degrés ! Quelle torture, quand il faut manier la pelle, poser les échelles trois fois en suivant… Nous sommes assoiffés, essoufflés, anéantis ! Pancho ne peut même plus parler : il a les lèvres comme du carton ! Moi, j’ai les pieds brûlés par la chaleur qui arrive du moteur, car nous sommes contraints d'ouvrir le chauffage pour mettre en circuit un radiateur de plus ! De passage de sable en tronçon de tôle ondulée, nous arrivons à Reggan à trois heures de l’après-midi. Nous allons au poste de police, car il faut faire les formalités de sortie du territoire ici, sans quoi nous nous verrions obligés de faire demi-tour une fois arrivés à la frontière du Mali, là-bas, de l’autre côté du Sahara ! Les policiers ne veulent pas nous laisser traverser, car c’est trop risqué en plein été, avec des voitures de tourisme. Nous nous affalons sous la tonnelle du seul restaurant du bled, et nous n’en bougeons plus. De jus de fruits en verre d’eau fraîche, de verre de thé en jus de fruits… nous voyons arriver le soir. C’est à peine si la chaleur devient un peu plus supportable ! Nous dormons sur le bord de la route, devant le restaurant. Pierre a de sérieux ennuis intestinaux qui le forcent à courir au coin de la rue de temps en temps. Il est vrai que les liquides que nous ingurgitons ne sont pas toujours très recommandés pour nos « tripes » !
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