Traversée du Sahara
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Mardi 12 juillet 1977.
Algésiras –
Ceuta (41 km). Nous avons dormi à côté du camping dans notre "roulotte". Nous n’entendons même pas le réveil acheté la veille, sonner à huit heures. Peut-être n’avons-nous pas fait une affaire ? Nous sommes à la recherche d’un filtre à air, car le système de filtre à bain d’huile ne convient pas à notre moteur : ça lui donne soif ! On n’aurait pas pensé que certaines pièces pourtant courantes sont introuvables parfois ! Ce n’est pas simple, il nous faut prospecter dans tous les garages d’Algésiras, et c’est dans une casse qu’on finit par trouver presque notre bonheur. Presque seulement, parce que les supports ne conviennent pas à notre modèle de carburateur, et Pancho, le Roi de la bricole, doit donc inventer une adaptation en faisant appel à toute son ingéniosité et son expérience dans le métier ! C’est les mains pleines de cambouis qu’il ira au restaurant manger une rafraîchissante salade de tomates. L’après-midi, on le passe sous une chaleur accablante, à acheter tout ce qui nous manque : chambres à air, joints pour le carburateur, et bien d’autres petites pièces qui peuvent avoir leur utilité au milieu du désert. Vers six heures, c’est à peine si la chaleur tombe un peu, quand nous partons en courant pour « attraper » le ferry de justesse. Sur le pont du bateau, un petit air vif venant du large et quelques embruns nous redonnent un peu de la vigueur et de la vivacité qui nous caractérisent d’ordinaire. À Ceuta, la balade le long de la mer nous mène droit à un marchand de merguez. C’est bon, comme premier contact avec l’Afrique du Nord ! Le soir, autre spécialité : le thé ! Pancho en boit pour la première fois, il ne trouve pas mauvais, mais il « ne ferait pas des folies pour en boire un autre », dit-il poliment. En revenant à la voiture, nous entendons un vacarme, une pétarade infernale, et nous voyons arriver une 404 Peugeot conduite par deux Français de Nantes avec qui nous sympathisons tout de suite. Ils s’appellent Pierre et Marc. Ils comptent faire le même voyage que nous, mais seulement l’aller puisqu’ils veulent vendre leur voiture au Togo ou en Guinée. Elle a quelques problèmes de pot d’échappement, mais elle a l’air aussi en forme que la nôtre. Il vaut mieux avoir un véhicule en bon état pour s’engager dans ce genre d’aventure, car c’est la vie des passagers qui est en jeu ! Ils bricoleront leur pot demain ; en attendant, nous allons en boire un… pot, tous ensemble, puis nous allons dormir sur un parking en haut de la corniche, en plein vent.
Mercredi 13 juillet 77.
Ceuta – Fès.
(337 km). Quand le jour se lève sur notre campement, il ne trouve que des dormeurs assoupis. (Bien entendu, un dormeur est si souvent assoupi que ça lui a valu le nom de dormeur !). Pierre et Marc s’affairent à réparer le pot d’échappement à grands coups de marteaux, et Pierre semble plutôt nerveux. Il jure, hurle, lance les outils dans toutes les directions, et ce n’est peut-être pas tout à fait la bonne méthode… De plus, quand on se lance dans une traversée du désert, le calme, le sang-froid, sont des qualités primordiales. Quand les nomades du désert ont un ennui, ils commencent par s’arrêter, par boire le thé, puis ils agissent… Pierre va devoir changer de comportement ! Quant à nous, nous vaquons à nos occupations placidement : Pancho graisse la direction qui se coince presque, et moi, j’entoure les barres de la galerie de toit de mousse pour ne pas qu’elles cisaillent les bidons. Ensuite, nous mettons de l’ordre dans la voiture, et c’est un vrai chantier, car il faut courir après tout ce qui s’envole avec le vent : c’est un bon exercice matinal. Pierre et Marc ne partent pas avec nous, car ils ont choisi un autre itinéraire jusqu'à Reggan où nous nous regrouperons. Nous passons la frontière à l’heure caniculaire où le soleil vertical échauffe les esprits sains. Je me dispute avec une Française brune plutôt prétentieuse qui voudrait éviter de faire la queue, et qui resquille sans vergogne. Elle a cette réflexion sublime : « Il n’y a que les Français pour être comme ça ! » Les formalités douanières sont simples, mais il faut avoir le temps. Bah ! s’il n’y avait pas les Français pour gâcher la fête, on pourrait dire que tout se passe bien, même en plein soleil. C’est en entrant au Maroc qu’on sent que notre voyage commence vraiment ! Nous montons des cols par une chaleur tout juste supportable pour la voiture, puisque l’eau du radiateur atteint les cent degrés, mais heureusement sans bouillir, car le liquide de refroidissement est prévu pour entrer en ébullition aux alentours de cent dix degrés. Nous sommes donc à la limite, mais notre inquiétude est grande, car il fera encore plus chaud au cœur du Sahara, et alors, que ferons-nous ? Nous passons par Ouezzane, et nous ne devrions pas… Nous aurions dû prendre la route de El Hoceima. Plutôt que de reconnaître que nous sommes des imbéciles qui ne savent même pas lire une carte, nous nous consolons en disant que ça nous permettra de visiter Fès. Et nous nous mettons à raconter des histoires de Fès, et nous sommes contents de nous y arrêter ce soir parce que nous allons pouvoir jouir de l’arrêt de Fès ! La route est étroite et agrémentée de « dos de chameau » : nous sautons… Les dos de chameau, c’est comme les dos-d’âne, mais en plus gros ! Le décor est aride, l’air plutôt chaud : nous mouillons le peu de cheveux qui nous restent pour avoir l’air conditionné au niveau du couvercle ! À Fès, nous mangeons un délicieux tajine cuisiné suivant les règles de la tradition, dans le souk de la médina. Rien que ça, ça justifie le détour. Nous achetons des djellabas qui nous vont à merveille ! Nous avons choisi un beau bleu de France, car nous avons entendu dire que le bleu renvoie très bien la chaleur, et que c’est pour ça que les touareg s’habillent avec des vêtements de cette couleur ! Nous voilà donc changés en « hommes bleus ». Nous sortons de la ville pour dormir dans un champ à une centaine de mètres de la route. La douceur de l’air, les étoiles, le calme…
Jeudi 14 juillet.
Fès – Tlemcen.
(419 km). Nous sommes réveillés par un défilé de paysans se rendant au marché. Il y en a des maigres avec des vestes trop larges, des gros avec des pantalons trop étroits, des grands avec des petites babouches, des petits chaussés de sandales trop spacieuses… les seuls correctement vêtus sont ceux qui portent la traditionnelle djellaba ! Les femmes dégringolent comme des sacs de chiffons par les sentiers de la colline. Tous sont intrigués par notre présence, mais la plupart nous saluent avec une gentillesse qui réchauffe le cœur ! Nous repartons sans grand enthousiasme. Il fait un petit trente-cinq degrés que nous n’avons aucun mal à supporter, car la chaleur est beaucoup plus sèche qu’en Andalousie. Pourtant, le soleil tape fort, et par moments, l’air devient brûlant. Pancho passe, comme tous les jours, du rouge au violet ; il boit régulièrement sa gorgée d’eau en rouspétant parce qu’elle a pris le goût de l’alcool à 90° qui l’avait précédée dans le bidon. C’est vrai que plutôt que nous adresser à une pharmacie, nous aurions dû récupérer nos jerrycans de vingt litres à la cave coopérative de Jurançon… Ah ! le désert devient dur : la route est monotone, monotone… À chaque montée, la voiture peine, sur le plat elle ne passe pas le cap des 80 km/h… mais pour l’instant, elle ne chauffe pas. Nous gardons l’œil rivé sur le thermomètre du tableau de bord : il s’est fixé à cent degrés, il n’en bouge plus. C’est le voyage escargot ! À la frontière marocaine, les formalités sont rapides, les douaniers n’ont pas l’air de vouloir faire du zèle. La chaleur incite à la nonchalance, surtout vers deux heures, quand le soleil est au zénith ! Côté algérien, c’est un peu plus long, mais plus sympa. Les fonctionnaires travaillant à la frontière ne comprennent pas pourquoi nous allons traverser le Sahara en plein été alors que personne ne nous oblige à le faire ! Eux, quand on les envoie là-bas, c’est une punition, et pour nous ce sont des vacances… La route devient un peu plus ombragée, et nous arrivons à Tlemcen. Nous allons à l’hôpital, au service des urgences pour acheter des sérums antivipérins. Le centre des urgences ne donne pas envie de se blesser où de tomber malade ! Le docteur à la blouse douteuse déambule de pièce crasseuse en couloir poussiéreux, des morceaux de coton souillés jonchent le sol, les murs lépreux n’ont pas été repeints depuis l’époque de la colonisation. Nous aurons nos sérums demain si tout va bien. Le soir, nous flânons dans Tlemcen. C’est la fête partout : des cortèges de mariages à tous les coins de rues, de la musique, des youyous, nous sommes heureux, car la joie est toujours communicative. Il y a, d’après nos renseignements, cent vingt mariages dans la ville aujourd’hui ! Le marié se pavane, à cheval, drapé dans une grande cape blanche, les musiciens suivent, dans une ambiance de fête. Nous n'avons pas vu la mariée: elle attend son futur époux chez elle. Nous restons un grand moment avec des jeunes à la terrasse d’un café, et eux non plus ne comprennent pas ce qui peut nous attirer vers le Sahara, puisqu’il n’y a rien là-bas, puisque c’est désert ! Comme c’est le trentième anniversaire de Pancho, nous nous payons le camping, et nous faisons la « bringue » en buvant trois citronnades en suivant. Faut bien marquer le coup !
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