Traversée du Sahara
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Mardi 19 juillet 1977.
Reggan. (4 km). Dès les premières heures, entretien des voitures ! Pancho patauge dans son cambouis, Pierre démonte le radiateur à grands coups de jurons et à grand renfort de marteaux. Marc et moi, allons acheter un seau pour puiser de l’eau, et nous revenons avec un pot au lait en aluminium, c’est tout ce que nous avons pu trouver ! Le reste du jour, il fait trop chaud pour entreprendre quoi que ce soit, alors nous restons à l’ombre de la tonnelle du « restaurant ». Nous buvons de plus en plus d’eau, et la réserve diminue… Nous ne faisons rien de positif, mais c’est bon de végéter, écrasés par la chaleur ! De toute façon, nous ne sommes plus capables de bouger, et les Algériens n’ont pas l’air plus acclimatés que nous ! Ce n’est pas qu’ils soient paresseux, non ! c’est le climat qui les force à réduire leurs activités. Les autorités locales ne nous laissent pas partir sans avoir fait quelques réparations indispensables sur la 404 des Nantais : changer les durites, les courroies… Quant à la 4L, ils nous annoncent qu’aucune voiture de ce type n’ayant réussi à passer en été, nous devons renoncer, et rentrer en France ! Pancho leur explique toutes les modifications qu’il a apportées au moteur et au circuit de refroidissement, et ils finissent par nous annoncer qu’ils nous laisseront partir, mais à condition qu’on fasse un convoi avec des camions locaux. Nous ne sommes pas plus avancés : il y a quatre jours que nous sommes dans les parages, et nous n’avons vu aucun véhicule ! Nous souffrons de la chaleur, c’est un fait, mais nous sommes venus pour traverser le Sahara, et nous n’avons pas l’intention de renoncer. Alors, nous décidons de devenir plus collants que des mouches avec les douaniers et les policiers pour qu’ils n’aient qu’une envie : se débarrasser de nous, et nous laisser partir ! L’eau étant la plus grande richesse en ces lieux hospitaliers, nous avons trouvé la solution pour que les autorités se fatiguent de notre présence : nous allons près du puits, nous nous douchons, nous lavons notre linge à grande eau, nous pataugeons… L’un des « officiels » s’approche, inspecte les moteurs des voitures, vérifie si nous avons les pièces de rechange nécessaires, et il nous annonce que demain, il nous laissera peut-être quitter les lieux. La nuit tombe nous nous couchons sur le sable humide, près d’une mare formée par nos ablutions et notre grande lessive. Avant de nous endormir, nous avons vu une bête ressemblant à un gros scorpion ou à une araignée. Elle est passée tout près de chez nous, et s’est réfugiée sous le tas de cailloux le plus proche. Nous ne sommes pas rassurés, et pourtant, nous nous couchons par terre, car c’est là qu’il fait le moins chaud, « au bord de l’eau ».
Mercredi 20 juillet.
Reggan - PK 83. Dès le réveil : grande toilette au puits. Marc et Pierre vont faire le plein d’essence. Nos voitures sont transformées en bombes roulantes. Pancho a équipé la 4L avec un réservoir supplémentaire de cinquante litres, et nous transportons en plus soixante litres dans des bidons sur la galerie… Nous commençons à nous faire à l’idée que nous resterons bloqués ici aujourd’hui encore. Alors, nous humectons (pour ne pas dire inonder), avec l’eau si précieuse du puits, le sable sur lequel nous comptons nous vautrer toute la journée. Nous avons disposé deux couvertures entre les voitures, et c’est presque confortable. Soudain, le responsable de la police de Reggan vient vers nous ; je pense qu’il en a assez de nous voir gaspiller l’eau… Il nous rend nos passeports en nous annonçant : « Vous pouvez partir, un camion prendra la piste un moment après vous. Vous devrez former un convoi avec ce véhicule jusqu’à l’autre côté du Tanezrouft ». Il est neuf heures et demie, et le soleil est déjà haut. « Il va faire un peu moins chaud aujourd’hui ! » nous déclare, avec un sourire en coin, notre libérateur. Ah bon ! Hé bien Inch Allah nous dégageons les alentours du puits, et c’est certainement ce que souhaite le plus le brave homme.
Nous nous lançons à dix heures et demie dans l’aventureuse traversée du désert du Tanezrouft. Devant nous, l’immense désert hostile aux hommes et aux machines ! Une étendue de sable jaune pendant sept cents kilomètres. Nous ne distinguons pas l’horizon tant la luminosité est aveuglante. Tout est chauffé à blanc ! Nous n’avons pour tout repère, qu’un point noir à l’horizon : la balise. C’est souvent un fût de tôle rempli de pierres, ou un gros pneu de camion, parfois un simple tas de galets noirs… Dès le point kilomètre huit, nous connaissons notre premier ensablement sérieux. Plaques, grillage, échelles de désensablage, pelle… nous creusons, nous avançons de deux mètres, nous nous ensablons de nouveau… C’est décourageant ! De plus, la voiture chauffe, et il vaut mieux avoir le pied léger sur l’accélérateur ! Le camion qui devrait faire convoi avec nous passe à une cinquantaine de mètres sans même s’arrêter. C’est un vieux Berliet chargé de sacs, et par-dessus les sacs, en plein soleil, des Africains qui seront bientôt blancs de poussière. La piste devient presque impraticable : trous, bosses, tôle ondulée, et surtout, le sable qui devient de plus en plus mou ! Nous nous arrêtons pour laisser refroidir le moteur tous les trois kilomètres. Soudain, un gros point noir à l’horizon. En nous approchant, nous distinguons un camion… Il s’agit du vieux Berliet censé faire la route avec nous. Tout le monde s’affaire autour du poids lourd, ils réparent un pneu au bord de la piste. Il fait vraiment très chaud ! Je suis obligé de mettre le chauffage en marche pour rajouter ainsi un radiateur de refroidissement supplémentaire. De ce fait, l’air brûlant arrivant sur mes pieds n’est plus supportable ! La voiture est à bout de force : elle bout ! Nous nous arrêtons, et nous installons une couverture entre les deux voitures. Il fait une température de… cinquante-huit degrés sous notre abri de fortune ! Il faut rationner l’eau, et nous voilà au cœur du Tanezrouft, un des déserts les plus chauds de la planète, en train de parler de bière fraîche (avec de la buée sur la bouteille), de pluie… Le silence est total : pas un bruit de feuille, pas le moindre petit murmure dans les arbres puisqu’il n’y a ni végétation, ni oiseaux, ni insectes ! Seul, le vent brûlant siffle de temps en temps dans les barres de la galerie de la voiture. Il nous semble pourtant entendre un bruit de moteur. L’horizon est plat comme la mer, et nous n’apercevons rien ? Pourtant, il est vrai que nous percevons un ronflement de moteur de camion ! C’est Pierre qui remarque le petit point noir à l’horizon, dans la réverbération étincelante, sautant sur un lac de réverbération comme un scarabée. Il s’agit de notre « compagnon de route », le vieux Berliet qui a repris la piste. Il passe à plusieurs kilomètres de l’endroit où nous bivouaquons, sans nous voir. Il faudra se méfier : la piste a plus de dix kilomètres de large par endroits !
Malgré la chaleur, nous partons à pied, jusqu’à une tache noire à peine visible à quelques centaines de mètres de l’endroit où nous nous trouvons. Deux épaves de 2cv gisent dans le sable : deux squelettes de tôles chauffées à blanc ; Il n’y a plus rien à récupérer : les « rapaces » sont déjà passés par là ! Vers sept heures et demie, il commence à faire plus frais : quarante degrés ! Nous reprenons la piste. La voiture chauffe presque : le thermomètre d’eau du radiateur indique 105 degrés. À 110, le liquide de refroidissement bout. Il nous faut donc remettre le radiateur de chauffage en marche. J’ai du mal à garder le pied sur l’accélérateur, bien que Pancho m’ait fabriqué une grosse chaussette isolante avec une serviette de toilette. Dans l’habitacle, l’air ambiant est tellement chaud que nous en avons des migraines. On ne peut pas ouvrir les fenêtres, car l’air extérieur ne fait que nous dessécher davantage… Alors, Pancho humidifie des chiffons qu’il place devant les bouches de ventilation pour fabriquer ainsi un dérisoire « air conditionné ». Il n’est pas prudent de rouler de nuit, car nous pourrions perdre de vue les balises. Pourtant, c’est le seul moment où nous ne souffririons pas trop de la chaleur ! Nous nous arrêtons au crépuscule, juste quand le moteur se sent un peu en forme ! Nous sommes au point kilomètre 83 ! la nuit est fraîche, nous dormons dehors, il fait entre 25 et 30° de température suivant le lieu. Nous remarquons que les endroits les plus chauds sont ceux où le sable est plus foncé. Normal ! Le ciel étoilé, à lui seul, est un spectacle qui vaut le déplacement. Et le silence ! Pas le moindre bruit, pas un souffle. Nous aurions honte de ronfler, de peur qu’on ne nous entende à Reggan ! Il nous semble percevoir le froissement léger de millions d’étoiles au-dessus de nos têtes. Ici, le ciel prend un relief extraordinaire. On distingue les étoiles les plus proches des plus lointaines, et elles sont autant de points fixes qui semblent prêts à nous aspirer. Elles ne scintillent pas comme chez nous, car l’air est vraiment pur et sec, au cœur du Sahara ! Nous entendons le sang circuler dans notre corps et ça fait un peu comme un murmure lancinant qui devient presque insupportable.
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