Dimanche 14 janvier 2018.
Surin – Bangkok.
Je suis obligé de me rendre à Bangkok pour
donner une photo, mes empreintes et un justificatif de domicile de façon
à pouvoir régénérer mon passeport plein comme un œuf. Je prends donc le
train de nuit, un train couchette très confortable. En attendant, je
vais au marché de nuit avec Amnoay. J’aime beaucoup, c’est un peu comme
une fête où tout le monde parle étrangement à mi-voix ; c’est plus beau
que le marché de Noël, et ça fleure bon les bons petits plats : le
curry, la friture d’ail et d’oignon, la coriandre et la grillade de
poulet. Dans le secteur des friandises et des petites
pâtisseries, un
léger arôme de noix de coco se mêle aux délicates senteurs de cannelle
et de banane frite. Il y a quelques années, on ne trouvait que quelques
rares sortes de petits gâteaux, de flancs aux œufs ou à l’eau et des
petits beignets insipides si l’on ne les trempait pas dans le thé au
lait ! Je me désintéresse des fritures
d'insectes, et soir, j’ai devant
moi de quoi me donner envie à chaque pas ! Quand une société commence à
alimenter ses marchés avec des douceurs et des jouets pour les enfants,
c’est qu’elle va bien et que les gens commencent à acheter au-delà du
strict nécessaire. J’ai connu des pays comme l’Afghanistan, le Cambodge
et le Laos où les enfants fabriquaient eux-mêmes leurs jouets et où les
petits desserts n’étaient même pas imaginables !
Bien qu’elle reste à Surin, Amnoay vient
m’accompagner à la gare, car c’est très vilain de laisser partir
quelqu’un sans lui dire au revoir !
Lundi 15 janvier 2018.
Bangkok.
Le train arrive à cinq heures trente au lieu
de cinq heures quinze. Aucune importance, même s’il avait une heure de
retard, personne ne dirait rien ! On prend le train pour arriver quelque
part ; ensuite, la ponctualité, c’est un luxe ou un hasard sur lequel on
ne compte pas. Si les Thaïs voyaient les Français pester pour cinq
minutes de retard, ils seraient abasourdis ! Ils ne comprendraient pas,
eux dont la devise est : « may pen ray, cha yen yen » (ça ne fait
rien, restons calmes).
immense hall
climatisé |
famille royale
omniprésente |
le "tuk-tuk stéréo" ! |
Le hall de la gare Hualamphon est presque
désert, et il semble encore plus vaste. Le métro ne fonctionne pas
encore, alors « cha yen yen », je musarde, je déambule entre les
quais déserts et le hall où j’aimerais bien faire du patin à roulettes !
Dès que le métro démarre, je vais sur les rives du fleuve
Chao Phraya
pour voir passer les bateaux. Il est sept heures et un petit air frais
me donne toute la vigueur nécessaire pour affronter une journée dans le
mælstrom de Bangkok. De longues barques effilées longent la rive de
ponton en ponton, embarquant les passagers dans un vacarme de moteur
rugissant et de coups de sifflet du préposé à la manœuvre. D’autres
barcasses ventrues, couvertes d’un toit semblable à ceux des pagodes
roulent et tanguent dans le sillage de quelques sampans poussifs.
Quelques vagues viennent se briser contre les piliers du ponton, et je
suis étonné qu’une eau si sale dont la couleur glauque jaunâtre ne donne
pas envie de faire trempette, puisse produire des gerbes d’écume si
blanches.
le métro souterrain
où
chacun a les yeux rivés
sur son portable ! |
Il n'y a pas d'âge
pour
surfer ! |
de grandes avenues
et des "soïs"
où les vieilles bâtisses font de
la résistance ! |
J’ai rendez-vous à dix heures à l’ambassade,
et j’arrive à huit heures. Il y a déjà une file de personnes s’étirant
jusque dans la rue. Je ne sais pas pourquoi, mais je fuis dans les
ruelles du quartier plutôt que de me mêler à ces gens, presque tous
Français. Ma réaction m’effraye soudain : c’est sûr ! Je suis devenu
raciste ! Quand je reviens une heure plus tard, il n’y a plus personne,
on me laisse entrer après avoir vérifié mon sac et mes poches, par
sécurité. Je suis reçu aussitôt par un employé qui ne sait pas comment
lire « Coslédaà-Lube-Boast », et il ose même me demander si c’est en
France ! Moi qui pensais que mon village était le centre du monde, me
voilà bien humilié !
Mardi 16 janvier 2018.
Bangkok – Khorat.
En milieu de matinée, vais dans une petite
gare du nord de la capitale, à
Bang Sue. J’attends, car le train qui
vient de quitter la gare principale de Bangkok a déjà presque une
demi-heure de retard… « cha yen yen ! » Presque cinq heures de
trajet jusqu’à Khorat où je m’arrête, juste pour ne pas passer huit
heures secoué dans un wagon où la poussière et la chaleur rendent
parfois le voyage pénible. Le train est très lent en Thaïlande. Il faut
miser sur du cinquante kilomètres par heure. J’ai pris un « rapide », ce
qui correspond au train le plus lent, car il s’arrête dans presque
toutes les gares, environ tous les six ou huit kilomètres. J’aime bien,
car cela permet aux petits (e – s) marchand (e – s) [ on écrit com’ça
maintenant ! ] de monter pour proposer du poulet grillé, des noix de
coco, des boissons fraîches… Elles – ils descendront à la gare suivante,
remplacé (e – s) par d’autres petits (e – s) marchand (e – s) ! Dans
chaque gare, un employé en tenue beige agite un drapeau rouge tant que
le convoi reste arrêté, puis il agite son drapeau vert au moment du
départ en soufflant dans un sifflet. Il se tient raide comme un sentineau ! [ Depuis que les coureuses cyclistes sont des grimpeuses,
les sentinelles veulent être des sentineaux ! C’est com’ça
maintenant ! ]
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On offre des fleurs
ou des fruits à
« Ya Mo », mais
on peut aussi libérer des poissons ou des anguilles dans le
bassin voisin...
Certaines personnes payent des danseurs et des chanteurs qui
improvisent suivant la demande des fidèles...
Ce sont différentes façons de faire des offrandes !
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À Khorat, je vais à l’hôtel « Far
Thay » qui ressemble à la
prison de la Santé, et je rôde autour du
monument de la Jeanne d’Arc locale Thao Suranari. Elle réussit à
repousser les Laotiens un peu trop envahissants sous le règne de Rama
III (1824 – 1851). On raconte que pour vaincre ses ennemis bien
supérieurs en nombre, elle leur fit cadeau de plusieurs tonneaux
d’eau-de-vie de riz. Les soldats ne manquèrent pas de s’enivrer et c’est
alors qu’elle put prendre le dessus sur une armée titubant dans les
effluves capiteux de l’alcool. Aujourd’hui, les fidèles la connaissent
sous le nom de « Ya Mo », Ya signifiant « grand-mère ».
C’est donc la mémé bienfaisante qui porte bonheur, un peu comme Olive
pour Popeye. On lui offre des corbeilles de fruits, des colliers de
fleurs, des fagots de bâtonnets d’encens, et on croit en son pouvoir,
alors on achète partout dans le quartier des billets de loterie. On
achète des poissons où des anguilles qu’on relâche dans le bassin juste
à côté, on peut aussi payer un groupe de quatre chanteurs et danseurs
pour qu’ils interprètent des mélopées improvisées suivant les désirs du
demandeur. Les diseurs de bonne aventure ont également beaucoup de
succès dans le secteur ! Thao Suranari dut son succès à l’eau de vie,
maintenant elle fait la fortune des devins…
les murailles de la
ville |
« Ya Mo » |
l'inévitable "seven-eleven"
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Mercredi 17 janvier 2018.
Khorat - Surin.
En prenant le car, ce matin, je devrais
gagner du temps par rapport au train ! Mauvais calcul : je me rends à la
gare routière et je monte dans un car qui va « faire le laitier » tout
le long du trajet jusqu’à Surin. Il va jusqu’à sillonner les rues des
plus gros villages à la recherche d’éventuels clients, il s’arrête dès
que quelqu’un veut descendre, déposant les passagers devant leur porte,
ce qui fait que parfois, alors qu’il vient de redémarrer, une autre
personne demande un arrêt… C’est exaspérant : il me faut cinq heures
pour faire les cent cinquante-cinq kilomètres « cha yen yen » ! Je ne le
prends pas trop mal, car en vélo j’irais à peine un peu moins vite, mais
j’aurais beaucoup plus chaud !
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