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Jeudi 23 février 2017.
Surin.
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Pour les esprits
campagnards,
ce n'est qu'une simple cabane ! |
Les esprits mesquins ou protecteurs !
La Thaïlande est un pays où l’on peut trouver des musulmans
(surtout dans le sud), des chrétiens (surtout dans le nord),
mais la grande majorité des habitants sont bouddhistes. Les
temples sont si nombreux qu’on en trouve parfois plusieurs dans
un même quartier ou dans un même petit village. Le bouddhisme
est davantage une philosophie qu’une religion. Bouddha n’est pas
un Dieu, ce serait plutôt un messie, un porteur de bonne
moralité et de sagesse. Il a vécu au nord de l’Inde, au V°
siècle avant notre ère, à la même époque que Confucius et bien
après Zoroastre… Quand, au III° siècle avant notre ère, Ashoka
envoya son fils ou son frère apporter les pensées de Bouddha, en
Thaïlande, l’hindouisme s’était déjà répandu dans la région.
C’est pour cela qu’on trouve l’éléphant Ganesh dans de nombreux
temples, des représentations de Shiva et Vishnou sur des
bas-reliefs de temples khmers. L’être humain a besoin d’un
panthéon menaçant ou rassurant ! Il lui faut sentir au-dessus de
lui, une entité protectrice, il lui faut aussi craindre que de
mauvais esprits ne viennent entraver sa bonne marche. Et là, on
est plus près des anciennes croyances animistes que d’une
religion quelconque. Tout être humain peut appliquer les
préceptes de paix et de générosité de Bouddha, et tout le monde
peut devenir bouddhiste sans renier sa religion. Alors en ce qui
concerne les esprits que l’on nomme ici « Phis » (le « ph »
se prononce P en thaï) chacun, quelle que soit sa croyance, a
tout intérêt à les respecter. On a mis un petit
autel des
esprits devant chaque maison, dans la cour de chaque entreprise
ou de chaque bâtiment administratif, et chaque matin, on va
honorer les esprits qui logent dans ce petit « hôtel ». C’est
souvent, juché sur un pilier, une sorte de temple miniature,
avec de petits escaliers et des
figurines que l’on a déposées en
offrande. On peut voir, le matin, avant l’ouverture d’une usine,
le patron et les employés se regrouper en demi-cercle devant
l’autel des esprits et y déposer une bouteille de soda, une
soucoupe avec du riz, ou même lors d’une grande occasion, une
tête de porc laquée. C’est pour mettre les esprits dans de
bonnes dispositions et pour que les affaires marchent bien !
Quand ils passent devant un autel des esprits placé au bord de
la route, les automobilistes, les motocyclistes klaxonnent pour
saluer les bons esprits et aussi pour ne pas que les mauvais
esprits s’accrochent à leurs basques ! Personnellement,
j’actionne le timbre de mon vélo, car j’ai assez de mal parfois,
dès que la route s’incline, sans avoir en plus à colporter des
esprits qui peuvent peut-être peser plus qu’on ne croit !
Mardi 28 février 2017.
Surin. (57 km)
Pour profiter de la fraîcheur matinale, je pars souvent à vélo,
dès huit heures sur les petites routes de la région. Je démarre
avec vingt-trois degrés et je reviens à la maison avec trente
degrés, et un soleil bien vertical vers onze heures. Ce matin,
je commence par la grande route à quatre voies sur laquelle je
me sens en toute sécurité grâce à une large bande d'urgence. Un
petit arrêt à la fabrique d’autels des esprits. Il y en a pour
tous les goûts. Au bord de la route, j’ai trouvé un petit
autel
beaucoup moins luxueux, mais où les phis n’ont pas été
oubliés, car ils ont leur bouteille de soda et un peu de riz
dans une soucoupe. À la campagne, les phis sont moins
exigeants ! Je passe ensuite devant une succursale automobile,
un grand magasin que j’ai trouvé, à ma grande surprise au mois
de novembre, à un endroit où il n’y avait absolument rien en
mars 2016 ! En six ou sept mois, on construit un immeuble ou un
énorme bâtiment, et on l’ouvre au public avant même que le béton
soit complètement sec ! Les Thaïlandais croient que leur pays
n’est pas sur une zone sismique ou volcanique. Ils feraient bien
de regarder de plus près les blocs de latérite à l’aspect
spongieux avec lesquels ont été édifiés les temples khmers de
Phanom Rung, non loin d’ici. En Thaïlande, le jour où la
terre tremble, tout s’effondre comme châteaux de cartes. Les
bâtiments ne sont prévus que pour défier les lois de la
pesanteur, pas plus !
Je quitte la grande route menant à Prakhon
Chai pour m’engager sur une petite
route tranquille. Je me sens
observé, une de ces impressions que l’on a quand on côtoie
quelqu’un qu’on n’a pas encore localisé. En effet, dans le
fossé, à ma gauche, un moine pèlerin, avec son ombrelle et son
bol à aumônes, se trouve à demi caché parmi la végétation. Il
est là, tout pâle, immobile, bien sûr puisqu’il s’agit d’une
statue de ciment ! Et de place en place, d’autres moines
indiquent la présence d’un monastère dont je devine le toit
parmi la végétation, non loin de ma route. Je fais donc un petit
détour, et j’arrive devant un énorme bâtiment : le monastère
Wat Chonprathan Ratchadamri. Comme tous les lieux
bouddhistes, il est en pleine évolution. Les tympans n’ont pas
encore été décorés. Ce n’est pas un temple proprement dit avec
des toits respectant l’architecture traditionnelle, il s’agit
plutôt ici d’un bâtiment scolaire. En effet, les moines que l’on
voit le matin sillonner les rues ou les petits chemins de
campagne pour le tak bat, c’est-à-dire pour réceptionner
leur nourriture offerte par les riverains, ne sont pas des
bonzes s’étant engagés pour la durée de leur existence. Ils sont
au temple pour faire leurs études, et ils retrouveront la vie
civile avec un diplôme en main, et ils se marieront et ils
seront très heureux, et ils auront beaucoup d’enfants ! Certains
monastères sont même réputés pour le sérieux de l’enseignement
qui y est dispensé dans le domaine universitaire. En général, ce
sont les enfants issus de familles défavorisées, comme il y en a
beaucoup à la campagne, qui bénéficient ainsi de cette gratuité
de l’enseignement. Cela explique pourquoi l’on trouve de jeunes
bonzes jouant sur leur tablette ou leur téléphone ou écoutant
les derniers « tubes » de leur chanteuse préférée. On ne peut
pas trop leur en demander et la vie spartiate du « véritable »
bonze ne leur conviendrait pas ! Pour les jeunes filles, je ne
sais pas où elles étudient, car sauf à Ayutthaya, je n’ai jamais
vu de bonzesses vêtues de blanc quémander leur nourriture
le matin.
Derrière le monastère se trouve l’inévitable four
crématoire avec sa
haute cheminée. J’hésite à employer ce terme, mais pourtant, c’est
bien de cela qu’il s’agit puisque c’est ici que l’on incinère
les défunts. Tout près de là, je trouve le barrage qui permet de
distribuer l’eau d’irrigation dans la campagne environnante
grâce à des canaux sillonnant la région. Cela permet de faire
deux récoltes de riz chaque année. Quelques hérons attendent
qu’une proie manifeste sa présence pour la happer en planant
avec grâce et majesté au-dessus des fleurs de
lotus roses. Les
boutons et les fleurs de lotus sont sacrés. Bouddha est souvent
représenté assis sur une fleur de lotus. Je trouve, plus loin,
des champs de manioc dont les tubercules fourniront le tapioca
ou l’éthanol, et des rizières d’un vert
fluorescent. Durant la
saison des pluies, le paysage est tout vert, comme dans ce coin
où l’irrigation permet de cultiver du riz, même en ce moment.
C’est tout de même plus beau que le décor brun et desséché,
auquel je n’accorde même plus un petit coup d’œil ! Les
vaches
sont parfois faméliques, mais même lorsqu’on les met dans de
gras pâturages, elles ne grossissent pas. Elles devraient donner
leur secret à bien des femmes qui s’escriment à faire un régime
qui ne leur fait jamais perdre leurs rondeurs ! Les Thaïs ne
boivent que très rarement du lait, ils ne consomment pas de
fromage, et leurs plats de viande sont du poulet, du canard ou
du porc. Que font-ils donc de ces vaches qui n’ont pas de lait ?
Ils ne connaissent pas le secret de ce paysan qui entrait dans
l’étable avec un seau à chaque main et qui disait à sa vache
pour la motiver : « Alors, qu’est-ce qu’on va nous donner
aujourd’hui, du bon lait ou de la bonne viande ? »
Jeudi 2 mars 2017.
Surin (28 km)
Aujourd’hui, je fais du tourisme dans les environs, je prends le
temps de regarder le paysage, je me promène tout doucement. Je
longe un canal d’irrigation. L’eau a plutôt l’air de stagner,
car il ne pleut plus depuis le mois d’octobre, et je me demande
si à cet endroit, le canal a vraiment une utilité. Je ne vois
aucune rizière verdoyante dans les environs. Dans la large
plaine parfois inondée sous plusieurs mètres d’eau, le long du
fleuve Chao Phraya, entre Bangkok et le nord du pays, les
paysans font jusqu’à trois récoltes de riz par an. Ici, dans
l’est du pays, ils ne font qu’une récolte d’un riz parfumé de
meilleure qualité. Ce n’est pas très rentable, alors on tend à
diversifier les cultures.
Le cri
d'horreur de notre grenouille !
Nous avons eu une grande surprise en fin de matinée. Nous étions
dans la cuisine et Amnoay a fermé la porte extérieure. Nous
avons alors entendu un cri, comme un miaulement de chat à qui on
marche sur la queue. Un cri d’une puissance étonnante qui nous a
fait sursauter. Amnoay rouvre la porte, pensant trouver un chat
derrière : rien ! Nous jetons un coup d’œil dehors, et aucun
animal ne pointe le bout de son nez. C’est alors que je
remarque, plaquée au sol sur le pas de la porte, notre petite
grenouille, tétanisée, incapable de bouger. Je la prends
délicatement dans ma main : elle se laisse faire, ne bouge pas,
mais je vois ses yeux bouger. Elle n’est pas tout à fait morte !
Nous les aimons bien nos deux petites grenouilles, et nous ne
sommes pas insensibles à leurs misères, et voilà que nous venons
de coincer la plus petite sous la porte. Ce qui nous touche le
plus, c’est le cri qu’elle a poussé, comme un appel au secours,
comme un cri de douleur et de terreur. Nous pensions qu’elle
était muette, et voilà qu’elle se met à hurler comme un chat
quand on lui fait mal ! J’ai refermé mes mains jointes sur son
petit corps tout froid, de peur qu’elle n’ait un dernier sursaut
avant de mourir, et je la sens bouger légèrement, me chatouiller
la paume des mains. Je vais dans la salle de bains, puisque
c’est, normalement, son domaine, j’ouvre les mains et les
approche de la paroi carrelée. La petite bête se met à marcher
tout lentement le long de mon avant-bras, puis elle saute sur le
mur. Elle n’a pas l’air de souffrir, elle grimpe tout doucement
le long de la paroi. Ce qui nous intrigue le plus, c’est cette
capacité de pousser un grand cri pour nous alerter ; et comme on
a tendance à attribuer aux animaux des sentiments humains, à
tort bien souvent, elle est encore montée dans notre estime.
Pauvre petite grenouille, quand je vais lui dire au revoir, le
dernier soir, je me demande si elle ne va pas pleurer !
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