Dernière modification: 07/05/2015

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Mardi 13 janvier 2015.

Kralanh - Siem Reap ( 57 km ).

Je prends la route à huit heures trente. L'air est frais, le ciel gris. Je vent vient du nord, alors je l'ai sur ma gauche. La circulation est plus importante que les jours précédents, et je me sens moins en sécurité, car les camions sont nombreux et ils me frisent les poils des pattes à chaque fois qu'ils me doublent. Les lignes droites sont infinies, la région toute plate : morne plaine où seuls quelques palmiers à sucre accrochent le regard. Je m'ennuie réellement, je compte les kilomètres, il me semble que je n'avance pas. Dix kilomètres avant Siem Reap la circulation devient plus importante encore. Ce sont surtout les motos qui me dérangent, car elles viennent à contre-sens, et par moments je me demande si, dans ce pays, on roule à droite ou à gauche ! La petite ville si sympathique il y a vingt ans est devenue une énorme « usine à touristes ». Les hôtels se touchent : luxueux palaces aux façades kitch voulant plaire à une clientèle fortunée aimant le clinquant. Dans la ville, c'est le chaos : chacun roule où il lui plaît, dans un désordre sans nom. Je me réfugie dans une petite G.H ( David Angkor G.H ) où je prends une chambre à neuf dollars. Je mets le vélo dans la chambre et ça amuse beaucoup les employées.

L'après-midi, j'essaye de retrouver des restaurants ou des hôtels où j'allais il y a trois ans... tout a disparu, remplacé par d'autres établissements. Ici, tout est en perpétuel mouvement. Le plan cadastral détruit par les Khmers rouges a permis à des gens de s'approprier des terres ou des immeubles qui ne leur ont jamais appartenu, mais parfois les anciens propriétaires refont surface. Alors, c'est pour celui qui connaît le fonctionnaire le plus haut placé... Je me promène à pied dans les rues où les boutiques vendent toutes les mêmes articles supposés plaire aux touristes, alors je suis sans arrêt sollicité par les commerçants, interpellé par tous les chauffeurs de touk-touk attendant un client au bord du trottoir. C'est épuisant ! J'ai beau les ignorer, ne pas leur répondre, je finis par avoir envie de leur crier « fichez-moi donc la paix ! » D'ailleurs, ce harcèlement du touriste ne sert à rien et ne fait pas mieux marcher leur commerce. Il faut peut-être que j'explique ce qu'est un touk-touk cambodgien. Ce n'est pas un triporteur comme en Thaïlande ou dans d'autres villes, c'est une moto 125cc derrière laquelle on a attelé une remorque couverte d'un toit. Dans cette remorque, deux banquettes se font face. On peut ainsi transporter quatre touristes ou huit Cambodgiens ( tout dépend du confort exigé ). Il y a plusieurs milliers de ces véhicules dans la ville de Siem Reap et ses environs. Durant la journée, on en trouve un peu moins dans les rues, car ils sont embauchés sur le site d'Angkor. Quand les touristes en voyage organisé débarquent d'un bus à Angkor Vat, on les met dans ces petits véhicules qui partent à la queue leu leu d'un temple à l'autre.

 

  

 

Je sors le soir, et je suis surpris de trouver une ville totalement occidentalisée. Certaines rues sont devenues piétonnes bien que les motos gâchent le plaisir de déambuler en se faufilant sans arrêt dans la foule des badauds, presque tous occidentaux. Il y a aussi de nombreux Coréens qui viennent ici en groupe. À l'entrée de ces rues bordées de bars, de restaurants ou de boutiques, une banderole lumineuse : « Night Market ». J'ai même trouvé une rue bordée de maisons très anciennes aux murs de briques décrépits laissant apparaître la pierre, aux linteaux des fenêtres ou des portes... Tout en toc ! On se croirait dans une rue de Plaka en Grèce. Mais pourquoi aller imiter les vieilles rues de nos villes occidentales alors qu'il suffirait de sauver les quelques maisons coloniales encore debout ! Les Cambodgiens, comme tous les Asiatiques, n'attachent pas grande importance au patrimoine et au passé. Ils préfèrent le faux vieux tout neuf aux véritables antiquités.

 

Mercredi 14 janvier 2015.

Siem Reap ( 24 km ).

Je pars flâner dans le quartier du vieux marché. J'aimerais bien déjeuner avec une bonne soupe de nouilles, mais je ne trouve que des restaurants à l'aspect cossu proposant des déjeuners occidentaux. Je vais au « Grand Café khmer » prendre des œufs frits avec un lambeau de bacon et une crotte de nez de confiture pour 5 $. Dans ces établissements, les prix ne sont même pas marqués en riels ( monnaie locale ), ils sont en dollars. Et les touristes payent en dollars. Certains n'ont même pas vu un billet local de tout leur séjour. Cela aussi me semble significatif : un pays qui méprise sa monnaie au point de ne plus l'utiliser avec les étrangers. J'avais vu la même chose à Cuba.

À midi, je me goinfre avec une énorme portion de canard à dix dollars. Quand on aime, on ne compte pas ! En fin d'après-midi, quand la chaleur est un peu tombée, je pars jusqu'au lac Tonlé Sap. Sur la route, des bus, des touk-touk, des motos, des vélos, des chiens, des cyclistes... et il me faut me faufiler là au milieu en faisant en sorte d'éviter tout ce qui arrive en face, et en priant le ciel que ceux qui arrivent derrière moi m'éviteront. Je commence à m'habituer à ce jeu de la roulette russe et je dois même avouer que ça finit par me plaire. Sur le bord de la route, des maisons bancales en bois, sur pilotis à cause de la montée des eaux du lac qui change carrément le paysage à la saison des pluies. En effet, le Tonlé Sap se remplit lentement à ce moment-là jusqu'à faire disparaître les rizières et les chemins de terre sous plusieurs mètres d'eau. La rivière qui traverse Phnom Penh voit alors son cours s'inverser. C'est un des rares fleuves qui coule vers l'est pendant six mois et vers l'ouest le reste du temps. Quand j'arrive au bord du lac, il n'est plus là, il est parti à des kilomètres. On a creusé un chenal pour que les bateaux de passagers puissent venir aborder.

 

Jeudi 15 janvier 2015.

Siem Reap ( 51 km ).

 

  

 

Je vais en visite sur le site d'Angkor. J'ai beaucoup hésité avant de me décider, car j'ai visité Angkor, il y a vingt ans quand on avait le privilège de se retrouver seul dans les ruines. Il faut dire qu'à cette époque, il fallait accepter d'être secoué comme un sac de noix dans un pick-up sur la route de terre toute défoncée depuis la frontière de la Thaïlande à Poipet ou sur la piste venant de Phnom Penh. C'est pour cela qu'on ne trouvait que des routards sac au dos dans les quelques petites guesthouses susceptibles de les recevoir. Je suis revenu plusieurs fois depuis, et j'ai vu à chaque fois la situation se dégrader. Il y a trois ans, quand j'ai vu les hordes de visiteurs coréens faire la queue pour se photographier sur des estrades aménagées devant les endroits les plus photogéniques, j'ai dit que je ne reviendrai plus ! Et me revoilà ! Mais cette année, je viens avec une autre optique ; je n'entrerai pas dans les temples, je me contenterai de « me promener » sur l'immense site en vélo. Il est sept heures et demie, et la circulation dans la ville est affolante. Je me suis adapté et je m'en sors assez bien. Il faut aller où l'on doit aller sans se préoccuper des autres véhicules. La technique est celle de « l'évitement ». Quand on marche sur le trottoir avec beaucoup de passants arrivant en sens inverse, on ne heurte personne... Ici, c'est pareil il faut faire fi du code de la route : on passe à droite, à gauche, on traverse une grande avenue sans regarder ( pour ne pas avoir peur, et pour ne pas avoir tendance à éviter celui qui va lui-même nous éviter ). Je suis la voie vers le nord, et au bout de trois kilomètres, je me retrouve dans une forêt, sur une route peu fréquentée. C'est si calme que je me doute bien que ce n'est pas la bonne route. Quelques singes que je n'avais pas remarqués tout d'abord sont assis à l'orée du bois, s'épouillant ou attendant placidement quelque nourriture providentielle. Pierre Loti dans son « voyage à Angkor » décrit très bien cette route qu'il avait parcourue sur un char à bœufs. Quand j'arrive dans un endroit dégagé, au bord d'une pièce d'eau, je sais que je suis près des douves du grand temple d'Angkor. Je suis arrêté à un guichet où je ne peux pas acheter mon billet. Il me faut donc revenir cinq kilomètres en arrière et prendre une route parallèle. En effet, il y a davantage de monde : des bus, des touk-touk, des touristes partout. On me fait, pour 20 $, un beau ticket d'entrée avec ma photo. ( J’apprendrai plus tard que puisque je n’entrais pas dans les temples, je n’avais pas besoin de ce ticket ). Sur la route menant au site, le décor est à peu près le même que tout à l'heure, mais des files ininterrompues de touk-touk pétaradants et puants, de bus à l'avertisseur sonore rappelant les sirènes de bateaux doivent effrayer les singes, car je n'en vois pas un seul. J'arrive à Angkor Vat. C'est une foule compacte qui pénètre dans le temple. Je m'enfuis vers le Bayon. Avant d'arriver à la superbe porte du sud, c'est un immense embouteillage. Les gardiens sont obligés d'imposer une circulation alternée. Le superbe pont enjambant les douves devant la porte est encombré de motos, de bus et de touk-touk. Où est-il le temps où j'attendais qu'une personne passe sur le pont pour donner une idée des dimensions de l'ensemble sur mes photos ? Si Pierre Loti revenait... lui qui déplorait que l'endroit ne soit pas débroussaillé ! J'ai bien fait de revenir, c'est un affligeant spectacle qui vaut la peine d'être vu. Mais je ne peux que reconnaître que moi-même suis venu grossir le nombre de ces visiteurs. Juché sur ma frêle monture, je rencontre des touristes bien installés sur le sommet d'un énorme éléphant... c'est typique... à défaut d'être authentique ! Le tourisme se mondialise : les Chinois se promènent dans le monde entier, les Coréens viennent en groupes, les Russes sont là, des vieillards à peine mobiles trottent partout, avec leur canne et leur chapeau de paille. C'est bien que la « culture » soit à la portée de chaque citoyen de ce monde qui s'uniformise. Ce qui se passe ici se passe aussi sur les sites mayas du Mexique, à Pompéi, à Lascaux, au Matchu Pitchu qu'on prévoit de fermer aux touristes... J'ai eu la chance de pouvoir voyager à une époque où l'on pouvait atteindre Katmandou en voiture, où l'on pouvait traverser le Sahara, où les plus beaux sites du monde étaient accessibles. Le voyage était parfois un peu pénible ce qui rendait ces lieux peu fréquentés. Quand on arrivait sur un site, on avait l’impression d’avoir mérité d’être là !

 

     

 

... l'envers du décor, c'est quand on trouve des ouvriers restaurant le site,
allant jusqu'à fabriquer du sable avec un petit marteau
pour retrouver les mêmes conditions de travail que les anciens bâtisseurs.

 

Je vais devant le Bayon : c'est la cohue. Je reste à l'extérieur. Sur les tours, les têtes au sourire énigmatique ont perdu leur attrait. Par contre, grâce à mon VTT, je prends quelques chemins de terre qui me permettent de voir des ouvriers restaurant un pan de mur d'enceinte avec des techniques ancestrales. Armés d’un petit marteau, ils broient des pierres rouges pour fabriquer… du sable. Plus loin, dans une savane desséchée, je rencontre un vieux monsieur plantant des arbustes pour reboiser le secteur, et dans un misérable champ sablonneux, je découvre quelques paysans essayant de tirer d'une terre ingrate de quoi vivre misérablement.

Baphoun, Preah Khan, East Mebon, Pre Rup, je passe devant ces temples sans y pénétrer. Je m'arrête au Banteay Kdei, non pour le visiter, mais pour faire le tour de l'immense bassin ( le Srah Srang ) se trouvant juste devant. Je m'assieds sur les marches de pierre un peu disjointes entourant le bassin pour assister à une scène cocasse : un paysan, ses zébus et ses enfants se baignent tous ensemble. L'homme entre dans l'eau profonde d'un mètre à cet endroit avec un zébu qui ne semble pas apprécier la baignade. Il savonne la bête avec de la lessive et la rince à grande eau. C'est le rinçage que le zébu n'aime pas. Il secoue la tête, s'ébroue et, malgré les cris du paysan, fait des sauts de cabri. Je vais devant l'entrée du Ta Prohm : c'est la même affluence qu'à Angkor. La foule se presse vers l'entrée, les marchandes de souvenirs sont collantes comme des mouches avant l'orage. Elles proposent des chapeaux, des couvre-lits, des sarongs, des cartes postales... Par contre, elles affichent une bonne humeur déconcertante. Vers quatorze heures, je reviens à l'hôtel chercher un peu de calme.

 

  Pour aller à Angkor, cliquer sur le bus  

 

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