Dernière modification: 20/05/2015

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Jeudi 8 janvier 2015.

Surin - Prasat ( 35 km ).

Je ne suis pas très motivé pour partir, mais je sais que l'appétit vient en mangeant, donc je ne m'inquiète pas. J'aurais tendance à me laisser aller dans un bien-être matériel et un engourdissement autant physique que moral qui finit par manquer de piquant.

Il est tombé une grosse averse hier soir. L'air était parfumé ; une odeur de terre mouillée et d'herbe sèche. Je suis resté un moment sur notre petite terrasse à écouter les gouttes marteler le sol. On peut parfois trouver un plaisir extrême à voir ou entendre la pluie. Georges Brassens évoque « ces pays imbéciles où il ne pleut jamais ». Les gens du sud-est de la France ne peuvent pas vivre heureux sans le vent, les Bretons sans la pluie, les Ossalois sans la neige. Mais il est vrai que dans ces pays où la saison sèche alterne avec la saison des pluies, l'averse tropicale est toujours un cadeau des Dieux. Je me souviens d'un après-midi torride à Siem Reap au Cambodge, quand soudain une grosse pluie de mousson s'abattit avec violence sur la ville ; ce fut alors, brusquement une noria de motos et de vélos qui se mirent à sillonner les rues. La pluie devient parfois un bienfait du ciel ( surtout quand elle est rare ou bienfaisante ). Dans nos pays tempérés, nous sommes toujours le nez au ciel, à interroger les nues. Nous accompagnons toujours notre « bonjour » d'un jugement personnel : « Quel sale temps » ou au contraire « quelle chaleur ». Ici, les saisons sont sans surprise ( ou presque, car une averse en janvier, c'est surprenant, mais le climat change... ). Alors, ce matin le ciel était inquiétant, noir vers le nord, gris vers l'est, sans soleil et sans vent. Quand on n'a pas envie de partir, voilà une excuse toute trouvée... mais je ne me suis pas laissé aller à de lâches excuses et, à deux heures, alors que le soleil plus la chaleur humide auraient dû me freiner, me voilà parti. Je vais à Prasat, à trente-cinq kilomètres, et je sais que j'aurai le vent dans le dos. Je file bon train, j'entends les pneus chanter sur la route, mais je suis obligé d'aller vite, plus vite que le vent, si je ne veux pas m'étouffer. Il me faut rouler à trente à l'heure pour avoir un peu de courant d'air dans les naseaux. Finalement, c'est presque aussi pénible que quand j'ai le vent de face ! Mais au bout d'une heure trente, me voilà à Prasat. Est-ce que j'ai eu peur, sur la route ? Non, pas particulièrement, mais lorsque je suis sur ces grands axes très fréquentés, j'ai une perpétuelle inquiétude qui me force à rester très concentré, et qui m'empêche de profiter du paysage. Je ne vois d'ailleurs pratiquement pas de cyclistes sur ces routes : soit ils ont peur de s'y risquer, soit ils sont déjà morts !

Quand j'arrive à Prasat, une de ces villes champignons qui ont poussé le long de la grande route, je demande un Hôtel pas cher, et l'on me conseille le « Prasat Resort ». Je m'installe dans une chambre spacieuse, avec un grand lit tout moelleux, une salle de bains où tout est en marbre noir ( même la savonnette ), et où le prix de 400 bahts, bien que deux fois plus élevé que ce que je paye d'habitude ne me semble pas excessif. Le soir, je me goinfre avec un énorme poisson frit à l'ail et au poivre, et avec des petits lardons croustillants, tout en buvant deux bouteilles de bière. Bien sûr, 125 cl de bière, pour un Munichois c'est dérisoire, mais pour moi, c'est un délicieux excès ! Je compte environ 80 places dans le restaurant, et nous ne sommes que sept clients. Une chanteuse vient miauler des airs romantiques qui me charment, et à dix heures quand je vais me coucher, j'ai la sensation d'avoir réussi ma première journée.

 

Vendredi 9 janvier 2015.

Prasat - O'Smach ( 45 km ).

J'ai du mal à me décider à partir. Ma chambre d'hôtel est si confortable que j'y passerais bien la journée. Pourtant, dès que je suis sur la route, je me régale. La température est idéale, avec un petit souffle d'air frais, il est huit heures trente et le soleil est déjà haut. L'ennui, c'est la circulation ; les véhicules ne sont pas excessivement nombreux, mais ils roulent à tombeau ouvert sur une route à deux voies, et lors des dépassements en troisième position, ils utilisent la bande d'urgence. J'ai dû serrer plusieurs fois sur le bas-côté, et cela m'oblige à surveiller les véhicules arrivant en face. C'est fatigant. De plus, je me trouve sur d'infinies lignes droites, avec un décor d'une monotonie affligeante.

 

     

 

Quelques kilomètres avant la frontière, je m'arrête au grand marché de Chong Chom. C'est un peu l'équivalent de nos « ventas », mais en bien plus grand. On y trouve toutes sortes de bicyclettes, ce qui prouve que les Cambodgiens ne sont pas encore aussi motorisés que les Thaïs. Dans des galeries sombres des boutiques proposent tous les objets ou les outils usuels, mais aussi beaucoup de jouets. Il y a quelques années, on ne vendait pas de jouets au Cambodge, car les gens considéraient cela comme des dépenses superflues. Je passe la frontière sans encombre, les Cambodgiens me font un visa pour 30 $. ( Le prix vient de passer de 20 à 30 ) Les jeux de hasard et d’argent étant interdits en Thaïlande, on a bâti, dans ce triste village frontière, un immense casino où les gens riches vont dilapider leur fortune. Il y a aussi un énorme palace pour abriter ce genre de clientèle. Je pense qu’on leur fait payer la chambre en arrivant, car au petit matin il doit y en avoir plus d’un incapable de régler l’addition ! Je vais à « TD.Na GH ». La chambre sent tellement le remugle que j'ai l'impression d'entrer dans une champignonnière. Il est midi et je fais une petite sieste réparatrice, puis je vais au marché pour manger une macédoine de légumes avec une saucisse bizarre. On dirait du saucisson passé à la poêle avec du caramel. Le soir, à huit heures je vais boire ma bière presque tiède en mangeant des nouilles poêlées dans une petite échoppe en bord de route à côté de ma guesthouse. ( Ici, il n’y a que les nouilles qui se poêlent ) C'est un peu triste, mais c'est comme ça ici. Je me console en me disant que je suis en plein dans l'authentique !

 

Samedi 10 janvier 2015.

O'Smach - Samrong ( 45 km ). [Cambodge]

J'ai du mal à démarrer ce matin ; je me laisserais bien aller à flemmarder toute la journée. De plus, je suis minute par minute l'horrible feuilleton des attentats des terroristes islamistes, et de la tuerie de « Charlie Hebdo » sur la chaîne CNN. Je suis évidemment révolté. Sur la chaîne thaï, ils se montrent prudents : il faut donner l'impression qu'on défend la liberté de la presse, mais quand on montre la une de Charlie qui est considérée comme sacrilège par les intégristes musulmans, l'image est floutée. Il y a des musulmans dans le pays, ils sont de plus en plus nombreux, et il ne faut pas « se les mettre à dos ». La télé cambodgienne, je ne sais pas ce qu'ils en disent.

Je finis par partir à neuf heures et demie. Je monte la côte à la sortie de O'Smach, puis j'entame une descente de trois kilomètres, sur un revêtement roulant, et je frôle les 70 km/h. C'est grisant, jouissif. J'avais oublié ce que c'était que d'avoir le vent dans les oreilles et dans le cou... Par la suite, je trouve un décor moins monotone qu'en Thaïlande ou qu'au sud Laos. La route n'est pas toute droite, et les paysans étalent sur les bas-côtés leur récolte de manioc. Il s'en dégage une douce odeur de bois sec. Il n'y a pas, comme en Thaïlande ou au Laos, les détritus et les poches plastiques. Les enfants ont classe le samedi matin, alors ce sont des « hello » tout le long de la route. Ils vont à l'école à n'importe quelle heure. Je me demande si dans les familles on ne leur dit pas : « Tiens, va à l'école puisque tu n'as plus rien à faire à la maison ! »

Je m'arrête à Phang pour manger une soupe de nouilles qui me semble délicieuse. Cela me redonne des forces. Je file jusqu'à Samrong à bonne allure. Je fais du 25 de moyenne aujourd'hui. Il ne doit pas y avoir que la soupe, je pense que la route est presque partout en faux plat descendant.

 

     
...un monument au milieu de nulle-part, et une poubelle faite avec des pneus de camions...

 

J'arrive à Samrong, dans un lieu presque surréaliste. Une longue et large avenue à quatre voies séparées par une large pelouse sur laquelle trône un prasat de ciment rouge, derrière, un lac, au fond la campagne. De l'autre côté du lac, je pense qu'il y a la ville... À chaque coin du monument, des canons en piteux état rappellent que le pays ne fut pas toujours en paix. Je ne sais pas si ces armes appartenaient aux Khmers rouges ou aux Vietnamiens. Il est assez rare de trouver ce genre de rappel de l'histoire, car les Cambodgiens font semblant d'avoir oublié leur passé. Peut-être parce qu'ils se sentent tous plus ou moins fautifs. Un jour, un Cambodgien m'a dit : « Sous le régime des Khmers rouges, nous avons tous, un jour ou l'autre été responsable de la mort de quelqu'un ; c'était la seule condition pour sauver sa peau ! »

Je vais de l'autre côté du lac. Les rues sont bordées de bas-côtés poussiéreux ou sablonneux. Les habitations sont tantôt en planches, tantôt en béton... Ce n'est pas une ville, c'est un village aux longues rues partant dans tous les sens. Samrong illustrerait très bien la boutade d'Alphonse Allais : « On devrait construire les villes à la campagne ». Je trouve un hôtel très correct, le Ly Fong G.H, et j'ai une grande chambre, je suis content !

 

     

Au bord de la route: "le poste d'essence" (bouteilles), le manioc qui sèche, et les petits tracteurs chargés de paille.

 

 

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