Dernière modification: 15/06/2015

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Mardi 2 décembre 2014.

Muang Không - Don Det. ( 33 km ).

 

     

 

Ces jours-ci, le fleuve est sillonné de longues barques pouvant contenir jusqu'à cent rameurs. Ce sont les gens des villages qui s'entraînent pour les régates du weekend prochain. Ces longues barques sont rangées sous un hangar spécial dans le temple. On les sort de temps en temps pour des compétitions qui voient s'affronter les rameurs des quartiers ou des villages différents. C'est l'occasion de faire une grande fête et aussi de faire des paris... Ici, on prépare la fête: les marchands de "tout ce qui peut se vendre" sont en train de s'installer, et les manèges vocifèrent.

Je déjeune avec une grande soupe de nouilles, et bien que j'aimerais passer ma journée à flemmarder en regardant glisser les eaux jaunes du fleuve, je pars pour Don Det. Je traverse le nouveau pont. Je suis pratiquement seul sur la route qui rejoint la « 13 ». Au lieu de prendre la nationale, je suis une route parallèle pendant cinq kilomètres pensant rouler au bord du fleuve, mais je suis déçu, car je ne vois pas le Mékong à un seul moment. La route est pleine d'ornières rebouchées avec une terre jaune qui fera un beau mélange boueux à la prochaine pluie. Je traverse des villages aux maisons de bois et il y a toujours quelqu'un pour me crier « sabaidee ». J'ai les doigts sur les poignées de freins, car il faut rester vigilant : les camions roulent plutôt à droite, les voitures et les motos font du slalom entre les ornières, et tout ce qui marche par terre est au milieu. Volailles, cochons, bétail, piétons, petits enfants, vieillards, il me faut éviter tout ce petit monde. J'arrive au marché et alors là, c'est indescriptible ! Heureusement que j'ai une sonnette ! Au bout de cinq kilomètres je retrouve la « 13 » écrasée de soleil et sillonnée de gros cars se rendant au Cambodge ou de « 4x4 » rutilants roulant à tombeau ouvert. Je regrette presque le chaos de tout à l'heure. Sur la route, je trouve de temps en temps, des fresques bien curieuses, dessinées à la peinture blanche. En effet, lorsqu'il y a un accident, les policiers décalquent les contours des véhicules et des victimes sur la route. Cela donne des tableaux étonnants parfois, ressemblant à des œuvres de Miro. De plus, c'est très éducatif pour les enfants. Quand la maman passe avec ses rejetons sur les lieux de l'accident, elle dit à ses enfants: "Voyez, ce dessin, c'est votre papa qui a été écrasé le mois dernier parce qu'il traversait sans regarder!" C'est bien pour la famille, non?

Il est onze heures lorsque j'arrive à Nakassang. Je prends le bateau vers Don Det avec deux autres cyclistes néo-zélandais. Ils chargent parfois leur bicyclette dans le car lorsque l'étape leur paraît ennuyeuse. Petit détail : notre barque a dû revenir au ponton pour récupérer mon sac à dos que j'avais oublié sur un banc. J'ai failli perdre d'un seul coup mon argent, mes cartes bancaires et mon passeport... Heureusement que les Laotiens sont honnêtes !

 

     
...la "tondeuse", la barque, la vue plongeante (Bungalow pour ceux qui ne savent pas que les berges du Mékong sont instables)

 

Don Det : des touristes partout, à pied, à bicyclette, en moto dans l'étroite ruelle entre deux rangées de restaurants et de bungalows. C'est curieux comme les êtres humains se sentent rassurés quand ils sont « les uns sur les autres ». Il est vrai que la plupart sont des citadins qui ont peur de « la nuit noire » et du silence. Ils sont programmés pour vivre dans la promiscuité. Les ghettos, ça leur convient très bien. Moi, ça m'arrange, car je n'aurai pas droit à la bousculade chez « Bounhomme ». Je longe donc le fleuve sur le sentier de terre pour arriver à mon havre de paix. Il n'y a qu'un client au restaurant, la moitié des bungalows sont libres. Je suis accueilli comme un ami. Ils ne comprennent pas quelle idée saugrenue a pu me pousser à venir sans Amnuai, et quand je leur dis que je suis arrivé en vélo depuis la Thaïlande, alors là ils comprennent que je dois avoir un peu « perdu la boule » ! Ils ont rénové le restaurant qui ressemble maintenant à une salle de repos. C'est ce qu'il me faut. Je mange des crêpes à la banane et au miel et je me laisse aller à une petite sieste, juste pour commencer à m'habituer à retrouver mes habitudes. Ici, je regarde le fleuve glisser, scintillant doucement parmi les îlots de verdure formant les « quatre mille îles » et je finis par croire que c'est moi qui me déplace dans ce voyage immobile, et cela va durer quelques jours. Bounhomme a acheté une vache pour qu'elle tonde l'herbe parmi les bungalows. C'est moins cher qu'une tondeuse, et faut pas pousser ! Les Laotiens ont des idées !

Dans l'après-midi, j'ai découvert un serpent à côté de mon bungalow. Je ne pense pas qu'il était venimeux, mais je l'ai tué au cas où il aurait été nuisible. Après tout, les crocodiles aussi ils tuent parfois les petits enfants en croyant qu'ils sont nuisibles... C'est la loi de la nature. À la tombée de la nuit, de gros nuages ont viré du fauve au marron, le ciel s'est éteint brusquement, les arbres et les panaches des cocotiers sur l'autre rive ont bleui. C'est alors que de violentes rafales ont soulevé les nappes du restaurant, secoué les arbres, leur arrachant des feuilles emportées par les tourbillons, et de grosses gouttes ont martelé le sol de-ci de-là. Soudain, c'est comme si le ciel nous tombait sur la tête : des trombes d'eau argentées par la lueur des éclairs se sont abattues, inondant tout, ternissant la surface du fleuve. Au bout d'une demi-heure, le calme est revenu et l'on n'a plus entendu que le clapotis de l'eau tombant des toits ou des arbres. Quelques petites grenouilles brunes sont venues faire un tour au restaurant, mais elles n'ont eu aucun succès, leurs cuisses étant rachitiques.

 

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Je voyage "léger"! Voilà à gauche tout ce que je porte sur moi,
et à droite tout ce que contient mon sac de 4,5 kg.

 

Mercredi 3 décembre 2014.

Don Det.

Je commence mon entraînement, car pour être capable de rester des journées entières sans rien faire et sans s'ennuyer, il faut un minimum de préparation psychologique. J'ai décidé de lire ou de relire Alexandre Dumas. Je suis le Roi, j'ai des milliers de pages devant moi ! Ce qui est merveilleux, avec les progrès de la technique, c'est que bien que je sois très limité par le poids de mon bagage, j'ai avec moi, l'œuvre complète de Dumas, de Hugo, de Jules Verne, de Zola, presque tous les reportages de Francis Garnier et Henri Mouhot lors de leurs expéditions sur le Mékong au XIX° siècle... dans une liseuse de quelques grammes. Le mauvais côté de ce progrès, c'est que tous les bars, restaurants ou hôtels sont équipés de connexion internet « wifi » ; alors, comme pratiquement tous les voyageurs ont une tablette numérique, on les voit pianoter sur leur petit écran, rire tout seuls en conversant avec leurs amis restés en Europe ou en Amérique. Cela nuit aux relations entre voyageurs et cela ne fait qu'étriquer davantage leur esprit critique. Ils sont restés dans leur pays, ils n'ont quitté ni leurs amis ni leur quotidien, ils sont ici comme transportés devant un écran cinémascope et c'est leur séjour ici qui devient virtuel. Ajoutons à cela le confort de l'hébergement qui s'améliore, l'uniformisation de la nourriture qui devient de plus en plus occidentalisée dans les lieux touristiques et l'on doit bien reconnaître que tout en étant loin, nous sommes restés « chez nous ». Nous sommes des expatriés. Il faudrait être masochiste pour rechercher les conditions spartiates quand le confort existe, alors, bien que, j’évite la chambre air conditionné dans les hôtels, je me réfugie parfois dans les supermarchés ou même les banques pour me rafraîchir. L'an prochain, j'aurai ma tablette numérique, et en regrettant l'isolement du passé, je resterai connecté avec la France. Le monde change, il faut l'accepter tout en gardant le droit de le regretter !

 

       
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Jeudi 4 décembre 2014.

Don Det. ( 12 km )

Vers deux heures, en pleine nuit, je suis réveillé avec la sensation de dormir dans un tambour. Des trombes d'eau s'abattent sur le toit de ma cahute. Elles arrivent par vagues, ponctuées par les roulements de grosse caisse des coups de tonnerre. Dans les pays tropicaux, tout est excessif et devient spectaculaire : il pleut trop, le vent est trop violent, les éclairs réfléchis par le Mékong trop éblouissants, l'humidité colle trop à la peau.

Dès sept heures le soleil chasse les gros nuages éclatants de blancheur et le ciel bleu laisse supposer que la journée sera chaude.

Je m'adonne au farniente habituel, lecture, sieste dans le hamac, puis à quatre heures, quand le soleil décline et que la chaleur tombe, je traverse le village de bungalows où les touristes s'agglutinent... Les pauvres ! Je longe l'ancienne voie ferrée par la piste de terre ocre où les cailloux de l'ancien ballast sont un réel danger pour mes pneus. J'arrive au pont français et je n'ai pas à payer, car on a levé la caisse. Je suis un labyrinthe de pistes jusqu'au péage des chutes. Il faut payer 35.000 kips. La somme a triplé en quelques années, preuve que l'on prend les touristes pour des distributeurs de monnaie. Bien que la somme puisse paraître dérisoire en Europe, puisque ce n'est que 3,50 €, ici elle représente le prix d'un repas. Comme je suis déjà venu aux chutes lors de mes précédents voyages, je fais demi-tour.

 

     

 

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