Dernière modification: 15/06/2015

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Vendredi 5 décembre 2014.

Don Det et Don Som. ( 49 km ).

Je traverse sur un bac vétuste un petit bras du fleuve entre Don Det et Don Som. J'arrive dans un autre monde. Je retrouve une ambiance et un paysage ressemblant tout à fait à l'île de Don Det que j'avais découverte il y a vingt ans. Les rizières moissonnées, asséchées donnent un aspect désertique à ces champs d'un jaune sale où quelques arbres sauvés du carnage lors de la déforestation du début du siècle dernier dispensent parcimonieusement une ombre qui ne parvient pas à me paraître bienfaitrice tant il fait chaud. L'air est humide après les orages des jours précédents et les ornières boueuses ralentissent ma progression dans un sentier parfois pas plus large que la main. De temps à autre, un bosquet d'où les bambous jaillissent en panache abrite quelques petites vaches rousses ou quelque gros buffle placide. J'aime bien les vaches locales, elles ont l'air doux et me regardent avec intérêt de leurs yeux cernés de noir. Leurs cornes sont embryonnaires et leurs pis pas plus gros que mon poing. Elles traînent derrière elles une corde qui n'est jamais attachée nulle part. Elles sont plus proches de la biche que de la grosse vache laitière de chez nous.

D'après mes renseignements, la traversée de l'île est longue de huit kilomètres ; en réalité c'est seize kilomètres. Curieux comme les gens n'ont aucune notion des distances ! D'ailleurs, ils ne savent pas qu'il y a mille mètres dans un kilomètre, et cela ne les avancerait pas à grand-chose puisqu’ils n'ont aucune idée de la longueur d'un mètre. Par exemple, en ville si vous demandez où se trouve le marché, ils vous donneront le renseignement en minutes. « C'est pas loin, c'est à dix minutes » ( à pied bien sûr ). Alors, pour décrypter le renseignement, vous devez considérer l'âge et l’état physique de votre interlocuteur.

 

     

 

Ici, dans l'île de Don Som, si j'hésite entre deux sentiers les habitants ont du mal à me renseigner, car tous les sentiers mènent au même endroit. Alors, je vais en me fiant à mon intuition. Je dois arriver au nord de l'île : je vais au nord. Parfois, je tombe dans une cour de ferme. Alors, ce sont des éclats de rire d'enfants, des saluts avenants d'adultes, des sourires de jeunes filles... Tous ces gens sont gênés de ne pas parler anglais, mais comme ils maîtrisent plus ou moins le thaï, car ils n'écoutent que la télé thaï, on arrive à s'entendre sur le sentier à suivre. Les fermes sont toutes bâties en bois, sur pilotis, couvertes de tôle. Au rez-de-chaussée, entre les pilotis, sous l'habitation principale, on a rangé quelques outils et l'on a disposé une grande table basse sur laquelle on s'assied pour causer avec les amis en buvant quelques petits verres de « lao-lao », cet alcool de riz qui rend les rencontres plus conviviales, mais qui vieillit prématurément ceux qui en abusent, donnant à leur visage une couleur noire et à leur peau l'aspect d'un vieux cuir basané. Au premier étage, on trouve la pièce commune avec l'inévitable poste de télévision, un coin-cuisine et les différents endroits où l'on déplie les nattes pour dormir. Pas de tables, pas de lits, juste quelques placards et penderies, l'ameublement est réduit à sa plus simple expression.

La description que je viens de faire est celle d'une maison de famille aisée, mais l'on trouve aussi, surtout dans les endroits un peu à l'écart du village, des masures bancales, dangereusement inclinées et qui risquent de chavirer et de se retourner comme une simple boîte au prochain coup de vent. Alors que je m'arrêtais pour demander ma route, j'ai vu une femme sortir précipitamment, récupérer deux petits enfants qui venaient vers moi et les ramener sous la maison comme le ferait une mère poule avec ses poussins. Évidemment, dans ce cas, pas la peine d'attendre une réponse à mes questions, ces paysans isolés n'ont ni l'électricité, ni la télé, ni la radio. Leur univers, c'est la rizière, les quelques volailles et têtes de bétail qui partagent leur quotidien et le « lao-lao ». Mis à part un temple coloré, doré, et une maison étonnamment cossue, je suis dans un endroit qui n'a guère évolué depuis plusieurs siècles.

 

  

 

Je retrouve le Mékong le long d'un sentier bordé de barrières de bambou, de charmants petits jardins et des petites maisons. Le sentier est toujours aussi étroit et en plus il est fréquenté par de nombreuses motos. Au loin, je distingue, sur l'autre rive, l'imposante masse blanche du nouveau pont. Je me sens rassuré. Ces seize kilomètres m'ont semblé une éternité ; une éternité vingt ans en arrière ! Je traverse sur un de ces bacs sommaires et je retrouve une bonne route asphaltée. Je passe sous le pont et j'arrive, au bout de cinq kilomètres, au village de Muang Không. Tout le secteur est en effervescence. C'est la fête foraine avec ses tirs à carabine, ses toboggans en plastique et son manège. Il s'agit d'un petit train de quatre wagons ou chaque enfant est assis devant un volant qu'il tourne dans tous les sens en faisant « brrrr ». Je traverse les nuages de fumée âcre des grillades de poulet, je longe les étals de marchands de vêtements et les inévitables boutiques de téléphones ou de tablettes.

Je vais manger une soupe de nouilles au « Pon's Riverside » et je reviens à Nakassang par la grande route. Il est deux heures et le soleil est au zénith. Je traverse le pont et trouve les vingt kilomètres qui me restent à parcourir très pénibles. J'ai le vent dans le dos et il me faut rouler à plus de vingt kilomètres-heure pour commencer à avoir de l'air. Pour comprendre la situation, imaginons qu’on installe le vélo d’appartement en plein soleil par une belle journée d’été où le thermomètre dépasse trente degrés, et qu’on pédale pendant une heure… Je ressens une affreuse sensation d'étouffement. Quand, arrivé à Nakassang, je traverse vers Don Det en barque, l'air me semble frais, je recommence à respirer.

Ce soir, comme tous les soirs, je reste au restaurant jusqu'à huit heures. Je suis tout seul, dans le silence, ou presque. En réalité, quand on se donne la peine d'écouter, on perçoit le souffle des grandes chutes de Ban Phapheng, la cohue d'une myriade de grenouilles, sur l'autre rive, le cri du margouillat dans les poutres de la toiture, le son strident d'une cigale dans le gros arbre voisin, et le clapotis du Mékong juste devant moi, à dix mètres. La lune passe parfois derrière les nuages, alors le fleuve devient aussi lumineux que le ciel. Les nombreux îlots touffus prennent des formes fantastiques, et si le pâle falot d'un pêcheur vient jeter une note mystérieuse à ce décor, alors je me sens loin de tout, dans la plénitude d'une de ces soirées tropicales dont il faut s'imprégner religieusement pour l'apprécier à sa juste valeur.

 

Samedi 6 décembre 2014.

Don Det

La journée est vite résumée : je n’ai rien fait d’autre que de laisser couler le fleuve et le temps…

 

     

 

Dimanche 7 décembre 2014.

Don Det - Don Không. ( 25 km ).

Je déjeune avec des œufs frits, du pain et du thé, puis je longe le sentier dans l'agglomération de bungalows jusqu'à la pointe de l'île. Il y a affluence sur la plage où l'on embarque pour Nakassang : que des touristes qui partent soit vers le Cambodge, soit vers Paksé. On les entasse dans deux pirogues. Je ne vois pas comment on peut caser mon vélo par-dessus tous les sacs et valises s'empilant à l'avant, alors j'affrète un de ces bacs destinés à transporter des motos ou des colis encombrants. Je préfère payer un peu plus et partir tout de suite. Debout sur la plate-forme, je me prends pour « Aguirre la colère de Dieu » descendant le fleuve sur son radeau. J'espère ne pas finir au milieu des singes ! À Nakassang, la rue est encombrée de piétons, de gens revenant du marché, de touristes allant vers la gare routière ou arrivant par bus, de triporteurs transportant des victuailles vers le petit port pour ravitailler les petits hôtels. Il est passé le temps où Nakassang n'était qu'un petit village traversé par un chemin boueux ou poussiéreux et où l'on avait du mal à trouver un paquet de biscuits. L'invasion touristique devance un peu les aménagements, mais la région évolue tout de même.

 

  

 

Je suis la N13, monotone et sans intérêt, je passe sur le nouveau pont que je commence à connaître et me revoici à Muang Không un lendemain de fête. On démonte les stands, on mange les dernières brochettes, même si elles ne sont plus très fraîches, mais plutôt que de jeter... Les terrains bordant la route sont couverts de détritus, de poches en plastique, de bouteilles. Quelques enfants loqueteux, un sac sur l'épaule, récupèrent les canettes en aluminium et les bouteilles en plastique. On leur en donnera quelques centimes. C'est ça le recyclage. Je m'installe à l'hôtel Pon's, je fais ma lessive et je regarde passer les nuages dans un ciel turquoise au-dessus du Mékong aux reflets d'acier. Sur l'autre rive, à deux kilomètres, un bouddha doré, assis parmi la verdure, domine la crête de la colline. Plus loin, un gros nuage gris s'effiloche et tombe en pluie. Il s'agit d'une de ces averses tombant brusquement, détrempant le sol, changeant la terre jaune en boue rouge et laissant une insupportable humidité.

 

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