Dernière modification: 15/05/2014

Retour à l'index (Sommaire du site)   

Sommaire "Voyages"

Sommaire carnet de bord

Cliquez sur les images pour les agrandir et sur les mots en couleur pour voir d'autres images.


Retour à la page précédente

Jeudi 27 février 2014.

Muang Sing - Xieng Kok.

Je suis réveillé à quatre heures, et je lis en attendant six heures. Je déjeune au Thai Lü guest house avec deux œufs frits et du pain qui ressemble plutôt à de la brioche. Je dois partir à Chieng Kok. Le patron de l'hôtel m'amène gentiment jusqu'à la gare routière en voiture. Je ne me sentais pas l'envie de porter mon sac à dos sur deux kilomètres. Je rencontre Jurian, un Hollandais qui parle français et qui va à Muang Luong, c'est sur la route, à cinquante kilomètres. C'est là que je dois changer de bus pour continuer. Nous nous installons dans un minibus en nous serrant convenablement, nous arrivons à caser treize passagers. Le chauffeur voudrait en mettre un de plus, mais je manifeste ma désapprobation avec fermeté, car cela nous obligerait à serrer les fesses à quatre sur une banquette prévue pour trois, et le voyage deviendrait un calvaire.

Nous quittons le village sur une route goudronnée, mais ça ne dure pas, et nous roulons bientôt sur une piste de terre si mal nivelée que seuls les véhicules tous terrains peuvent dépasser le trente kilomètres heures. Les cahots, la poussière, la chaleur, l’exigüité de l’habitacle, tout y est pour rendre le voyage pénible durant une heure et demie jusqu’à Muang Luong. Heureusement, je suis avec Jurian, et en nous racontant des histoires, des histoires de voyageurs, le temps passe plus vite. Le minibus est neuf, le chauffeur raisonnable conduit prudemment, et cela nous aide un peu. Je me souviens de ces voyages au Laos, dans les années quatre-vingt-dix, où les bus n’existaient pas. Il fallait monter dans des camions aménagés avec des banquettes de bois, sautant sur des pistes infernales et boueuses ou poussiéreuses. Le voyage était plus qu’une aventure : c’était un calvaire !

Nous arrivons à Muang Luong. Jurian compte rester dans ce petit village cette après-midi et ce soir. Quand je lui fais remarquer qu’il n’y a rien à faire ici, il me répond que c’est justement une bonne raison de s’y attarder… Me voilà seul sous un petit hangar miteux au milieu de nulle part, faisant office de gare routière. Heureusement que j’arrive à communiquer avec les gens, car sans parler la langue, je me sentirais un peu perdu ! Il reste vingt-six kilomètres à parcourir jusqu’à Xieng Kok. Il est onze heures et le minibus part à midi. Le prix : 200.000 kips, à partager entre les passagers. Si je suis tout seul, cela fait cher, mais si nous sommes dix, cela ne fait plus que 20.000 chacun, soit deux euros. Quatre personnes arrivent, s’assoient sur les bancs de bois et commencent à déballer leur riz gluant tassé dans un petit panier de paille tressée, leurs boulettes de poulet ou de porc emballées dans des feuilles de bananier et leurs sauces puantes et piquantes qu’ils ont pris soin de fermer dans des poches en plastique. Dans ces pays d’Asie du Sud-Est, les riches mangent beaucoup de temps en temps, les pauvres grignotent à longueur de journée. Deux autres passagers arrivent : c’est bon, je sens que nous serons assez nombreux pour partager le prix et que le minibus va partir. Jurian revient et décide de continuer jusqu’à Xieng Kok avec moi, car le village lui semble sans intérêt, alors il vaut mieux aller au bord du fleuve. Encore trois quarts d’heure d’une piste un peu mieux stabilisée, et nous voilà au bord du Mékong, dans un village accroché à plusieurs pentes le long du fleuve qui serpente parmi la végétation luxuriante. En face, c’est le Myanmar : pas de route, pas de maison, pas âme qui vive. Du côté laotien on a planté des légumes dans de petits jardins sur le limon fertile des rives, et des arachides dans le sable des plages au bord de l’eau. Nous prenons pension à Daosavanh G.H, une auberge d’où la vue sur le fleuve me permet d’évaluer le trafic. C’est encourageant, de nombreux bateaux montent ou descendent, donc, on devrait trouver facilement un moyen de rallier Houayxay dès demain.

 

     

 

Il est treize heures, en attendant que la chaleur tombe, je me lance dans une petite sieste réparatrice, car trois heures de piste cahotante, ça fatigue ! Quinze heures : mission accomplie, je suis réparé, frais et dispos pour descendre sur les berges du Mékong pour voir si quelque bateau ne nous prendrait pas demain matin. Un batelier nous confirme que nous pourrons partir vers six heures. Lui, il descend en fin d’après-midi, vers cinq heures et s’arrête pour dormir dans son bateau à la nuit tombée, c'est-à-dire vers sept heures. Dommage, mais nous avons notre chambre à l’hôtel, sans quoi une halte pour la nuit au bord du fleuve est aussi une expérience intéressante. J’avais vécu cela il y a une vingtaine d’années quand j’avais remonté le Mékong de Luang Prabang à Houayxay. La nuit, le souffle du fleuve devient une respiration, le clapotis des vagues sur les rochers et le frôlement de l’eau sur le sable de la plage semblent les pas de milliers d’êtres mystérieux. La nuit, le fleuve devient secret, inquiétant, rassurant, menaçant… Dans la pâle clarté d’un dernier croissant de lune, on finit par croire aux esprits hantant les eaux fougueuses du Mékong !

Jurian est parti visiter la contrée alors que je me « réparais ». Je fais un petit tour dans le village. Le marché est bien petit, on y vend surtout des pièces de tissu et des vêtements ou les objets usuels communs. Le guide Lonely Planet annonce deux importants marchés le 14 et le 28 de chaque mois ; il devrait donc y avoir de l’animation demain matin. Pour l’instant, c’est un peu triste ! Je vais boire une bière bien fraîche dans un restaurant assez vaste, mais désert. Il est dix-neuf heures, le patron commence à abaisser les panneaux qui servent de volets : il ferme. Je retrouve Jurian à l’hôtel, nous allons dîner avec une monstrueuse portion de poisson dans un restaurant plein de Chinois bruyants.

De nombreux bateaux dont l’un chargé de plusieurs dizaines de buffles, ont accosté sur la berge du Mékong. Cela vient corroborer l’information qu’il y aura un grand marché demain.

 

Vendredi 28 février 2014.

Xieng Kok – Houayxay – Chiengkong ( Thaïlande ).

 

     

 

Il fait encore bien sombre lorsque nous descendons sur la rive du fleuve ; presque tous les bateaux, sauf celui chargé de buffles, sont repartis avant le lever du jour. Nous avons le choix entre deux embarcations qui descendent dès six heures. Nous nous installons dans un bateau d’une vingtaine de mètres de long. Il est vide : nous avons de la place. Des couvertures sont étendues sur des cordes tout le long de la cale, car le bateau revient de livrer des cages de poussins en Chine, et il fallait les protéger du froid. En effet, il fait bien frais, ce matin et mon anorak n’est pas de trop ! Nous ne pouvons pas partir tant que le brouillard, de plus en plus épais en ce jour naissant gêne la navigation sur le fleuve. Nous attendons une bonne heure. Tchath, le pilote, nous offre un café bien chaud. Nous devinons les sommets des montagnes se découpant dans une brume épaisse. Puis le soleil laisse entrevoir son disque rouge dans la grisaille du matin. L’eau paraît noire et menaçante, les rives boisées du Mékong se perdent dans des vapeurs blanches courant au-dessus des remous. La surface du fleuve semble visqueuse, luisante comme de l’huile. Un long bateau descend lentement, prudemment, dans cette incertitude ; le danger principal, c’est la collision avec un bateau remontant le fleuve. Il est sept heures trente lorsque nous jetons les amarres. Aussitôt, l’embarcation est prise par le courant et un vent glacial vient nous fouetter le visage. La surface de l’eau clapote, s’agite en vaguelettes blanches, et de grands remous, entonnoirs glauques, secouent le bateau lorsqu’il les traverse. La première barre rocheuse approche. Le père de Tchath, un pilote expérimenté de cinquante et un ans communique par radio avec les bateaux remontant le Mékong, car aucun croisement n’est possible parmi les récifs de roches noires et tranchantes. Le moteur hurle, car en plus du courant, il faut accélérer pour garder la maîtrise de l’embarcation, aller plus vite que l’eau, sans quoi il devient impossible de gouverner. Le long bateau semble vouloir se mettre en travers, mais il se redresse brusquement et file dans un étroit goulet, sur une eau agitée, tumultueuse. Pour rendre l’aventure un peu plus piquante, le brouillard s’épaissit jusqu’à ne laisser que cent mètres de visibilité. Tchath reste en communication grâce à la C.B avec les bateaux remontant, de façon à ne pas se trouver face à face dans un passage étroit, au moment où nous descendons à pleine vitesse. Effectivement, nous voyons surgir, au dernier moment, dans les endroits plus larges, d’autres bateaux comme sortis de nulle part, avalés aussitôt par l’épaisse brume que le soleil déjà haut rend, par transparence, éblouissante. Puis ce voile éclatant se déchire, tente de s’accrocher aux derniers creux des vallées, aux arbres des crêtes, sème sur le fleuve des lambeaux de vapeurs grises, et le soleil donne des couleurs éclatantes à ce paysage glauque et terne. Le décor perd en mystère ce qu’il gagne en beauté. À notre droite la rive birmane où de temps en temps la misérable paillote d’un saigneur, à l’orée d’une forêt d’hévéas ne laisse soupçonner aucune vie humaine. Pas un poulet, pas un chat ni chien : le désert. Les toits d'un temple surgissent au-dessus des bambous comme une échine de dragon... Du côté laotien, sur notre gauche, quelques villages bordent une piste en terre sur laquelle quelque véhicule traîne son panache de poussière rouge. Nous n’avons pas vu un oiseau de la matinée, ni un héron ni un moineau. Le père de Tchath nous invite à partager son repas : des nouilles avec du poulet accompagné de l’inévitable riz gluant. Je sors la dernière petite boîte de pâté de foie de porc qui reste au fond de mon sac : le partage enrichit.

Nous arrivons à Muang Phung. Le fleuve s’est élargi, l’eau s’est calmée. Notre bateau ne va pas plus loin, et cela ne nous importe guère, car rejoindre Houayxay par la route nous fait gagner plus de trois heures. Nous avions négocié le prix à quatre cents bahts par personne avec Tchath, et nous sommes tellement satisfaits que nous lui offrons chacun cent bahts de plus. Nous venons de vivre un de ces instants qui restent dans la mémoire parmi les meilleurs souvenirs de voyage… Ça n’a pas de prix !

Nous accostons et on place une planche instable en guise de passerelle.

Il nous reste à peu près quatre-vingts kilomètres à faire par la route et nous voilà sur la rive du fleuve. Pas un véhicule à l’horizon, sauf un minibus dont le propriétaire nous demande deux mille, puis mille cinq cents bahts. Ici, on paye en bahts ou en kips, indifféremment. Je réussis à ramener le prix à mille. Pour une heure de trajet, c’est presque correct ! Cela vaut mieux que d’attendre deux heures un songtaew qui risque d’arriver bondé et qui va nous faire faire « le laitier » pendant deux heures sur la route.

Houayxay m’avait laissé le souvenir d’un village aux tristes maisons de bois, il y a vingt ans, et je retrouve une petite ville animée, fréquentée par de nombreux touristes, avec toutes sortes d’hôtels et de restaurants. Un long viaduc traverse le Mékong et porte le nom pas très original de « pont de l’amitié ». Tous les ouvrages de ce genre portent ce nom au Laos… Peut-être parce que ce sont les « amis » qui ont payé ?

Jurian reste à Houayxay, et avant de se quitter, il tient à me payer le restaurant. C’est le « repas de l’amitié ». Dans la rue, je rencontre un Français qui vitupère contre les Laotiens et le Laos. Il habite ici, et il se qualifie « d’expatrié ». C’est caractéristique d’un état d’esprit assez lamentable : soit on se dit « résidant » dans un pays d’accueil, soit on se dit « expatrié » avec la terre de sa patrie collée à ses semelles ! J’ai bien connu ce genre de personnage lorsque j’étais coopérant en Iran ou en Tunisie. Je ne comprends pas pourquoi quand on a tant de rancœur contre le pays dans lequel on réside on continue à y vivre ? Qu’ils rentrent en France ! Et alors, se montrant xénophobes, ils agiteront des banderoles sur lesquelles ils écriront « La France on l’aime ou on la quitte » dans des manifestations pour défendre « l’identité nationale ».

Je me rends à la gare routière à une douzaine de kilomètres de la ville, j’attends pendant une heure trente le bus qui me mène au poste frontière de Chieng Kong où le visa gratuit pour la Thaïlande est repassé de quinze à trente jours. Je vais à l’hôtel Green Inn où pour deux cents bahts, j’ai une chambre avec vue sur le Mékong, mais maintenant, c’est le Laos qui est en face.

Le soir, je vais manger une soupe près du fleuve, puis je vais m’asseoir sur un tronc d’arbre un peu à l’écart d’une fête où la musique vocifère et les danseurs s’en donnent à cœur joie, acceptant de payer des filles en uniforme pour danser avec eux. L’ambiance est chaleureuse, la fumée des grillades rajoute un petit côté festif à ce bal en plein air.

 

    ...drôle de cheval !


Page suivante

Sommaire carnet de bord

Sommaire "Voyages"

Retour à l'index (Sommaire du site)