Dernière modification: 27/04/2014

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Mercredi 1er janvier 2014.

Surin.

Une heure et demie de retard à l’arrivée à Surin, c’est parfait. Je reviens à la maison pour entendre les pétards exploser dans tous les coins toute la journée. J’apprends que pendant mon absence Noy a été heurté par une moto. Le motocycliste est resté sonné sur la route pendant un bon quart d’heure, mais comme quand il a repris ses esprits, qu’il savait plus ou moins où il habitait et que sa moto pouvait encore le porter, il est reparti chez lui pour soigner son mal de tête ! Bah ! je me souviens étant enfant à Maucor, d’une dame ayant fait une chute de mobylette devant chez nous, ma mère l’avait réconfortée avec un sucre et de l’alcool de menthe, car elle ne savait plus ce qui lui était arrivé, mais dès qu’elle avait pu tenir sur ses jambes, elle était repartie avec son nez comme un chou-fleur ! Ici, c’est pareil : on n’appelle l’ambulance que quand on ne se relève pas. Et peut-être que dorénavant le motocycliste mettra le casque, mais ça, ce n’est pas sûr, car pour être convaincus de l’utilité du casque, il faut qu’ils se tuent. Noy, lui aussi a eu très mal, il a uriné du sang, il s’est traîné comme il a pu jusque dans un coin, et voilà trois jours qu’il ne mange plus. J’arrive tout juste à lui faire avaler deux croquettes. Il me regarde avec un air triste comme s’il avait peur que je le gronde.

 

Jeudi 2 janvier 2014.

Surin.

Difficile de dormir avec des explosions dans tous les coins du quartier. Je crois même parfois que ceux qui travaillent sur des chantiers ont ramené des bâtons de dynamite, car certaines explosions sont assourdissantes ! non loin de chez nous, il y avait un bal en plein air certainement avec de la musique thaï, puis des classiques de musique disco anglo-saxonne des années 80. Le D.J n’avait pas fait un trop mauvais choix, ça m’empêchait de dormir, mais ça ne m’énervait pas. Il n’y avait pas de techno ni de rap ! À trois heures du matin, ils ont passé un film qui a duré jusqu’à cinq heures. C’était un peu moins bien que la musique : il y avait des hélicoptères qui tiraient sur des soldats qui répliquaient avec des armes automatiques et des grenades, puis l’hélicoptère s’est écrasé, et il y a eu un peu moins de bruit par la suite ! Je n’ai pas vu le film, mais j’ai pu suivre : c’était intéressant ! Quand tout a été terminé, vers cinq heures comme je viens de le dire, j’aurais peut-être pu enfin dormir, mais malheureusement ceux qui revenaient de la fête passaient devant la maison à pied, alors les chiens du voisin n’arrêtaient pas d’aboyer, et même Noy s’y est mis. Bon, d’accord, c’était pas terrible, mais en fin de compte, j’étais heureux, car je supposais que Noy allait un peu mieux.

 

Vendredi 3 janvier 2014.

Surin.

Les explosions de pétards se sont espacées, il n’y a plus que ceux qui vident leur stock qui prolongent un peu la fête. Il fait un peu moins froid le matin, un peu plus chaud l’après-midi, et je sens que bientôt, je vais me plaindre de la chaleur accablante ! Noy est pratiquement guéri. Il marche un peu en crabe, il n’ose pas courir, mais il a retrouvé l’appétit ! en France, on aurait dépensé une somme considérable pour le vétérinaire… Ici, les chiens sont indestructibles ! Ça fait faire des économies !

 

Du samedi 4 au samedi 11 janvier 2014.

Surin.

À celui qui prétend qu’à rester inactif on s’ennuie, je lui demande de venir ici quelques jours, et je vais lui montrer comment il faut faire, ou plutôt « comment il faut ne rien faire ». Je me complais dans mon oisiveté, je me vautre dans un farniente délectable. Voltaire a dit, un jour où justement il devait se sentir fatigué : « Il vaut mieux mourir que de traîner dans l'oisiveté une vieillesse insipide ; travailler, c'est vivre ». Je ne sais pas si je traîne une vieillesse insipide, mais ce que je sais, c’est que je n’ai même plus la force de traîner ma propre flemme ; alors, je l’ai déposée là, tout près, et je suis allongé, à l’ombre, à somnoler sur un livre qui n’arrive pas à me captiver. J’ai une excuse : je suis un peu malade depuis jeudi, jour où j’ai, par mégarde, laissé tomber une pincée, juste une petite pincée, de piment en poudre dans ma soupe. J’ai voulu la manger tout de même, j’y suis arrivé, mais voilà que mes intestins me reprochent mon manque de circonspection. On ne peut pas toujours penser aux conséquences, ni s’empêcher d’avoir la main lourde. Alors, maintenant, je ne peux plus m’empêcher d’aller aux toilettes toutes les dix minutes. Bien sûr, ça me fait une occupation…

 

Dimanche 12 janvier 2014.

Surin.

Maintenant, je suis réellement malade, et je me demande si le piment est le seul responsable de ce qui commence à ressembler à un empoisonnement. J’ai les pieds et les mains glacés, la tête en feu, le ventre qui gargouille, des frissons qui me secouent avec de petits tremblements qui font peur à Amnoay… L’eau que je bois ne fait que traverser mon corps en dix minutes. Bien sûr, j’ai des médicaments ( Ercéfuryl ) donnés vendredi par le pharmacien, et en plus, les Thaïs ont leurs remèdes « maison » : Lam ( la sœur d’Amnoay ) me fait ingurgiter de l’eau tiède salée — alors là, je me demande comment je fais pour ne pas vomir ensuite ! — des bananes qui me semblent écœurantes, de la limonade ( « Sprite » ) avec une pincée de sel, une soupe de riz salée, si épaisse que quand j’y plonge ma cuillère, j’ai l’impression de gâcher du plâtre… et Amnoay me masse. À l’hôpital, ils ne feraient pas mieux, et en plus, pour aller là-bas, il me faudrait emmener en guise de couche, la cuvette des WC fixée à mon fondement !

 

Lundi 13 janvier 2014.

Surin.

Aujourd’hui, je ne suis guère mieux, car je dois ajouter quelques lancinantes douleurs abdominales ! J’ai un peu de mal à écrire, mais paradoxalement, c’est maintenant que je ne suis pas en forme que je deviens le plus dynamique, comme pour conjurer ce mauvais sort qui commence à me démoraliser ! Amnoay me soigne par des massages des … pieds. Elle prétend que j’ai l’estomac dans les talons et l’intestin grêle sous la plante des pieds.

Bangkok est en ébullition : des centaines de milliers de personnes ont décidé de « bloquer la ville ». La nouvelle a été annoncée à la télé depuis une bonne semaine, et les autorités ne font rien pour empêcher ces manifestations qui peuvent engendrer un cataclysme économique. Alors qu’habituellement on ne peut pas faire un pas sans voir des policiers, aujourd’hui, on n’en voit pas un ! Bizarre ! Complicité, laxisme, ou peur de ne pas être à la hauteur en cas de problème ? Les grands axes permettant de sortir ou d’entrer dans la capitale ont été barrés avec des sacs de sable, de grands chapiteaux montés au milieu des avenues, et une foule enjouée agite de petits drapeaux tricolores aux couleurs du pays, et souffle dans des sifflets stridents. L’instigateur du mouvement ( Suthep ), arpente les rues en saluant des gens imaginaires à des balcons imaginaires et en montrant un visage à la lippe haineuse… Pas de doute, il s’inspire sans complexe de l’attitude de personnages fascistes qui n’ont pourtant rien de glorieux dans l’histoire contemporaine ! La foule est servile : elle a été payée pour défiler et pour applaudir, alors elle défile et elle applaudit. Elle en profite pour bien s’amuser, car ici tout devient aussitôt une fête, même les enterrements, alors les gens se sont affublés de cocardes, de bracelets, de rubans, de chapeaux ou de casquettes aux couleurs nationales et ils agitent les petits drapeaux que l’on a eu bien soin de leur distribuer ! Et moi, une foule qui agite des drapeaux nationaux, je trouve toujours cela inquiétant, ce nationalisme entraînant inévitablement la xénophobie et l’isolationnisme. Quand on sait que Suthep est l’ancien vice-premier-ministre du gouvernement militaire précédent qui avait pris le pouvoir sur un coup d’État alors que le premier ministre de l’époque, Taksin se trouvait à l’étranger, et que ce gouvernement ubuesque cherchait par tous les moyens à entrer en conflit avec le Cambodge pour une sombre histoire de temple khmer à la frontière est du pays, on sait qu’on ne peut rien attendre de très pacifiste de sa part. Il tente de manipuler les gens pour les faire glisser d’un sincère nationalisme vers un nécessaire patriotisme. En Europe on connaît ça, on a déjà donné !

Mais que demandent donc tous ces manifestants ? Ils voulaient, en novembre, la démission de Mme Yingluck élue avec une grande majorité il y a deux ans, après les violentes manifestations demandant le départ du gouvernement illégitime de Suthep qui n’hésita pas à ordonner à l’armée de tirer sur la foule, faisant au moins 90 morts et des centaines de blessés. Mme Yingluck a tenté de rester première ministre par respect à la constitution, mais au bout de quelques jours, elle a démissionné en annonçant de nouvelles élections pour le mois de février. Tout aurait dû rentrer dans l’ordre, mais Suthep sait que si les Thaïs repassent par les urnes, lui, il ne sera certainement pas réélu : alors, il veut faire annuler ces élections et être nommé premier ministre. La haute bourgeoisie de Bangkok, les chefs de grosses entreprises et une partie de l’armée dont on ne connaît pas l’importance le soutiennent, et le peuple, celui qui a tout à perdre dans l’histoire défile dans les rues, car on lui a donné 400 bahts ( presque 10 € ), pour défiler. Cette foule inculte en histoire et en politique n’a jamais entendu parler de la folie d’un dirigeant fanatique ayant pris le pouvoir en 1975 au Cambodge ( Pol Pot ) et ayant changé le pays en immense camp d’extermination; ils ne savent rien de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ils ne savent même pas ce qu’est une « monarchie constitutionnelle »… Alors, on pique-nique sur les avenues désertes où d’habitude les embouteillages et la pollution rendent la vie un peu pénible, on danse et on chante, on siffle et on fait du vent avec des drapeaux, on s’amuse, c’est la fête ! Pendant ce temps, les investisseurs étrangers commencent à se fatiguer, car en 2011 l’aéroport et une partie de la ville avaient été bloqués plusieurs semaines par les manifestants, puis il y eut les inondations qui paralysèrent le pays, puis l’instabilité, et maintenant le risque de voir un gouvernement s’écrouler et l’armée prendre le pouvoir sur un nouveau coup d’État ; alors, ils commencent à envisager des délocalisations. ( Nikon fait fabriquer au Laos, des appareils qui sont montés en Thaïlande ). L’ouvrier d’usine qui s’amuse aujourd’hui est peut-être en train de se tirer une balle dans le pied.

En conclusion, les gens défilent sans revendications précises, et leur égérie veut faire croire qu’ils bloquent la capitale pour empêcher les prochaines élections de février ! La Thaïlande serait donc le premier pays dont le peuple s’active à empêcher des élections démocratiques, alors que les habitants du pays voisin, le Myanmar, se font tuer pour obtenir ce droit de vote ! Si l’on voyait naître une démocratie birmane et s’installer une junte militaire thaïlandaise, les grosses entreprises de la zone industrielle de Bangkok n’auraient pas besoin de délocaliser trop loin !

Toutes les provinces au nord de Bangkok sont favorables au gouvernement actuel, ils sont pour les « chemises rouges », mais ils ont pour consigne de ne pas bouger et surtout de ne pas affronter leurs adversaires, car ce serait le bon prétexte pour que l’armée intervienne et prenne les rênes du pays.

Alors, cette histoire rend la croissance du pays bien aléatoire, et quelle qu’en soit l’issue, la Thaïlande s’en ressentira très vite !

 


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