Dernière modification: 23/03/2013
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Lundi 16 décembre 2012. Kanchanaburi - Sangkhlaburi. Nous prenons la route qui suit le chemin de la mort, c'est-à-dire la sinistre voie ferrée passant par le fameux pont. C'est la route menant vers le Myanmar. La jungle a fait place à des cultures diverses, petits champs de maïs, ignames, bananiers à demi dévorés par des broussailles qui semblent vouloir reprendre le dessus dès qu'on leur laisse un peu de liberté. Les habitations se font plus rares jusqu'à devenir de pauvres maisons de bois couvertes de tôles rouillées et autour desquelles règne toujours un désordre indescriptible. La route devient sinueuse et le chauffeur ne s’embarrasse pas des véhicules plus lents : il les double ! Quand la route est droite, les usagers arrivant en face ont heureusement la bande d’urgence pour se réfugier, mais dans les longues courbes sans visibilité, j’ai toujours peur qu’un autre chauffeur aussi inconscient que le nôtre soit en train de doubler… alors, à quatre de front, nous avons peu de chance de pouvoir passer ! Mais par chance, cette situation catastrophique ne se présente pas ! La montagne se fait un peu plus découpée, avec de sinistres falaises calcaires, taches grises dans cet univers émeraude. Des lianes feuillues partent à l’assaut d’arbres immenses qu’elles finissent par étouffer et par habiller comme des silhouettes de fantômes encapuchonnés. Ici, ce sont des racines aériennes qui descendent des branches les plus hautes et partent à l’assaut de la terre, rendant ainsi les sous-bois encore plus impénétrables. De-ci de-là, les lourds plumets des bambous aux feuilles oblongues ajoutent une petite note gracieuse dans cet univers où l’on devine une lutte sans pitié pour la survie. Même les plus grands arbres n’échappent pas à cette loi, et ils finissent par être victimes de termites qui ne laisseront à leur place qu’un immense cône de terre ocre. Parfois, le squelette d’un teck immense, tronc rectiligne blanc, monte à plus de quarante mètres terminé par une main de bois aux doigts crochus. Dans une minuscule clairière gagnée difficilement sur une nature aussi exigeante, des bananiers et un petit champ d’ignames côtoient une misérable habitation vermoulue bancale, couverte d’un toit de tôle rouillée. Si je comprends que les habitants n’ont pas choisi de naître ici, je ne comprends pas comment ils peuvent accepter d’y rester pour mener une vie aussi difficile. Nous arrivons à peu près à l’endroit où, en 1943, la voie ferrée venant de Birmanie rejoignit celle venant de Kanchanaburi. Les deux équipes de forçats eurent droit à une fête d’inauguration organisée par les Japonais, et on leur offrit même la joie de pouvoir profiter de bordels ambulants amenés jusqu’ici pour la circonstance. De pauvres jeunes filles Karen ou Môn avaient été raflées dans les villages alentour. Les prisonniers, de l’état de victime, passaient ainsi à celui de bourreau… Il en va ainsi de l’être humain ! On n’arrivera jamais à avoir de belles victoires bien propres à opposer à de méchants tortionnaires. Soudain, le lac de retenue de Khao Laem vient trouer la jungle de son étendue bleue étincelante au soleil. Il s’agit d’une retenue artificielle, cernée de collines ou de falaises plus ou moins abruptes. On m’avait vanté un décor merveilleux, je ne trouve qu’une étendue d’eau sur laquelle des pêcheurs ont disposé de pauvres radeaux de bidons métalliques sur lesquels ils ont érigé d’affreuses cabanes de bois couvertes de tôles. Je ne voudrais pas être chauvin, mais quand on connaît la beauté de nos lacs de montagne, on n’est pas disposé à s’émerveiller aussi facilement ! Le car grimpe une pente si raide, parmi les broussailles et les tecks aux larges feuilles, qu’il s’essouffle, s’arrête presque et avance maintenant en première courte, au pas. Je me demande même, par moments, s’il ne risque pas de repartir en arrière. Du sommet, le panorama sur le lac se fait plus large, mais pas plus beau, et nous entamons une descente aussi pentue que la montée précédente. Dans notre sens, la voie sinueuse est bordée de murs de béton. Nous descendons au pas ; l’odeur de freins surchauffés me prend à la gorge. Les passagers ont mis un mouchoir devant leurs narines et attendent patiemment que l’air redevienne respirable. Je pense que si les freins lâchent, guidés par les murs de béton, nous allons éprouver les joies sublimes d’une descente en « bobsleigh ». Quand nous nous retrouvons dans la rue de Sangkhlaburi, écrasé par un soleil de plomb, à moitié suffoqués, nous n’avons qu’une envie : plonger dans un baquet d’eau fraîche !
Lundi 17 décembre 2012. Sangkhlaburi. Il fait presque frais, ce matin et nous décidons de nous rendre au « col des trois pagodes », à la frontière birmane. Nous n’avons que quelques pas à faire depuis notre hôtel ( « Sangkhalia inn » ) pour nous rendre à la gare des songtaews. Les véhicules, pick-up de couleur verte sont garés autour d’une cour poussiéreuse, quatre personnes attendent sur des bancs boiteux. Rien ne bouge, rien ne laisse prévoir le départ d’un véhicule. Pourtant, au bout de quelques instants, l’une des camionnettes démarre, vient se ranger devant nous et le chauffeur nous fait signe de monter. Nous longeons le marché en klaxonnant pour avertir d’éventuels voyageurs. Deux jeunes femmes ainsi qu’un homme sans âge, à la peau plus foncée que les Thaïs montent. Ce sont certainement des réfugiés birmans. Durant les vingt-deux kilomètres jusqu’à la frontière, ils se feront rançonner à chaque poste de police : cent bahts ici, deux cents plus loin… ils ont un permis de séjour, mais si les policiers veulent jouer au poker ce soir, il leur faut un peu d’argent de poche ! Ici, ces pratiques ne heurtent personne : c’est entré dans les mœurs ! J’étais déjà venu au col des trois pagodes il y exactement vingt et un ans. Trois petits stoupas presque en ruine se remarquaient à peine parmi les herbes folles, à l’orée d’une forêt d’où de menaçants hommes armés nous surveillaient, cachés derrière de gros arbres. Les visiteurs ne se bousculaient pas ! Aujourd’hui, une route bordée de réverbères descend jusqu’aux « pagodes ». Elles sont cernées par un marché de produits birmans. On y trouve de beaux meubles de bois sculpté avec art, des bijoux de pacotille, et surtout des colliers ou des bracelets d’onyx de toutes couleurs. Ces pierres viennent pour la plupart de Chine. Les stoupas ont été repeints, entourés d’une pelouse entretenue, et le poste frontière s’est doté d’une barrière et d’un bâtiment pour les policiers. On ne peut pas encore se rendre au Myanmar par ce poste frontière, mais les relations entre les deux pays s’améliorant un peu plus chaque mois, je pense que dans quelques années cela sera possible. On nomme « col des trois pagodes » cet endroit situé au creux d’un vallon, mais il ne faut pas s’attendre à trouver ici un endroit montagneux ; c’est juste un lieu de passage emprunté plusieurs fois par les Birmans venant piller le royaume de Siam. Les armées harnachées pour le combat, les éléphants caparaçonnés d’or, les dignitaires drapés de soie, dans leurs palanquins, tout ce beau monde passait par ici. Les Japonais aussi avaient fait passer leur voie ferrée infernale en ce lieu. |
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