Kyaukme Myanmar

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Samedi 8 janvier 2011.

Mandalay - Kyaukme.

Le réveil sonne à trois heures. Je ne suis pas trop paresseux pour me lever, et j'en suis le premier étonné. À l'hôtel, ils m'avaient promis de me réveiller, mais heureusement que je ne comptais pas sur eux, car tout le monde dort. Ils m'avaient dit que le taxi serait devant la porte, mais pas de taxi... Ils sont bien gentils, mais il ne faut pas trop compter sur eux. Heureusement que je ne me suis pas levé au dernier moment comme je le fais habituellement ! Je marche dans la nuit noire au milieu de la rue, c'est moins dangereux de trébucher dans une ornière que de tomber dans une bouche d'égout manquant sur le trottoir. Dans tous ces pays d'Asie du Sud-Est, les gens ont des yeux de chat. Une personne que je ne vois pas dans les ténèbres, sous les arbres, m'interpelle : « Where do you go ? » Comme je ne suis pas très bon en anglais, je comprends facilement, alors je réponds : « I am going to the train » et j'ajoute « tchou tchou tchou » pour ne pas que le fantôme que je n'ai pas encore vu m'amène à la gare routière. Car je suppose qu'il s'agit d'un de ces motocyclistes qui passent leur vie dans la rue. Tels les Huns d'Attila qui dormaient sur leur monture, ces gens-là dorment sur la selle de leur moto, prêts à démarrer à n'importe quel moment. Nous allons à la gare par des rues complètement désertes, souvent pas éclairées. Même près de la gare, il n'y a que quelques chiens pelés et faméliques. Je n'ai aucun mal à trouver mon train : il est à quai et déjà bien rempli. Les passagers de troisième classe voyagent avec des baluchons, des sacs ou des cartons bien plus gros qu'eux, et ils convergent vers le train, leur charge sur la tête. Ils me font penser à ces fourmis qui transportent des feuilles cent fois plus grandes qu'elles, ou à ces bousiers qui poussent une grosse boule devant eux. J'ai pris une place en première classe. Il ne faut pas s'attendre à de la moquette dans les travées, la seule différence étant le prix un peu plus élevé. De ce fait, il y a moins de passagers, et nous sommes, en principe plus à notre aise. Il y a tout de même des sacs sous les sièges, et des paquets un peu partout. Je monte donc dans le wagon première classe. Une lumière diffuse me permet de distinguer quelques visages luisants sous les petits plafonniers. Je sens par contre tous les yeux tournés vers moi. Place numéro douze. Bien sûr, elle est déjà occupée. Des paniers devant les pieds, un jeune couple avec un bébé s'était confortablement installé. On me fait une place à côté de la fenêtre, on enlève les paniers pour m'assurer le maximum de confort. En face de moi, une femme plutôt ronde, à qui je ne peux donner d'âge, somnole, assise en tailleur sur son siège. Elle me fait penser au Bouddha Chinois. Mes yeux s'habituent à l'obscurité. Pour l'instant, je suis le seul touriste. Personne ne s'intéresse plus à moi, chacun ayant pour seul souci de continuer la nuit de sommeil qu'ils ont, comme moi, interrompue. Les uns sont vêtus d'anoraks, les autres coiffés de bonnets de laine ou de capuchons parfois bordés de fourrure. Je me croirais presque dans la Cordillère des Andes ! Hurlements de sirène, rugissements de la machine, claquements des wagons qui semblent se désolidariser : le train démarre tout lentement. Dès la sortie de la gare de triage, nous nous retrouvons en rase campagne ou du moins je le suppose, car je ne vois aucune lumière derrière la haie d'arbres qui borde la voie. Nous ne tardons pas à nous arrêter dans une sinistre petite gare totalement plongée dans les ténèbres. Des marchands sont accroupis à même le sol derrière un plateau au centre duquel une chandelle vacillante laisse deviner des pâtisseries dorées. Des chiens qui me semblent en bonne santé tournent autour, en attendant quelques reliquats de repas tombés d'une fenêtre du train. Des femmes passent, un plateau de beignets sur la tête, une chandelle plantée dans l'un des beignets pour éclairer. Le plateau étant juste à hauteur de la fenêtre, les voyageurs se servent, puis tendent un billet... C'est tout simple. Le silence est surprenant, le conducteur a même arrêté le moteur de la locomotive. Nous restons là une éternité, ou du moins il me semble, car, comme tous les autres passagers, je somnole. L'intérieur du wagon est tout à fait silencieux. Les quelques bruits qui parviennent de l'extérieur semblent étouffés. Dans ces ténèbres, le hurlement de la locomotive semble encore plus sinistre. Le train a du mal à s'élancer : le roulis et le tangage sont un peu inquiétants, on se demande comment font les wagons pour rester sur les rails. Le convoi ne dépasse que rarement les trente kilomètres à l'heure. Le jour ne semble pas vouloir se lever. Nous avançons parmi des branches qui fouettent les wagons, parfois entre deux parois rocheuses si étroites que si je me penchais à l'extérieur, j'en perdrais la tête. Je devine, avec le ciel qui blanchit, un paysage de montagnes boisées. La voie s'élève, le diesel de la motrice hurle, peine, les wagons grincent. Le train s'arrête en pleine jungle. Soudain, j'ai la sensation que nous reculons, et de plus en plus vite... En effet, les parois rocheuses des côtés défilent dans l'autre sens. Les passagers continuent à dormir, et les rares personnes éveillées ne semblent pas s'affoler. J'ai pourtant la désagréable impression que notre wagon s'est détaché et dévale la pente. Au risque d'y laisser ma tête ou au mieux mon scalp, je me penche au dehors et constate avec soulagement que la locomotive nous suit, toujours accrochée au convoi. Je me souviens d'avoir déjà vécu une expérience semblable en 1981 en allant au lac Inlé, à l'est du pays. La voie monte en lacets. Comme le train ne peut pas négocier les virages serrés en épingle à cheveux, il fait des allers et retours, un coup en avant, un coup en arrière, en s'élevant d'une cinquantaine de mètres à chaque fois. Le jour s'est levé, je vois, en contrebas un tunnel dans lequel nous venons de passer, et, tout à fait en bas, les premiers « lacets ». Nous atteignons une altitude de plus de mille mètres, et l'air est vif. Les bonnets de laine se sont un peu plus enfoncés sur les yeux, on a mis une couverture par-dessus l'anorak, les passagers ressemblent à des tas de chiffons sans formes. Le train traverse de petits villages aux maisons couvertes de chaume. Quelques buffles aux cornes énormes pataugent dans des mares boueuses. Les paysans font brûler les chaumes amassés dans un coin du champ, certaines parcelles ont été labourées, d'autres d’un superbe vert fluorescent sont plantées de semis de riz. Je remarque beaucoup de potagers, et lorsque le train s'arrête, le quai est envahi de marchandes de légumes et surtout de carottes.

         

Un grand canyon aux falaises rousses couvertes d'une végétation luxuriante apparaît sur la droite. Nous allons le traverser sur le plus long et le plus vieux pont de chemin de fer du pays. Je ne tarde pas à l'apercevoir : une structure métallique grise barrant le canyon. C'est le viaduc de Gokteik construit par les Anglais, qui colonisaient alors la Birmanie, en 1901. Il domine le fond du canyon de quatre-vingt-dix-sept mètres, et a une longueur de six cent quatre-vingt-huit mètres. On m'avait parlé d'un pont qui craquait sous le poids du convoi, d'un train qui traversait au pas en penchant dangereusement vers le vide... Tant pis pour les émotions fortes, mais le pont a été réparé, consolidé, rénové il y a quelques années, et rien ne craque ni ne grince, et je n'ai même pas peur ! Je suis un peu déçu, car je suis venu spécialement ici pour ce pont. Dans le wagon, les passagers ne jettent même pas un coup d'œil : ils mangent des nouilles dans une poche en plastique, avec des baguettes.

     

Depuis quatre heures ce matin, les quelques petits enfants se trouvant dans le wagon ne se sont pas manifestés. Un petit garçon de quatre ou cinq ans se promène en silence dans la travée de temps en temps. Je repense aux deux gosses qui ont dérangé tout le wagon du TGV entre Pau et Paris le 6 décembre, et je me dis que l'éducation des enfants en France laisse à désirer, ou alors peut-être que c'est le manque de civisme des parents qui est en cause...

Quand le train arrive à Kyaukme, la gare est si petite, si perdue dans la campagne, la ville si insignifiante que je n'ai pas envie de descendre, ou alors juste pour attendre le premier train qui se présentera dans l'autre sens. La rue devant l'hôtel "A Yone OO" est poussiéreuse, car il n'y a qu'une étroite bande goudronnée au centre, et entre cette bande et les trottoirs, de la terre qui produit une bonne poussière jaune dès qu'un véhicule roule dessus. Je fais quelques photos près du marché et cela amuse beaucoup les marchandes de légumes. Il n'y a pas grand-chose à faire ici, mais au moins j'aurai une idée de ce que peut être la vie dans un gros village agricole.

Le soir, à l'hôtel, je dévore un poisson cuit sur le gril et des brochettes de porc : un vrai festin arrosé d'une délicieuse bière fraîche. On me sert un petit bol de soupe claire dans laquelle trempent des choses bizarres, comme des rondelles de citron séchées. Je ne sais si c'est une soupe ou un rince-doigt. Alors, je commence par en boire un peu. C'est très parfumé, et je finis par m'en servir pour me laver les doigts. Les deux fois, j'ai fait attention que personne ne me voie pour n'avoir l'air ridicule ni dans un cas ni dans l'autre.

 

Dimanche 9 janvier 2011.

Kyaukme - Pyin U Lwin ( Maymyo )

     

Je me réveille à cinq heures, et je suis prêt à commencer une journée chargée s'il le faut. Je prends mon petit-déjeuner à l'hôtel : des toasts, un œuf frit, de la confiture et du café, avec des bananes au dessert. Dans presque tous les hôtels, le petit-déjeuner est compris dans le prix de la chambre, et c'est toujours le même menu, avec de la confiture de fraise... Je n'ai rien d'autre à faire que de reprendre le train pour revenir à Pyin u Lwin. Ce n'est pas loin, mais avec le train local, ça risque de faire un peu long, car il ne roule jamais à plus de trente-cinq kilomètres à l'heure. Je vais à la gare à neuf heures et demie, on me fait mon billet en trois exemplaires, avec trois tampons sur chaque exemplaire. Il me faut présenter mon passeport pour obtenir le billet. Il ne faut pas se laisser aller à la paranoïa : cela ne sert pas à grand-chose, nous ne sommes pas suivis aussi méthodiquement qu'on le dit. En attendant le train, des gens viennent me parler, en anglais, de futilités. Il est certain qu'ils ne comprennent pas bien pourquoi je suis seul. Il n'y a que les personnes abandonnées par tout le monde qui voyagent seules ! Des voies toutes tordues luisent entre les herbes. Je me demande comment fait le train pour ne pas dérailler, et ça explique pourquoi il roule à vingt à l'heure. Peu à peu, les passagers arrivent, portant de gros baluchons. Dans les wagons de troisième classe, on n'a même plus la place pour s'asseoir. Il y a de tout : des fagots, des cages à poules, des montagnes de sacs de riz, des baluchons et même des traverses de chemin de fer.

J'entends le train klaxonner avant de le voir. Il arrive enfin, tracté par une belle locomotive bleue et rouge, dans un grincement de freins strident. Les énormes paquets disparaissent du quai. Je suis placé avec deux Chiliens et un couple de Français. Le convoi redémarre et tangue sur les voies tordues. Par moments le wagon penche tellement qu'on craint qu'il ne se renverse dans la rizière en contrebas. Nous repassons sur le pont métallique, et nous n'avons toujours pas peur. C'est le seul endroit où le train est stable. Heureusement ! Le canyon est magnifique, avec un torrent écumant au fond.

     

J'arrive à Pyin U Lwin ( Maymyo ). Encore une ville qui a changé de nom. C'est une ancienne ville coloniale où les Anglais venaient profiter du climat plus agréable. Il y fait frais. À la sortie de la gare, ce ne sont pas des calèches qui attendent, mais de petits carrosses colorés. J'en emprunte un pour aller au Grace hôtel. Nous traversons le centre-ville, passons devant le marché, empruntons des rues ombragées, puis des rues dans un quartier résidentiel où de belles maisons en brique, construites par les colons anglais témoignent d'un passé révolu où les riches colons aimaient faire leurs « garden-partys » entourés d'une nuée de domestiques en livrée. Eh oui, maintenant ce ne sont plus les mêmes poules qui caquettent devant le perron... Mon cocher m'amène devant un hôtel de grand luxe. Je suis sûr qu'il a fait exprès de se tromper pour « me promener ». Mais cela ne me contrarie pas, au contraire, ça me permet de visiter cette ville bien particulière. Nous finissons par arriver au Grace 2, annexe du Grace un peu plus excentré et un peu plus cher. Les murs verts pistache sont noirs de crasse dans les couloirs et dans l'escalier, mais la chambre est plus propre et la literie impeccable. Pour quatre dollars, il ne faut pas s'attendre à un palace. Le soir, je vais manger des nouilles délicieuses avec du porc, au marché de nuit. Quand je paye, on me rend la monnaie avec un billet de 200 kyats tel que je n'en avais encore jamais vu. Il est déchiré, tout mou, illisible, marron de crasse, on dirait une lingette usagée !

De petits restaurants en plein air proposent toutes sortes de plats, beaucoup de fritures et de nouilles, mais rien ne vaut la cuisine thaïlandaise. Quand je reviens à l'hôtel, la rue est déserte et plongée dans l'obscurité. Il n'y a aucun réverbère. Il est vingt heures trente et seules quelques boutiques encore ouvertes jettent un halo de lumière jaunâtre sur le trottoir. J'achète une bouteille de bière, et je la bois sur le petit balcon donnant sur la rue, en regardant des gamins préparer des beignets pour le déjeuner de demain matin. Je me suis laissé influencer par l'ambiance de cette ancienne ville coloniale anglaise : le spleen me gagne.

 

 

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Dernière modification:  20/11/2012