Lannecaube
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La classe de 1942 dont je fais partie est dans l'obligation de partir travailler en Allemagne. Et dans le courant de juin 1943, je prends le bus pour aller à Pau. Les lieux de rassemblement sont la place de la République et la cour de l'école Henri-IV. Personne ne nous accueille. Aussi le soir, nous reprenons le bus, à deux ou trois, et revenons à la maison. Les gendarmes Mais huit jours après mon retour, les gendarmes de Garlin viennent me cueillir dans les champs. En les voyant, j'essaie de me cacher, mais c'est trop tard. J'ai juste le temps de prendre quelques affaires à la maison et d'embrasser la famille. Ma mère pleure, elle ne veut pas que je parte, mais les deux préposés à l'ordre s'interposent. Et, juché sur mon vélo, je pars vers Garlin, bien entouré. Je dois rester au poste, mais comme j'ai des cousins en ville, je réussis à aller chez eux et à y passer la nuit. Départ vers l'inconnu. Le lendemain, je prends le bus à gazogène, engin poussif, en direction de Pau, toujours entouré de deux gendarmes qui me conduisent au commissariat. Là, je passe quinze jours en cellule. Je ne suis pas seul, une dizaine de jeunes ont fait comme moi, pour eux non plus ça n'a pas marché. Au matin du 17 juillet, nous rejoignons la gare où un train nous attend. Les gendarmes nous abandonnent sitôt que nous sommes dans le train. Ce n'est pas un train rapide, le voyage est long. Arrivés à Dijon, nous traînons pendant cinq jours. La première nuit, nous dormons dans une caserne, sur de la paille. Par la suite, avec un copain, nous trouvons une chambre en ville, ce qui nous permet d'avoir un ordinaire plus complet car, dans le train, pour manger, c'était déjà maigre. Puis nous repartons, cette fois à destination de Paris. Là, on nous dirige sur Strasbourg, puis nous arrivons à Vienne, en Autriche. Travail de forçat. À peine débarqués, nous sommes pris en charge par la police allemande et partagés en divers groupes. Ce ne sont plus les gendarmes français. Munis de matraques, les geôliers savent s'en servir, gare à celui qui s'écarte du groupe. Pour mon compte, avec un millier d'autres, je suis désigné pour travailler dans une usine de chars d'assaut. L'usine en plein air Il n'y a aucun bâtiment en dur. Sur plusieurs dizaines d'hectares se trouvent ce qu'ils appellent des holls, d'un hectare chacun. Ces holls sont camouflés avec de grands sapins synthétiques et des filets de camouflage par-dessus. Chaque holl a sa spécialité. Moi je me trouve dans le dernier de la chaîne. Quand l'engin arrive ici, il est fini. Au début, nous ne sommes pas habitués à la cadence, on en sort un par jour, mais par la suite, sous la menace, la peur des répressions, on arrive à en sortir douze par jour. Il faut dire que nous sommes en gros un millier par holl. Au travail, la nourriture n'est pas bien équilibrée et souvent la même. Nous avons des tickets qui nous dorment droit à une ration de pommes de terre et à du cochon bouilli. Parfois, il y a de la choucroute. Alors là, pour moi, c'est une journée de diète car je ne peux pas avaler ces choux puants. Discipline intérieure En général, hiver comme été, le travail débute à sept heures du matin et finit à sept heures du soir. Suivant les demandes et les pannes qui surviennent avec les machines. Il faut rester parfois jusqu'à dix heures du soir. Le travail dans son ensemble est dur et très surveillé. Le matin, au poste d'entrée, il faut montrer son ausweis ; gare à celui qui l'oublie, la punition est sévère : pendant huit jours, il doit porter la tenue rayée que l'on trouve dans les camps de concentration, dormir dans un cachot et subir tous les matins avant de prendre son travail la séance de coups de fouet. J'ai un copain qui a enduré ce châtiment, il s'en est rappelé toute sa vie. Mon ausweis, barré d'un trait rouge avec la lettre A, me donne le droit d'aller dans les autres holls. Tout le monde n'a pas les mêmes avantages. Le holl des morts-vivants Une ligne de chemin de fer passe juste à côté, on voit souvent passer des wagons à bestiaux pleins de monde. Chaque wagon possède une petite lucarne barrée par des barbelés, on voit des mains passer, on entend crier. Les trains roulent à petite vitesse. Même si, à l'époque, on ne connaît pas bien le destin de ces malheureux, c'est écœurant. Ici, le dernier holl est occupé par des hommes tous habillés de tuniques rayées qui sont gardés par des SS. On dirait des cadavres. Quand on leur porte la soupe, ils sont tellement affamés qu'ils se jettent dessus, c'est la cohue. Les SS en profitent pour mettre de l'ordre à coups de crosses. Beaucoup restent inertes. En plus des SS, il y a un chef de groupe qui, lui, n'est pas allemand, il obéit aux ordres. Muni d'une matraque, il termine l'œuvre des SS. C'est abominable. Nous n'avons pas le droit de nous approcher d'eux, de leur parler, ni même de les regarder. Il y a beaucoup de Français parmi eux ! Par la suite, j'apprendrai qu'assez près de notre lieu de travail, se trouve un camp d'extermination appelé Mathausen. Une certaine liberté Le dimanche, nous sommes libres. Oh, il ne faut pas croire que nous faisons la grasse matinée, même si des fois ça aurait été appréciable. Il faut faire la lessive, nettoyer les chambres et partir en quête de nourriture. Les paysans sont gentils en général et on trouve chez eux : des œufs, du pain et toujours des pomme de terre. On paye ce qu'il nous demandent. Parfois, les gardes qui se promènent nous tombent dessus et nous enlèvent tout, mais nous ne sommes pas punis. Je me pose souvent la question suivante : si ce ne sont pas ces braves paysans qui jouent le double jeu en nous donnant ce qu'on demande et, de l'autre côté, s'ils n'avertissent pas les gardes. L'hiver 1943 est très rude, il y a un Russe avec moi. Lui, il n'a pas froid, vêtu d'une chemise et d'une veste, il est bien comme ça. Il fume beaucoup. Je ne saurai jamais quel genre de tabac il utilise, ça ressemble à des bâtonnets grossièrement coupés, le tout roulé dans du papier journal. Quand je veux lui donner du papier à rouler, il me rit au nez. À peine il touche le fin papier que la feuille n'existe plus. Bombardements À partir du mois de mars 1945, l'usine est bombardée. La première fois, il n'y a que peu de dégâts et la deuxième tentative n'est pas mieux. Nous, on se dit qu'ils font exprès. Mais la troisième fois, l'endroit n'est plus qu'un amas de ferrailles tordues. Au moment des premières alertes aériennes, on nous évacue vers la forêt située non loin de là, mais la troisième fois, ils nous rassemblent dans un tunnel creusé à flan de colline. J'apprendrai plus tard que ce travail titanesque est l'œuvre de ces malheureux des camps de concentration. Des milliers y ont laissé la vie. La débâcle de l'armée allemande. Dès le début du mois de mai, la débâcle se précise. D'un côté les Russes, de l'autre les Français et les Américains. La troupe allemande ne résiste pas devant les Russes qui ne s'arrêtent plus. Les soldats allemands abandonnent armes et vivres le long des routes. Ils courent et crient : « Americans ! Americans ! » Ils ont une peur bleue des troupes russes, et pour cause. Un jour, je vois ces hommes morts de peur sur le bord de la route qui conduit à l'usine qui n'existe plus et je vois des camions plein de bœufs entiers, de conserves, de grains. On n'a plus qu'à se servir et c'est ce que nous faisons amplement. 8 mai 1945 Toute la nuit, on entend le bruit sourd des cannons, des « orgues de Staline » qui rasent tout sur leur passage. Puis, les centaines de chars qui roulent très vite, côte à côte. Rien ne leur résiste, tout est écrasé, en particulier les véhicules allemands abandonnés le long des routes. De l'autre côté, se dirige vers nous l'armada française et américaine. Nous sommes là, plantés, morts de peur. Où aller ? À sept heures du matin, les premiers éléments de choc soviétiques ont pointé leur nez. Les camions allemands pleins de ravitaillement sur le bord de la route sont écrasés par la cohue des chars russes. Oh, le premier contact n'est pas simple. Ces hommes, certainement imbibés de vodka, ne sont pas très coopératifs. On leur dit : « Fransouski » ! Ils n'ont pas envie de comprendre. Enfin, arrivent les premiers éléments français et américains et cela détend l'atmosphère. Ces hommes, si différents moralement mais tous soldats et vainqueurs, s'embrassent et c'est la joie, tout est fini. Les premiers porte-parole annoncent la capitulation du Reich. Le whisky et la vodka coulent à flot. Les salves d'armes automatiques retentissent sporadiquement. Vers la fin de la matinée, des officiers français nous disent : « Allez, venez, nous allons descendre en ville, arrêter les soldats allemands et les désarmer ». Il ne faut pas faire de grands efforts, la plupart ont déjà jeté leurs armes, il y en a partout et de toutes sortes, dans les fossés, sur les pelouses... Et des soldats, on en trouve peu. Sitôt qu'ils le peuvent, ils s'habillent en civil pour échapper au statut de prisonnier de guerre et pour échapper aussi au retour vers les steppes russes. Retour en France Nous vadrouillons longtemps, ce n'est qu'à la fin mai que l'on nous rapatrie en avion jusqu'à Nancy. Là, nous attendons pendant trois jours et enfin nous remontons sur Paris. Le 1er juin 1945, je suis de retour à la maison, heureux de m'en être sorti sans une égratignure. d'après "les cahiers du Vic-Bilh" Maxime Malompré - Carole Nicolas.
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L'histoire de Lannecaube par Hubert Dutech.
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