Traversée du Sahara
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Dimanche 14 août.1977.
Dosso - Zinder
(765 km). Il fait un temps splendide, sans aucun nuage menaçant dans le ciel. Ça nous rassure ! Peut-être n’aurons-nous plus de pistes en mauvais état ? Vers Birni, nous croyons rêver : une 404 blanche à l’horizon, avec deux gars affolés autour… Marc et Pierre ? Plus nous approchons, plus cela leur ressemble : les nourrices sur le toit, la 404 Break, les plaques minéralogiques françaises… En réalité, nous ne sommes pas tout à fait victimes d’hallucinations, car il s’agit bien de deux Français, même si ce ne sont pas Marc et Pierre ! Ils arrivent par la piste de Tam’( Tamanrasset), ils ont cassé leur embrayage, et ils réparent eux-mêmes au bord de la route. Système D ! Pancho donne quelques conseils, mais il ne se salit pas les mains, car il a déjà pas mal de boulot avec notre voiture qui s’effondre et qui nous crée des soucis ! Comme ils arrivent par l’itinéraire que nous comptons emprunter, nous prenons des nouvelles de la route, et notre moral en prend un coup : avant Zinder, à Maradi, il faut passer un gué de soixante-dix centimètres de profondeur. Ils ont dû faire pousser les gosses du village, et traverser moteur noyé pendant une centaine de mètres. C’est la cause de leurs déboires actuels : l’embrayage n’a pas supporté ! Comme un malheur n’arrive jamais seul, d’après leurs dires, la piste d’Arlit n’est plus praticable pour les voitures de tourisme : des trous, de l’eau, de la boue, du sable, de la tôle ondulée… « Vous ne passerez pas, revenez plutôt par Gao ! » Faire demi-tour ? Reculer ? Jamais ! Nous porterons la voiture, nous la ferons passer morceau par morceau, ce qui ne sera pas difficile puisqu’elle est déjà à demi démontée, mais nous passerons ! Nous avons l’air décidés et sûrs de nous, mais nous venons de perdre notre joie de vivre, et notre moral vient d’en prendre un coup !
La piste est tellement exécrable qu'il vaut mieux passer à travers la savane !
Lors de l’un des nombreux contrôles de police sur la piste, nous nous renseignons, et un routier nous affirme que le gué de Maradi est à sec, et qu’on peut passer sans problème. Chic ! Nous retrouvons notre bonne humeur, nous sifflotons, nous chantons, jusqu’à Maradi… où nous nous trouvons devant une route réellement inondée, et pour plusieurs jours certainement. On nous demande de l’argent pour pousser la voiture, on veut nous prêter des chiffons pour boucher les orifices du moteur, tout le monde veut nous aider, mais on sent bien que c’est pour obtenir un peu d’argent, et si la voiture reste en panne, ce sera une aubaine pour le mécanicien local. Comme nous ne sommes pas tombés de la dernière averse, nous savons que dans une campagne agricole comme ici, il y a plusieurs chemins… Donc, nous faisons demi-tour, et nous nous mettons en quête d’un itinéraire qui nous permettrait de contourner l’obstacle. Par malheur, tous les petits chemins sont trop boueux. Soudain, nous remarquons des traces de roues partant à travers les champs. Ce sont des roues de voitures… Nous avons une chance de réussir. De plus, un petit gamin qui jouait par là monte naïvement dans la 4L, et nous guide à travers les champs de maïs. Nous sommes passés sans nous mouiller ! Nous n’avons pas le temps de nous réjouir, que voilà de la piste, de la vraie, de la grosse tôle ondulée comme on n’a jamais vu, et la carte Michelin nous promet cent soixante kilomètres de cet enfer ! Nous devrions rouler à quatre-vingts kilomètres-heure pour ne pas sentir les irrégularités du terrain. Malheureusement, nous plafonnons à soixante, car nous manquons de puissance, et dans ces moments-là, tout vibre à se rompre. Alors, nous n’avons plus le choix : il nous faut rouler à vingt ou trente kilomètres-heure, la voiture semble se désintégrer… Le démarreur rend l’âme, nous perdons un pneu de secours. Il nous faut faire demi-tour, et nous le retrouvons deux kilomètres en arrière. Les ailes réclament leur liberté : elles jouent des castagnettes sur les côtés… et notre moral ne sombre pas complètement. Je compte sur Pancho pour réparer les dégâts ! Nous préfèrerions rouler sur du goudron, mais alors, où serait l’Aventure ? Dans ces contrées, la nuit tombe toujours d’un seul coup, en quelques minutes, sans qu’on s’en aperçoive. Avec les phares, le relief de la piste est plus difficile à juger. Il nous semble toujours que c’est de l’autre côté, sur l’autre voie, que la piste est meilleure… Alors, on passe son temps à traverser. De sept heures à minuit, on va cahin-caha, de passage de tôle en ornière, et c’est très pénible ! Mais nous savons que nous allons endurer des épreuves encore plus sérieuses, et contre toute logique, ça nous aide à supporter les difficultés présentes ! Dès que nous retrouvons le goudron, à cinquante kilomètres de Zinder, nous nous arrêtons pour dormir, car nous n’en pouvons plus ! La nuit n’amène aucune fraîcheur, nous transpirons, nous perdons tout dynamisme… Nous pensons aux copains à cinq mille kilomètres d’ici : ils chantent gaîment, leur verre à la main… et sur leur verre, il y a de la buée, et ces sauvages, ils ne s’en rendent même pas compte !
Lundi 15 août.
Zinder -
Sabonkafi (143 km). Le matin, nous nous rendons au garage pour réparer un démarreur défaillant. Le garagiste ne veut le vendre que si c’est lui qui l’installe. À force de marchander, je réussis à ne payer que la moitié du prix. De plus, il nous prête les outils nécessaires pour renforcer la carrosserie. Grâce à des rivets et de petites plaques d’aluminium, les ailes ne battent plus : c’est bon, nous n’allons pas nous envoler ! Les jantes, elles-mêmes, se fissurent, d’un trou de goujon à l’autre. Le plancher et le dessous, il n’est pas possible de les renforcer : espérons que ça tiendra jusqu’en France ! La journée a été bien remplie. Le soir, nous quittons Zinder vers Tanout. De la tôle ondulée, quelques trous ; nous avançons encore une fois à faible allure ! Il faut avoir le temps. Pancho n’y voit pas à dix mètres malgré le phare de toit et les longues portées. Nous retrouvons des passages boueux. Je suis vraiment fatigué, mais je n’ose pas le laisser conduire, car j’ai peur qu’il ne casse tout dans quelque fondrière. À minuit, nous n’en pouvons plus, alors nous nous arrêtons sur le bord de la piste même. Il fera jour demain ! Les moustiques nous obligent à dormir dans la voiture, tout fermé, avec un bon trente degrés de température ! J’aimerais retrouver le crétin qui nous a dit qu’il faisait un froid glacial la nuit dans le désert ! Pas en août, en tout cas ! C’est très dur !
Mardi 16 août 1977.
Sabonkafi -
Aderbissinat (205 km) La piste est si défoncée que nous préfèrerions rouler dans un champ labouré ! Les camions ont creusé de grandes tranchées qui nous obligent à passer sur les bords, et la voiture trop basse rampe plus qu’elle ne roule ! De vingt, la moyenne tombe à douze kilomètres par heure… Ce n’est pas facile ! Nous interrogeons le ciel, car une pluie serait une véritable catastrophe : nous nous retrouverions englués dans ce cloaque immonde. À Tanout, nous nous arrêtons pour causer avec les flics très sympathiques qui passent la journée à l’ombre d’un arbre. Ils veulent nous acheter tous nos objets de première nécessité, et nous vendre des couvertures tissées. Ils ont la belle vie, car au Niger, les délinquants sont soit en prison, soit à l’étranger ! Nous nous laisserions presque aller à signer un contrat de vingt ans dans la police locale! Après Tanout, la piste devient encore moins bonne : de sérieux passages de sable, labourés par les camions nous obligent à sortir notre matériel de premier secours : pelle, échelles, gonfleur. Nous avançons presque mètre par mètre… mais nous avançons ! Et si c’est exaspérant par moments, ce n’est pas tout à fait décourageant ! Nous y arriverons ! Le soir, perdus dans la nuit au beau milieu d’une déviation sablonneuse labourée par les camions, nous préférons nous arrêter. La moindre lumière attire des milliers de papillons et d’étranges bestioles. Nous allumons un fagot de branches sèches pour cuisiner quelque plat de nouilles avec une conserve de viande : des nuées d’insectes viennent se jeter dans les flammes, et forment un nuage de plus en plus dense, ne nous laissant plus de place autour du feu… Adieu le plat de macaronis, nous nous contenterons d’une boîte de sardines à la tomate ! Le moral en prend un coup ! La voiture non plus, elle n’a plus la santé ! Elle se casse de tous les côtés : les montants du pare-brise se déchirent, les jantes se fendent de partout, elle rampe presque… Dans deux jours, nous devrons passer dans l’eau et dans la boue, entre Agadez et Arlit, et tous les voyageurs « descendant » par cette piste nous déconseillent d’emprunter cet itinéraire. Nous n’avons plus le choix, sauf de retourner par Niamey et Gao où la saison des pluies nous posera les mêmes problèmes ! Il faut aller de l’avant : « Quand le vin est tiré, il faut le boire ». Les moustiques nous dévorent, et Pancho a les jambes couvertes de petites plaies dues aux piqûres précédentes. Il se gratte voluptueusement avec tout ce qui lui tombe sous la main, et ce n’est pas une bonne idée ! Nous sommes tranquillement installés sur notre couverture, à l’écart du nuage d’insectes attirés par le feu, lorsqu’une présence insolite nous fait tourner la tête. Nous sommes espionnés par une énorme mygale. Velue, de couleur jaune, elle ressemble à ces araignées qu’on achète dans les boutiques de farces et attrapes. Je m’empare de la pelle pour l’écraser, mais elle fait des bonds de cinquante centimètres, et je ne parviens pas à l’atteindre ; elle finit par disparaître dans un trou, ou dans la nuit… je ne sais pas ! Fini, de dormir à la belle étoile ! Nous resterons dans la voiture. Ce qui est sûr, c’est que nous n’aurons pas froid ! La nuit, nous sommes réveillés par un boucan du diable. Un camion ensablé à côté de « chez nous » force de toute la puissance de son diesel pour sortir de l’ornière. On ne peut même pas dormir tranquille. Quelle vie !
Mercredi 17 août 1977.
Aderbissinat -
Agadez (165 km) Le matin, le sable est plus dur, et il porte mieux, alors nous profitons de notre promenade matinale pour aller inspecter les environs et trouver un passage moins labouré que les autres parmi toutes les traces et les tranchées creusées par les poids lourds. Nous nous sortons de ce champ de bataille sans trop de mal, et nous quittons notre « campement ». Heureusement, car si Pancho avait dû commencer la journée en poussant dans la boue, il aurait été de mauvaise humeur pour la journée ! Vers Agadez, la grosse tôle ondulée que les autochtones nomment « escaliers » nous fait vibrer et claquer des dents, mais il ne faut pas se plaindre, car il n’a pas plu, donc il n’y a plus de boue, et les oueds sont à sec ! Nous sommes cependant assez inquiets, car tout le monde nous promet beaucoup de boue vers Arlit, et des gués profonds de soixante-dix centimètres à traverser ! Nous risquons d’être bien « enlisés » (pour rester poli !). La chaleur commence à se faire sentir : fini le temps clément du Bénin ou du Togo, il nous faut affronter la canicule.
Nous ne nous
arrêtons pas pour cuisiner, car nous comptons nous goinfrer à
Agadez.
Nous avons effectivement droit à un grand plat de riz dans un petit
restaurant très sympathique. Nous allons aux nouvelles : on nous
rassure. La piste d’Arlit est en train de sécher, car il n’a pas plu
depuis trois jours, donc, les cinquante-quatre camions
enlisés ont
réussi à passer. Nous reprendrions espoir, si la voiture ne s’effondrait
pas lamentablement ! Nous allons dans un garage pour régler la garde au
sol de la 4L, et Pancho, trompé par ses lentilles ensablées ou par une
fatigue extrême, ne voit pas qu’il démonte la barre de torsion alors que
ce n’était même pas nécessaire. Résultat : il ne peut plus la remettre.
C’est malin ! Ça le met d’une humeur massacrante, et il vaut mieux faire
attention à ce qu’on lui dit, dans ces moments difficiles, car les
outils pourraient voler bas ! Même en s’y mettant à cinq ou six, et en
écoutant les conseils d’un sage comme moi, ils n’arrivent pas à la
replacer. L’heure tourne, le garage ferme, et nous en sommes réduits à
dormir dans la cour… Il n’y a pas de moustiques, et c’est une chance,
car nous ne sommes pas d’humeur à les écouter nous susurrer des
gazouillis aux oreilles ! Il ne manquerait plus que ça !
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