Traversée du Sahara

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Mercredi 10 août.

Grand Popo - Bohicon * * (326 km).
(
Togo-Bénin)

Frontière du Bénin : le responsable du contrôle des passeports nous demande d’aller nous changer, car il trouve que nous ne sommes pas présentables. Il est vrai que tous nos vêtements sont imprégnés de poussière ocre, et nous n’avons plus rien de propre ! Nous enfilons une chemise à peine plus convenable, et le fonctionnaire est tout à fait satisfait. La frontière est vite traversée : fouille rapide des bagages, et c’est fait ! Jusqu’à Cotonou, la côte n’est pas aussi jolie que vers Lomé, car la route ne longe plus la mer. À Cotonou, partout de grands panneaux avec des slogans politiques que personne ne lit : « Le socialisme est notre voie, le marxisme-léninisme notre guide, nous avons choisi, nous n'avons plus le choix. » « Colonialisme hors d’Afrique » « Vive la Révolution ! »…

Nous prenons un taxi pour aller acheter un disque à l’autre bout de la ville. Il s’agit d’une vieille 4L qui vibre, qui tousse, qui ferraille et qui ressemble à une brouette réparée avec du fil de fer ! Nous craignons même de nous retrouver assis sur la route…

Nous quittons Cotonou, car la ville ne présente aucun intérêt. Nous préférons aller à Ganvié, la cité lacustre. Nous passons devant le croisement sans le voir, et nous ne nous apercevons de notre erreur que beaucoup plus loin. Donc, 25 et 25 kilomètres, soit cinquante kilomètres pour rien ! Bien que le préjudice soit « bénin », je peux dire que j’ai un très mauvais copilote ! Il est devenu un vrai Africain : un Africain qui n’« y voit rien » !

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À Ganvié, nous affrétons une barque pour visiter la cité lacustre. Notre piroguier est très sympathique : il rit de tout, et sans arrêt. En ce moment, le lac n'a pas plus d’un mètre de profondeur, alors les villageois descendent parfois de leur barque pour lever les filets ; ils ramènent ainsi de tout petits poissons et des coquillages qu’ils déposent au fond de leur petite pirogue. Notre batelier va de l’un à l’autre pour acheter, à un prix dérisoire, du poisson qu’il vendra tout à l’heure en faisant du porte-à-porte. De ce fait, nous ne faisons que l’accompagner dans "ses affaires", et ça arrange tout le monde : lui, parce qu’il montre ainsi qu’il fait du commerce avec des étrangers, et nous, parce que ça nous permet de côtoyer les villageois. Les maisons, simples huttes de bois construites sur pilotis, couvertes de chaume, semblent misérables. Pourtant, les villageois montrent une joie de vivre que l’on ne trouve que rarement dans les campagnes environnantes. Les enfants se déplacent en pirogues avec une dextérité surprenante, à l’aide de longues gaffes. Les femmes se rendent au marché flottant, coiffées de chapeaux de paille aux larges bords, la pirogue débordant de marmites et de sacs de légumes ou de petits poissons séchés… Le bar du village est facile à repérer, c’est le seul bâtiment couvert d’un toit de tôle.

 

     


 

 

 

 

Dès que nous retrouvons la terre ferme, nous retrouvons une route agrémentée d’ornières qui fut peut-être goudronnée, il y a de cela très longtemps ! À Bohicon, nous nous apprêtons à camper devant le « centre culturel ». Mais dès que nous nous installons, un « membre du Parti » demande à voir "l’autorisation du maire". Comme il n’est pas là, il ne peut pas nous autoriser… Alors, nous allons chez le « Premier Responsable » qui est absent lui aussi… Nous prenons « le risque » de rester là sans autorisation !

 * * Aller de "Grand Popo à Bohicon", ça ressemble à un canular, et pourtant c'est véridique !

 

Jeudi 11 août 1977.

Bohicon - Kouandé. (515 km)
(
Bénin)

     

Sur les pistes, le prédateur, c'est le "Taxi-Brousse".

Dès le lever du jour, nous « hissons la grand-voile » et filons plein nord, par une petite piste vers Djidja et Savalou. Nous sommes sur une voie si peu fréquentée que l’herbe pousse sur la piste… Nous ne rencontrons aucune voiture, et nous nous demandons même, si nous allons déboucher quelque part ! À notre approche, les piétons se précipitent dans les champs, et les cyclistes plongent dans les fossés. La piste est assez bonne, et cela nous permet de maintenir une moyenne acceptable. « Il n’y a pas d’escaliers » (C’est ainsi que les Africains nomment la tôle ondulée !), pas trop de trous, et à partir de Savalou, c’est presque une autoroute : de la latérite bien nivelée, avec des rigoles sur les côtés. Nous roulons à quatre-vingts à l’heure, en espérant ne pas avoir besoin de freiner, car dans ce cas-là, nous ne sommes plus maîtres de notre vitesse. L’inconvénient, c’est la latérite, une fine poussière rouge, grasse, qui colle et pénètre partout ! Tiens ! Voilà la pluie, une petite bruine persistante rendant la piste plus glissante que si elle était enneigée. Les virages deviennent acrobatiques. Qu’à cela ne tienne, nous sommes équipés pour tous les terrains : nous montons les roues avec les pneus « neige et boue ». Comme ce sont des pneus cloutés, ça intrigue les Africains qui n’ont jamais vu telle anomalie : « Patron, t’as des pointes plantées dans tes pneus ! »… Difficile de leur faire comprendre que c’est voulu !

Avant Natitingou, nous trouvons les premières fermes rondes. Il s’agit de cases groupées en cercle autour d’une cour fermée par un mur de terre. Ces habitations ressemblent à de petits châteaux forts. Nous n’osons pas demander à visiter, car nous semblons comprendre que notre présence dérange et que nous sommes indésirables. Ces gens se sont enfermés dans leur intimité, et ils se sont en même temps coupés du monde extérieur.

Nous ratons le croisement à droite vers Kouandé : toujours le problème du mauvais copilote ! Après quinze plus quinze, soit trente kilomètres pour rien, nous trouvons la piste vers Pehonco.

Nous dînons avec un délicieux poulet macaronis à Kouandé, et nous bivouaquons au bord de la piste, à la sortie du village.
 

      

Pour les arbres, le prédateur, c'est le termite qui va jusqu'à construire de petits châteaux!

 

Vendredi 12 août 77.

Kouandé - Gamia (225km)
(Bénin)

La piste infernale devient presque impraticable : nous trouvons d’abord des passages ravinés par les pluies diluviennes de ces derniers jours, puis nous roulons carrément dans des lits de torrents empierrés et presque impraticables. Il nous faut même aménager certains passages, ce qui demande beaucoup d’efforts et de temps… La moyenne tombe à vingt, puis à quinze kilomètres par heure : nous avançons comme des fourmis ! La pluie redouble d’intensité, masquant le paysage sombre derrière un rideau bleuté… Ce qui est moins poétique, c’est que l’eau entre par les trous du plancher, et que des mares boueuses s’installent sous nos pieds. Pancho déclare la voiture « zone sinistrée ». Quand une grande flaque boueuse barre notre chemin, je ne peux pas évaluer sa profondeur, alors j’accélère au maximum, pour que la voiture ne reste pas embourbée en plein milieu ! Alors, à chaque fois, de grands geysers remontent du plancher crevé jusqu’à hauteur du tableau de bord ! Nous sommes plus sales que les buffles que nous croisons sur le chemin ! Ça nous amuse alors que nous devrions nous inquiéter : le plancher part en lambeaux, les mauvaises pistes finissent par avoir raison de notre pauvre 4L ! Pancho colmate les brèches avec des chiffons, mais l’eau entre avec une telle pression qu’il se retrouve avec ces guenilles sur les genoux à chaque fois que nous traversons un passage délicat ! Le blindage moteur talonne sans arrêt sur les pierres du chemin… Ça nous amuse aussi, pourtant, c’est grave, ça veut dire que la garde au sol de la voiture diminue parce que les longerons du châssis se plient ! La question cruciale, c’est de savoir comment Pancho va s’y prendre pour renforcer « la brouette ».

 

  

 

Au bout de quatre heures, nous n’avons même pas parcouru 100 km, et nous commençons à avoir faim, et nous ne rigolons plus du tout ! Il ne faut pas compter trouver quelque chose de comestible dans les petits villages que nous apercevons sur le bord de la piste : il n’y a souvent que du manioc gluant et des ignames à manger… Nous puisons dans nos provisions, et nous mangeons des sardines à la tomate : un mets de Roi, un régal ! Comme table, le capot boueux de la voiture ; comme parasol, les nuages de plomb… Nous sommes sales comme des gorets, et nous ne savons pas comment nous allons pouvoir laver nos vêtements, car la latérite rouge est aussi tenace que la meilleure des teintures. Non loin de nous, les habitants d’une ferme se sont retranchés derrière le mur de pisé qui entoure leur habitation, et ils nous observent avec crainte, méfiance et nous font même signe de partir… Pas très accueillants, ces coins ! Il faut dire que dans ces contrées reculées, « le blanc » ne peut être qu’un mercenaire. Nous nous sommes arrêtés dans un petit village du Togo, un jour où il pleuvait beaucoup, et les flics nous ont conduit au poste pour tamponner notre passeport, vérifier notre identité, et montrer aux habitants du hameau qu’ils faisaient bien leur travail… Sur la porte du bureau du chef, sur une affiche, étaient représentés les cadavres de « mercenaires blancs à la solde des puissances occidentales »… Alors que nous observions ces photos où la mise en scène et la propagande ne faisaient aucun doute, une grosse voix se fit entendre juste dans notre cou : « Dis donc le blanc, t’as vu ce qu’on en fait, des blancs, ici ! » Nous avions repris nos passeports, serré la main à tout le monde, et nous étions allés nous abriter plus loin ! En cas…

À Guessou-Sud, nous retrouvons la route asphaltée, et les ornières : c’est à peine mieux que la piste ! Nous nous arrêtons dans une petite gargote, et le patron nous offre du « vin de palme » dans une grande cuvette émaillée qui avait dû être blanche le jour où on l’avait fabriquée ! Nous puisons directement avec le verre dans le liquide un peu trouble… Ouah ! Enfer et damnation ! Nous changeons de couleur : c’est de l’eau de vie pure, de l’alcool à faire marcher les mobylettes… Au moins, rien à craindre avec les microbes !

Jean de La Fontaine a écrit un jour : « Le renard dit au loup : notre cher, pour tout mets, j’ai souvent un vieux coq, ou de maigres poulets… » Il avait de la chance le Renard, car pour nous il n’y a que du manioc horrible, fade et bourratif, et un petit poulet qui devait voler très haut les jours de vent, vu son poids plume ! Hé bien on se régale, on suce les os, on se lèche les doigts, et on en reprendrait s’il y en avait encore ! Un client qui nous observait en biais en sirotant son verre de « Whisky africain* » (* C’est ainsi que le patron ose appeler son vin de palme tout juste bon à allumer un barbecue), s’approche, nous demande si nous avons terminé le repas, et à notre grande stupéfaction, s’accroupit dans un coin, et croque les os que nous avons dédaignés comme s’il s’agissait de gaufrettes !

Nous reprenons la route, le soleil au ventre, car l’aubergiste a tenu à ce que nous faisions honneur une fois de plus à sa cuvette émaillée. De ce fait comme le copilote ne copilote plus rien, nous dépassons Gamia, où nous devons aller sans nous arrêter… Donc, vingt-cinq et vingt-cinq, soit cinquante kilomètres pour rien ! J'ai trouvé un caméléon sur la route, je l'ai adopté; il fait de la barre-fixe sur mon volant ! Pancho n'éprouve pas une grande sympathie pour ce sympathique petit animal...
Nous avons rendez-vous au Centre Agricole où Yves, un ami de Lembeye, avait travaillé comme « volontaire du progrès ». Nous sommes très bien accueillis, nous mangeons comme des Rois, en écoutant « France Inter » en compagnie du « chef » : Robert. Il doit avoir la quarantaine, peut-être dix de moins ou dix de plus, on ne sait pas, car on ne peut que difficilement donner un âge aux Africains. C’est un vrai chef, car c’est le plus gros du Centre, et il a une énorme montre chromée au poignet. Il porte un short en nylon rouge avec les trois bandes sur le côté, et qui ne cache rien de ses parties viriles qu’il gratte sans arrêt en nous parlant du bon vieux temps où Yves et les Français dirigeaient l’exploitation. Il nous fait visiter ce qui fut une ferme modèle, il y a quelques années : aujourd’hui, la rouille a eu raison de la motopompe. « Tu vois, elle ne ma’che plus présentement, car le moteu’il est gaspillé ! » Donc, plus d’eau, plus de bétail. Dans l’étable, les broussailles se sont définitivement installées. « Tu diras à Yves, que le de’nier tau’eau, il est vendu l’an de’nier ». Des jolis petits bungalows en dur destinés à héberger le personnel, il n’en reste qu’un d’habitable. « Tu vois, le vent, il a gâté le toit des bâtiments, il faudrait de l’argent pour le refaire ! » Robert se rend compte que tout tombe en ruine, mais il ne fait pas un geste pour réparer, entretenir, limiter les dégâts… Il se contente de répéter : « Quand Yves était ici, la fe’me était la plus belle du Bénin ! Aujou’d’hui, y’en a plus rien de l’argent… donc, c’est plus pa’eil ! »

Nous dormons dans une véritable chambre, sur nos matelas que nous étalons sur le sol, bien que nous ayons vu un mignon scorpion jaune cette après-midi.

 

Samedi 13 août 1977.

Gamia - Dosso (300 km).
(
Bénin-Niger)

   

Robert joue avec un scorpion, moi avec mon petit caméléon...

Aujourd’hui, comme tous les samedis, c’est la « journée de la production » dans tout le Bénin. Tout le monde va au champ, du petit fonctionnaire au Président de la République. Robert prétend que « c’est une idée très populai’eu », et quand il éclate d’un bon rire gras, nous le soupçonnons de ne pas y croire à la « République Populaire du Bénin ». De toute façon, il n’a plus le choix, c’est écrit sur les murs…

Nous déjeunons copieusement : on nous sert des « patates douces », une délicieuse omelette à l’oignon, du café au lait… Vers dix heures, tout le monde part aux champs. Les instituteurs et les écoliers sont déjà sur le terrain. Robert se lève, gratte avec délectation ses génitoires et son ventre rebondi, pousse un rôt tonitruant et lance à la cantonade : « Tout le monde au Champ ! Jou’née de la p’oduction ! » Mais à dix heures et quart, une grosse averse oblige tout le monde à se réfugier à l’abri : la journée de la production est terminée !

Nous préparons notre départ : d’abord, nous vidons la 4L, et nettoyons l’intérieur, ce qui provoque un nuage de poussière tel que nous devons nous laver à grands coups de seau d’eau. La voiture étant devenue un peu plus habitable, nous remercions Robert et nous reprenons la route en direction de Malanville que nous atteignons à la nuit. Juste avant la frontière, nous nous arrêtons pour manger au bord du talus, et pour nous détendre un peu, car nous savons que les formalités seront certainement assez longues. Soudain, un cyclomotoriste s’arrête : c’est un douanier à qui nous avons donné des autocollants la semaine dernière ; certains sont d’ailleurs collés sur sa belle « Mobylette Peugeot ». Il nous invite à nous rendre assez vite à la frontière, car il est de garde, et il peut nous faire passer bien que ce soit fermé à cette heure tardive. Les bâtiments de la frontière sont encombrés de bagages et de personnes qui dorment sur leur sac de millet ou de maïs. C’est samedi, et les douaniers ont bien fêté leur week-end, certains dorment sur le bureau, d’autres à même le sol. Nous passons en dix minutes, grâce à notre ami qui ne manque pas de nous donner des conseils : « Attention, au Niger, les taxis-brousse conduisent très mal, et c’est très dangereux ! Attention aux routes de nuit, elles sont en très mauvais état… ». Il n’est peut-être jamais allé au Niger, mais ce qui est certain, c’est qu’il ne connaît pas son pays, ou du moins les pistes que nous avons empruntées ! Du côté du Niger, personne ne nous pose de questions, sauf peut-être les moustiques qui nous dévorent avec avidité et nous agressent tant que ça amuse les douaniers. (On verra plus tard les conséquences tragiques de cette bataille perdue contre les moustiques !).

Je roule jusqu’aux portes de Dosso où nous arrivons au bord de l’épuisement à minuit et demi !

 

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