Traversée du Sahara

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Vendredi 5 août.

Niamey - Dosso (103 km)
(Niger)

  

Le marché de Niamey est vraiment typique : des odeurs d’épices ou de poisson, de la viande, des cris, et surtout des couleurs, beaucoup de couleurs, car les femmes sont toujours enveloppées dans des « boubous » rouges à fleurs vertes ou bleus à fleurs jaunes… Tout ce qu’elles achètent, elles le mettent sur leur tête ; ça peut aller de l’encombrante nasse en osier au petit paquet de biscuits. Des bébés parfois minuscules se balancent sur leur dos sans jamais crier ni pleurer, et nous regardent avec de petits yeux noirs comme des billes.

À la banque, les ventilateurs brassent de l’air frais. Tous les sièges du hall d’accueil sont occupés, c’est la foire, le lieu de rendez-vous de tous les gens qui ont trop chaud dehors ! Nous préférons trouver un coin d’ombre tranquille, où nous attendons l’heure d’ouverture pour visiter le zoo-musée. Pancho répare les chambres à air crevées, juste pour ne pas trouver le temps long ! À quatre heures, nous visitons le musée, qui est, d’après nos renseignements, l’un des plus intéressants d’Afrique. En ce qui concerne les animaux, le lion est rachitique, l’autruche déplumée, et les singes bien tristes ! Le rayon archéologique ne manque pas d’intérêt, mais c’est surtout le « quartier des artistes et des artisans » qui nous passionne. On peut observer les tisserands, les peintres, et on admire l’habileté des joailliers. Pancho va pouvoir s’installer dans un coin pour montrer comment on répare quatre chambres à air en cinq minutes…

À six heures et demie, nous repartons vers Dosso avec un goudron souvent dégradé, mais tout de même préférable à une mauvaise piste. Sur le bord de la route, nous retrouvons Marc et Pierre en panne d’alternateur. Heureusement que le mécanicien Pancho est là !

Le soir, nous campons dans un nuage de moustiques, de papillons et de bestioles diverses !

 

Samedi 6 août.

Dosso - Parakou (527 km)
(Niger-Bénin)

Nous passons la frontière du Bénin très vite. C’est étonnant… Les douaniers sont très sympathiques, tout se passe très bien, avec le sourire, et on leur donne des autocollants pour leur moto. Un immense panneau stipule : « REPUBLIQUE POPULAIRE DU BÉNIN : notre devise est le socialisme, notre voie, le marxisme-léninisme, nous avons choisi, nous n’avons plus le choix ». Dès que nous passons la frontière, le paysage change. La brousse est remplacée par des cultures : riz, maïs, blé, pommes de terre. Les paysans travaillent dans les champs, et ils n’ont plus le temps de faire cercle autour de la voiture quand nous nous arrêtons. Je ne sais pas s’ils ont choisi de travailler, mais une chose est certaine : ils n’ont plus le choix ! Sur le bord de la route très bien asphaltée, des femmes transportent tout ce qui peut se transporter sur la tête : du bois, du maïs, des bassines pleines de blé ou de linge… Nous disons « bonjour » à tout le monde, sans oublier personne, et les Béninois répondent par des sourires pleins de dents et de grands gestes d’amitié. Au moindre coup de klaxon, les piétons se réfugient sur le bas-côté, et les cyclistes plongent dans le fossé. Il faudrait vraiment le faire exprès pour les écraser !

À Gamia, un petit village agricole sans importance, nous nous arrêtons dans une ferme modèle où Yves, un copain de Lembeye, avait travaillé pendant trois ans comme « volontaire du progrès ». Nous sommes reçus à bras ouverts, et traités comme des Rois : bière fraîche, Coca-Cola, Fanta… Robert, le responsable de la ferme, nous invite à rester parmi eux quelques jours, mais nous devons continuer notre voyage. Alors, il nous fait promettre de revenir vendredi pour filmer le marché du village.

 

     

 

À Parakou, plus de route goudronnée. Nous prenons la direction de Bohicou par une piste pourrie, infernale, en tôle ondulée à tout casser. Au bout de vingt kilomètres à rouler à une vitesse d’escargot, nous ne tenons plus, et nous nous arrêtons pour camper. Pierre ayant réussi à tuer une grosse pintade sauvage sur la route, nous nous régalons avec un succulent rôti préparé par Marc. Il y a du bon, quand on a un cuisinier dans le groupe !

 

Dimanche 7 août.

Parakou - Bafilo (257 km)
(Bénin-Togo)

La piste étant affreuse, nous décidons de passer par Djougou et le Togo. Nous quittons « les Nantais », car ils doivent réparer leur voiture, et nous n’avons pas prévu le même itinéraire. Nous nous retrouverons peut-être à Lomé, au Togo. Heureusement, la piste que nous empruntons est un peu plus carrossable ! Nous faisons même des pointes à quatre-vingts kilomètres-heure, la tôle ondulée étant moins prononcée que sur l’autre itinéraire. Ce n’est pas du billard, mais nous ne nous plaignons pas, car nous avons connu pire ! Par moments, la voiture vibre, avance en crabe, fait un affreux bruit de ferraille, mais elle ne part pas en morceaux et elle avance toujours. Les piétons s’enfuient jusqu’au milieu des champs quand ils nous entendent arriver. Ils s’éloignent du panache de poussière qui recouvre tout dans notre sillage, et en plus, comme ils ont l’habitude des taxis-brousse, ils savent que nous ne sommes pas maîtres du véhicule : alors, ils se méfient. D’ailleurs, pour nous aussi, le taxi-brousse est un sérieux sujet d’inquiétude. Lorsque nous en croisons un, il vaut mieux serrer à droite, car il louvoie sur la piste, et on ne sait jamais si on va pouvoir se croiser sans dommage ! Et c’est ensuite le moment le plus angoissant, car nous roulons, pendant quelques instants, dans un nuage de poussière très opaque, et nous craignons toujours qu’un autre véhicule ne se trouve dans ce brouillard… Cette poussière pénètre partout, et nous ne tardons pas à devenir rouquins.

Nous découvrons de sympathiques villages où les habitants ne parlent malheureusement pas français. Les minuscules cases rondes sont disposées en cercle autour d’une cour minuscule revêtue de terre battue. On dirait presque des villages de Schtroumfs. Les enfants, très timides au début, s’approchent petit à petit, et ne tardent pas à rire et à venir autour de nous ! Les adultes sont plus réservés, parfois craintifs.

Pancho répare la douzième crevaison et c’est ce qui le rend hargneux, et presque dangereux, car il brandit les démonte-pneus avec des gestes désordonnés. Il est vrai que la faim nous rend un peu irascibles ! À Djougou, nous mangeons dans un restaurant qui ne voit pas souvent de clients, et nous fixons nous-mêmes les prix. Nous pouvons aussi nous doucher, et c’est vraiment nécessaire, mais nous avons peur de boucher la douche !

À la frontière, nous sortons du pays en dix minutes, en conversant avec d’aimables douaniers qui craignent que le poste togolais ne soit fermé. Ils nous proposent même de revenir ici et de passer la soirée avec eux si l’on ne nous laisse pas passer. Au Togo, cinq minutes suffisent, car le policier de service part sous un arbre pour jouer « aux petits chevaux » avec ses collègues, et il se débarrasse de nous avec un sourire et deux paroles…

Nous retrouvons le goudron à Lamakara : nous avons l’impression d’avancer sur coussins d’air ! Après les vibrations de la piste, c’est appréciable. Nous nous arrêtons dans un col pour faire griller une côte de bœuf très appétissante. Malheureusement, les bouchers n’ont pas de réfrigérateur, donc, ils ne vendent jamais de viande rassise ; alors, notre belle tranche saignante, elle aurait pu servir de semelle compensée ! Heureusement que nous avons acheté un demi-litre de vin rouge, ça passe bien et nous ne nous plaignons pas !

 

Lundi 8 août 1977.

Bafilo - Lomé (450 km).
(
Togo)

     

Le temps est brumeux, quand nous repartons après avoir réparé la treizième crevaison ! Nous traversons un paysage tropical : forêts, arbres immenses, baobabs, termitières. Les cases se cachent timidement dans la végétation luxuriante. Elles sont toujours disposées autour d’une petite cour circulaire, constellées de greniers si petits qu’on dirait des ruches couvertes d’un petit toit de chaume. Dès que nous nous arrêtons, les gens viennent vers nous et nous saluent avec un grand respect… Je pense qu’ils nous prennent pour des extra-terrestres, car ils ne doivent pas souvent voir de « blancs » par ici ! Je tire une photo Polaroid, et c’est l’hilarité générale, les cris… La photo passe de main en main, en trente secondes, et après se l’être arrachée, quand les gens l’ont tous bien tripotée et admirée, nous passons pour des sorciers. Ils viennent de se reconnaître sur l’image ! Certains se voient en photo pour la première fois peut-être ; en tout cas, ça les amuse ! Ils sont d’accord pour me laisser filmer et photographier leur ferme dans ses moindres recoins. Malheureusement, ils ne parlent pas français. L’accueil est cependant formidable. Seul un bébé a peur de la grosse bête rose et poilue qui se présente devant lui : Pancho !

 

     

 

À côté du village de Atakpamé, nous nous rendons à une cascade au cœur de la forêt. Le site n’est pas connu, il nous a été signalé par des voyageurs qui, comme nous, mettent leur nez partout ! La piste pour y accéder est tellement défoncée que nous roulons au pas, et huit petits gamins nous suivent sans mot dire. Quand nous laissons la voiture pour continuer à pied, l’un veut porter notre bidon d’eau, l’autre le matériel photo, ils sautent de rocher en rocher… Nous restons avec eux un grand moment, dans le fracas de la cascade qui nous projette au visage son souffle tiède et humide. Les arbres forment une voûte d’un vert glauque très haut, au-dessus de nos têtes. Ce qui amuse les enfants, c’est que les moustiques nous attaquent de toutes parts. Oh ! Comme le sable brûlant du Tanezrouft nous semble loin ! Pourtant, dans une dizaine de jours, nous serons à nouveau au cœur du Sahara.

Mais nous devons aller plus loin, toujours continuer, avancer, rouler… Nous quittons donc notre paradis et partons en direction de Lomé. La route goudronnée, bordée de bas-côtés de latérite marque le paysage trop vert comme une plaie noire et rouge. Nous avons l’impression de faire du toboggan sur les collines. S’il n’y avait pas les 404 bâchées des « taxis-brousse » pour nous inquiéter de temps à autre, ce serait une agréable promenade. Mais voilà, il nous faut parfois nous rabattre sur ces bas-côtés de boue rouge et glissante, et l’on sent à chaque fois la voiture se dérober et « partir en crabe ». Quand tout est tranquille, nous somnolons, derrière notre pare-brise, comme des poissons rouges qui assisteraient à la projection d’un film sur l’Afrique de l’Ouest… Entre deux crevaisons, Pancho « coince la bulle ». Dans chaque village, la police nous arrête ; il nous faut nous présenter au poste, et on nous met un superbe tampon qui occupe toute une page dans notre passeport. « Vu au passage à […] ». À ce rythme-là, nous n’aurons plus de page libre, et, au retour, les Algériens risquent de nous refouler sur Niamey en nous demandant de refaire un nouveau passeport ! Nous décidons donc de ne plus nous arrêter lorsqu’on nous fait signe : nous agitons les mains par les portières pour dire bonjour, et ça suffit amplement !

 

     

 

Nous entrons dans Lomé, la capitale du Togo. Nous nous faufilons entre les taxis, les cyclistes, les piétons sans écraser personne, ce qui tient du miracle. Soudain, face à nous, la mer, toute bleue, la plage de sable fin, doré, les cocotiers : la carte postale ! C’est ça, le voyage, cette alternance de bons et de mauvais moments : tout à l’heure la cascade, puis l’angoisse sur la route, puis le désert inhumain, et soudain une plage paradisiaque ombragée de cocotiers… C’est cette alternance de joie et de souffrance qui fait paraître les bons moments encore plus beaux ! Dans nos souvenirs, il ne restera sûrement que ces instants de bonheur.

À l’hôtel de la plage, nous nous goinfrons de steak, de poulet, de frites ; arrosé d’un bon vin rouge français, ce repas est aussi un cadeau des Dieux ! La vie d’explorateur peut avoir de bons côtés !

Le soir, nous retrouvons les Nantais, descendus par la piste infernale du Bénin. On repère facilement leur 404 vrombissant comme un avion ! Maintenant, ce sont les pipes d’échappement qui ont cassé… Nous établissons notre camp de base sur la plage. Un policier en civil vient nous informer que l’endroit est peu sûr, et qu’il vaudrait mieux aller dans un hôtel. Peu sûr ? Qu’est-ce qui peut être plus dangereux que le désert du Tanezrouft, les scorpions et les taxis-brousse ? Nous n’avons plus peur de rien ! Dans la soirée, nous sommes abordés par une créature drapée dans cinquante bons mètres de tissu. Pierre a la cote, car c’est le seul à avoir reconnu une femme dans cette apparition nocturne. Avoir la cote sur une plage du Golfe de Guinée, c’est normal ! Il connaîtra le grand Amour africain sur un sable humide qui le fait tousser et cracher ses poumons. Nous nous endormons sur des couvertures à même la plage, bercés par la respiration régulière de la mer…

 

Mardi 9 août.

Lomé - Frontière du Bénin (55 km).
(
Togo)

Nous sommes réveillés dès six heures par un groupe d’une cinquantaine de sportifs matinaux qui courent sur la plage en martelant le sol de leurs pieds et en scandant le nom du Président : « Eyadema ! Eyadema ! Eyadema ! »… C’est l’heure de la culture physique. Nous ne nous mêlons pas à eux, nous restons couchés pour mieux les admirer. C’est beau le sport !

La 404 de Pierre et Marc a un réveil difficile : elle ne veut pas démarrer, elle regrette le climat sec du Sahara ! La baignade est vraiment trop dangereuse, la mer est agitée, avec des vagues courtes et très fortes. De plus, l’eau est quelque peu polluée, car la grande jetée de bois qui avance vers le large, perpendiculaire à la plage sert de toilettes à une bonne partie de la population de Lomé. C’est commode : pas besoin de tirer la chasse !

Nous devons impérativement partir, car nous voulons passer au Bénin, et la frontière risque de fermer. Nous perdons Marc et Pierre dans la ville qui n’est pourtant pas grande. Ils continuent leur voyage vers le Ghana et la Côte d’Ivoire… Nous nous reverrons peut-être en France au retour !

 

     

 

La route vers l’est suit la côte ombragée de cocotiers. Sur les plages de sable, les pêcheurs tirent leurs barques et réparent leurs filets. Quand ils reviennent vers la côte, leurs lourdes embarcations manœuvrées à la rame doivent franchir les dangereux rouleaux, et on les entend rire et chanter pour conjurer le sort, certainement ! Nous apprécions le calme et la beauté du paysage, mais la vie est certainement très rude pour ces pêcheurs, et leurs conditions de travail ne se sont pas améliorées depuis des siècles. Les cases bâties sous les cocotiers sont entourées du voile bleu, vaporeux, des filets de pêche étendus au soleil. On nous considère sans curiosité, avec indifférence : l’endroit est plus touristique que les contrées que nous venons de traverser ces derniers jours !

Nous arrivons à Grand Popo. C’est ainsi que les locaux appellent leur poste frontière avec le Bénin. Il est six heures cinq, la barrière vient de se fermer, et il ne nous est absolument pas possible de traverser : l’heure, c’est l’heure ! Nous passerons donc la nuit sur place…

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