Traversée du Sahara

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Jeudi 18 août 1977.

Agadez - Tafadeck (52 km).
(Niger)

Encore toute la matinée au garage, à s’acharner après la voiture qui ne veut vraiment pas nous obéir en se laissant soigner ! Le garagiste ne nous aide pas, car il espère que nous ne pourrons pas réparer, ce qui lui permettrait de nous "racheter" la voiture. Au moment de payer le garagiste, comme nous n’avons plus d’argent local, alors nous essayons de donner le réveil acheté à Ceuta… Ce n’est pas suffisant... Nous ajoutons un gonfleur défaillant qui ne nous manquera guère, car nous en avons un autre plus efficace. Pendant que nous réparions la voiture, un petit malin a fauché la belle montre chromée de Pancho. Ça ne nous cause pas une grande contrariété, car elle ne marchait plus depuis longtemps : « Bien mal acquis ne profite jamais ! ».

Dans une petite gargote à la portée de notre bourse, nous mangeons un couscous un peu trop gras qui nous pèse tant sur l’estomac qu’il nous semble que jamais plus nous ne connaîtrons la faim ! Nous allons acheter des « croix du Sud », ou plus exactement, nous les échangeons contre le reste de notre fortune en pièces de cinq et dix francs en argent.

Nous partons vers ce qui nous fait le plus peur : la piste d’Arlit. Au début, ce ne sont que cailloux, oueds à sec et trous… Nous nous embourbons au trentième kilomètre dans une vulgaire petite flaque de boue que nous aurions pu éviter très facilement en la contournant, tout simplement ! Il suffisait d’y penser, mais notre cerveau se liquéfie avec cette chaleur et cette piste qui demande à chaque instant, une attention soutenue. Il nous semble que nous avons parcouru une longue distance : nous ne sommes qu’à trente kilomètres du départ ! C’est usant !

Nous nous arrêtons au bord d’un oued où coule une eau très claire dans laquelle nous barbotons comme des canards, puis Pancho, déguisé en lavandière, redonne aux gandouras une teinte presque bleue, et il fait passer les chèches du noir au gris, à force de frotter. Nous sentirons moins mauvais demain ! Nous dînons au clair de lune, et c’est presque romantique !

 

Vendredi 19 août.

Tafadeck - Arlit. (223 km).
(Niger)

   

Nous n’avons pas le temps de profiter du lieu idyllique où nous nous trouvons, car nous partons dès six heures pour rouler le plus tôt possible vers Arlit au cas où la pluie se remettrait à tomber et à nous poser des problèmes ! La piste est de plus en plus défoncée. Cependant, nous nous réjouissons de passer aujourd’hui, et non pas ces derniers jours, car il ne pleut plus depuis trois jours, et si la terre reste très meuble pour des véhicules plus lourds, elle ne pose aucun problème à notre petite voiture de tourisme qui passe là où les véhicules quatre roues motrices trop lourds se plantent lamentablement ! Pour nous, le problème, c’est les fondrières creusées par les camions, les traces de roues si profondes que nous avons l’impression de traverser un champ labouré. Nous nous y enlisons de temps en temps, et pour remuer cette terre collante et lourde, c’est un travail de forçat ! Il faut creuser, enlever la terre qui s’accumule sous la voiture, poser les échelles, pousser… et le pire, c’est pour récupérer les échelles, quand elles sont bien enfoncées dans cette terre gluante ! Il nous faut alors encore suer sang et eau avant de parvenir à les décoller de cette gangue de boue. Je finis par avoir des ampoules aux mains, et Pancho se force un genou, ce qui risque de le handicaper pour pousser ! Mais nous ne nous plaignons pas, car ça pourrait être pire !

De temps en temps nous rencontrons un Targui, juché sur son dromadaire, le sabre au côté, son long vêtement bleu flottant au vent ; il nous salue de la main, l’air noble et un peu distant… Quelques troupeaux de zébus faméliques s'enfuient à notre approche.

 

     

 

La piste est de plus en plus mauvaise : elle s’étale sur plus d’un kilomètre, et elle ressemble à un champ de bataille récemment bombardé. Il nous faut chercher un passage à pied. Voilà deux jours, cinquante-quatre camions étaient embourbés, il n’en reste plus que trois aujourd’hui ; l’un a de la boue jusqu’à mi-portières, et les Africains creusent une tranchée de plus de deux mètres de profondeur pour le faire sortir, l’autre gît lamentablement, couché sur le côté. Le troisième est planté dans la terre jusqu’aux essieux.

Par moments, nous passons dans la boue au milieu d’herbes cachant les pièges du terrain. Nous ne nous plantons pas, car la terre recommence à durcir sous l’implacable soleil du désert, et peut-être que le mois prochain, le sable aura repris ses droits sur ces herbes tendres qui disparaîtront aussi vite qu’elles sont apparues !

Nous grimpons par une piste empierrée, nous nous perdons, et nous tournons en rond. Encore une fois, il faut reconnaître que le copilote n’a pas un œil de lynx ! Nous traversons des zones de « fech-fech », cette poussière légère est aussi fine que du talc, souvent si profonde qu’un enlisement devient catastrophique. En effet, ces passages sont si meubles qu’on ne peut plus dégager le véhicule, et qu’on soulève un nuage étouffant au moindre coup de pelle. Heureusement, on repère ces pièges, car ces passages sont plus sombres. Il faut donc rester très vigilant, choisir la bonne trajectoire, et la moindre inattention peut coûter une heure d’efforts en enfer!

 

 

Nous avançons parmi ces pièges, et comme nous avons le vent dans le dos, il rabat le nuage de poussière que nous soulevons sur la voiture, nous obligeant à rouler toutes vitres fermées. Mais la poussière entre par les trous du plancher. Le chèche enroulé autour du visage, je retiens ma respiration et deviens rouge bleuté alors que Pancho vire au violet. Il tousse et crache plus qu’il n’avale, et nos propos deviennent grinçants ! Nous ne voyons jamais se profiler Arlit à l’horizon, nous ne croisons aucun véhicule, le désert a repris le dessus sur la végétation, et nous commençons à trouver le temps long. Les montagnes bleutées de l’Aïr ont disparu à l’horizon, la piste est de moins en moins facile à suivre, et nous ne sommes même pas sûrs de nous trouver sur la bonne voie ! Le paysage devient plus plat, plus désertique, la nuit tombe, lorsque nous arrivons au contrôle des passeports. Les militaires disent que nous sommes à plus de quinze kilomètres de la ville d’Arlit. Nous sommes très déçus, car nous nous étions crus au terme de cette étape infernale. En plus, comme nous repartons de nuit, nous ne voyons plus aussi bien le relief et les pièges du terrain, alors nous nous ensablons, nous nous trompons de direction… Comme nous espérions depuis longtemps boire quelque chose de frais dans un petit bar tranquille, nous nous sentons frustrés de ne pas trouver la piste menant à la ville éclaircissant l’horizon ; et nous voyons les lumières s’éloigner derrière nous. Nous essayons de nous guider à la boussole, mais, de nuit, ce n’est pas évident.

Nous finissons par aboutir à l’usine française d’extraction d’uranium. Elle est entourée d’un bourg aux maisons de terre où des enfants courent devant nos phares comme des papillons de nuit. Nous demandons à des Africains où se trouve le bar du village, et ils nous demandent le plus naturellement du monde : « Tu veux aller au café des Nègres ou au café des blancs ? ». Curieux, comme façon de s’exprimer, on sent bien qu’ici, les noirs sont des « Nègres » parce que les Français sont des « Blancs » ! Nous sommes en Afrique, alors nous choisissons le « café des Nègres » pour cette bière tant attendue. L’établissement est absolument sordide : nous entrons dans une pièce « noire de monde », si je puis m’exprimer ainsi, de grands ventilateurs brassent une atmosphère enfumée, la cohue, le brouhaha qui règnent à l’intérieur cessent presque lorsque nous faisons notre apparition dans ce bouge surpeuplé. Tous les regards se portent sur nous, et chacun semble se poser la même question : « Qui sont ces blancs qui osent entrer dans ce café, et côtoyer des êtres aussi vulgaires que nous ? » Nous ne nous sentons pas à notre aise, dans ces premiers instants ! Nous rêvons de bière fraîche, nous sommes à moitié morts de soif… On nous sert une « Heineken » chaude, mais je pense que c’est la meilleure bière que nous n’ayons jamais bue ! Dans la moiteur de cette atmosphère confinée, nous savourons la boisson dont nous rêvons depuis tant de jours et dont nous parlons à chaque fois que nous avons la bouche sèche ! Le brouhaha a repris de plus belle, plus personne ne se soucie de notre présence, et nous pouvons même nous remettre une tournée de « tisane », comme dit Pancho. Les clients de cet « assommoir » sont tous des ouvriers travaillant à la mine d’uranium. Ils ont d’ailleurs la mine patibulaire. Ils fêtent la fin de semaine, et peut-être leur paye hebdomadaire, on sent qu’il vaut peut-être mieux ne pas trop s’attarder en ces lieux, certains commençant à donner quelques signes d’ébriété…

Nous reprenons la voiture jusqu’au « Quartier Général » de l’usine où se trouve le « Café des Blancs ». Le décor est tout à fait différent : Bar avec bouteilles d’apéritif, gens attablés, copains buvant leur énième Pastis au comptoir… On se croirait au « Café du Commerce » d’un petit village quelque part au fin fond du Sud-Ouest ! Là, la Heineken est fraîche, servie dans un vrai verre à bière, et pourtant, nous ne l’apprécions pas autant que celle que nous venons de boire. Il est vrai que nous venons d’étancher notre première soif. Ici, on sent une ambiance trop huppée, presque snob. C’est tout juste si nous osons boire notre pot. On nous regarde avec un peu de mépris ; il faut dire que nos vêtements couverts de poussière trahissent un esprit d’aventure qui n’est pas le genre de la maison ! Nous mangerions bien un bon petit repas français, mais on ne sert plus à cette heure-ci. Le prix des consommations n’est pas très africain, et l’ambiance nous rend mal à l’aise !

Nous quittons ce « club privé », laissant ces « messieurs » au bord de la piscine pour coucher dans la voiture, juste à côté, de l’autre côté de la route. Nous sommes déçus : les Français immigrés sont bien tristes, en Afrique !

 

Samedi 20 août 1977.

Arlit - Assamaka (218 km).
(Niger)

Nous aimerions déjeuner au « cercle français », mais nous nous faisons « jeter » comme de vulgaires vagabonds : « Le cercle est privé, réservé aux Français travaillant à la SOMAÏR, et non à ceux qui se promènent ! ». C’est ce que nous annonce un vieux bedonnant alors que nous nous apprêtons à passer le portillon d’entrée. Demi-tour : nous sommes édifiés, les Français à l’étranger sont souvent ainsi. Je le sais puisque je les ai côtoyés pendant deux ans à Téhéran !

Au poste de police d’Arlit, les formalités sont très rapides. Ça nous permet donc de prendre le temps de déjeuner si copieusement que Pancho se verra contraint de déposer son « trop-plein » au bord de la piste un peu plus loin.

Assamaka, où nous allons, se trouve au nord, mais nous avons du mal à nous engager sur la bonne piste. Nous tournons en rond dans le désert autour de l’aéroport, sans trouver les fûts servant de balises. Nous finissons tout de même par repérer la piste. Nous nous ensablons à cause du manque de puissance de la voiture : nous ne parvenons pas à nous lancer suffisamment pour traverser les portions de sables mouvants. Décrocher les échelles de la galerie de toit, dégager les roues à la pelle, placer les échelles devant les roues… c’est devenu la routine, mais aujourd’hui, c’est encore plus pénible que d’habitude, car Pancho n’en peut plus : il est lessivé ! Il souffre du genou, il boit comme une éponge, il vomit, il transpire, et les piqûres de moustiques de la frontière du Niger commencent à s’infecter sur ses tibias. La chaleur devient difficile à supporter, dans des cas pareils ! Le sable est brûlant, top léger : c’est dur, quand le sol est mou ! Pourtant, nous sommes habitués à tout : aux pistes boueuses, aux passages d’oueds, à la tôle ondulée, au fech-fech… Nous devenons des durs, des routards, des aventuriers, presque des explorateurs… mais nous ne pouvons nous empêcher de penser à ce que nous ferions si nous étions avec les copains en France en ce moment, un samedi après-midi ! Bah ! nous avons choisi de venir ici, ce n’est pas pour rêver à ce que nous ferions si nous n’avions pas pu partir !

Nous trouvons six Français remontant vers l’Algérie comme nous, en 2Cv et en 4L. Ils sont aussi fous que nous pour oser se lancer dans cet enfer en 4L ! Ils ont un avantage sur nous : leurs véhicules sont neufs, et ils n’ont pas fait l’aller, car ils sont coopérants en Afrique. Ils font la pause de quatorze heures sous une toile de tente tendue entre les deux voitures. Nous échangeons nos impressions de voyage avec eux à l’ombre de leur auvent hospitalier. Quelle chaleur ! Nous repartons avant eux, car ils ont davantage de temps, et ils ont décidé de ne pas rouler aux heures les plus chaudes. La piste devient presque difficile à suivre, car les balises ne sont pas toujours faciles à repérer, les traces se perdent dans la rocaille… Heureusement que j’ai une bonne vue, car le copilote, il se serait perdu depuis longtemps, s’il avait dû se fier à son œil de taupe !

À Assamaka, les formalités de police sont très rapides, mais la nuit tombe, et la prudence nous demande de ne pas prendre le risque de rouler de nuit. Nous sommes seuls, et il ne faut absolument pas nous perdre, car la moindre panne de voiture deviendrait alors une catastrophe mortelle ! Nous nous installons sous un des rares arbres non loin de la douane. Une fontaine tiède, mais à l’eau très claire clapote doucement. Nous nous baignons : luxe inimaginable au cœur du désert ! Comment expliquer notre bonheur, c’est tout simplement féerique ! L’eau a une odeur de soufre, mais nous la trouvons très bonne. Et puis, dans le désert, il ne faut pas faire le difficile !

 

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