Dernière modification: 01/05/2015

Retour à l'index (Sommaire du site)   

Sommaire "Mes voyages"

Sommaire carnet de bord

Cliquez sur les images pour les agrandir et sur les mots en couleur pour voir d'autres images.


Page précédente

 

Mardi 16 au jeudi 18 décembre 2014.

Surin

 

     

 

Me voilà revenu dans ma tranquillité quotidienne à regarder le soleil se coucher sur la rizière ou à écouter les merles semblables à des mainates au bec jaune venir siffler jusque sur le pas de la porte. Noy est parti courir la femelle en chaleur, abandonnant « Lao-lao » la petite chienne jaune au museau allongé. Les chiens sont aussi infidèles que les humains ! Pour me rendre au centre de Surin, je prends le « songtaew », ce pick-up aménagé avec des banquettes à l’arrière. Le soir, avec Amnuai, nous regardons des jeux un peu idiots à la télé, mais il n’y a rien d’autre. La télévision thaïlandaise ne diffuse jamais de reportages, jamais de films, et les séries télévisées sont entrecoupées de cinq minutes de publicité sans arrêt. Ces séries télévisées sont abêtissantes. Ce sont toujours des histoires d’infidélité ou de violence conjugale, ou alors ce sont des pièces de théâtre où le burlesque est tellement grossier que ça fait pitié, consistant à travestir, des personnages en transsexuels et en les faisant se rouler par terre sous les coups de quelque mégère aux mollets poilus. Si la télévision peut être un bon instrument de diffusion de culture et de savoir, ici, c’est un excellent instrument favorisant l’obscurantisme. Dans un pays où les gens ne lisent pas, où l’école n’apprend qu’à lire, compter et écrire, où les médias sont d’un niveau intellectuel déplorable, on ne pourra jamais instaurer une démocratie.

À l’école voisine, une fois par mois, les cinq cents élèves, sauf les plus petits, montent dans des cars ou dans des camions militaires conduits par des soldats en tenue de camouflage, et on les ramène le lendemain. Les garçons portent un chapeau de cow-boy et la tenue kaki des scouts. L’armée a pris le pouvoir, elle joue son rôle.

 

Vendredi 19 décembre 2014.

Surin

Malheur, chez les voisins, la mémé de quatre-vingt-six ans est décédée ! Malheur, car ça va être la fête pendant trois jours ! Ici les obsèques sont une partie de plaisir, une fête offerte aux voisins et à la famille, un prétexte pour se retrouver et pour passer un bon moment ensemble en faisant en sorte que les perdants n’aient pas un seul instant pour donner libre cours à leur chagrin. Malheur, car la maison des voisins est à cinquante mètres de la nôtre, et nous allons vivre quelques jours dans le tumulte et les pétarades. En effet, les esprits, nommés « phis » ( le ph se prononce P en thaï ) sont comme moi, ils n’aiment pas le vacarme ; alors pour les empêcher d’approcher et de venir tracasser cette pauvre mamie paisiblement allongée dans sa boîte de bois blanc aux moulures dorées, on va tout faire pour les effaroucher. C’est la tradition, et ce serait très bien si la tradition ne s’était pas modernisée ! Il y a quelques années, des musiciens venaient avec leur xylophone, leurs percussions et les « sisso » ( sorte de viole dont l’archet est pris entre les deux cordes ), et ils jouaient sur un rythme lent, et les gens assemblés buvaient, mangeaient, riaient, jouaient aux cartes, et souvent, si on leur offrait de l’alcool, ils finissaient par se disputer et parfois par se battre. C’étaient des réunions très conviviales. C’était la vie qui continue auprès de celui ou celle qui était arrivé au bout du chemin ! Il faut dire que dans la doctrine bouddhiste, Bouddha, au moment de sa mort, a passé un sacré savon à ceux de ses disciples qui pleuraient en leur disant : « je vais dans le Nirvana, cet endroit où me mène l’illumination, j’ai terminé le cycle de vie terrestre, de souffrance et de besoins, et vous, mes disciples, mes amis, vous pleurez ? Si vous croyez en moi, vous vous devez de montrer votre joie ! » Mais aujourd’hui, comme je l’ai dit, la tradition s’est modernisée. Alors, on installe toute une série de haut-parleurs comme ces « disco-mobiles » qui assourdissent notre jeunesse dans les bals populaires, et l’on diffuse à la puissance maximale une musique guimauve, mélange d’orgue et de clavecin électroniques. Le morceau dure exactement trois minutes, pas une seconde de plus. À chaque fois qu’il arrive au bout, on croit que c’est fini, mais non, ça recommence en boucle… vingt fois par heure. Ce matin, nous y avons eu droit de cinq heures à sept heures, sans discontinuer, soit quarante fois, à une telle puissance que nous avions l’impression que le haut-parleur se trouvait dans la chambre. Le seul avantage, c’est que cela peut présenter un intérêt pour minuter la cuisson des œufs à la coque du déjeuner… Les pétards sont devenus des bombes : on vit au rythme des déflagrations. Parfois, tout se calme, on se croit en mesure de profiter d’un peu de répit et ce sont les bonzes qui prennent le relais en chantant, d’un ton monocorde des prières qui n’en finissent pas.

Amnuai est allée faire une visite, car elle connaissait la mémé, et elle est revenue avec des lardons frits et croustillants, du porc en sauce dans des poches en plastique et des petits bouts de viande grillée. La famille a tué trois cochons gras et tout le voisinage vient se mettre les pieds sous la table !

 

Samedi 20 décembre 2014.

Surin

De cinq à sept, musique, toujours la même, quarante fois en suivant, sept heures cinq une demi-heure de lente et sinistre mélopée des bonzes qui viennent prier et déjeuner. Sept heures trente à neuf heures la musique reprend, avec un volume toujours aussi élevé. Quand tout redevient calme, seuls quelques pétards viennent rappeler aux « phis » que ce n’est pas la peine d’approcher. À midi, musique, ainsi que parfois dans l’après-midi et le soir de six à huit heures.

 

Dimanche 21 décembre 2014.

Surin

Cinq heures : je suis réveillé par la belle musique ! Allez, c’est parti pour quarante tours ! Aujourd’hui, c’est le jour de la crémation. Les bonzes s’en donnent à cœur joie dans les haut-parleurs : ce qui pour moi n’est qu’une éternelle ritournelle n’a pas plus de sens pour les habitants du quartier, car ces prières sont récitées en pali. À trois heures, tout le monde part derrière le cercueil jusqu’au temple. On attache un fil à la bière, chacun s’accroche au fil, et on fait trois fois le tour du four crématoire. Il y a parfois un orchestre avec les mêmes instruments que nos orchestres de « bandas », qui joue une musique gaie et entraînante. Au moment où l’on place le cercueil dans le four surmonté d’une haute cheminée, des bombes fusent vers les nuages et explosent en l’air laissant sur le ciel bleu de petits flocons blancs. Certaines font un tel vacarme que les vitres de la maison en tremblent. D’ici, je vois la cheminée dégager une épaisse fumée noire. Je ne sais pas ce qu’il va advenir de l’âme de la mamie, si elle a mérité le Nirvana ou si elle sera réincarnée en grenouille ( je ne le pense pas, car elle était très gentille ), mais en ce qui concerne son corps, comme « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », je peux affirmer que le vent étant favorable et poussant ses cendres vers chez elle, elle restera dans le jardin !

Je pensais que la cérémonie terminée, les invités rentreraient chez eux… hé bien non ! Les voilà qui viennent finir les restes : brochettes, sauces, riz, cochon, volaille, tout doit disparaître ! Heureusement, il n’y a pas d’alcool, alors pas de disputes ! Mais revoilà la musique. Nous avons droit à une musique de variétés, chanteurs et chanteuses miaulent ou s’égosillent, faisant vibrer nos carreaux de fenêtres. J’essaye de regarder un film en DVD, j’arrive à peine à entendre le son. L’avantage sur la musique guimauve, c’est que ce ne sont pas toujours les mêmes chansons : c’est plus bruyant, surtout les basses, mais c’est plus varié ! Ce tapage continue jusqu’à neuf heures du soir !

 

Lundi 22 décembre 2014.

Surin

Je me croyais sauvé ? Que nenni ! Cinq heures du mat’, me voilà bercé par une vedette de music-hall thaï. Le volume sonore est pire que les jours précédents : même les portes vibrent ( et je n’exagère pas !). À sept heures, les bonzes psalmodient pendant une heure, puis c’est « le music-hall »… Les élèves de l’école voisine doivent travailler dans la joie ! À dix heures tout est fini, le calme revient, définitivement j’espère !

 

Page suivante pour continuer le voyage.

Sommaire carnet de bord