Dernière modification: 15/09/2013

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Le dernier combat.

Il faisait beau en ce matin du 13 juillet1944 ; le soleil inondait de ses chauds rayons une nature toute ruisselante de lumière et de parfums. Les dernières gouttes de rosée frémissaient au bord des tiges frêles et avant de s'évaporer dans l'azur jetaient leurs derniers feux.

Il était près de onze heures. Dans un nuage de poussière dorée, une file de 6 camionnettes entrait à MONASSUT, dans les Basses-Pyrénées, non loin de la limite de notre Bigorre. MONASSUT ! petit village inconnu, inondé jusqu'ici de paix et de lumière, tu vas rejoindre désormais l'infini cortège de tous les autres petits villages qu'à travers les siècles la fureur meurtrière des hommes a désignés pour être inscrits dans l'Histoire. Pour toi, rien ne sera plus pareil. Ton bonheur tranquille est fini ton nom restera imprégné, pour toujours, d'un goût amer de sang et de larmes.

À voir le visage hirsute et mal rasé des hommes entassés dans les voitures, on eut pu se croire en présence de bandits de grands chemins venant effectuer quelques mauvais coups. Pourtant, aucune lueur mauvaise ne se voyait dans leurs yeux. Leur regard rayonnait d'une pure lumière pleine d'espoir et d'idéal. Sous la barbe et la poussière. on devinait des êtres jeunes, remplis de vie et d'enthousiasme débordant.

C'étaient des maquisards ! Des maquisards avec tout ce que ce terme peut évoquer de souffrance, de privations, de luttes et de rêves épiques. Ils étaient là. Une trentaine au plus, dans des camionnettes chargées d'armes et de munitions. Ils rejoignaient par ce chemin caillouteux le PC de leur « maquis » transporté dans le petit village de GERDEREST. Venus de CLARACQ, ils avaient traversé TARON,  LALONGUE, LUSSON,  LUSSAGNET, allaient  dépasser MONASSUT, puis traversant la route nationale de PAU à MAUBOURGUET prendre le chemin qui mène à GERDEREST.

À la sortie de MONASSUT, un obstacle se dresse devant eux : un raidillon. Les voitures lourdement chargées l'attaquent avec peine, mais les moteurs fatigués n'en peuvent plus et calent. Impossible d'aller plus loin ! Tant pis on aura un tronçon à parcourir à découvert sur la grande route pour atteindre le chemin de GERDEREST. « Demi-tour et face à l'église ! » a crié le chef du convoi. Toutes ces manoeuvres prennent un bon quart d'heure. Enfin les voilà prêts à partir. Les 6 camionnettes s'ébranlent dans un nuage de poussière.

Soudain, venant des premières voitures, des cris terribles déchirent l'air comme des coups de fouet : « Les Boches  ! Les Boches ! Les Boches ! »

Trois camions allemands, pleins de soldats qui passaient sur la grand’route ont vu de loin la caravane et ont foncé à sa rencontre. Les Boches ! Il faut se battre ! Marcel LAMARQUE bloque sa voiture face au cimetière, saute, un fusil mitrailleur à la main et se met en position de combat sur le côté du chemin. Des camionnettes jaillissent des maquisards armés de mousquetons, de révolvers, de mitraillettes. Cela forme une guirlande de feu qui couvre le chemin jusqu'à l'église. La fusillade crépite. Les Allemands attaquent à la mitrailleuse, au fusil, à la grenade. Marcel LAMARQUE est là, la main crispée à la poignée de son arme et tire, tire. Des rafales de balles miaulent à ses oreilles comme des essaims de mouches de mort. Il tire, tire ! Il tirera tant qu'il aura des cartouches ! Après ? À la volonté de Dieu !

Bien nourri au début, le tir des maquisards pourtant se ralentit. Certains ont épuisé leurs munitions, d'autres ont réussi à se faufiler et à décrocher. Une douzaine reste là, échelonnée jusqu'à l'église. Des soldats allemands sont tombés, nombreux, mais les autres sont bien retranchés. Une mitrailleuse française se tait, sinistrement muette. Un corps kaki s'affaisse dans un sanglot de sang ! Un autre, un autre encore Marcel LAMARQUE tire en rafales de plus en plus espacées. Il sait que c'est fini. Il comprend qu'il va mourir ! En une seconde, il revoit les visages aimés qu'il va quitter pour toujours : ses parents qui l'ont tant choyé, sa femme qu'il adore, ses trois petits qui jouent peut-être en ce moment sans se douter que leur papa est là, couché sur le chemin et qu'il va mourir. Ses yeux s'emplissent de larmes et un sanglot rauque monte à sa gorge. Il va mourir ! Sa jeune vie bouillonne en lui et il pleure parce qu'elle va le quitter !

Près de lui, un corps s'écroule dans un hoquet. Combien restent-ils encore à tirer ? Trois, quatre peut-être ? Il sait que c'est inutile, mais il continue à se battre jusqu'au bout. Une autre rafale ! Une autre encore et c'est fini ! Son doigt presse désespérément la détente . Plus rien ! Son chargeur est vide !

Dans un dernier réflexe de conservation, il se lève pour essayer de fuir à son tour. Une rafale l'atteint au ventre et il s'écroule dans un «aah» ! déchirant. C'est fini ! L'un après l'autre, les douze héros sont tombés. L'un après l'autre, les fusils français se sont tus ! Une mitrailleuse allemande tire encore sur l'église, bêtement. Et puis c'est le silence des armes. Un tragique silence martelé par des cris de haine qui insultent, par des coups de crosse qui s'acharnent sur les visages, par des claquements de pistolets qui achèvent les blessés et les morts, indistinctement.

L’abbé Bordenave, curé de Monassut s’est avancé sur le chemin fatal pour donner l'absolution aux douze pauvres martyrs. Un officier allemand intervint alors.

« Laissez cela mon père, ces terroristes m'appartiennent !

Non Monsieur ! vivants, ils vous auraient appartenu... peut-être, mais morts, ils appartiennent à Dieu ». Et sans attendre de réponse, il allongea sur la route les dépouilles encore chaudes.

Marcel LAMARQUE était recroquevillé sur lui-même et ce fut avec peine qu'il parvint à détendre ses membres déjà roides.

Pauvre Marcel ! Son visage plein de soleil avait échappé à l'insulte des crosses. Tourné vers l'azur, il avait cette illumination des lendemains de combats, de victoires. On eut dit que quelque grand rêve était venu le visiter dans son dernier sommeil et lui avait fait entrevoir un avenir de liberté et d'espérance.

Les Allemands sont partis emmenant leurs blessés et leurs morts. Le combat avait duré une heure, à peine. Un oiseau se mit à chanter et les grillons, un moment interrompus par cette agitation des hommes, reprirent leur conversation stridente dans les prés. La nature ne se souvenait déjà plus qu'un drame atroce s'était déroulé ici.

Le prêtre, avec l'aide de quelques habitants de MONASSUT, a enlevé les corps et dressé dans l'église une chapelle ardente. Il a recueilli, pour les envoyer aux familles, les pauvres reliques que ces garçons portaient sur eux : une photo de femme, une boucle blonde d'enfant, un porte-bonheur, toutes ces choses intimes que l'on aime revoir dans les moments de cafard et qui sont une présence qui rassure et encourage.

L'après-midi s'achève et presque sans transition le chemin s'emplit de ténèbres. On dirait que la nuit se hâte de baisser ses paupières d'ombre pour effacer les mares de sang qui gisent çà et là. Les étoiles s'allument au ciel de velours comme des larmes de feu d'un immense drap mortuaire. C'est fini ! Tout se noie dans une paix éternelle. Dans la petite église, les morts eux-mêmes semblent dormir. C'est fini !

Trente-cinq ans sont passés et ce chemin funèbre, goudronné aujourd'hui, se souvient encore. Une stèle rappelle qu'à cet endroit est tombé, à 28 ans, avec 11 de ses camarades, notre ami Marcel LAMARQUE.

Rodolphe BACARAT

 

 

LES 12 SOLDATS MORTS À MONASSUT LE 13 JUILLET 1944.

 

ABADIE Roger-Lucien-Louis ( 34 ans )

né le 10 novembre 1910 à PlERREFlTTE-NESTALAS, Hautes Pyrénées, époux de Marthe Alice LAHON-LABORDE.

BOUTIN jean ( 47 ans )

né le 24 juin 1897 à LUSIGNAN, Vienne.

CAZAUBON Pierre

date de naissance et domicile inconnus

CLOS-PUCHEU Jean-Marie Gilbert ( 23 ans )

né le 12 septembre 1921 à MAUBOURGUET Hautes-Pyrénées

CRISTOL René

date et lieu de naissance inconnus.

DECHAUD Gaston Alfred ( 46 ans )

né le 3 août 1898 à PARIS.

GAILLOT Pierre-Paul ( 34 ans )

né le 14 avril 1910 à SASSANGY, Saône et Loire

LAMARQUE Marcel-Paul ( 28 ans )

né le 29 octobre 1916 à TARBES, Hautes-Pyrénées.

LANGELEZ Gérard-Robert-François ( 20 ans )

né le 24 septembre 1924 à SEMEAC, Hautes Pyrénées.

LEBLEU Jean-Louis-Maurice ( 23 ans )

né le 19 janvier 1921 à BAILLEUL, Nord.

LE MOLGAT Émile-Edmond-Vincent ( 34 ans )

né le 1 novembre 1910 à QUEVEN, Morbihan.

SALLES Aubert-Paul-Gaston.( 20 ans )

né le 27 octobre 1924 à SEMEAC, Hautes Pyrénées.

 


D'autres témoignages:

Récit de BOURTOULE Louis.

Récit de Monsieur LAGRAVE Guy

Récit de Monsieur CHOURRE Prosper
Récit de Madame Françoise MOURA de MONASSUT

Témoignage de Madame CLOUTÉ
Témoignage de Monsieur POUTOU Dominique
Témoignage de Monsieur Jean CAZABAN.

Récit de Monsieur Jean-Marie PALUE.

Le témoignage de Monsieur Abel BRUZOU

témoignage de l'abbé BORDENAVE.

 

des photos

Lembeye sous l'occupation