légendes béarnaises de Boast
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L'ÂNE DE BOAST 

L'ASO DE BOAST

Si vous empruntez la route sinueuse et bordée d'épaisses frondaisons qui va de Lussagnet à Escoubès (ou d'Escoubès à Lussagnet), vous ne pouvez manquer d'apercevoir, à flanc de coteau, entre deux rameaux feuillus, le clocher-mur rustique de l'église de Boast. Pour peu que vous soyez observateur et curieux, vous remarquerez sans doute sur le tranchant du mur placé vers l'est, du côté de Monassut, un impertinent bouquet de chardon qui dépare grandement le clocher, humble, mais digne, de ce charmant édifice rural. Ce n'est pas que ce bouquet champêtre manque de charme ou de vigueur, tout au contraire. Ce n'est pas qu'il menace beaucoup la cohésion des pierres jointoyées de ce solide mur traditionnel, mais il y a une espèce de parti pris de la nature à venir semer des graines volages jusqu'en des endroits impossibles qui ne peut que choquer un esprit cohérent et ami de l'ordre. Amis de l'ordre, les habitants de Boast l'ont toujours été, eux qui vivent dans une nature exubérante et fantasque qu'ils se sont toujours efforcés de discipliner et de plier à des exigences plus rationnelles. Aussi comprendra-t-on que ce chardon, insolemment juché sur le clocher de leur église, lieu de culte qu'ils s'efforçaient de maintenir en l'état de propreté et de dignité conforme à sa destination, ne pouvait que heurter leur sentiment esthétique et leur sens profond des convenances.

Mais comment débarrasser le mur-clocher de cet ajout inesthétique ? La communauté des jurats réunie au haut du pré sur lequel est implantée l'église s'interrogeait anxieusement. L'un d'eux eut une idée simple, mais logique « quel est l'animal qui est friand de chardons au point de les rechercher dans les lieux les plus inaccessibles ? L'âne, bien entendu ! »Et il y en avait justement un dans le pré voisin ! Le propriétaire de l'animal ne se fit pas trop prier pour le mettre à la disposition d'une entreprise qui relevait de l'intérêt communautaire. Le sonneur de cloches se souvenait qu'une poulie avait été installée au-dessus de l'arcade abritant la cloche maîtresse. On y passa une corde. En la déviant vers l'extrémité du mur, on devait passer non loin du chardon. Il suffisait d'y fixer l'ânon. Ce qui fut fait. Et les paroissiens de Boast de tirer la corde vers le bas du pré... Et l'âne de résister des quatre fers... Mais fut-ce l'effet de la persuasion d'un vigoureux coup de barràt (bâton), de la force conjuguée des solides bras des habitants de Boast bien connus pour leur robustesse, de leur poids conséquent sur la pente inclinée, de l'intercession du bedeau auprès de Sainte Quitterie, ou bien encore de l'irrésistible attrait du savoureux chardon, toujours est-il que l'âne se retrouva suspendu entre ciel et terre, battant l'air en vain des quatre pattes, se tordant l'échine contre les galets du mur et brayant désespérément. « Espia, que se n'arrid ! » (Regarde, il s'en réjouit !) observa l'un des voisins. En effet, l'animal semblait tendre son cou anxieusement vers le chardon maintenant tout proche, ouvrant grand la gueule et tirant, comme à plaisir, une langue démesurée. Encore un effort et le chardon fut à portée de sa solide mâchoire. Et pourtant... l'âne semblait maintenant dédaigner sa proie si proche, rejetant en arrière sa tête aux longues oreilles pendantes.

Il fallut se rendre à l'évidence : l'âne était mort ! À deux doigts de goûter à cette félicité suprême, un bouquet de chardons bien frais et bien craquants, et de combler ainsi l'attente des paroissiens inquiets, il avait dû succomber à l'émotion d'une joie trop grande, à moins que ce ne fut l'étreinte un peu forte de ce maudit collier ! On enterra le pauvre sacrifié non loin du lieu consacré et l'on planta sur sa tombe quelques chardons sauvages.

Quant à ceux qui poussaient sur le mur de l'église, ils y sont toujours ! Si vous passez sur la route voisine, non loin du croisement des chênes où se trouve aujourd'hui l'école, vous les apercevrez certainement au flanc supérieur du clocher. Vous vous étonnerez peut-être de cette présence singulière et disgracieuse, sur un bâtiment si bien entretenu, au milieu d'un pré tondu de près, débarrassé de toute plante parasite et de la moindre fleurette. Gardez donc votre étonnement pour vous et n'allez pas suggérer aux habitants de Boast quelque procédé biscornu pour émonder leur clocher : ils le prendraient certainement très mal !


à propos de cette légende...


les autres contes:  en direction de la lune,   le champ d'aiguilles,   la croix des lapins


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Dernière modification:  05/08/2013