Dernière modification: 09/07/2012

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Bateau vers Pathein.

 

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Vendredi 30 décembre 2011.

Yangon. ( bateau )

Je prends un taxi pour aller acheter mon billet de bateau pour cette après-midi. Je veux me rendre à Pathein par le fleuve, puis en contournant le détroit de l'Ayeyarwady, soit environ dix-huit heures de bateau en grande partie de nuit. Le port, le long du fleuve, est fermé par des palissades. Au fond d'un hangar, dans un vieux bureau, un vieux monsieur me vend un billet pour huit dollars. Je paye en kyats et j'y perds, car plutôt que de se casser la tête à convertir, il me compte le dollar à mille kyats ( au lieu de 820 ). J'ai pris la chaise longue sur le pont, car je ne veux pas dépenser quarante dollars pour une cabine individuelle. Quand on part à l'aventure avec un petit budget, on n'a pas droit au confort. Je m'attends à souffrir un peu et à ne pas dormir beaucoup. Le départ a lieu tous les jours à dix-sept heures.

 

     

 

Nous sommes si nombreux sur le bateau, tout le monde est couché sur le pont, les uns recroquevillés sous des couvertures, d'autres vautrés de tout leur long. Sur le pont inférieur, c'est encore pire, car il y a des sacs, des cartons, des caisses, des bidons, et chacun s'est casé où il a pu, dans les endroits les plus invraisemblables. Il n'y a ni bar ni épicerie, seule une vieille femme qui propose des paquets de chips ou des petites poches en plastique contenant des feuilles vertes dans un liquide laiteux, le tout peu ragoûtant ; je pense qu'il s'agit d'un mélange à chiquer. Je suis le seul touriste sur le bateau. Si je suis à la recherche de l'authenticité, je pense qu'ici je devrais trouver mon compte ! L'inconvénient, c'est que personne ne parle plus de vingt mots d'anglais. Je vais peut-être me sentir un peu seul ? Peu importe, les Birmans sont tellement aimables ! La chaleur est tombée et un vent froid me glace les membres. Heureusement que j'ai tout mon confort dans mon sac à dos : je sors un poncho en nylon qui m'abrite relativement bien. Autour de moi, des femmes fument des « cheroots », ces cigarettes faites avec des feuilles de maïs, des herbes diverses et des racines mélangées au tabac. La cigarette devient une véritable torche, alors pour inhaler la fumée, elles la mettent dans une tasse suffisamment profonde pour ne pas que des étincelles enflamment les nattes et par la suite le bateau lui-même. Il paraît que beaucoup d'incendies de maisons proviennent de cette fameuse cigarette que seules les Birmanes sont capables de fumer sans s'asphyxier. Il faut dire qu'ensuite elles toussent à en perdre le peu de souffle qui leur reste, et se raclent la gorge à s'en arracher la luette. Puis elles crachent dans une poche en plastique, ce qui est déjà mieux que sur le pont entre deux nattes ! Des jeunes ont décidé de faire une fête, et de chanter et de danser. L'un d'entre eux les accompagne sur un instrument improvisé à l'aide d'une feuille de papier. Cela donne un peu le son d'une trompette bouchée, et parfois d'un harmonica de blues. Un autre a trouvé, en tapant sur une valise, une grosse caisse parfaite. Par chance, ils chantent à plusieurs voix et cela donne un résultat fort acceptable. Les paroles des chansons doivent être comiques, car ceux qui ne dorment pas se marrent de bon cœur. Il n'y a personne pour leur jeter en colère un « Silence ! On voudrait dormir ! »

À neuf heures, les rives qui jusqu'ici étaient désespérément désertes, plongées dans une obscurité où seuls quelques falots vacillaient faiblement, s'animent peu à peu. Des phares de voitures, des néons, et soudain un stupa jaune comme une borne dominant un groupe de maisons basses que je devine à peine parmi les arbres semblent signaler un retour vers l'urbanisme, c'est-à-dire la civilisation. La ville me semble importante : il s'agit de Ma-Ubin. Je réalise alors que nous ne contournerons pas le delta, mais que nous le traversons d'est en ouest.

 

   

 

Samedi 31 décembre 2011.

Pathein ( Batan )

Le ciel blanchit, le vent devient glacial, je discerne mieux les rives. La terre est au niveau de l'eau, comme si ces rizières verdoyantes et cette eau noire aux reflets argentés ou dorés ne formaient qu'un seul et même élément. Sur de petites barques, des pêcheurs posent ou relèvent leurs filets. Les prises ne me semblent pas importantes. Pourtant, je pense que de gros poissons vivent dans ces eaux calmes. Sur terre, dans les chaumières ou aux alentours, pas âme qui vive. Seuls quelques canards barbotent ou quelques buffles ventrus se vautrent dans une flaque de vase. Dans le lointain, semblables aux flotteurs des filets sur l'eau jaunâtre, les petites taches jaunes des chapeaux de paille des paysans émergent sur le vert criard des rizières. De temps en temps, nous croisons une barge chargée d'une pyramide de sacs de riz. Sa garde à l'eau est si faible que la moindre vaguelette pourrait mettre en péril toute la cargaison.

Nous arrivons à Myaungmya, il est sept heures, le soleil est déjà haut à l'horizon. Le bateau hurle de toute la puissance de sa sirène. Sur les rives, une agitation fébrile annonce notre arrivée. Des camionnettes, des cyclo-pousse, des motos convergent vers le quai. Le bateau se vide presque complètement, la plupart des passagers descendant ici. On sort du bateau des fûts, des bidons, des sacs, des fagots... et on charge des bidons, des sacs, des fûts, des paniers de choux... On reste à quai pendant plus de deux heures. Le calme est revenu depuis longtemps, mais on ne repart pas. Il commence à faire chaud et je me prends à regretter le froid de la nuit. Je voudrais qu'il revienne juste un peu, pendant un quart d'heure, cela me ferait le plus grand bien !

Quand nous repartons, le soleil semble écraser le décor et lui donne une mobilité qui rend mal à l'aise. On ne sait qui se déplace : les rizières semblent glisser le long d'une eau immobile et l'on ressent le même malaise que dans une gare lorsqu'on ne sait trop si c'est son train qui démarre ou le train voisin. Parfois, d'un marigot impénétrable, un vol d'oiseaux blancs jaillit en éventail pour se regrouper et plonger à nouveau vers les frondaisons hospitalières. Les rives bordées de palmes retombant dans l'eau en gracieux panaches cachent parfois une paillote ou une barque. Je ne vois plus la campagne, et si ce n'étaient les quelques barques sur l'eau, je croirais la région déserte. Certains pêcheurs ont improvisé une voile avec une couverture ou avec une palme plantée à la proue de leur barque. D'autres rament, debout en croisant les avirons devant eux.

Quand nous arrivons à Pathein, à treize heures trente, je me sens soulagé. Je prends un cyclo-pousse jusqu'au Paradise Guest House. L'hôtel semble correct de l'extérieur, mais à l'intérieur, ce n'est pas l'idéal : les escaliers sont sales, la chambre douteuse, dans la salle de bains, le lavabo disparaît sous la crasse, et une grosse araignée noire que je parviens à écraser s'enfuit de dessous la couverture. Je suis fatigué et il fait trop chaud pour repartir à la recherche d'un autre hôtel. Je fais remarquer tout de même au patron que pour un prix de dix mille kyats on est en droit d'exiger un minimum de propreté... Il semble désolé et tout à fait d'accord avec moi, autrement dit, il s'en moque éperdument !

Je vais manger un morceau de mouton au curry au restaurant Shwe Zin Yan. La salle est propre et agréable, le personnel accueillant, mais personne ne parle anglais. Le plat qu'on me sert est délicieux. Je me réconcilie un peu avec cette ville qui fourmille du va-et-vient de motos et de cyclistes dans un permanent nuage de poussière.

Le soir, quand je réalise que c'est le dernier soir de l'année, je ne dirai pas que je me sens triste, mais je me sens tout de même un peu seul. Pas un seul occidental en vue, pas un seul sapin de Noël, pas une guirlande. Je vais manger de délicieuses brochettes de porc et de poulet et de curieuses petites saucisses sucrées au Dian Non Light, avec une bière pression tellement fraîche et si bonne que j'en redemande et que cela vaut le meilleur des Champagnes. À neuf heures, quand le restaurant ferme, je vais me coucher... J'ai du sommeil à rattraper.

 

   

 

Dimanche 1° janvier 2012.

Pathein - Chaung Tha.

Je me réveille à cinq heures trente. Avec le décalage horaire, il est minuit en France, juste à l'heure où l'on se fait la bise en se souhaitant plein de bonheur et de succès pour l'année à venir. Ici, le jour se lève, il fait frais, c'est agréable. Je vais en cyclo-pousse à la gare routière. Le bus est là, un de ces vieux bus locaux hauts sur pattes, poussiéreux, aux pneus si uniformément lisses qu'on pourrait croire qu'ils ont été fabriqués sans dessins ! Le plancher est encombré de sacs de riz. Entre les sièges, on a casé des cartons de bière, des sacs de légumes, des bidons en plastique contenant vingt litres d'essence ou de fuel... Il ne manque qu'un peu de volaille pour parfaire l'image du car de campagne. On me place devant, à côté du chauffeur presque sur les genoux d'un monsieur souriant au chapeau de cuir qui ressemble à s'y méprendre à un « campesino mexicain » dans un western spaghetti. Nous démarrons à sept heures « pétantes ». C'est bon signe, je serai peut-être à Chaung Tha, sur la plage à neuf heures trente. Il n'y a que quarante kilomètres. Nous traversons un paysage doré par le soleil levant. Le vert des rizières n'en paraît que plus vif. La route est une horrible piste défoncée, caillouteuse, certainement boueuse à la saison des pluies. J'étais en train de me demander comment les cars peuvent résister à plusieurs années de torture sur un tel terrain, lorsque soudain un bruit sinistre se fait entendre à l'arrière. C'est entre le bruit d'un coup de massue sous le châssis et la détonation d'un ressort qui se distend brusquement. J'observe le chauffeur : sa face prognathe n'a pas pris une ride, il mâchouille toujours son cure-dent, il ne s'arrête pas. J'aurais pu croire qu'on avait tout simplement roulé sur quelque morceau de ferraille lorsque le gars se trouvant à l'arrière se met à brailler comme si quelque chose de grave se produisait. Toujours sans changer de physionomie, le chauffeur stoppe en pleine piste. Alors, on commence à descendre des outils si rouillés et si cassés que personne n'en voudrait chez nous : les clés sont usées, cassées, le cric recouvert de graisse sur laquelle la poussière s'est collée... Les passagers ne descendent pas. Je sens qu'on tape sur le châssis, qu'on monte le cric... Je ne peux pas aller voir, car je suis coincé par le « campesino ». Par manque de chance, nous nous sommes arrêtés à une cinquantaine de mètres d'un haut-parleur qui vocifère en rase campagne, car des jeunes filles font la quête pour je ne sais quel temple auprès des usagers de la route. Pendant une heure et quart, le chauffeur et le mécanicien s'acharnent à réparer une barre de ressort. Le plus étonnant est qu'ils y parviennent. Nous repartons, tout lentement, mais une dizaine de kilomètres plus loin, le chauffeur renonce. Nous nous arrêtons dans un village de paillotes et on nous annonce qu'un autre car arrive. Nous attendons encore plus d'une heure sous un arbre où il est impossible de s'asseoir à cause de petites fourmis rouges qui sont partout. Le deuxième car arrive. Je retrouve ma place, le « campesino » aussi, et nous reprenons la route. Le chauffeur a sans doute l'intention de limiter les dégâts, car il fonce à grands coups de klaxon. La route est goudronnée, du moins sur le milieu, et les bas-côtés sont affreux, défoncés, caillouteux... Quand il faut croiser un autre car, nous devons bien souvent nous arrêter et tanguer et rouler dans les ornières des bas-côtés. Nous gravissons des collines autrefois couvertes de jungle aujourd'hui de taillis ou de piteuses plantations d'arbres que je n'arrive pas à identifier. Ici comme dans la plupart des provinces, la Birmanie a rasé les forêts : le résultat est déplorable ! Virages serrés, circulation intense, car les gens ayant passé le réveillon au bord de la mer reviennent chez eux, la moyenne horaire n'est pas bien élevée. Nous nous sommes plusieurs fois trouvés nez à nez avec un autre véhicule : heureusement que personne ne conduit vite sur cette route montagneuse. Soudain, un embouteillage sans nom nous force à stopper. Un gros car est resté en travers, direction cassée. Nous voilà arrêtés pour de bon ! Mais c'est sans compter sur notre intrépide chauffeur qui passe entre le nez du bus et un profond fossé, presque sur le point de chavirer et de nous jeter tous dans les épines. Finalement, nous atteignons Chaung Tha à midi. Cinq heures pour faire quarante kilomètres, j'aurais fait mieux en VTT !

Je vais à Tha Zin Guest House. J'ai soif, je suis écrasé par la chaleur et j'ai faim ! L'accueil est chaleureux : la patronne, une jeune femme accorte m'offre un délicieux jus d'orange et je vais dans la rue principale où je dévore un poisson frit à moi tout seul !

L'après-midi, je vais à la plage. Les vacanciers du jour de l'an sont là, bruyants criards, les marchands de brochettes font recette, les baigneurs crient et jouent au ballon dans l'eau comme partout dans le monde. De petits chevaux attendent pour la promenade, et je trouve même un char à bœufs pour ceux qui ne viennent pas de faire quarante kilomètres en cinq heures !

Mon impression est presque négative, je suis un peu déçu, mais comme je vais rester ici quelques jours, j'aurai l'occasion d'en reparler.

Au fait, sur la plage, parmi les chevaux, j'ai repéré un zèbre. Pour faire un zèbre à partir d'un cheval blanc, c'est tout simple, il faut un pinceau et de la peinture. Pour faire la même chose à partir d'un cheval noir, il faut un peu plus de temps et un peu plus de peinture !

 

   

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