Vendredi 29 décembre 2017
Surin
Comme nous n’avons pas grand-chose d’autre à
faire, nous regardons la télé le soir à partir de six heures, quand la
nuit tombe. Pour être franc, je dois avouer que nous commençons à
regarder les émissions à partir de six heures vingt, car nous laissons
passer le discours du premier ministre et les reportages sur les bonnes
actions du gouvernement en place (junte militaire). C’est une vingtaine
de minutes imposées à toutes les chaînes en même temps. Amnoay se vautre sur le canapé, je m’allonge
sur la chaise longue, et nous laissons les portes du salon ouvertes pour
récupérer un semblant d’air frais. Heureusement, il n’y a pas de
moustiques en cette saison. Tous les soirs c’est le même programme
(depuis plusieurs années d’ailleurs). C’est d’abord l’émission qui fait chanter
les pauvres gens. Ce soir, il s’agit d’une
pauvre dame qui vient d’une
région où la population est surtout agricole et la vie très dure. Elle
est veuve et son fils s’est tué en moto (comme beaucoup de monde,
dirais-je malheureusement). On a pris soin d’habiller la pauvre dame
avec des vêtements qui « font pauvre » : un pantalon trop large, une
chemise des années 60 mal repassée, et les gros plans sur la peau abîmée
de son visage nous forcent à constater qu’elle est vraiment pauvre.
Alors elle chante. Oh bien entendu, elle chante faux comme un vieux
sisso désaccordé. (le sisso, c’est ce crincrin dont l’archer
est coincé entre les deux cordes, et dont le son est aussi harmonieux
que le grincement d’une porte). Cela n’a aucune importance : ce sont les
paroles qui captivent l’auditoire. Il doit y avoir hors champ de la
caméra, un panneau « pleurez », car d’un commun accord, tout le public
du studio se met à pleurer. La pauvre chanteuse elle-même ne retient
plus ses larmes, et cela nuit un peu plus à la qualité de son chant ! Il
y a trois personnes dans le jury, dont une belle dame avec une belle
robe rouge qui pleure aussi en faisant attention que son rimmel ne fonde
pas, car il faut encore tenir le coup avec le candidat suivant ! Mais le
candidat suivant est très malheureux lui aussi. Il est habillé avec de
vieilles nippes prêtées par les voisins juste le temps « d’aller à la
télé », car sa maison a brûlé et il n’a pu sauver ni sa femme ni sa
fille. Il lui reste un garçonnet d’une dizaine d’années qui retient ses
pleurs dans le public. Attention, il pourrait être plus malheureux que
la dame précédente, et lui rafler le butin ! Quel suspens ! C’est Zola
vu par Hitchcock ! Ce pauvre monsieur raconte son calvaire dans une
mélopée lente et tellement lugubre que l’auditoire dégouline, se mouche,
hoquette… Mais l’arbitresse (il faut dire comme ça maintenant !) vêtue
de rouge ne pleure pas. C’est donc la première malheureuse candidate qui
a la chance de remporter le prix : 250 € non imposable ! Maintenant,
c’est de bonheur qu’elle pleure ! Quant au monsieur, il fait bonne
figure, on lui laissera peut-être décrocher un extincteur dans les
coulisses et le ramener chez lui !
On a fini de pleurer, alors, comme chaque
soir, on a droit, pendant une demi-heure aux comptes-rendus des visites
officielles. La princesse, fille du Roi défunt, c'est-à-dire la sœur du monarque
actuel est en visite tous les jours dans tous les coins du pays ! Elle
arbore aujourd’hui un superbe ensemble de soie bleue comme le ciel qui
lui va à merveille. On sent que c’est une personne
équilibrée (et je ne
fais aucune allusion au centre de gravité, laissons la physique aux
physiciens !) Elle est bien coiffée. Elle est très douée, car elle prend
toujours des notes sur un petit cahier d’écolier sans regarder ce
qu’elle écrit. Elle a souvent un petit appareil photo tout simple acheté
dans un supermarché, et elle prend même des clichés ! Moi, je la regarde
tous les soirs et je l’aime bien. D’ailleurs si je ne l’aimais pas, je
ne dirais rien, car le crime de lèse-majesté est puni par la loi, et la
peine est souvent supérieure à cinq ans de détention. C’est pour ça que
je dis qu’elle est bien coiffée et bien habillée !
Maintenant que la princesse est partie,
voilà l’heure du jeu ! Alors là, il y a de l’ambiance ! Pour jouer
à ce jeu, il faut : des candidats un peu nunuches, un travesti
excentrique (ça se nomme kathoy ici) un animateur qui pète le
feu, au milieu des éclairs, un public prêt à hurler ou à rire pour un oui pour un non ! Alors,
allons-y ! On met le candidat ou la candidate dans une
sorte d’auto de foire qui monte au fur et à mesure des bonnes réponses.
Les questions sont très difficiles, c’est du genre : « de quelle couleur
était l’éléphant blanc qui vint annoncer à la maman de Bouddha que son
fils serait un grand voyageur ? » Ou alors : « Guatemala est la capitale
de quel pays ? » Ou alors « citez un pays qui a une frontière commune
avec le Laos ? » L’animateur, lui, c’est un excité qui
disparaît dans une rafale d’éclairs à chaque fois qu’il hurle pour poser
une question. Et bien entendu, il faut le kathoy,
car sans lui de quoi rirait-on ? Aujourd’hui, c’est un kathoy rigolo
avec un décolleté très sage, qui se roule presque par terre. Alors quand une candidate arrache la
perruque de ce pauvre kathoy qui se retrouve le crâne
tondu sous
les éclats de rire du public, le travesti reste de marbre, pensant au
plus profond de lui-même : « Moi, les lazzi, les quolibets me laissent
froid puisque je suis un « homo » comme ils disent » Mais je reviens à la candidate. Elle est
très forte : un puits de science ! Alors que je n’ai jamais vu un
candidat monter plus haut que 4 ou 5, voilà qu’elle est à neuf points,
là-bas, tout en haut ! Et la dernière question arrive dans un
éblouissement d’éclairs et de foudre : « Dans quel pays se trouve le Machu Picchu ? » Si elle répond, elle gagne la voiture, une superbe
Toyota avec toutes les options (rien à voir avec les 250 € de la pauvre
candidate de la « chance aux chansons » !) Notre candidate essaye de
répéter sans trop l’escagasser le mot barbare « matchou picsou », mais
elle n’a même jamais entendu parler de ça ! Une chance folle : elle
répond par déduction, sachant que Mickey, Donald et Picsou sont
américains : « l’Amérique ! » Quand on lui demande de préciser, elle ne
peut pas, elle ne savait pas qu’en Amérique il y avait plusieurs pays ! Perdu ! Bah ! Ça ne fait rien ce soir après
avoir bien pleuré, on s’est bien amusé !
C’est tout de même chouette la télé
thaïlandaise et ses émissions culturelles. Quand je pense que chez nous
dans notre belle France les pauvres gens regardent Hannouna, ils ne
savent pas de quoi ils se privent !
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