Dernière modification: 09/06/2015

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Jeudi 26 mars 2015.

Surin

Mais d’où vient donc ce vacarme, cette musique dont les sons les plus graves font vibrer nos fenêtres dès six heures du matin ? Et voilà les bombes qui secouent tout le quartier… Y aurait-il une corrida ? Une course landaise ? Un défilé de majorettes ? Amnuai m’annonce que c’est l’anniversaire du décès de la vieille mamie, notre voisine qui a trépassé le 19 décembre dernier. C’est « les cent jours » : au bout de ce laps de temps, on fait une fête d’anniversaire. Bon, il faut respecter les coutumes, et moi, en tant qu’étranger, je ne peux pas me permettre de formuler la moindre critique, même si les vitres vibrent et si les basses d’une sono mal réglée me font mal aux oreilles. On dirait qu’on me souffle dans les trompes d’Eustache ! La musique ? Tout simplement des chanteurs de variétés, du rock thaï ( un peu comme en fait le groupe « Carabao » ), et parfois des chants traditionnels khmers aux mélopées répétitives et peu mélodieuses à mon goût. Soyons indulgents : les Thaïlandais ne supporteraient pas longtemps les polyphonies de nos montagnards ou les chants tristes à mourir de notre cher Béarn. Si « la musique est l’art de combiner des sons agréables à l’oreille », les oreilles des êtres humains sont très subjectives suivant les régions ! Pour la mort de la mamie, au mois de décembre, on avait secoué tout le quartier avec des explosions de pétards, une musique qui revenait en boucle toutes les trois minutes, et quand tout semblait se calmer, les bonzes prenaient le relais avec leurs prières comme des mélopées lentes et lugubres chantées d’une voix monocorde. Aujourd’hui, ça s’annonce mieux. Il y a bien les bonzes, vers huit heures, mais ils se font plus discrets, et la musique est davantage celle d’un bal populaire. Donc, toute la journée, je suis au bal du quartier : dans la chambre, dans la cuisine, dans le salon, dans la salle de bains… pas moyen d’y échapper. Notre maison est située à cinquante mètres de la source sonore et tout vibre. Je pense que les premiers voisins vont voir leur tête exploser avant la fin de l’après-midi. À un moment, j’envisage même d’aller m’installer à l’hôtel à Surin, mais Amnuai le prend très mal : « la mamie est gentille, elle veut que l’on continue notre chemin dans la joie, ce serait mal venu de fuir ! » Heureusement, vers dix-neuf heures le calme revient avec le silence, et c’est là que je me sens « dans la joie ». Merci Mamie, si ça me fait du bien quand ça s’arrête, c’est aussi une façon de me procurer du plaisir !

 

Vendredi 27 mars 2015

Surin

Sept heures : les fenêtres vibrent. Je discerne à peine la musique, je ne perçois que les basses qui font autant de sourdes explosions. Le « disc-jockey » est vraiment nul ! Et voilà des camions qui arrivent, des fourgonnettes, des pickups chargés de tubes métalliques, de chaises en plastique, de tables et de bâches. Amnuai s’est renseignée : il va y avoir un spectacle ce soir : un « liké ». C’est la cerise sur le gâteau ! Le « liké » commence en général vers dix-neuf heures et se termine au lever du jour ! Il s’agit d’un spectacle qui tient à la fois du théâtre, de l’opéra et de sketches comiques. Les villageois sont très friands de « likés » dont le comique nous échappe. Certains acteurs sont très prisés pour leur capacité de jouer avec les mots ou d’improviser face à un public qui réagit « au quart de tour » ! On peut assister soudain à un dialogue entre l’acteur et un spectateur, souvent éméché, qui vient devant la scène.

Toute la journée, c’est un concert de tubes métalliques qui s’entre choquent, de coups de marteaux, de véhicules que l’on décharge en s’interpellant et en criant pour couvrir le vacarme de la musique dont le volume a été à peine réduit. On monte les chapiteaux abritant la scène dans un lopin de terre jouxtant notre maison. Les hautes herbes n’ont pas été fauchées, c’est le public qui, en s’asseyant par terre va se charger de rendre la place plus nette. Je sais, pour les avoir vus traverser la route, que de longs serpents trouvent refuge à cet endroit. Ça pourrait apporter un petit plus au spectacle si l’un de ces reptiles décidait soudain de participer à sa façon.

 

     

 

Vers cinq heures, la chaleur est un peu moins accablante, alors je commence à remettre le nez dehors, et à mon grand étonnement, la route devant « chez nous » est occupée par des stands de loterie, des petits manèges, des marchands de grillades installant leurs petits grils. Toute cette nuée de vendeurs suit les chapiteaux de « liké », sachant très bien que le public ne se contentera pas du spectacle. Quand la nuit tombe, vers dix-huit heures, nous sommes en plein cœur d’une fête foraine. Chez la mamie, les invités arrivent ( en musique ) car ils ont entendu les trois bombes exploser dans le ciel. La famille, les voisins, on peut aller s’asseoir, on est invité ! Rires, bonne humeur, retrouvailles de gens qui ne se voient qu’aux fêtes organisées pour les décès de membres de la famille… La mamie doit être contente, car tout le monde est à la fête. Certains viennent de loin, entassés dans la benne de la camionnette ou à trois sur la moto : le papa pilote, la maman au bout du siège arrière et un enfant en sandwich entre les deux ; parfois il y a même le plus petit accroché au guidon devant le père. La moto peut transporter une famille nombreuse, jusqu’à six personnes ! Dans une fumée fleurant bon la grillade de porc ou de poulet, les marchands de gadgets proposent leurs petits chats en peluche qui miaulent en clignotant des yeux, les bulles de savon, tous les accessoires pour personnaliser son téléphone. Plus loin, des calmars trempés dans une sauce orange dégagent, en grillant, une odeur de brûlé qui ne m’attire guère. Je marche dans les herbes m’arrivant aux genoux pour me rendre devant la scène qui s’illumine juste à ce moment. Encore trois bombes montant à la verticale en laissant une traînée rouge dans les ténèbres. C’est le signal attirant le public devant le spectacle. Les uns arrivent avec leur natte de paille qu’ils installent sur l’herbe formant ainsi un matelas moelleux, les autres déposent un sarong de coton ou tout simplement un vêtement sur le sol. Le public arrive de partout : c’est une foule bruyante, excitée de se retrouver, tous ensemble pour rire dans une ambiance de fête. L’orchestre, que je n’avais pas remarqué jusqu’alors, joue une musique khmère assez entraînante alors que des danseuses aux tenues aussi rutilantes que ces gros poissons argentés que l’on peut admirer sur les marchés font leur entrée dans une fumée blanche qui se dissipe rapidement comme si leurs ondulations avaient raison de cet inadmissible rideau voulant nous priver de leur charmante présence. Elles évoluent avec une souplesse diabolique : un léger frémissement part de leur main droite, semble faire onduler leur bras, déboîter leur épaule, secouer leur échine et se répercute dans leur bras gauche pour mourir dans un dernier frémissement de leur main ouverte aux doigts si longs et si souples qu’on croirait qu’ils vont toucher l’avant-bras. Les pieds bougent à peine, comme s’ils malaxaient quelque chose de souple et d’invisible. Le public s’est aggloméré devant ces lumières éclatantes, et c’est tout juste si une légère rumeur monte de cette masse sombre. Les yeux brillent dans la pénombre : tout le monde est attentif. Les gens des villages savent décoder les gestes et les attitudes des danseurs, ils sont tous initiés à ce langage qui, évidemment, m’échappe totalement. Je ne vois que le côté esthétique, ils en comprennent la signification. La fumée blanche revient comme un épais brouillard, et quand elle se dissipe, toutes les jeunes nymphes se sont évaporées. Il n’y a plus qu’un être à l’allure androgyne aux vêtements scintillants. Il reviendra régulièrement au cours de la nuit : c’est le clown de la soirée, celui qui prend le public à partie, qui hurle en khmer des phrases que je ne comprends évidemment pas, mais voilà le public plié de rire. On ne voit plus les yeux : on ne voit que des dents blanches dans la pénombre. Ce doit être vraiment comique, car certains sont au bord de l’apoplexie, tant le rire les étouffe. Ces gens dont le sourire est légendaire et dont la bonne humeur perpétuelle leur fait rechercher n’importe quel prétexte pour s’amuser sont aux anges. Soudain, une vague de panique agite cette foule massée sur l’herbe : un animal vient de s’inviter à partager leur bonne humeur. Un rat ou un serpent, je n‘en sais rien, mais tout le monde se lève et se bouscule : cela ne fait qu’ajouter un autre prétexte pour rire. L’animal a dû disparaître, car chacun retrouve sa place comme si de rien n’était !

Vers onze heures, je les laisse à leur rire et à leur spectacle. Amnuai tiendra jusqu’à minuit. L’incroyable chahut juste à côté de notre maison ne m’empêche pas de dormir.

 

Samedi 28 mars 2015.

Surin

À sept heures, quand je me lève, les chapiteaux du liké de la veille sont pratiquement démontés et chargés sur des petits camions, quelques traînards rentrent chez eux en zigzag et le sol est jonché de poches en plastique. La fête a été réussie : tout le monde a fait honneur à la mamie en riant à gorge déployée pour l’anniversaire de son décès.

Dans la matinée les bonzes viennent chanter les prières et les proches parents se rendront au temple pour une autre cérémonie au terme de laquelle l’urne contenant les cendres sera déposée dans un petit monument ou dans une niche quelque part dans l’enceinte du temple.

À midi tout est rangé, nettoyé et une musique dont le volume est acceptable me parvient encore de la maison voisine. Les invités sont là pour manger les restes ou repartir chez eux avec de la nourriture dans des poches en plastique. On ne gaspille rien !

 

Pour se joindre aux invités de la fête cliquez doucement sur les ballons 

 

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