Dernière modification: 02/05/2015
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Jeudi 25 décembre 2014. Bangkok. Jour comme un autre ici. Ce qui compte, pour les Thaïs, c’est le Nouvel An. Noël, ils n’en connaissent pas la signification ; ils croient que c’est une période de carnaval, alors ils s’affublent d’oreilles de lapins, de bonnets rouges bordés de fourrure blanche, parfois même de masques d’animaux. Il y avait 543 ans que Bouddha était parti sans retour vers son Nirvana quand un petit bébé est arrivé dans une étable de Bethléem. Et peut-être qu’à Bangkok ils ne l’ont jamais su ?
Nous allons au temple Wat Ratchanatda pour acheter des petits Bouddhas en laiton pour compléter ma collection. C’est un vrai bric-à-brac de statuettes en bronze, en matière plastique, en résine, de médailles et de bijoux de pacotille. On y trouve des effigies de bonzes défunts tellement réalistes qu’on a la sensation d’être observé à travers des paupières de cire mi-closes. L’une des vedettes de ces bonzes est Loung Poukoung, un vieux bonze à moitié sorcier. Il guérit pratiquement toutes les maladies en faisant asseoir le malade sur le sol devant lui, et en mettant ses jambes sur ses épaules. Cela ressemble à un accouplement dantesque… mais ça fonctionne souvent très bien ! Ce vieux bonze est représenté tirant sur un gros cigare, ce qui est, en soi une hérésie, les bonzes ne devant ni fumer ni boire de l’alcool. Dans tout ce fouillis d’objets dorés, clinquants et tapageurs, on peut trouver, au fond d’un couloir obscur, de superbes statues, parfois grandeur nature, de rois ou de Bouddha en bronze sombre et terne. Certaines, couvertes de vert-de-gris ou de poussière ont acquis la noblesse des vieilles œuvres d’art.
Nous revenons vers le khlong « Mahanak » ( canal ) en passant près du temple Wat Sa Ket où, il y a encore un siècle, on exposait les défunts pour donner la curée aux vautours et aux chiens. La crémation était réservée aux gens fortunés… Payez-vous le ciel selon vos moyens ! Sur l’avenue Thanon Ratchadamnoen Klang, je distingue les quatre bras, levés vers le ciel du monument à la démocratie émergeant du flot infernal des embouteillages.
le bateau est plus rapide que le bus ou le taxi, mais les canaux praticables sont de plus en plus rares...
Il faut connaître le quartier pour trouver l'embarcadère au bord du khlong (canal). Nous montons dans une longue barque, je dirais même un bateau à la proue effilée et où l’on s’installe sur des banquettes de bois abrités sous un toit de toile qui se baisse à certains moments, jusqu’à toucher nos têtes si la marée est haute et que l’embarcation risquerait de heurter la voûte d’un pont. L’eau d’un marron-gris me semble épaisse comme une soupe. Au moindre remous, il s’en dégage de pestilentielles émanations. Quand on croise un autre bateau, les passagers relèvent des bâches en plastique les abritant des éclaboussures ou des embruns. Sur les berges, des habitations bancales aux vérandas encombrées d’objets ménagers ou de linge étendu semblent inhabitées. Les locataires préfèrent le « côté rue » où l’odeur est moins incommodante. Pourtant, entre un rat crevé et quelques détritus non identifiés, j’ai vu parfois des gens se baigner dans ce bouillon de culture. Le soir, Amnuai étant fatiguée de sillonner la ville en bateau, métro aérien, train souterrain, je sors tout seul entre vingt et vingt-trois heures. Je vais manger une soupe sur le trottoir, ça ne me coûte que quarante bahts ( un euro ) et c’est bien bon. J’achète une bière dans un « seven eleven », et je la bois assis sur un banc, sur le trottoir, en observant les passants. Certains touristes traînent leur sac à dos ou de grosses valises, et je me demande ce qu’ils font dans la rue, à pied à une telle heure. Puis il y a les petites jeunes filles à qui l’on donnerait le Bon Dieu sans confession qui me lancent un petit « hello » discret en passant. Je ne me demande pas où elles vont, je ne me pose pas la question : je connais la réponse ! Et puis voici un vieux « farang », encore plus vieux que moi qui a enlevé son bonnet de Noël pour marcher dans la rue, mais il a oublié d’éteindre la couronne de petites ampoules qui le cernent, alors voilà qu’il a la main qui clignote. Ça le trahit : celui-là, il va d’un bar à l’autre, il remettra le bonnet juste avant d’entrer ! Il fait partie de ces vieux loups qui, dès qu’ils entrent dans un bar peuplé de jeunes serveuses accortes deviennent les plus beaux du monde, surtout si leur portefeuille est un peu replet ! Il se permettra même de dédaigner les avances de certaines demoiselles trop petites ou trop noires de peau, pour se laisser séduire par une grande fille aux cheveux soyeux et au sourire enjôleur. Et demain, quand son bonnet ne clignotera plus, que son portefeuille aura fait une cure d’amaigrissement et qu’il se retrouvera seul dans sa chambre avec quelques mégots maculés de rouge aux lèvres et puants dans le cendrier, il enviera celui qui buvait sa bière tranquillement assis sur son banc comme un clochard ! Je l’ai déjà dit : « payez-vous le ciel selon vos moyens ».
Vendredi 26 décembre 2014. Bangkok. Je n’ai pas « le bec en zinc », je ne suis pas fatigué, je me lève dès sept heures. Par la baie vitrée, je vois déjà une circulation intense sur l’avenue Sukhumvit. Les « Bangkokiens » ( je ne sais pas si l’on dit comme ça ) commencent à partir en vacances. Nous prenons un copieux petit déjeuner compris dans le prix de la chambre, et nous allons à Pratunam. Les magasins arborent leurs décorations de fin d’année, on entend partout « ring a bell » la ritournelle de Noël.
Le soir, sur l’avenue Sukhumvit, les passants déambulent parmi les étalages qui ne laissent presque plus de place pour passer... Ici, tout s’achète et tout se vend : les chemisettes avec ou sans manches, les copies de chemises de marque, les fausses montres Cartier ou Rolex, les poignards aussi grands que des coupe-coupe de jungle, les faux sacs, les vrais tableaux aux couleurs criardes à en faire mal aux yeux… On trouve même des marchands de faux médicaments exposés sur des étalages au vu et au su de tout le monde, ce qui laisse supposer que la vente n’est pas interdite, car des policiers sont là, tout près, guettant le touriste qui laissera tomber sa cigarette ou un vieux papier sur le trottoir pour lui infliger une amende de 2000 bahts, et qui ne se préoccupent pas de ces « faux pharmaciens empoisonneurs ». On peut acheter du Valium, du Tranxène, du Viagra… et bien d’autres choses tout aussi efficaces. Non seulement il s’agit de « copies » dangereuses, mais en plus, ces médicaments sont restés depuis des jours et des nuits exposés à une température de plus de trente degrés. Je pense qu’au troisième comprimé on est bon pour le cancer généralisé ! Avec Amnuai, nous allons manger un souki yaki au Robinson. Nous laissons mijoter dans le bouillon qui frémit devant nous sur la table des ingrédients que nous avons choisis : encornets, crevettes, légumes, boulettes de viande, vermicelles… Voilà, c’est une bonne façon de fêter Noël !
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