Dernière modification: 27/03/2013

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Jeudi 27 décembre 2012.

Paksé - Don Det ( Laos ).

Nous prenons le car climatisé jusqu'à Nakasang pour trois heures de route. Il n'est pourtant pas si loin ( en 1994 ) le temps où, sur une piste de terre rouge toute défoncée par les pluies de mousson, il fallait la journée, dans un camion essoufflé, pour faire le même trajet. Ce matin, un jeune touriste ose se plaindre parce que le car démarre avec une demi-heure de retard. Il y a deux ans encore, avec le songtaew, on s'arrêtait dans les villages pour laisser au chauffeur le temps de déjeuner. Nous étions alors assaillis par une horde de petites marchandes de brochettes ou de fruits. Pourtant, pour le retour, nous aurons le choix entre le poulet grillé et le songtaew très bon marché, ou le confort, et je choisirai le car climatisé. Alors le voyage n'est plus le même: il devient insipide.

À deux kilomètres de Nakassang, le car s'arrête car le jeune homme qui déplorait que nous démarrions avec une demi-heure de retard veut se rendre au Cambodge. Le chauffeur dépose son sac sous un petit abri de fortune et lui explique que sa correspondance va arriver. Le pauvre gars se retrouve désappointé, sous un toit de palmes posé sur quatre piquets tordus, en plein soleil dans un coin presque désert. Voilà une bonne occasion de s'imprégner et comprendre le voyage. Après quelques expériences comme celle-ci, soit il aura tout compris, soit il ne reviendra plus.

L'arrivée à Nakassang, petit village au bord du fleuve, est surprenante. La route finissant en cul-de-sac au bord du Mékong a été cimentée, mais elle n'est pas assez large, alors tous les véhicules s'entassent au bout, et cela crée un bel embouteillage. Les cars, les tricycles, les voitures à bras, les gros 4x4... tout semble coincé définitivement ici au bout de la route.

    

 

Nous montons dans une longue barque à moteur jusqu'à Don Det. Nous sommes à Si Pan Dong, ce qui signifie Quatre Mille îles. Ici le Mékong a jusqu'à quatorze kilomètres de largeur, ralenti par un barrage naturel, un immense escalier qu'il franchit en cascades écumantes. De petits îlots de sable se sont formés, chacun couvert d'arbustes, et l'on a décidé qu'il y en avait quatre mille. C'est un nombre tout à fait aléatoire, car à la saison des pluies, une grande partie de ces îlots sont submergés. Nous louvoyons entre des buissons touffus où se cache parfois un buffle placide, au dos noir et luisant.

     

La barque nous dépose à Bounhome guest house, le petit coin parfois trop calme où nous avons nos habitudes. Nous ne sommes pas venus depuis deux ans, et rien n'a changé ici. Le patron, Bounhome, est l'exemple même de l'immobilité quotidienne: le matin, laisser dériver la barque en posant les filets, sieste, repas, après-midi dans le hamac, relever les filets où jamais aucun poisson ne se prend, et le soir, couché sur le plancher, il regarde la télé thaïlandaise, un peu moins mauvaise que la télé laotienne. Aucune ambition, aucun désir d'améliorer son petit hôtel ou d'inciter les clients à venir manger dans son restaurant, il gagne peu d'argent, mais c'est nettement suffisant pour pouvoir mener une vie tranquille avec sa femme, son fils de neuf ans et leur bébé de quatorze mois. Le double plafond en feuilles de cocotier tressées s'effondre un peu, il suffirait de le consolider avec cinq ou six clous, mais c'est trop demander. Quand il s'effondrera tout à fait, soit on se décidera à le refixer, soit on l'enlèvera. Les sept petits bungalows sont occupés. Il y a un petit chauve un peu ventripotent qui semble avoir du mal à traîner son ombre sur les sentiers poussiéreux aux heures les plus chaudes de la journée, une Thaïlandaise qui passe le plus clair de son temps à faire la lessive ou à mijoter des petits plats en cuisine, un grand jeune homme anglais maigre comme un bambou qui boit de la bière dans la journée, fume de la gancha le soir et marche voûté, d'un pas mal assuré, une Japonaise qui dessine ou peint des scènes bucoliques photographiées au préalable sur les rives du Mékong, et deux grandes Anglaises qui se balancent dans leurs hamacs en lisant quelque roman de gare. ( Ah oui, j'oubliais de préciser que le petit chauve c'est moi, et la Thaï Amnoay ) Il n'y a jamais grand monde au restaurant, car les plats étant servis à toute heure entre sept et vingt-deux heures, l'une mange quand elle a fini son tableau, l'autre quand le linge est étendu et les anglaises quand elles ressentent le besoin de changer d'activité. Juste à côté, le fleuve glisse doucement, imperceptiblement, et c'est comme si tout le paysage se déplaçait. Je ne sais plus qui est immobile, des îlots ou de l'eau. Suivant l'intensité de la lumière, cette eau couleur bronze ou vieil étain prend des reflets éclatants, bleus comme le ciel. À force de contempler ce spectacle, je me sens envoûté, et je ressens le même malaise que dans une gare lorsqu'on ne sait pas si c'est son train ou le train voisin que se déplace. Un bruit de moteur, une pétarade, vient me ramener à la réalité. Une barque passe louvoyant sans raison apparente pour éviter des hauts fonds échappant à mon manque de connaissance des lieux. Les Laotiens, eux, savent lire sur le fleuve, et suivant de minuscules remous ou de petites rides de surface, ils évaluent la profondeur. Même de nuit, ils ne se trompent que rarement.

Le restaurant se trouve soudain dans la pénombre: la nuit tombe brusquement sous les tropiques. Le Mékong semble alors plus luisant, plus mystérieux. Je perçois des éclats de voix de femme, quelque part parmi les minuscules îlots, sans pouvoir les localiser. Soudain, une pirogue apparaît, contournant un banc de sable jaune, et les hoquets de son moteur viennent troubler le silence qui semblait bien s'être installé pour la nuit. Une femme, coiffée de son cône couleur paille converse avec le piroguier, et ce sont ses éclats de voix destinés à couvrir le bruit du moteur que je percevais. Plus tard, la lune surgit au-dessus du panache d'un bouquet de bambous. Elle monte dans le ciel, couleur corail virant aux teintes cuivrées puis dorées et son reflet donne à l'eau un aspect d'huile lourde et visqueuse.

     

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