automne en Béarn
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La rentrée des classes.
 

(le père de Joseph Peyré était instituteur à Aydie)

La rentrée d'octobre lançait pour nous l'année nouvelle. Le village lui-même semblait réglé sur notre rythme. Car la vigne, défendue, soignée tout le long de l'année, avait à cette date-là porté son fruit. Les bandes de vendangeurs avaient abandonné aux grives les grappes oubliées. Les derniers chars à bœufs chargés de comportes de raisin avaient déserté les chemins de terre, tandis que les couchers de soleil les plus somptueux de l'année coloraient de mauve la chaîne de nos Pyrénées. Dans un battement d'ailes et un criaillement d'oies effarouchées, les chais exhalaient leur odeur de futaille et de moût, et la nuit, j'entendais le cliquetis de barre des pressoirs. Pour la nouvelle année des vignes, le cycle des travaux allait reprendre avec labours de l'automne. Puis reviendrait la peine sans fin.

Vêtus de neuf, les garçons et les filles allaient retrouver le chemin de l'école. L'événement rituel, en cette veille d'armes, était chez nous l'arrivée de la caisse de fournitures scolaires. Transportée depuis la gare la moins lointaine — treize kilomètres — par un char attelé d'une paire de bœufs, elle portait l'étiquette de la maison spécialisée Thorinaud. Mon père avait mûri à loisir sa commande Je ne m'attendais pas à voir sortir chaque année de la caisse des objets étonnants, tel le porte-plume conçu pour recevoir les cinq doigts de la main. L'ordinaire du contenu suffisait à ma joie.

Mon père déclouait le couvercle en veillant à ne pas en tordre les pointes, susceptibles de resservir…

 

Le départ au collège de Pau.

 

La malle fut hissée sur le « break », et la jument de Fridal partit sans se faire prier, comme si elle avait eu hâte de m'arracher à la maison. Notre benjamin pleurait, mais pas de chagrin — il n'était pas encore à l'âge où, pour maintenir auprès de moi sa présence, il me confiait, au moment de nos séparations, l'un de ses cosaques de plomb, que je gardais dans mon casier de pensionnaire. Quant à ma sœur, ce fut la « scène » déchirante.

Au-delà du foirail de Lembeye, commençait la route inconnue. Tout ce que j'en savais, c'était qu'avant d'escalader l'une après l'autre les crêtes qui coupent nos pays de la capitale béarnaise, elle plongeait au fond de la vallée, sous le regard des montagnes d'un bleu d'octobre. Un jour de marché en effet, j'avais vu le « courrier » s'y engouffrer à grande volée de grelots. Dans son sillage, j’avais cru entendre à mon tour l'appel des espaces, mers ou pampas, auquel avaient obéi tant de Béarnais et de Basques, et même l'oncle Casimir, l'infortuné. Mais ce jour-là le jeu était sans risques, et, voyant la poussière du « courrier » se dissiper dans la pente, je pouvais rêver à loisir. Car ma mère me tenait par la main, et nous allions pour notre part rejoindre à l'écurie la voiture de Pierrinette, prête à nous ramener à la maison.

Le jour de mon départ pour le lycée, lorsqu’à mon tour je m'élançai dans la descente de la vallée, j'avais oublié tous mes rêves, et je n'entendais plus l'appel de l'océan. Nous partions pourtant en grand arroi. Mes parents avaient fait les frais d'une voiture de louage, pour être les maîtres de leur journée. Le « courrier » au surplus offrait l'inconvénient d'entasser jusqu'à dix-huit voyageurs de sa caisse aux rideaux de cuir à ses sacs de tabac sous bâche, et, pour se présenter en règle à l'octroi de Pau, de débarquer tous ses passagers en surnombre, les obligeant ainsi à abattre à pied les deux kilomètres restants.

Mais, bien qu'il rappelât celui des noces de Thèze, et celui des promenades de la jolie fille de Boupeillère à travers les rues et les places de Pau, je ne goûtai pas l'air avantageux de notre landau. Plus nous nous éloignions d'Aydie, plus je me raidissais contre l'abandon imminent. Je n'étais plus que désir aveugle de retourner, de retrouver la maison et l'église.

En arrière de la voiture emmenée par ses deux chevaux, les crêtes du Béarn sombre, franchies l'une après l'autre, reculaient cependant, me livrant, et, malgré mon âge d'enfant, j'avais un sentiment d'irrémissible. Pour mon être sauvage, l'éloignement se faisait trop profond.

Mais j'avais encore mes parents. À l'approche de la ville, au bord de la vallée du gave dominée par les Pyrénées bleu de sud, ma mère me prit la main, et la garda. Car venait la séparation.

L'accueil du proviseur ne fut pas fait pour me réconforter. Il me disait trop jeune, et je me sentais menacé. Lorsque, après la visite de présentation, nous traversâmes de nouveau la cour d'honneur, je reconnus ma malle, déjà captive. Mais, une fois encore, je restais avec mon père et ma mère, et je m'en allais avec eux.

Émus eux aussi plus qu'ils ne voulaient le laisser voir, ils s'étaient préoccupés de me trouver un correspondant susceptible de veiller sur moi, et d'atténuer le choc de la séparation. Il était lui-même instituteur, il parlait le même langage que nous pour m'apprivoiser, il m'avait fait visiter sa salle de classe - et, auprès de lui, j'aurais pu avoir l'illusion de ne pas changer d'univers.

Mais, hanté à son habitude par l'heure des départs, mon père consultait sa montre :

— Ce n'est plus le retour de Lembeye, tu sais, disait-il à ma mère. Il va nous falloir six bonnes heures.

— Même avec deux chevaux ?

Je sentais maintenant que ma mère essayait de tarder.

Joseph Peyré
 


Le maïs

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Dernière modification: 16/09/2013