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Des patates à la noix. Il était une fois, il y a très longtemps, dans nos campagnes béarnaises, un village où certains habitants prétendaient briller par leur intelligence et par leur soif d’innover. Leur principal souci était de faire mieux que les voisins, de se montrer plus modernes ! Chacun sait que ces qualités peuvent très facilement devenir des défauts si elles ne sont pas mises en pratique avec discernement ! Nous allons aujourd’hui vous en apporter la preuve. Les Case-Nave passaient pour des notables, dans le village, car ils avaient des terres de bon rendement, et un cheval auquel ils attelaient une voiture presque confortable. Le père, Jantin, faisait bonne figure à l’église, et la mère, bien que d’une cupidité maladive, mettait toujours quelques sous dans le tronc de Saint Joseph. Ils écrivaient leur nom en deux mots, pour se démarquer des nombreuses personnes ayant le même patronyme dans le canton, et aussi pour insister sur la signification de Case : maison, et de Nave : neuve. Ils entendaient cela non pas comme « maison neuve », mais comme « maison des nouveautés ». Joan, l’aîné, préférait se faire appeler John, car ce prénom, bien qu’il ne sache trop d’où il venait, lui paraissait plus exotique. Il savait à peine écrire. Il avait passé quelques années à « la capitale » (à Pau), et il en était revenu plus imbu de sa personne. Pour lui, ceux qui étaient restés « au pays » avaient tout à apprendre. Alors, à l’auberge, le dimanche, il mettait sur le bar toute son érudition : c’était LUI qui savait TOUT ! Il était toujours prêt à rouler ses meilleurs amis et à abuser de son entourage. Le cadet, Joanchicot, comme la plupart des habitants des petits villages, faisait preuve à la fois d’une grande naïveté et d’une méfiance atavique ! Il vouait une admiration sans bornes à John qui n’avait aucun scrupule à le rouler bien souvent. Tous les jeudis, le gros bourg voisin de Lembeye était en effervescence grâce au marché hebdomadaire. On venait y vendre sa vache, y acheter une paire de bœufs ou un tombereau, on y vendait quelques sacs de blé ou quelques pommes de son verger, bref, on y menait un commerce campagnard, et le retour à la maison attirait toute la famille autour de la grande table de la salle à manger : « Combien as-tu vendu le veau ? » « Est-ce que les confitures de Bonne-maman ont rapporté des sous ? » « As-tu liquidé tout le tonneau de vin ? »… Et la question qui arrivait enfin, celle qui faisait mettre tous les nez dans les paniers : « Qu’est-ce que tu as acheté ? » Un de ces jeudis, les frères Case-Nave partirent à Lembeye avec une carriole pleine de pommes de terre. Le cheval de trait était un de ces percherons que l’on attelait à la charrue, mais pour l’occasion, on lui faisait une bonne toilette et on l’affublait de pompons rouges et jaunes, couleur du Béarn, de quoi rendre jalouses les vaches se trouvant sur le blason provincial fixé à l’arrière de la voiture. Bien qu’il y ait foule sur la place du Marcadieu, l’arrivée des deux frères ne passait jamais inaperçue. Ils commençaient par se rendre à la plus grande auberge, au fond de la place, car c’est là qu’ils faisaient toujours de bonnes affaires. Ce jour-là, dès leur entrée, alors qu’ils n’étaient encore que deux silhouettes à contre-jour dans l’embrasure de la porte, tous les regards se tournèrent vers eux, et il y eut comme une brève interruption dans les conversations. Joanchicot regarda tous ces paysans vêtus de noir, coiffés du traditionnel béret, avec méfiance. Il flairait quelque chose d’inhabituel ! John, soucieux de parfaire sa notoriété commença par serrer la main de tous ceux qui étaient accoudés au comptoir et prit une voix de stentor pour crier à la cantonade un « adishat » auquel répondirent quelques « adiu moussut ». John, à son habitude, monopolisa la conversation en donnant son avis sur l’élevage des canards, en conseillant certains à propos de la culture du chou, de la vinification du raisin, de l’alimentation des lapins. Un jeune homme nommé Miquèu se montra très intéressé. John l’avait escroqué il y a quelques mois en lui vendant une piquette imbuvable qu’il lui avait fait goûter en lui offrant des noix. Miquèu ne savait pas que les noix font passer n’importe quel vin médiocre pour un délicieux nectar. Il s’était retrouvé avec une barrique de vinaigre à faire fuir toutes les mouches du secteur ! Mais cette histoire semblait oubliée. Et Miquèu posait des questions, et il offrait des verres d’Armagnac, et chacun remettait sa tournée… Joanchicot se montrait soucieux, car il savait que les boissons alcoolisées ne font pas bon ménage avec les affaires, mais il se laissa entraîner. Il est difficile de refuser un verre aux amis. Et plus le temps passait, moins il devenait méfiant. John, lui, se saoulait surtout de paroles ! Il en était à se moquer du village voisin en racontant que « ces imbéciles avaient voulu décrocher la lune » quand soudain Miquèu demanda : « Sais-tu à qui est la carriole pleine de superbes pommes de terre, celle qui est attelée au magnifique cheval, juste devant l’auberge ? » À ces mots, notre John ne se sentit plus de joie. « Ces pommes de terre, ce sont les nôtres, tu n’en trouveras nulle part d’aussi belles, j’ai un secret pour les cultiver sans prendre le risque de les voir dévorées par le doryphore ». À ce moment-là, tout le monde lui affirma que même très belles, les « patates » ne se vendaient plus. « Il y en a partout, les prix sont dérisoires et personne n’en veut ». Joanchicot, entre deux hoquets affirma qu’il arriverait bien à les vendre, même si le prix n’était plus le même que le mois dernier… Miquèu, alors le prit par le cou et lui glissa à l’oreille : « Moi, j’ai quelque chose qui vaut des Louis d’or, mais je ne le vends pas, car c’est un trésor ! » Joanchicot essaya bien de savoir de quoi il s’agissait, mais le secret était bien gardé. Il secoua le bras de son frère et lui glissa sournoisement : « Miquèu a une fortune dans sa poche ! » L’information ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd ! John s’approcha de Miquèu et lui lança, goguenard : « Si tu es si riche, achète-moi donc mes pommes de terre ! » Il y eut comme un silence furtif dans l’auberge, puis chacun proposa une somme, dérisoire bien sûr, et tout à fait inacceptable puisque le cours s’était effondré. C’est alors que Miquèu sortit de sa poche une noix. C’était une belle noix brune, brillante comme si elle avait été cirée, et, il faut bien le préciser, étrangement grosse. Il la caressa doucement, presque tendrement, et dit à mi-voix : « C’est toute ma fortune ! » Avant que John n’éclate de rire, il ajouta : « Ce n’est que l’écrin, mais à l’intérieur, il y a le trésor, celui qui peut t’amener la chance et le bonheur en un instant, il y a le Bon Dieu ! » Un lourd silence planait sur la salle si animée auparavant, et malgré un jugement un peu corrompu par l’excès d’alcool, Joanchicot eut l’impression que tout le monde était au courant, sauf eux, un peu comme si on leur jouait une pièce de théâtre ! Et dans ce silence, on entendit Miquèu murmurer en posant la noix sur le zinc : « Écoute-le, il récite une prière pour m’apporter joie et bonheur, et peut-être même la fortune ! » Et l’on perçut nettement, venant de la noix, un chuchotement. Tous les visages étaient graves, les sourcils froncés, certains enlevèrent leur béret par respect pour ce Bon Dieu ayant choisi une noix comme logis. Chacun apporta son témoignage : la noix que Miquèu leur prêta quelques jours avait permis une bonne récolte de blé chez l’un, la guérison de l’aïeule chez l’autre, et même un bon mariage chez le plus jeune d’entre eux ! John sortit un billet de sa poche, mais Miquèu rangea délicatement la noix dans une petite poche à l’intérieur de sa veste, et il déclara : « Elle vaut dix Louis d’or, elle m’a été remise en grand secret par un mystérieux moine dans le cloître de l’église de Saint Jacques en Espagne ». Il ne pouvait pas en dire plus, il ne savait plus exactement où se trouvait cette église. Et les conversations reprirent comme si rien ne s’était passé. Mais les frères Case-Nave n’avaient plus le cœur à raconter des histoires, il leur fallait ramener le Bon Dieu au village, ils avaient besoin de son aide, de ses miracles, il fallait le montrer à tous les fidèles dimanche, à la sortie de la messe ! John avait déjà roulé Miquèu, il le savait naïf, il fallait négocier son chargement de pommes de terre contre la noix merveilleuse. Il l’entraîna dehors, ils se plantèrent devant le cheval et son attelage, et l’affaire fut si prestement traitée que quand Joanchicot vint les rejoindre, le Bon Dieu était déjà dans la poche de John. Miquèu revenait avec ses bœufs attelés à un tombereau, et les pommes de terre furent transvasées en un rien de temps, tout le monde contribuant à la tâche. Certains riaient, mais c’était certainement du à l’abus d’Armagnac. Ils avaient le vin gai ! Et puis, les frères Case-Nave savaient bien que tout le monde était heureux de voir qu’ils venaient de faire une si bonne affaire ! On leur offrit même une bouteille d’Armagnac pour la route. Les deux frères reprirent le chemin du retour en tétant de temps en temps au goulot de la bouteille et en chantant à tue-tête. C’était la première fois qu’ils chantaient d’aussi bon cœur. Joanchicot en déduit que le Bon Dieu commençait déjà à leur apporter le bonheur. Arrivés à la maison, Margalida fut surprise de les trouver si joyeux. Elle jeta un œil au fond de la charrette, constata que tout avait été vendu, mais s’étonna qu’aucun achat n’ait été fait. Ce fut John qui déclara, la main sur le cœur en bégayant un peu : « Nous avons ramené le bon Dieu ! » Ils entrèrent dans la maison en silence, la mère fermant la marche. Jantin vint se joindre à eux, intrigué par le côté un peu cérémonial de ce retour. John fouilla dans la poche de la veste en maîtrisant un léger hoquet, et il déposa cérémonieusement sur la nappe blanche, sa noix qui luisait un peu dans la pénombre. Jantin, le père, tendit le cou à plusieurs reprises comme le font les dindons quand ils vont glousser, Margalida jeta un regard inquiet tour à tour sur ses deux fils, puis sur la noix. Elle fit un geste pour s’en emparer, mais Joanchicot lui saisit doucement le poignet en disant d’une voix que l’émotion et l’Armagnac rendaient à peine audible : « C’est le Bon Dieu, ne le dérange pas ! » Les parents eurent un mouvement de recul. John saisit délicatement la noix, la fit tourner sur elle-même et avec le cérémonial d’un prêtre donnant la communion, la plaça tout contre l’oreille de son père : « Écoute-le, il récite une prière pour nous apporter tout ce que nous lui demanderons ! » En effet, Jantin perçut un léger murmure. Il se signa avec vivacité, comme pour se débarrasser d’un insecte qui volerait autour de son béret, et il joignit les mains. Devant ce cérémonial inattendu, la mère qui avait cru entendre elle aussi comme un léger grattement dans la noix, tomba à genoux, le menton à hauteur de la table, la noix juste devant ses yeux. On en oubliait de dételer le cheval et de lui donner son avoine, on ne pensait plus qu’au Bon Dieu prisonnier dans sa noix. Où le mettre pour qu’il puisse nous aider ? Jantin proposa sur la desserte, juste à côté de la vierge de Lourdes, Margalida voulait le mettre sur la table de nuit, John proposa le haut du buffet où on ne risquait pas de le déranger. Joanchicot, quant à lui, il aurait bien mis ce Bon Dieu sur la cheminée sous la grosse croix de bois où son fils les surveillait tous, la tête inclinée sur l’épaule. À partir de ce moment, la vie devint impossible, car les Case-Nave se demandaient comment le bonheur allait se manifester, quand il allait arriver. Pendant le repas, ils se levèrent à plusieurs reprises pour aller écouter les prières du Bon Dieu resté finalement sur la table de la salle à manger. Il ne disait plus rien. Ils en déduirent qu’il se reposait et que demain ils sentiraient la différence. Ils passèrent tous une mauvaise nuit, se levant à plusieurs reprises de crainte que la noix ne soit ouverte et que son mystérieux occupant ne se soit échappé. Au matin, ils étaient tous d’accord, il fallait libérer le Bon Dieu pour qu’il puisse voir quelles améliorations il pouvait apporter sur la propriété. Le père enfonça correctement son béret sur sa tête comme s’il allait devoir engager une course poursuite, sortit le couteau de sa poche, le déplia lentement. Ses lèvres frémissaient, il devait prier ! Margalida se tordait les mains, agitée entre la curiosité et la crainte. Les deux frères fronçaient les sourcils, anxieux. Il y eut un léger craquement qui fit sursauter tout le monde, et un gros insecte jaune et noir tomba sur la nappe blanche. Par réflexe, Jantin enleva son béret pour trucider l’animal quand Margalida s’écria : « Que fais-tu malheureux ! Ne sais-tu pas que Dieu peut prendre toutes les formes ! Les deux frères réalisèrent en un instant que la veille, ils avaient perdu le bénéfice de la vente d’un quintal de pommes de terres ! L’insecte agita ses ailes, et, dans un bourdonnement sourd s’envola par la fenêtre ouverte. Depuis cette époque, à la saison des figues, on peut trouver des centaines d’insectes semblables sur les fruits, mais Margalida et Jantin sont persuadés que parmi eux, il y a le Bon Dieu, le vrai, car cette année-là toutes les récoltes furent exceptionnelles, les vaches donnèrent davantage de lait et les fruits du verger furent plus sucrés. Ils se gardèrent bien de raconter cette histoire aux voisins, car ceux-ci se plaignaient qu’ils ne pouvaient plus cueillir les pêches ou les figues sans se faire piquer par de gros insectes jaunes et noirs ! Alain M. Bien entendu, ces faits étant légendaires, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence !
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