légendes béarnaises de Boast
EN DIRECTION DE LA LUNE
CAP A LA LUA
On a tort, le plus souvent, de dire de quelqu'un qui rêve qu'il est « dans la lune » et de reprocher au rêveur sa propension à imaginer à l'avance l'effet de ses actes. Que serait aujourd'hui l'humanité sans les rêves et les rêveurs ? Ne serions-nous pas encore au temps des cavernes Si l'un de nos semblables, sur le seuil de son antre, ne s'était tourné vers le ciel, la lune et les étoiles pour imaginer les moyens de conquérir le monde extérieur ? La lune fut, de tous temps, l'inspiratrice des poètes, mais aussi des inventeurs. Aujourd'hui, ne bénéficions-nous pas, dans la vie de tous les jours, des applications pratiques des techniques de la recherche spatiale ?
Comme nous allons le voir, les gens de Boast, microcosme de l'humanité pensante, mais avec cette originalité et cette subtilité qui les caractérisent, étaient déjà des précurseurs en la matière. Il y avait en ce temps là, à Boast comme dans toute commune béarnaise, une petite bande de garnements qui, leur tâche de la journée accomplie, se réunissait généralement dans l'écurie de l'auberge pour y méditer quelque « galopinade » ou y discuter tout à loisir des menus événements de la journée. Mais il n'est de jeu qui ne lasse, même s'il s'exerce aux dépens des voisins, et la vie en nos campagnes était à ce point monotone, avec son déroulement coutumier des tâches saisonnières, que nos jeunes gens, pour aussi riche que fût leur imagination, laissaient parfois vagabonder leurs esprits à d'autres songes creux, mais fertiles en trouvailles.
Tournés vers le ciel clair parsemé de points brillants, ils ne cessaient de s'interroger alors sur les mystères de l'au-delà de la voûte céleste. Du haut de la colline, on voyait nettement jusqu'à Garlin, Aydie, Viella vers le nord, jusqu'à Lourdes, Tarbes, Bagnères vers l'est, on voyait jusqu'à Pau vers le sud, avec les montagnes bleues en arrière-fond.
Mais ils ne trouvaient que peu d'adultes pour leur expliquer les mystères du firmament et répondre aux questions de leur angoisse existentielle. Le curé de Coslédàa, consulté, était parti sur une savante élucubration mystique concernant la création du monde, assortie de citations bibliques qui les avait abasourdis et laissés sur leur faim. Quant au maître d'école, ses goûts scientifiques l'orientaient vers une approche dûment chiffrée des mystères de la gravitation et de l'alternance des jours et des nuits qui avait rapidement lassé la patience de son jeune auditoire.
Leurs préoccupations et éternelles questions finissaient par influencer fortement le monde des adultes dont ils dépendaient. C'est ainsi qu'à l'auberge, les discussions autour du qujihèr ( terrain du jeu de quilles ) s'éloignaient peu à peu des subtilités du sauta-côrn ou des succès du quate e choès ( figures du jeu de quilles ) pour envisager les mystères des éclipses lunaires et se remémorer les pluies d'étoiles d'antan. À force de fixer le ciel nocturne et de ratiociner sur les taches lunaires, les habitants de Boast décidèrent que le plus simple était encore d'y aller voir. Mais comment faire ? Il s'agissait de trouver un moyen d'atteindre l'astre nocturne. L'aubergiste eut une idée : « il faut empiler des barriques ! ». On se regarda, se consulta et se dit que ce n'était peut-être point si sot.
Aussitôt, on alla chercher toutes les barriques de la commune. Boast n'est pas vraiment un pays de vin, mais les vignes en sont proches et on n'eut aucun mal à réunir de nombreux tonneaux de toutes tailles. Plaçant les plus grosses au-dessous, les autres par-dessus, on parvint alors, à force d'habileté et de patience, à atteindre une hauteur considérable. Hélas, quand on eut utilisé toutes les barriques de Boast, de Lube et même de Coslédàa, on était bien loin encore de la lune ! Le charron, qui avait l'habitude de faire passer, avec des billes de bois, des véhicules dans les passages les plus embourbés, eut alors une idée. Et Si on utilisait les premières barriques pour les placer sur les dernières ? Aussitôt dit, aussitôt fait ! Mais il semble qu'il en va différemment dans le sens vertical que dans le sens horizontal, sur cette terre dotée d'un phénomène de gravité à peine tenta-t-on de récupérer les premiers tonneaux que tout l'édifice s'effondra lamentablement.
Ceci découragea donc, pour un moment, les habitants de Boast d'entreprendre des expéditions intersidérales, même Si nombre d'entre eux avaient su partir aux Amériques, suivant l'habitude des cadets de chez nous. Ceux qui sont restés aujourd'hui ont gardé encore la coutume de maintenir souvent les yeux fixés sur les astres et, dit-on, leur propension à suivre de près l'aventure de la conquête spatiale ne les empêche pas de participer à des entreprises terrestres, à preuve leur habileté à manier les tonneaux et barriques, muids et demi-muids, qui fait rechercher leurs garçons par tous les marchands de vins des alentours comme d'incomparables manutentionnaires.
les autres contes: l'âne de Boast, le champ d'aiguilles, la croix des lapins
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Dernière modification: 05/08/2013