Dernière modification:
28/07/2022
Pour plus de
confort, pressez la touche F11 de votre clavier.
Retour à l'index (Sommaire)
Retour à l'index
"Histoire"
Le village _ les saisons _ les légendes _ l'histoire _ photos anciennes _ Sévignacq _ Escoubès _ Monassut-Audirac _ Lussagnet-Lusson _ Lannecaube _ Morlaàs _ Lembeye _ les vieux papiers _ cuisine _ le gîte et le couvert _ les Pyrénées _ voitures anciennes _ la maison béarnaise _ petites annonces _
Un manufacturier béarnais de la fin du XVIII' siècle JEAN-JOSEPH D'AUGEROT La deuxième moitié du XVIII° siècle a été marquée en France par un essor industriel, dû en grande partie à l'initiative d'un certain nombre d'individualités issues de la bourgeoisie commerçante. Si ce mouvement n’a pas été aussi marqué en Béarn que dans d'autres régions, il n'en a pas été complètement absent. Et Jean-Joseph d'Augerot est un bon exemple de ces bourgeois qui cherchaient à devenir chefs d'industrie. La famille d'Augerot est une vieille famille béarnaise, que l'on rencontre à Gan dès le début du XVII° siècle et qui se hissa dans la noblesse au milieu du XVIII° lorsque Henri d'Augerot acheta le fief de Saint-Martin de Coslédaà en Vic-Bilh. La seigneurie consiste en sol et vieilles masures, comme l'indique l'acte de vente de 1742. Joseph, fils d'Henri, était, entre temps, parti en Espagne pour faire fortune dans le commerce ; nous le rencontrons dans le journal d'Arnaud Poey, un manufacturier nayais qui travaillait la laine et faisait du commerce lointain. De Bilbao, où il était installé, Joseph d'Augerot pourvoit la manufacture Poey en laine fine ; son activité s'étend aussi à d'autres branches et il fait une grosse fortune. Nous savons, entre autres affaires, qu'il a acheté en 1772 une plantation de café à Saint-Domingue, qui appartenait à la demoiselle de Roques, de Jurançon. Mais il avait gardé de profondes attaches avec le Béarn, où il viendra d'ailleurs finir ses jours; bien qu'il eût lui-même épousé une Basquaise, Marie d'lharse, d'Urrugne. C'est dans la région de Pau qu'il maria les deux enfants qu'il avait eus d'elle en 1752 sa fille Jeanne-Josèphe épouse à Pau Jean-Gratian de Laussat (3), et en 1759 son fils, encore mineur, Jean-Joseph, épouse à Nay Claire-Élisabeth de Poey, âgée de 18 ans et nièce du manufacturier Arnaud Poey. Jean-Joseph d'Augerot, né à Bilbao en 1739, débute en Béarn avec une situation bien assise, du fait des libéralités paternelles et des avantages que lui apporte son mariage. En effet, à l'occasion de celui-ci, son père lui donne un préciput de 100 000 livres et lui transporte la seigneurie de Saint-Martin de Coslédaà, avec droit d'entrée aux États. Il devient, de plus, l'héritier normal de son beau-père Joseph Poey, déjà décédé ; sept jours après le contrat de mariage, il est associé à la manufacture Poey; et il devient aussi seigneur et abbé laïque de Sedze à la place de son beau-père. Fin 1762, moyennant une dispense d'âge, car il fallait 25 ans, il achète pour 70 000 livres une charge de greffier en chef au Parlement de Navarre. Enfin, par héritage encore, il devient en 1769 seigneur d'Aste et de Béon, seigneurie achetée par Henri Poey, oncle de sa femme, en 1752 dans le territoire de ces communes il y avait des mines de fer et une ancienne forge, qu'il va chercher à remettre en valeur. Nous voyons donc Jean Joseph d'Augerot installé dès le début dans une position parlementaire qui le place bien dans la société béarnaise de l'époque, d'autant plus qu'il est en même temps seigneur foncier ; mais il est aussi engagé dans des affaires commerciales et industrielles par lesquelles il semble très attiré. Nous pouvons très bien nous représenter le personnage grâce à deux documents. Un certificat de résidence conservé à Nay datant du 24 janvier 1793 nous restitue son aspect physique : taille moyenne, 5 pieds 3 pouces (soit un peu plus de 1,73 m), blond aux yeux bleus, nez aquilin dans un visage maigre et grêlé de petite vérole. Pour le moral nous n'avons qu'à nous en rapporter au portrait qu'en trace son beau-frère Jean-Gratian de Laussat, qui l'égratigne quelque peu : franc, ouvert, plein d'esprit et de connaissances, dit-il ; mais il continue : « C'est dommage qu'il nuise à toutes ces bonnes qualités par une affluence de paroles et une volubilité comme il n'y en a guère, ce qui lui donne un air léger et étourdi », et il le dépeint, dans ses actions et ses entreprises, comme un instable, un ambitieux et un inconséquent, qui a dépensé un argent immense dans des entreprises « dont aucun bon succès ne fut jamais le fruit ». Cependant, il ne faut pas prendre à la lettre toutes les indications de J.G de Laussat. Les activités de Jean-Joseph d'Augerot peuvent être classées sous trois rubriques : le manufacturier en laine, le maître de forges, enfin le notable, la première étant la plus importante et celle qu'il continua jusqu'à la fin de ses jours. LE MANUFACTURIER DE NAY. La manufacture de laine fabriquait des bonnets avec de la laine d’Espagne, et les vendait jusqu’à Constantinople, Smyrne, Alep, Salonique et en Syrie, c'est-à-dire dans l’Empire turc. Trois cents employés environ travaillaient dans l’entreprise. LES FORGES DE BEON. Jean-Joseph d'Augerot construisit à grands frais des forges à Aste et Béon pour une autre industrie : la fabrication du fer. Il trouvait le bois sur place et le minerai provenait en grande partie des mines de Béon et de Pons. Malheureusement, ce minerai étant de très mauvaise qualité, il dut avoir recours à du minerai de Baïgory qu’il faisait venir à grand frais par chariots jusqu’à Aste. Il eut ensuite l’opportunité de pouvoir utiliser le minerai provenant de Ferrières. Trois cents ouvriers produisaient annuellement 2200 quintaux de fer. Par la suite l’entreprise fut malheureuse, car d’Augerot ne parvenait pas à fabriquer du fer de bonne qualité. LE NOTABLE. Greffier au parlement de Navarre de 1767 à 1789, il est élu maire de Nay en 1791. Il n’occupe ce poste qu’un an, car il est emprisonné durant la révolution. Rapidement libéré suite à une pétition des employés de ses manufactures, il sera à nouveau non pas élu, mais nommé maire de Nay en l’an III. Confirmé dans ses fonctions il restera maire jusqu’à sa mort en 1811. En somme, comme on le voit, Jean-Joseph d'Augerot ne réussit guère, et toutes ses entreprises se soldèrent par des échecs. La fin de sa vie semble même avoir été assez difficile sur le plan financier. C'est avec beaucoup de peine qu'il paye la dot de sa fille mariée en 1793 30.000 livres sur lesquelles il doit encore 15.000 francs en 1808. Après sa mort, ses deux enfants survivants ne se portent héritiers qu'au bénéfice d'inventaire. Il ne reste rien de ses créations. Disparue la manufacture royale, dont son fils ne continua pas l'exploitation ; disparue aussi la forge de Béon dont ne subsiste plus que la grange; quant aux mines d'Aste, dont on peut parcourir les galeries, leur emplacement n'est que peu ou pas connu de la plupart des habitants du village (30). Il faut dire que Jean-Joseph d'Augerot ne semble pas avoir été bien secondé par ses enfants. L'aîé, Henri, nous est dépeint par Laussat comme un instable et un vaniteux; il fit des voyages en Orient qui coûtèrent cher à sa famille, et finit par mourir en 1806 à la Martinique où son cousin Laussat l'avait emmené. L'autre fils, Joseph, qui était associé à la manufacture depuis l'an XI, n'avait pas, par contre, l'esprit aventureux; il succéda à son père comme maire de Nay, mais abandonna toute affaire industrielle et commerciale. En 1827 il se démit même de ses fonctions de maire pour prendre une situation de tout repos, celle de juge de paix du canton de Montaner. D'après Laussat, Jean-Joseph d'Augerot était un incapable, se lançant dans des entreprises hasardeuses et y dilapidant un argent considérable. Il parle de la « malheureuse » manufacture, et de la « malheureuse » forge, celle-ci créée par sa seule imprudence, qui sont, dit-il, des objets de désolation et de ruine. Mais Laussat laisse percer le bout de l'oreille quand il parle de ses beaux-frères : il a là une question d'héritage. Lorsqu'il écrivit son livre, son beau-père, le négociant de Bilbao, venait de mourir à I\ay et l'héritage était plus médiocre qu"il ne l'avait prévu; d'où sa rancoeur contre ses beaux-frères qui, dit-il, avaient extorqué de grosses sommes d'argent à leur père et lésé d'autant Madame de Laussat. Si Jean-Joseph d'Augerot ne semble pas avoir été un grand homme d'affaires, il faut reconnaître qu'il a été desservi aussi par les circonstances générales. L'affaire des bonnets turcs a tout de même marché pendant plus de soixante ans, et, si elle périclite à la fin, c'est que les conditions ne sont pas particulièrement favorables au commerce international guerres de la Révolution, puis de l'Empire, guerre en Espagne d'où venait la laine, blocus anglais en Méditerranée gênant les ventes en Turquie. Au début de l'Empire, d'Augerot a la réputation d'avoir bien défendu son affaire ; la Statistique du département des Basses-Pyrénées de 1802 dit textuellement « qu'il a soutenu ce commerce en des temps très difficiles », et en l'an XI le préfet Castellane, en visite à Nay, lui donne les éloges publics « les plus mérités ». La forge de Béon est moins défendable : le fer obtenu était de mauvaise qualité. Ce défaut aurait sans doute disparu avec les progrès techniques que la sidérurgie a connus au XIXe siècle ; mais déjà, à l'époque, la petite métallurgie est condamnée, la grande concentration auprès des mines de houille s'annonce. Contre elle il n'y a rien à faire, d'autant plus que les gisements de minerai sont d'importance médiocre. Malgré l'échec par lequel se termine son oeuvre, le personnage de Jean Joseph d'Augerot n'est pas négligeable. Il est fils de marchand, mais il passe dans la société parlementaire et la noblesse de robe, il cumule les fiefs de Saint-Martin de Coslédaà, Sedze, Aste et Béon. Cependant, il ne se borne pas à vivre en parlementaire ou en rentier, ce qu'il aurait pu faire et que fera son fils ; il s'intéresse aux affaires, à des affaires diverses, et n'est pas fermé au progrès. Pour la forge de Béon il essaie d'imiter les procédés espagnols, pour sa manufacture il se lance dans des essais de teinture du coton. Au point de vue politique, il cherche à participer aux affaires publiques dès le début de la Révolution, puis il s'efface durant la Terreur, mais reparaît aussitôt après et devient notable local sous Napoléon. À tous ces titres, il est un bon représentant de cette bourgeoisie de la fin du XVIIIe siècle, qui s'est enrichie dans le négoce et a fait tourner la Révolution à son profit. Malheureusement, dans le Béarn d'alors comme dans tout le Midi en général, la situation n'était pas bonne pour les affaires industrielles et commerciales ! Ailleurs, il eût peut-être mieux réussi. D’après Jean LOUBERGE. |
|