Traversée du Sahara
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Jeudi 1er septembre 1977.
Vejer - Aranda
de Duero (864 km). Rouler à soixante kilomètres à l’heure sur les routes nationales espagnoles, c’est tout de même mieux que notre moyenne de vingt à l’heure sur les pistes africaines, mais à présent, le danger vient de derrière ! Nous aimerions aller plus vite, mais la 4L n’en peut plus, elle est fatiguée et elle a une forte attirance vers l’extrême droite, l’endroit où elle pourrait se vautrer dans le fossé ! Elle nous menace de rester au bord de la route, mais à présent nous la connaissons bien et nous savons qu’elle fait du bluff ! Elle n’osera plus piquer son caprice, et elle reviendra, c’est sûr ! Pancho a de plus en plus mal à sa jambe qui pourrit à vue d’œil en dégageant une odeur nauséabonde. Nous sommes conscients que c’est la gangrène qui commence à faire son effet. Il devient gris, et il souffre le martyre en silence. Il faut rentrer le plus vite possible, car il n’est pas question de se faire soigner en Espagne : nous n’avons pas confiance. Nous sommes englués dans un trafic affolant avant Madrid. Les Espagnols sont les spécialistes du dépassement en troisième position, et même si ça passe très souvent de justesse, ils ne s’affolent pas. Nous avions perdu l’habitude de nous battre dans cette jungle-là, alors nous sommes un peu inquiets… D’autant plus que nous savons qu’au moindre accrochage, notre voiture tomberait en pièces et nous nous retrouverions assis parmi les débris, au milieu de la route ! Nous traversons Madrid sans trop nous tromper, et nous continuons vers Burgos. J’ai l’intention de rouler toute la nuit, mais à trois heures, il faut que je m’arrête, car je ne peux plus tenir. Pancho ne souffre plus : il se sent faible, c’est tout. Et c’est encore plus inquiétant !
Vendredi 2 septembre.1977.
Aranda -
Serres-Morlàas (546 km). Il fait six degrés ce matin, et nous sommes presque gelés : nous préférions la chaleur du Sahara ! (On n’est jamais content !). Nous trouvons la route vraiment longue jusqu’à Hendaye, et nous n’avons plus envie de causer ; la conversation en est réduite au dialogue suivant : __« Ça va Pancho ? __Mieux ! » Et au bout d’un moment : __« Et maintenant, ça va Pancho ? __Un peu mieux ! » Je m’attends à ce qu’il me dise que tout va bien, mais je sais que le mal progresse et que nous n’avons aucun moyen d’arrêter l’infection. Notre silence trahit notre angoisse. Pourtant, dès que nous arrivons à Hendaye, nous nous ruons sur un steak-frites arrosé de bière, car nous avons une urgence, mais aussi des priorités. Tout le monde nous dit que la saison a été « pourrie » : pluie, pluie, pluie… Nous, nous ne nous plaignons pas, car nous avons eu du beau temps ! Les cafetiers français demandent même une indemnisation à l’état, car ils estiment qu’ils sont sinistrés. Ils auraient dû aller s’installer dans le Sahara, entre In Guezzam et Tamanrasset. La plage est immense, et ça rendrait service à ceux qui souffrent sur la piste ! À Hendaye ville, Lino, le pharmacien que je connais bien, refait le pansement, et il est très inquiet : la plaie est noire, elle couvre tout le tibia, et il nous conseille de nous rendre le plus vite possible à l’hôpital de Pau. Quand nous arrivons à l’hôpital, le gardien reconnaît la voiture : il l’a vue dans le journal, car il a suivi notre raid grâce aux articles que nous envoyions régulièrement à "La République des Pyrénées". Il ouvre la barrière, et nous nous garons devant la salle des urgences. Une infirmière s’occupe de nous en priorité. Elle aussi, a suivi notre voyage dans la presse locale : « Alors, vous êtes revenus, c’était dur ? Et la chaleur, vous… » Elle vient d’ôter la bande, et elle se trouve face à la plaie noire et violacée ; elle ne termine pas sa phrase. Elle sort de la salle et revient avec un docteur qui observe les dégâts, palpe la cheville, reste perplexe, sort à son tour sans rien dire, et revient au bout de quelques instants avec un docteur en blouse blanche qui commence à charcuter la plaie avec toutes sortes de pinces et d’objets contondants. C’est un chirurgien : « Je vous fais mal ? Et là, je vous fais mal ? » Pancho répond que, de toute façon, il a mal, alors un peu plus ou un peu moins, il ne s’en rend pas compte. Le diagnostic tombe comme un coup de tonnerre dans le désert : ulcère, gangrène, œdème très sérieux… Hospitaliser, il parle de greffe, de sécurité sociale, de tout un tas de choses que nous ne nous attendions pas à entendre ! Il n’autorise même pas Pancho à aller chez lui pour chercher quelques effets personnels : le traitement doit impérativement commencer dès ce soir, en espérant que ce ne sera pas trop tard ! Du coup, le retour triomphal à Sévignacq, les copains, le champagne, tout tombe à l’eau ! Dans le fond, Pancho n’avait aucune envie de fêter le retour ce soir, il se sent presque rassuré, car à partir de maintenant, il sait qu’on va le soigner, et c’est tout de même encourageant ! Je l’abandonne à l’hôpital, et je rentre seul, triste, fatigué : la joie du retour est brisée ! À Sévignacq, au bar de « chez Courbet », personne ne veut croire que Pancho est resté à l’hôpital, tous croient qu’il est caché quelque part dehors, et il leur faut un bon moment avant de comprendre que je ne plaisante pas ! Nous avions prévu un grand repas tous ensemble, avec les copains, mais pour l’instant, le cœur n’est pas à la fête ! En fin de compte, la voiture a tenu le coup, pas le mécanicien.
Épilogue : Pancho restera environ trois semaines à l’hôpital, on lui fera une greffe, et il évitera l’amputation de justesse, car il avait une plaie gangreneuse, avec un début d’œdème à la cheville. La « Renault 4 » roulera encore quelque temps entre Hendaye et Pau, jusqu’au jour où la police de la route m’arrêtera et me demandera de la retirer de la circulation pour raisons de sécurité : elle touchait presque par terre ! Pendant ce voyage, nous avons parcouru 14 943 km, dont 4 805 km de pistes pas toujours carrossables !
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