Traversée du Sahara

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Dimanche 28 août 1977.

El Goléa - Tiaret. (678 km).
(Algérie)

Pour souffrir le moins possible de la chaleur, il vaut mieux se lever à six heures et partir à sept, au lever du jour. C’est ainsi presque agréable de rouler : l’air est frais, la voiture plus nerveuse et nous aussi ! Malheureusement, vers dix heures, la canicule nous tombe sur le dos comme une chape de feu ! La route est monotone : du sable sur les côtés, sur la chaussée, des dunes qui débordent parfois pour nous barrer le chemin, comme un dernier pan de nez… Mais nous avons si bien appris à dominer ces obstacles que nous les franchissons sans le moindre ensablement ! Et puis, c’est le « goudron » ! Ce mot magique signifie moyenne de soixante-dix ou quatre-vingts kilomètres-heure, et ça nous change du petit trente que nous n’arrivions pas à maintenir sur la piste !

Dans la descente qui précède l’arrivée dans l’oasis de Ghardaïa, nous jouissons d’un point de vue particulièrement pittoresque sur la cité du M’zab surmontée de son minaret de terre ocre. La chaleur est un peu plus supportable que la veille, mais la faim se fait sentir. Nous ne pouvons résister à la tentation d’un bon repas. Nous allons dans le plus grand hôtel de la ville ; du marbre partout, des garçons en chemise blanche et nœud papillon, des clients au portefeuille bien rempli, mais la nourriture n’est pas plus savoureuse que celle d’une cantine !

Après El Goléa, le paysage devient plus humain, la steppe remplace le désert ; de temps en temps une maison inhabitée marque le décor de sa tache blanche. Nous nous sentons revivre ! Nous traversons des montagnes, nous trouvons du froid. Oui ! du froid, du vrai, de celui qui donne le frisson et tout ! Douze degrés de température ! Nous nous arrêtons au cœur des hauts plateaux pour dormir.

 

Lundi 29 août.

Tiaret - Berkane (563 km).
(Maroc)

Nous sommes réveillés par le froid : il fait six degrés ! Nous sommes frigorifiés, congelés, surgelés ! Nous étions habitués à quarante-sept degrés le jour et trente-cinq la nuit, alors nous souffrons de l’onglée, du froid aux pieds, nous éternuons… bref, nous ne supportons plus le froid dont nous avons tant rêvé au cœur du Sahara ! Nous pensons qu’en roulant, le chauffage sera bien agréable… C’est comique, mais le circuit de refroidissement est prévu pour la chaleur, alors le moteur ne chauffe pas suffisamment ! C’est un comble ! Nous avons souffert avec le chauffage quand il faisait trop chaud, et à présent, ce même chauffage ne nous est d’aucune utilité ! Ce n’est pas une vie ! Nous prenons la direction d’Oran dans un paysage un peu plus humain : des champs de blé, des collines, des fermes isolées… nous nous sentons presque chez nous ! À Tlemcen, nous liquidons nos derniers Dinars, et nous n’avons pas grand choix pour acheter nos souvenirs : il n’y a rien ! Nous prenons la direction de la frontière, et nous sommes pressés ! Nous y arrivons à neuf heures moins le quart : c’est fermé. Il faut bien que les douaniers prennent le temps de dîner ! À neuf heures et demie, nous sommes passés sans le moindre contrôle, ce qui nous arrange, car nous n’avons aucune envie de décharger notre matériel, et d’étaler nos bagages sur le sol. Au Maroc, ça s’annonce mal ! Le douanier commence par mettre le nez dans notre fouillis… quand soudain, une énorme araignée jaune lui file entre les pattes, sortie de je ne sais où ! Le voilà stoppé net. Il pense qu’elle sort de notre voiture, et ça le décourage de s’approcher davantage, et surtout d’y mettre les pattes !

Nous entrons au Maroc. À Oujda, un coup de sifflet nous oblige à stopper net. Le policier arrive : nous lui demandons la route de Melilla, nous lui parlons de notre voyage… Il essaye de nous expliquer que notre plaque minéralogique n’est pas éclairée, mais nous ne le laissons PAS parler ! Quand nous redémarrons, nous sommes les meilleurs amis du monde, il nous souhaite bon voyage, il est enchanté d’avoir fait notre connaissance : il n’a pas pu en placer une !

Conduire au Maroc de nuit, ce n’est pas de tout repos. Les cyclistes zigzaguent sur la route sans lumière, les voitures restent plein phares, la route n’est pas toujours très bonne… Nous nous arrêtons pour dormir dans un champ.

 

Mardi 30 août 1977.

Berkane - Al Hoceima (230 km).
(Maroc)

Comme nous passons près de Melilla, nous allons tenter notre chance en essayant de prendre un ferry jusqu’à Alicante, Malaga ou Almeria. Ça raccourcirait notre itinéraire de retour, et nous pourrions nous reposer un peu, car nous commençons à donner des signes de fatigue, et Pancho a la jambe comme un poteau télégraphique vermoulu. Les piqûres de moustiques du Bénin se sont tellement infectées qu’on dirait que la gangrène se prépare… Il s’inquiète avec raison, en boitillant… À la frontière, nous attendons que le douanier veuille bien tamponner la pile de passeports qui s’accumule sur le guichet, pendant une heure. Nous avons appris à être patients, mais tout de même, nous apprécierions un petit peu de rapidité!

La ville de Melilla est une enclave espagnole dans le Maghreb, et nous reprenons ainsi contact avec l’Europe : de grandes avenues claires et propres, avec des Bars dignes de ce nom, des sandwiches au jambon, et des omelettes aux pommes de terre sur les comptoirs… Nous croyons rêver ! Pour le bateau du matin, c’est complet, mais nous avons une chance minime dans le bateau du soir, en nous inscrivant sur une liste d’attente. Nous allons manger un vrai repas, et il y a bien longtemps que ça ne nous était pas arrivé. Nous passons une bonne partie de l’après-midi devant une bière et un coca, à la terrasse d’un café. C’est chouette de retrouver la civilisation : les voitures qui passent, les petites nanas qui ondulent, les juke-box qui modulent… Nous nous sentons chez nous, et nous sommes prêts à consommer avidement tout ce que nous fuyions en décidant d’entreprendre une traversée du Sahara !

Pour le ferry, c’est impossible de trouver une place : un responsable nous annonce que tout est réservé jusqu’au cinq septembre. Nous sommes atterrés, car il va falloir aller jusqu’à Ceuta, et au lieu d’une traversée paisible, nous devrons parcourir cinq cents kilomètres sur des routes marocaines pleines de pièges et d’ornières !

Nous retraversons la frontière pour sortir de Melilla, et l’on reste bloqués près d’une heure, à cause d’un fonctionnaire qui n’est pas plus rapide que celui du matin pour tamponner nos passeports. La route est étroite et sinueuse, elle monte et descend, tourne, vire et la nuit arrive. Je suis très fatigué, et je dois continuer, car Pancho souffre réellement de sa jambe, et il nous faut donc revenir en France le plus tôt possible, c’est peut-être une question d’heure ! Je m’accroche derrière un camion roulant bon train (de marchandises), et les kilomètres défilent lentement. Soudain se fait entendre un sinistre « tac tac » qui ne tarde pas à devenir un « toc toc », puis un « croc croc »… Le roulement de la roue avant gauche nous abandonne lâchement : il meurt d’une indigestion de sable ; nous ne pouvons continuer ainsi. Nous nous arrêtons au bord de la route nous réparerons l’avarie dès demain. Le roulement cassé, la patte de Pancho bien amochée, les freins défaillants… Nous sommes en bien piteux état !

 

Mercredi 31 août 1977.

Al Hoceima - Vejer (415 km).
(Espagne)

Dès la première heure, nous voilà sur pied (sans S, surtout pour Pancho qui souffre de plus en plus de sa « patte folle » et qui boitille lamentablement autour de la voiture en geignant comme un malheureux). En bon mécanicien chevronné, il décide de démolir ce p… de c… de roulement qui le fait ch… Il s’empare des pinces, du marteau, de la clé à molette, récupère le roulement dans notre stock de pièces de rechange, et il commence, comme un de ces bons bricoleurs africains rencontrés tout au long du voyage, par tout étaler dans la poussière, au bord du chemin. Mais il se rend compte piteusement qu’il lui manque un marteau plus gros, la clé de vingt-quatre, et tout ça… C’est là qu’on voit que ce n’est pas un vrai bricoleur africain, car les cailloux du chemin devraient lui suffire s’il était capable de se contenter de faire avec les moyens du bord ! Il range son étalage en grognant à cause de sa jambe, et nous voilà partis pour Al Hoceima, soit quarante kilomètres de mauvaise route : tac tac, toc, toc, croc, croc… Nous roulons à cinquante à l’heure pour ne pas finir de casser les quatre ou cinq billes qui restent dans le roulement. À Al Hoceima, nous allons dans un garage, et on nous prête les outils dont nous avons besoin. Pancho se met en peine de réparer la 4L, et à midi, tout est prêt. Nous repartons vers Tétouan et Ceuta par des routes étroites, à travers des cols tortueux et des montagnes arides. Nous n’avons plus la forme, car si le roulement ne nous pose plus de problèmes, s’il ne grince plus, ce sont les amortisseurs, par contre qui commencent à nous lâcher ! Nous sautons, nous tanguons, nous rebondissons d’un talus à l’autre, et nous redoutons de finir dans un ravin. La voiture a pris un sérieux coup de vieux au cours de ce voyage ! Vers Kétama, on nous propose du haschich à chaque virage : « Haschich ! haschich ! » nous ne daignons même pas répondre, et encore moins nous arrêter. Nous n’avons pas le temps de fumer un joint, nous voudrions être à Ceuta le plus tôt possible. En bas du col, la police nous arrête, et fouille assez sommairement la voiture, surtout les vide-poches, et il est notoire qu’ils cherchent à « coincer » l’imprudent qui vient d’acheter un peu d’herbe. En quelque sorte, les vendeurs de drogue et les policiers se tolèrent très bien, car la police ferme les yeux sur le commerce illicite, et elle arrondit ses fins de mois en appréhendant de petits acheteurs qui leur donnent une somme assez coquette pour qu’on les laisse repartir sans les conduire au poste ! Je me demande même si la marchandise confisquée ne repart pas dans le stock des vendeurs… C’est peut-être un circuit fermé, je peux même dire un cercle « vicieux » !

La frontière est vite franchie, car il n’y a personne, et les douaniers marocains, à vingt-deux heures, à la fraîche, sont plus rapides que dans la journée ! L’air frais les stimule !

Nous avons une chance inouïe, nous pouvons prendre le bateau de onze heures et demie.

Durant la traversée vers l’Espagne, nous restons sur le pont, et nous regardons l’Afrique s’éloigner. Nous laissons derrière nous des moments souvent pénibles dans la chaleur suffocante du désert, nous regardons cette côte scintillante des mille lumières de Ceuta disparaître dans la nuit noire. Nous sommes réellement inquiets pour la « patte folle » de Pancho, car nous nous rendons compte que la blessure est sérieuse. Nous sommes impatients de retrouver l’Europe, les restaurants où l’on mange de la vraie nourriture, celle à laquelle nous sommes habitués, et puis il faut dire aussi que nous rêvons un peu de pantoufles de canapé moelleux, et de soins médicaux pour Pancho !

Dès notre prise de contact avec le continent, à Algésiras, nous filons sur Cadix. Il est une heure du matin, mais la route est bonne, et il vaut mieux rouler le plus possible de nuit, car Pancho souffre moins qu’en pleine journée avec la chaleur ! La route est bonne, la circulation plutôt fluide : nous roulons jusqu’à Vejer de la Frontera.

 

 

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