Phetchaburi
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précédente Dimanche 2 janvier 2011. Yangon - Mandalay. Cette après-midi, je pars à Mandalay, en bus. La nuit risque d'être blanche et longue. Je vais changer de l'argent au marché. Ce qui est curieux c'est que le marché noir est officialisé, ou du moins entré dans les mœurs, et que personne ne change dans les banques. Je me demande si les diplomates sont payés en kyats... certainement pas ! Dans la rue de mon hôtel, ils ont installé deux énormes baffles, et ils diffusent une musique qui braille. À un moment, je reconnais « let it be » des Beatles adapté en rock birman. Je quitte l'hôtel en taxi, jusqu'à l'agence du bus, en face de la gare. Heureusement que j'ai fait acheter mon billet par mon hôtel, car toutes les agences affichent les destinations en birman, ainsi que les prix. Bon, à défaut de pouvoir lire, il faudra au moins que je connaisse les chiffres. Ils font des petits crochets et des frisettes. Leur écriture, par contre, ressemble à des colliers de perles : des ronds à l'endroit, des cercles à l'envers, des zéros, des o, des anneaux... Une fourgonnette pick-up arrive, on vient me dire que c'est notre voiture. Bon, ça va : nous ne sommes pas nombreux, juste cinq personnes. Les employés de l'agence commencent à charger des cartons bien ficelés, puis d'énormes ballots, puis des sacs, et des sacs... et enfin nos bagages. Il ne nous reste plus beaucoup de place, mais nous arrivons tout de même à nous installer sur ce qui reste des banquettes placées sur les côtés. Il arrive encore un couple avec trois petits garçons. Tout le monde se pousse, je veux dire se serre, et je suis surpris de constater qu'il restait encore la place pour deux personnes. Les enfants, on les place sur le plancher, devant nos pieds pour boucher les trous. De gros colis sont attachés sur le toit, et quatre personnes arrivent encore : elles resteront debout sur la ridelle arrière ouverte et s'accrocheront à la galerie de toit. Durant le trajet, plus ça va, plus nous avons moins de place, car les colis glissent avec les cahots et finissent par empiéter sur notre espace vital. Je suis mal placé tout au fond, avec un énorme colis qui menace de me tomber dessus. Je ne peux bouger ni les jambes ni les bras, je ne devrais pas tarder à mourir étouffé ! Le trajet me paraît interminable. Voilà que nous arrivons à la gare routière au bout d'une heure de ce supplice. Je n'ai pas fini aplati sous des caisses, mais je suis tout tordu tout de même ! Je monte dans le bus pour Mandalay. Pas de chance, je suis au dernier rang, au fond. J'ai oublié de préciser, lors de la réservation, que je ne voulais pas des deux derniers rangs, car ça saute trop. Tant pis pour moi, je ne pourrai pas incliner mon dossier, et si la route est mauvaise, je risque de faire du yo-yo entre le siège et le plafond ! Le début n'est pas encourageant. Nous n'en finissons pas de quitter la banlieue de Yangon. La circulation est totalement anarchique. Au Myanmar, on roule à droite avec le volant à droite pour tous les véhicules. Quand le chauffeur de notre bus veut doubler un camion, il est obligé de déporter tout son véhicule sur la gauche pour voir s'il arrive quelqu'un en face... et quand justement un autre bus arrive, c'est vraiment impressionnant. Je n'ai pas peur, mais je ne suis pas tranquille ! Voilà enfin l'autoroute. Elle est cimentée, avec des dalles pas toujours au même niveau, mais je ne saute pas si haut que ça, finalement ! Malheureusement, la climatisation est poussée à l’extrême, et tout le monde est frigorifié ! Au bout de deux cents kilomètres et trois heures trente de route, nous nous arrêtons dans un « routier ». Immense parking pour les cars, quatre ou cinq restaurants sous des préaux ouverts sur deux côtés, le tout illuminé par des néons de toutes les couleurs, avec, sur le devant, un jardin où les arbustes éclairés en rouge et bleu semblent synthétiques. Les lumières de toutes les couleurs, ici, ils adorent ça ! Par la suite, les quatre cents kilomètres qui nous séparent de Mandalay ne me paraissent pas trop longs, car je réussis à dormir un peu.
Lundi 3 janvier 2011. Mandalay. Le car arrive à Mandalay vers quatre heures. La ville dort encore. Nous traversons des quartiers sombres, où seuls quelques tristes falots luisent dans des maisons qui semblent inhabitées. La gare routière ressemble à un garage, encombrée de cars. Les rabatteurs pour les hôtels et les taxis prennent les bus d'assaut. Je n'aime pas beaucoup ça, mais ici, ça se passe bien : les gars sont aimables, et les Birmans n'exagèrent jamais sur les tarifs des transports. Bien sûr, il faut négocier le prix à la baisse. Je monte dans une voiturette, comme les petites voitures sans permis, qu'ils osent appeler « Taxi Bleu ». Pour ma part, je trouve que l’appellation « pot de yaourt » est plus appropriée. Derrière la cabine du minuscule véhicule, on a installé, dans une petite benne couverte, deux banquettes disposées dans le sens de la marche, sur les côtés. On ose faire asseoir plus de huit passagers dans ce « pot de yaourt ». Nous avons du mal à démarrer : plus de batteries. C'est un comble pour un véhicule de marque Mazda. En poussant, tout s'arrange. Aujourd'hui, nous ne sommes que six : moi, à côté du chauffeur, le mécanicien et trois femmes à l'arrière. Nous sortons de la gare routière par une piste poussiéreuse et toute défoncée. Je suis secoué comme un sac de noix bien que nous n'avancions qu'au pas. Nous débouchons sur une avenue presque déserte, et roulons tous feux éteints, à cause la batterie. Soudain, l'odeur désagréable de quelque chose qui chauffe un peu trop assaille nos narines. Le chauffeur ne s'inquiète pas « just a moment ! » Il s'empare d'une bouteille d'eau, descend, soulève le capot, et la vide dans le circuit de refroidissement. Le moteur disparaît dans un nuage de vapeur, le « pot de yaourt » aussi. Nous sommes arrêtés en pleine voie, sans lumières, dans une avenue peu éclairée. Un camion passe en nous frôlant. Le chauffeur nous a vus parce qu'il a de bons phares. S'il avait roulé sans lumières comme nous, il nous écrabouillait. Nous redémarrons et nous continuons à rouler sans lumières. À certains moments, quand il n'y a plus aucun réverbère, c'est un peu angoissant. Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous arrêtons parce que le moteur ne veut plus tourner. Alors, mes deux bricoleurs tripatouillent des fils électriques, poussent la brouette qui redémarre pour quelques centaines de mètres. Lors d'une panne qui semble définitive, les deux femmes qui restaient dans la benne se découragent et continuent avec un autre « taxi ». Moi, j'ai le temps : il est quatre heures, le jour n'est pas levé et je suis curieux de savoir si nous finirons par arriver. Les deux convoyeurs n'ont pas l'air inquiet, et ils ont bien raison, car à cinq heures, nous voilà rendus au ET Hôtel. Je vais prendre un café et un gâteau en face de l'hôtel. Un grand panneau noir avec un verset du coran orne le mur. On entend justement le muezzin appeler à la prière. Le gros patron, personnage obséquieux, dirige d'une main de fer la bonne marche de son établissement. Trois enfants de six à huit ans travaillent avec un air renfrogné dans un visage noir de crasse. L'un lave le sol, l'autre me sert, et le plus petit fait la vaisselle, et va montrer les écuelles en aluminium au gros patron avant d'aller les ranger. Je pense que quand il n'y a pas de témoin le « Garofoli » envoie quelques taloches, car le petit n'est pas tranquille quand il s'approche de lui. Je ne suis pas trop fatigué, je n'ai pas envie de dormir, alors je vais à pied, vers « Too Too restaurant ». Il est très malaisé de se déplacer sur les trottoirs aux dalles disjointes, et, de plus, on a planté des arbres dont les branches sont trop basses pour permettre de passer dessous. Au Myanmar, les villes ne sont vraiment pas faites pour se promener à pied. Au restaurant, je mange mal, des plats peu appétissants, froids et surtout trop pimentés. De plus, je paye deux fois plus cher que dans de bons restaurants. ( Je paye 6000 kyats comme quand je mange mon canard avec une grande bière à Yangon ! ) Je prends un cyclo-pousse jusqu'à la pagode Kyaug Shwenandaw. L'engin est équipé d'un side-car placé à côté de la bicyclette. Si nous étions deux, le deuxième passager me tournerait le dos sur un petit siège placé derrière moi. Le conducteur a soixante-dix ans, il prétend être un instituteur en retraite. Il a les jambes aussi maigres que les rayons des roues de son engin. Il parle un anglais compréhensible pour moi, mais pour un habitant d'Oxford, je ne sais pas ? Son visage émacié se fripe dans un sourire découvrant des dents rouges et des gencives noires. Il chique du bétel, et crache son jus sanguinolent de temps en temps comme pour ponctuer ses phrases d'un bruit de baiser mouillé. Au lieu de m'amener directement à la pagode le long du canal, il me fait passer par de petites rues ombragées, dans un quartier ressemblant à un petit village de campagne. Quand nous arrivons à la pagode, j'ai un peu de mal à m'extraire du side-car, car les accoudoirs sont si serrés qu'ils se sont un peu incrustés dans mes hanches. La pagode entièrement en bois est décorée de sculptures, véritable dentelle où les personnages à tête de lion côtoient de belles jeunes filles. Je crois reconnaître les personnages du Ramayana. L'intérieur est superbe. Le toit est soutenu par de gros piliers de teck noirci par les années, le plancher reflète l'or d'un Bouddha réfléchissant la lumière entrant par les nombreuses portes latérales. On n'a pas encore installé de lampes LED clignotantes autour de sa tête, mais ça ne devrait pas tarder. L'édifice n'est pas énorme, mais il est très ancien. Il se trouvait dans l'enceinte du palais royal, et le Roi le fit déplacer et reconstruire ici en 1880. Cela le sauva certainement de la destruction lors de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les Anglais et les Japonais se livrèrent à de féroces combats à Mandalay. En sortant de ce temple, je traverse un petit parc et je visite Paya Kuthodaw, une pagode entourée de sept cent trente stûpas contenant chacun une stèle où est gravé le texte du Tripitaka ( canon bouddhique ). Il faudrait survoler les lieux pour apprécier. Du sol, on ne voit que des alignements de stupas blancs. Pour lire la totalité du texte qui fut imprimé dans une édition comportant trente-huit volumes de quatre cents pages, il faudrait presque un an et demi, à un bon lecteur à raison de huit heures par jour. En sortant, je traverse le temple Paya Sandamuni contenant mille sept cent soixante-quatorze stèles. Pour être franc, je dois avouer que ça finit par me lasser, alors je passe très vite. Pourtant, je vais à la Paya Kyauktawgyi, car elle contient un énorme Bouddha taillé dans un seul bloc de marbre de neuf cents tonnes. Effectivement, les efforts des dix mille hommes qui œuvrèrent pendant treize jours à l'amener du canal jusqu'ici, au milieu du XIX° siècle, ne furent pas inutiles, car la statue est superbe. Toute de marbre gris très clair, elle en impose par sa majesté. C'est très beau, allez, je rentre à pied. Je longe le canal. La promenade n'est pas très agréable, car je ne peux pas marcher sous les arbres aux branches trop basses qui le bordent, alors je suis obligé de supporter un soleil déclinant qui m'éblouit. Aujourd'hui peu de gens travaillent, car demain c'est la fête de l'indépendance, alors, en cette fin de journée, ils ont pris leur bicyclette, et ils roulent en peloton groupé autour du palais royal, le long de ce canal large de soixante-dix mètres. Si je devais répondre à tous les hello ! je ne m'en sortirais pas ! Alors, j'ai décidé de ne répondre qu'à certains d'entre eux. C'est tout à fait injuste !
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