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Jeudi 9 décembre 2004

Paxane - Thakek.

Le matin, nous allons déjeuner au « saloon » de la veille. Les consommateurs patibulaires sont partis. Le restaurant est désert, éclairé par le soleil levant, il semble encore plus poussiéreux que la veille ! Un mainate jaune et noir répète inlassablement la même ritournelle en vietnamien, dans une cage un peu trop exiguë. Sur la route 13, la circulation est déjà intense : des camions, des cars et surtout beaucoup de « tok-tok », ces petits motoculteurs attelés à de petites remorques dans lesquelles des grappes d'ouvriers agricoles s'entassent. La plupart d'entre eux sont coiffés du traditionnel chapeau de feuilles de latanier, de forme conique. Ces gens sont des chrétiens d'origine vietnamienne, plus ou moins bien intégrés dans un pays où le bouddhisme et le communisme ont étrangement fait alliance.

Nous prenons le bus air conditionné au bord de la route. Par chance, il y avait juste deux places à l'intérieur. Le voyage est confortable. Je me souviens du camion aux sièges de bois sur la même route aux ornières remplies de boue, il y a une dizaine d'années… Le Laos rattrape le temps perdu !

Thakek aussi s'est modernisée : les constructions récentes ont envahi la périphérie de la ville d'une façon anarchique. Les rues de terre rouge se font plus rares, mais la petite place, au centre du bourg, n'a pas changé. Les maisons coloniales aux façades jaune sale sont tout simplement un peu plus décrépies. Les rives du Mékong sont bordées de petits restaurants proposant des grillades de viande de chèvre, mais pas de poisson… La logique n'est pas toujours de mise ici ! Quand on a vu couler le Mékong un moment, qu'on a observé le soleil descendant sur les toits de Nakhon Phanom, la ville thaïe de l'autre rive, on n'a plus envie de rester. Alors, demain, nous partirons à Savannakhet !

Vendredi 10 décembre 2004.

Thakek - Savannakhet.

 

accident : on décalque la moto...  

 

Nous allons à la gare routière. Elle est tellement excentrée que, voyant le touk-touk prendre la nationale 13 et sortir de l'agglomération, nous craignons qu'il ne nous mène à Savannakhet ! Dans cette petite gare routière entourée de restaurants et d'hôtels bon marché, nous attendons le car qui vient de Vientiane, je me doute bien que nous aurons du mal à trouver des sièges. En effet, les passagers qui descendent, descendent surtout pour acheter des provisions, aussi, quand ils reviennent dans le car, nous avons pris leurs places et ils ne sont pas très contents ! Mais, après de multiples changements, tout finit par s'arranger, et me voilà assis à côté d'un vieux à tête de vautour, borgne et unijambiste. Amnoay est installée sur un petit tabouret en plastique placé dans la rangée. Peu importe, nous n'avons que cent kilomètres à parcourir, sur une bonne route. Mais nous n'arrivons pas à « décoller », et au bout d'une demi-heure, on essaye toujours de placer les passagers sur des tabourets ou sur des recoins de sièges… Le fond du car est encombré d'énormes sacs de toile plastifiée. Je me demande souvent ce que les gens peuvent bien mettre dans leurs bagages pour avoir de tels ballots ! Quand nous prenons enfin la route 13, une bonne route asphaltée, comme celle que nous avons suivie depuis Vientiane, le car surchargé tangue dangereusement dans les virages, et saute mollement comme si les suspensions fatiguées allaient nous permettre de décoller incessamment. Le décor ? Un paysage de rizières alternant avec des forêts clairsemées et beaucoup de terrains en friche. Les habitations sont rudimentaires : des cabanes en planches le plus souvent couvertes de palmes de cocotiers. Les paysans sont peut-être les laissés-pour-compte d'une société en pleine évolution. Les chèvres, les chiens, les vaches, les poules… tout le monde se promène sur la route et c'est rigolo, mais ce petit monde attend toujours que le car arrive pour traverser, alors ça fait tomber la moyenne ! Les bas-côtés de la route sont jonchés de poches en plastique blanches. Nous roulons dans un dépotoir ; les Laotiens feraient bien de commencer à se préoccuper de la pollution…

Nous arrivons à la gare routière de Savannakhet. Elle n'a guère changé depuis dix ans : toujours cette immense place déserte entourée de restaurants, avec un petit hôtel rudimentaire sur l'un des côtés. Au centre, la « salle d'attente » ouverte aux quatre vents avec ses bancs en bois sur lesquels j'avais somnolé, il y a dix ans, en attendant toute une journée un bus pour Lao Cai qui n'était jamais arrivé !

Un touk-touk nous dépose devant l'hôtel Santiphab. J'y avais dormi, dans une chambre crasseuse, en 1995… Depuis, personne n'a repeint, ni peut-être même balayé ! C'est vraiment sale au-delà de l'acceptable ! La chambre avec une fenêtre qui ne ferme pas et deux petits lits sans sommier, aux draps douteux sent le vieux bois moisi… c'est un décor de film d'horreur. Amnoay demande à la réceptionniste pourquoi ils ne font pas le ménage, celle-ci grommelle une réponse incompréhensible avant de s'affaler à nouveau dans un fauteuil aussi fatigué qu'elle. Nous nous rabattons sur l'hôtel Mékong où j'avais déjà dormi dans le temps. C'est une ancienne maison coloniale aux vastes pièces aux plafonds trop hauts ornés de moulures de stuc jauni. Les propriétaires ont bâti des bungalows relativement confortables à côté : télé, air conditionné, eau chaude… Le confort nettement suffisant !

En fin d'après-midi, lorsque le soleil se fait moins mordant, je flâne le long du Mékong. Sur la rive thaïlandaise, au loin, on devine une vie plus occidentalisée, dans la ville de Mukdahan. Je sais pour y avoir passé d'agréables moments, que les bords du fleuve sont occupés par un marché où l'on trouve de tout, et par de sympathiques petits restaurants où l'on peut manger toutes sortes de mets délicieux. Je me surprends à envier ceux qui sont là-bas, de l'autre côté… Cela fait partie de mes paradoxes : je regrette que la modernisation vienne souvent tout pourrir, enlevant ce cachet de vie paisible si séduisant, et d'un autre côté, voilà que je me surprends à souhaiter aller me vautrer dans le confort scintillant et tapageur de la ville moderne ! Il me suffit de m'asseoir sur un rebord en ciment, et d'observer la désinvolture et la placidité des Laotiens pour revenir à des raisonnements plus logiques. Cette insouciance, cette apparente joie de vivre, on ne la trouve que chez les gens de conditions modestes, chez ceux qui ont le nécessaire et qui ont renoncé à mieux. C'est l'Espagne d'il y a trente ans, le Mexique des petites villes de province… On travaille pour avoir de quoi manger, on dépense tout ce qu'on a à la première occasion, mais on ne fait pas de projets : la maladie, la vieillesse, la retraite… On n'y pense pas ou on n'ose pas y penser ! 

 

bonzes amis  repos du docker entre deux bateaux

 

En fin d'après-midi, le vent se lève, la fraîcheur du soir fait se recroqueviller les marchands de brochettes sur les berges du fleuve. Accroupis sur les tabourets, ils ressemblent à des vautours juchés sur leurs perchoirs. On circule à deux, trois ou quatre sur les motos le long des rues principales… comme au manège. Vers vingt heures, les rideaux ou les volets de bois se ferment les uns après les autres, les petites boutiques n'éclairent plus la rue, la ville devient noire, les chiens aboient sans raison, puis Vientiane s'endort, tout doucement. Sur la rive thaïlandaise, les lumières clignotent, la vie bat son plein : on a les moyens de se coucher tard !

Samedi 11 décembre 2004.

Savannakhet.

Je flâne avec Amnoay dans les rues de Savannakhet. Nous ne sommes pas dans une ville avec des trottoirs des rues des immeubles, mais plutôt parmi des maisons dispersées dans la campagne. Les terrains herbeux alternent avec les maisons cossues, les masures avec les blocs de béton bleus ou blancs des habitations plus récentes… et là au milieu, une villa de style bien français de couleur ocre, témoigne d'une splendeur révolue, d'un passé colonial tombé dans l'oubli. 

 

église

 

Les ruelles de gravier jaune ont perdu leur revêtement, elles sont bordées de talus et de fossés couverts de détritus. On retrouve les inévitables poches en plastique transparent généreusement distribuées au moindre achat par les petits commerçants. J'achète une brochette : on la met dans un sachet avec trois autres petits sachets pour les sauces et une poche plus grande pour emporter le tout chez moi… Si je veux une bouteille d'eau, encore la poche transparente… et si je veux un paquet de pommes chips, on met le sachet dans un sachet… Et dès qu'on sort du magasin, on jette la poche dans la rue : ça décore ! Et comme la ville n'est pas régulièrement nettoyée… le résultat est catastrophique !

Pour la circulation, c'est ce qu'il y a de plus simple : si le motocycliste veut tourner à gauche sur l'avenue transversale, il commence par aborder le croisement en remontant sa rue à gauche, il tourne et remonte l'avenue sur la voie de gauche jusqu'à ce qu'il puisse traverser. On peut croiser de tous les côtés et le milieu de la rue, c'est pour les camions !

Pour les piétons, ce n'est pas facile, car les trottoirs sont inexistants, ou alors, ils sont faits de dalles tellement disjointes qu'il vaut mieux marcher sur la chaussée ! D'ailleurs, les piétons sont rares, on circule surtout à bicyclette ou en moto, mais pas à pied. Durant la saison des pluies, il faut absolument s'abstenir de circuler à pied sur les trottoirs en cas d'inondation, car de nombreuses plaques d'égout manquent et cela peut engendrer de bien fâcheuses aventures…

Le soir, je jette un sort à un poisson grand com'ça, cuit avec des tomates, de l'ananas et des concombres au restaurant Sensabay. On rejoint notre hôtel à vingt heures : il n'y a rien d'autre à faire.

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