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Mercredi 8 décembre 2004.

Vientiane - Paksane.

Les affaires bien disposées dans l'armoire, la chambre arrangée à notre idée... Le petit confort que l'on se crée dès qu'on s'arrête quelque part prouve bien que notre vocation première, ce n'est pas le nomadisme. Amnoay serait plutôt portée sur ce confort ou du moins sur cette occupation rationnelle de l'espace : dès que nous arrivons quelque part, elle commence par nettoyer ce qui lui semble douteux, puis elle installe tous ses petits flacons et ses tubes de potions magiques sur les étagères ou dans les tiroirs, elle accroche ses vêtements ici et là, elle fait de la plus simple chambre de « guest house » un chez-soi douillet.

Les sacs bouclés, nous prenons un touk-touk dans la rue, car celui de Sihom guest house, habitué à travailler avec les touristes, est trop cher pour nous. Ce n'est pas parce qu'Amnoay a un million deux cent mille dans le sac à main qu'elle va dilapider sa fortune en donnant vingt mille au premier touk-touk venu !

À la gare routière, le car pour Paxane est plein à ras bord. Il est huit heures trente, il doit partir à neuf heures et l'on installe les passagers sur des petits tabourets en plastique dans l'allée. La route n'est pas très sinueuse, ils devraient arriver au bout sans tomber.

Je préfère attendre sur un banc que ce car s'en aille pour m'installer plus confortablement dans celui de dix heures.

Le voyage n'est pas trop pénible. C'est un peu long : trois heures pour cent trente kilomètres, mais j'avais connu pire, il y a une dizaine d'années, quand la route n'était pas goudronnée et qu'on voyageait dans des camions sommairement aménagés en bus ! Amnoay est un peu compressée par une passagère debout dans l'allée qui déborde un peu sur elle, mais elle supporte, car elle a le privilège d'être assise et c'est déjà bien. Le car roule à une vitesse acceptable, entre soixante et quatre-vingts kilomètres-heure, mais il s'arrête aussi bien pour que les passagers montent et descendent, que pour laisser traverser quelques vaches ou un buffle traînant derrière lui sa longe et le piquet qui la fixait au sol. Je trouve donc que l'expression « faire le laitier » est très appropriée. Il nous faut trois heures pour faire les cent trente kilomètres qui nous mènent à la petite ville de Paksane. Nous avons l'impression de débarquer dans la brousse : des maisons isolées dans un paysage de rizières jaunes et déjà moissonnées, une gare routière isolée au bord de la grande route, et quelques vilains triporteurs boiteux... C'est tout ! Nous penons donc un de ces affreux touk-touk pour nous rendre à la « Lieangvilay G.H », une petite auberge sympathique aux bungalows de ciment blanc disposés autour d'une vaste cour. Elle ne semble fréquentée que par deux pélicans chauves qui s'ennuient au bord d'un bassin vide. Les petites chambres sont très propres, l'eau de la salle de bains est froide, mais on s'en contentera. Pour manger, nous n'avons pas le choix, il n'y a que le petit restaurant en planches au bord de la route. Rien à faire, à part la sieste, dans cet endroit isolé.

Le soir, nous revenons au petit restaurant vietnamien du bord de la route. C'est un simple garage construit en planches, couvert d'un toit de tôle ondulée. Des ventilateurs noirs de poussière pendent, comme des insectes menaçants, au-dessus d'une dizaine d'hommes attablés qui cessent, aussitôt que nous entrons, leurs conversations. Seuls, trois enfants criards continuent à courir ou à se rouler sur le sol cimenté. On regarde ces deux étrangers sortant de la nuit comme si c'étaient des extra-terrestres, et personne ne répond à notre salut. J'en connais la raison dès que les conversations reprennent : tous parlent vietnamien, même la télé. Ils mangent des soupes de nouilles ou des légumes frits en buvant du thé non sucré dans des tasses de faïence à la propreté douteuse, semblables à ces godets que l'on utilise pour jouer au yams ou aux petits chevaux. Ils ont tous des tenues de travailleurs, veste ou chemise poussiéreuse. Aucun vélo, aucune moto, aucun véhicule n'est garé devant l'entrée, je me demande d'où ils viennent et comment ils sont arrivés ici. La cuisine, derrière une petite porte au fond du hangar, ne correspond pas aux draconiennes normes européennes : le sol en terre battue et en gravier est difficile à nettoyer, les parois en planches tapissées de poussière grasse n'inspirent guère confiance, mais les nouilles frites avec des petits cubes de viande de porc sont délicieuses. À l'extérieur, un bourdonnement sourd se rapproche, devient un vrombissement d'avion effrayant, et un car passe à une vitesse infernale devant les deux larges portes donnant sur la route. Il fonce dans la nuit, sans pot d'échappement ; tous les passagers seront sourds demain au petit jour lorsqu'ils descendront à la gare routière de Savannakhet. Dans le restau, tout le monde éclate de rire. C'est ce qu'il fallait pour dérider ces visages d'hommes sans âge et pour décontracter un peu l'ambiance.

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