Traversée du Sahara

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Dimanche 24 juillet 1977.

PK 783 - Tessalit PK 805 (22km)
(Mali)

Le ciel est dégagé, l’oued aussi. Il ne reste de l’eau qu’à l’endroit où se trouve la voiture. Pierre a bien visé le seul trou ! Un Targui, venu l’on ne sait d’où, aide Pierre et Marc à dégager le pont arrière complètement embourbé, pendant que Pancho et moi aménageons une rampe devant les roues pour sortir de l’ornière. Ça nous occupe pendant une bonne partie de la matinée ; et le soleil est revenu, avec ses rayons ardents ! Finalement, en poussant juste « un chouïa », la voiture sort. Ouf ! Sauvés ! Nous payons le Targui avec deux boîtes de lait concentré, et comme nous donnons des paquets de « pain de guerre » à des enfants venus en renfort, il nous déclare : « Vous les gâtez trop ! » Il n’est pas un militaire français qui ne s’est pas plaint de ces biscuits si durs qu’on est parfois obligé de les sucer avant de pouvoir les mâcher, et ici, pour les enfants, c’est une gâterie ! Pour nous aussi, car nous nous sommes habitués aux « sardines-biscottes »…

Le reste de la piste est sans problème jusqu’à Tessalit où nous devons passer la douane malienne. Mais c’est dimanche, et c’est donc un jour de congé ! Cependant, les douaniers peuvent faire une exception à la règle : on peut passer si on donne un « petit quelque chose » sans quoi il nous faudra attendre demain lundi l’heure d’ouverture du bureau ! C’est presque comique, de se trouver assujettis par des « horaires de bureaux » dans ce village de maisons construites en pisé en plein Sahel ! Nous ne sommes pas pressés, nous comptons faire une petite halte ici pour remettre un peu les véhicules en état, et nous attendrons donc demain « les horaires de bureaux ».

Nous cherchons une gargote : des jeunes nous indiquent le restaurant « Adrar ». Pour boire, nous n’avons pas le choix, il n’y a que de l’eau ! Pour manger, ce n’est pas mieux, on nous propose du riz collant et compact avec une barbaque douteuse. Nous avalons sans nous poser de questions, sans savoir même de quelle sorte de viande il s’agit ! Ce n’est qu’une fois notre faim calmée que nous commençons à nous demander si ce n’est pas du chien ou du rat… peut-être du dromadaire… Soudain devenus méfiants, nous ne finissons pas les assiettes, sauf Pierre qui prétend que « tout ce qui rentre fait ventre ». Il fait très frais dans la salle du petit troquet, et nous y passons tout l’après-midi à nous poser des problèmes : nous venons de calculer avec la carte que nous n’avons plus assez d’essence pour arriver à Gao, à six cents kilomètres d’ici*. (*Il nous fallait prévoir mille quatre cents kilomètres sans essence, et vu la consommation des voitures avec la chaleur et le sable, ça voulait dire deux cents litres par voiture ! Impossible de transporter une telle charge !). Nous sommes donc à la merci des militaires de Tessalit : les seuls capables de nous dépanner. Ils commencent par nous dire qu’ils n’ont pas d’essence à nous vendre. Normal, il fallait s’y attendre : s’ils veulent augmenter le prix du carburant, il faut qu’ils nous fassent croire qu’ils nous proposent une denrée rare et précieuse ! Donc, on sait qu’on risque de payer le litre au prix fort, mais tout espoir n’est pas perdu de se voir octroyer un petit hectolitre de précieux liquide… Le chef nous raconte que le ravitaillement en essence est prévu pour le début du mois d’août, dans une « petite semaine ». Par contre, si on veut vendre les voitures, même avec le réservoir vide, ça peut se faire ! Toutes ces histoires commencent à nous énerver, mais il ne faut surtout pas montrer que nous perdons patience, car nous serions alors des proies faciles. Donc, on raconte qu’on est parti pour plusieurs mois, qu’on a le temps, que le coin nous plaît bien, et qu’on attendra l’essence s’il le faut. Il ne nous reste plus qu’à chercher le puits du village et nous mettre à gaspiller l’eau, à nous doucher plusieurs fois par jour, à barboter… Si on leur refait le coup de Reggan, ils risquent de tout faire pour se débarrasser de nous ! Dans le village, personne ne peut nous dépanner, et tout le monde nous renvoie vers les militaires. Officiellement, les distributeurs, ce sont eux ! Pas d’espoir pour l’instant d’obtenir satisfaction ! Nous ne nous décourageons pas, nous écartons seulement Pierre des négociations, car il s'énerverait et ne ferait qu’aggraver la situation !

En fin d’après-midi, c’est la providence qui envoie une solution à nos problèmes : un gros Berliet jaune et bleu, rugissant de toute la puissance de son diesel fait son entrée dans le village. À son bord, trois Français, trois « routiers sympas » avec qui nous fraternisons aussitôt. Ils vont vendre leur engin rénové et repeint de neuf au Togo. Le chef de l’expédition, Claude, est un vieux renard d’Afrique, il a même été garagiste au Niger, à Agadez, jusqu’à ce que la police le force à quitter le pays… pour trafic de voitures. L’un de ses copains a la main comme une pastèque : piqûre de scorpion. « C’est très douloureux, mais ce n’est pas dangereux », déclare Claude. On aimerait mieux ne pas avoir ce genre de problème… Nous réussissons à soulager sa douleur avec nos médicaments. Notre trousse à pharmacie a son utilité ! Nous restons avec nos nouveaux amis, et maintenant, nous sommes sept à ne rien faire dans la fraîcheur toute relative du petit troquet. Nous sommes tellement habitués à cette oisiveté que nous regardons passer le temps sans nous ennuyer le moins du monde.

Pour le dîner, le soir, nous préférons réchauffer des conserves et faire griller de la viande de mouton sur le barbecue des « routiers sympas ». Ils ont tout le confort dans leur poids lourd, même des sièges de 404 Peugeot, car ils ont une voiture complète en pièces détachées. Ça rend bien des services parfois, autant à celui à qui ils vendent la pièce qu’à eux-mêmes. C’est un commerce assez rentable, et les douaniers eux aussi en profitent. Claude leur fait cadeau d’une boîte de vitesses, ça les met dans de bonnes dispositions pour demain ! De toute façon, si Claude ne réussit pas à avoir cent litres d’essence pour nous, il pense pouvoir charger notre 4L dans son Berliet jusqu’à Gao ! En transvasant notre essence dans la 404, le problème serait résolu.

Une nuée de gars du village viennent nous proposer d’acheter notre camping-gaz, notre casserole, notre gonfleur, notre boussole, notre cuillère, la voiture… Ça nous fait rire un moment, mais pas toute la soirée !

 

Lundi 25 juillet 1977.

Tessalit PK 805 - PK 894 (89km).
(Mali)

Nous passons la matinée à Tessalit. Ce n’est pas très gai : il n’y a que de l’eau à boire, et elle n’est pas fraîche ! Les camionneurs sont affairés autour de la Land Rover des flics : ils nettoient le moteur, démontent, astiquent, remontent… « Un coup de frime » comme dit Claude. Il se montre très attentionné, car il aura besoin d’être bien vu à la douane, s’il veut passer facilement lors des prochains voyages ! Et tout ça, ça fait notre affaire, car il demande cent litres d’essence pour nous, et il obtient satisfaction aussitôt, et à un prix très honnête. Il nous suffit d’ajouter quelques médicaments, et tout le monde est content ! Je ne faisais donc pas un procès d’intention aux militaires quand je prétendais hier qu’ils nous faisaient croire n’avoir plus de carburant pour nous le vendre plus cher ! L’Afrique, c’est la jungle, même en plein désert !

 

 

Les réservoirs presque pleins, nous reprenons la piste le cœur en fête en fin d’après-midi. Nous roulons à trente à l’heure, et ce n’est pas toujours amusant, mais il faut ménager sa machine. Sur cette grosse tôle ondulée, on ne peut aller que très vite ou très lentement. Si l’on va à quatre-vingts, les roues « volent » au-dessus des ondulations du sol, et on ne ressent pratiquement aucune vibration. Mais on conduit alors avec aussi peu d’adhérence que sur du verglas, et il faut suffisamment de puissance pour pouvoir se lancer ! À chaque fois que la vitesse diminue, on a l’impression de se trouver sur un vibromasseur ! Et la voiture se déglingue complètement, ce qui est plutôt ennuyeux !

Par endroits, la piste est entièrement labourée par les camions, et nous finissons par rester plantés, mais grâce à la force de Titan de Pancho qui pousse comme un éléphant, nous sortons du « passage mou » sans avoir recours aux échelles de désensablage !

Le soir, au bivouac, nous écoutons le vent, nous savourons le thé et nous observons les étoiles en nous disant que nous avons bien de la chance d’être seuls dans le désert… Marc ne parle même plus de bière !

 

Mardi 26 juillet.

PK 894 - PK 1007. (113 km)
(Mali)

Perdus dans les dunes de la Merkouba.

Nous repartons au lever du jour. On nous a promis beaucoup de sable après le village d’Aguelhoc, et nous voulons passer « la Merkouba », cette zone de dunes, de très bonne heure, car le sable est un peu moins fluide et « porte » mieux, avant la chaleur. Soudain, en face de nous, un cordon de dunes d’un beau jaune orangé, que la piste attaque de face, bien droite. Chaque fois qu’un véhicule s’est planté, il a laissé un trou parfois assez profond pour y cacher un dromadaire ! Nous sommes loin des nids de poules de Reggan ! Nous restons bloqués dans un passage très mou. Le sable est si fluide qu’il se dérobe même sous nos pieds. La voiture s’est enfoncée des quatre roues en même temps. Il est totalement inutile d’essayer de s’en tirer en accélérant : il faut sortir les pelles, les échelles, les grillages, pousser… Dès que les roues se retrouvent sur la partie molle de la piste, le problème se renouvelle, et il faut recommencer sans cesse ! Nous mettons plusieurs heures pour parcourir un kilomètre. La 404 a moins de problèmes que nous, et c’est une chance, car s’il fallait « galérer » ainsi pour les deux voitures, nous serions tout à fait découragés ! Nous avons commis une erreur qui peut être fatale : nous n’avons pas refait nos provisions d’eau sérieusement, et il nous reste tout bêtement, seulement dix litres ! Nous voilà plantés sur des dunes brûlantes, sur le coup de midi, avec en tout et pour tout, deux litres d’eau chacun. Nous n’en sortirons pas ! Il nous faut nous résigner à attendre du secours en économisant au maximum nos réserves ! Nous sommes inquiets, car à part le Berliet de Claude, aucun camion n’est passé pendant deux jours… S’il nous faut rester, en plein soleil, plus d’une journée, nous ne tiendrons pas ! Nous fixons une couverture entre les deux voitures, et nous attendons, allongés et sans bouger, que la chaleur tombe. J’ai pris un coup de soleil en désensablant la 4L, et je commence à avoir des hallucinations. Marc a le malheur de prononcer les mots « bouteille », « glaçons », « buée », et Pierre veut lui « écraser sa gueule, s’il ne la ferme pas tout de suite ! » Pancho ne réagit plus : il est anéanti, cuit, grillé ! Nous commençons à délirer, c’est inquiétant. L’après-midi passe, puis la nuit tombe. Nous envisageons d’envoyer la 404 « en éclaireur » dès demain, car il doit y avoir de l’eau à Aguelhoc, mais le problème, c’est que s’ils s’ensablent, ils n’arriveront pas à se tirer d’affaire facilement, car ils ne seront plus que deux : un au volant, l’autre pour pousser ! Voilà le dilemme ! Les avis sont partagés, on ne sait trop quelle décision prendre. Nous somnolons, nous perdons un peu notre sang-froid, et nous envisageons même de tirer une fusée de détresse… Soudain, la discussion porte sur un tout autre sujet : Pierre a entendu un moteur au loin. Il est certain que ce n’est pas le souffle du vent, car le bruit se rapproche, et l’on distingue bientôt très nettement un nuage de poussière dans le lointain. L’espoir renaît ! Un camion ! Nous échangeons de l’eau contre des boîtes de lait et du « pain de guerre ». Ils ne peuvent pas nous remorquer, car, en s’arrêtant, leur vieux « bahut » s’est ensablé lui aussi. Nous admirons la technique pour nous sortir de là : deux coups de pelles, ils placent des plaques de désensablage devant les roues motrices, d’autres sur les côtés qu’ils rabattent dès que le camion avance. Il prend ainsi suffisamment de vitesse pour rouler jusqu’à un endroit où le sable est plus dur, et nos sauveteurs repartent ainsi, en nous affirmant qu’un camion militaire devrait arriver dans les parages demain matin. La nuit tombe brusquement, sans apporter de fraîcheur. L’eau que nos sauveteurs nous ont laissée est presque imbuvable, car elle était stockée dans une chambre à air de camion, et elle a un fort goût de caoutchouc ! En plus, ils ne nous en ont donné qu’une faible quantité, car eux-mêmes partent avec de petites réserves, vu qu’ils ne boivent pas autant que nous. Pour ne pas nous épuiser à creuser le sable et à pousser, nous nous recouchons avec la ferme intention de sortir les voitures de ce mauvais pas dès demain matin, avant le lever du jour !

Alors que nous dormons d’un sommeil comateux, à onze heures passées, nous percevons le bourdonnement d’un diesel dans le lointain, puis la lueur des phares de deux camions, à une dizaine de kilomètres, peut-être, mais ne se dirigeant pas dans notre direction. Il s’agit certainement des militaires tant espérés ! Nous allumons le phare de toit, et lançons des appels de détresse en direction des véhicules. Ils changent de cap, et se dirigent vers nous. Ce sont deux énormes GMC six roues motrices, et le remorquage de la 4L ne leur pose aucun problème. Les militaires sont fiers de leur supériorité mécanique, et ils semblent tout à fait heureux de nous rendre service. À l’aide d’un câble, ils nous remorquent pendant les cinq kilomètres de dunes, jusqu’à ce qu’on retrouve une portion de piste plus confortable. Ils n’acceptent aucun cadeau, seulement un paquet de « pain de guerre », par curiosité… Nous nous rendormons sur le dur, après la « Merkouba ». Sauvés !

  La carte du Tanezrouft

 

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