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Le Myanmar (Birmanie) Samedi 24 décembre 2011. Bangkok - Yangon ( Myanmar ) Je pensais que les banques ouvraient le samedi matin, alors quelle ne fut pas mon inquiétude en trouvant porte close, à dix heures, devant la « Kasikorn Bank ». Il me faudrait au moins mille cinq cents dollars en coupures neuves pour m'assurer un séjour en toute tranquillité au Myanmar, et seule une banque peut satisfaire mes exigences ! Je suis un peu inquiet, car sans argent liquide le voyage au Myanmar n'est pas possible, le pays ne reconnaissant pour l'instant ni les « travellers chèques », ni la carte Visa. Je reviens à l'hôtel décontenancé, mais pas affolé, car je sais bien qu'ici les problèmes d'argent sont les plus faciles à résoudre. Le responsable de l'hôtel, mon ami Deng, me dit d'aller au « Big C », l'ancien supermarché Carrefour. Je prends un taxi, ça me fait une occasion de faire causette avec le chauffeur pendant dix minutes, et je me rends dans la galerie marchande de cet immense supermarché. La banque n'ouvre qu'à onze heures. Pour ne pas m'énerver en attendant une demi-heure, je fais un petit tour de gondoles. ( Bien qu'on appelle injustement Bangkok « la Venise d'Asie », je rappelle que je suis dans un supermarché ! ). Les prix attractifs il y a encore un an ont beaucoup augmenté, et pourtant, les clients remplissent les caddies. J'ai là la preuve qu'il existe à Bangkok une classe aisée qui n'a pas de difficultés pécuniaires. Pour la majorité des Thaïs, il faut se contenter d'un salaire de misère augmenté seulement de trente bahts ( un dollar ) ce mois-ci. Pour eux, le supermarché se visite seulement par curiosité ! Quand la banque ouvre, c'est pour m'entendre dire qu'on ne peut pas me donner de devises étrangères. Là, tout de même je m'inquiète un peu. Je fais un retrait en monnaie locale qui n'est peut-être pas reconnue au Myanmar, et je reviens à l'hôtel en taxi, ça me fait une nouvelle occasion de faire causette pendant dix minutes avec le chauffeur. Deng me conseille de me rendre à l'Emporium. Je me présente au petit bureau de change de la station de métro, l'employée a bien des devises à me proposer, mais les billets ne sont pas neufs, et au Myanmar, dès qu'un billet a été plié, il n'est plus accepté. Heureusement que la jeune fille au charmant sourire lit ma détresse dans mes yeux et qu'elle décide de m'aider ! Elle me conseille d'aller à la Bangkok Bank ouvrant sur le parvis du Grand Magasin Emporium, juste à quelques dizaines de mètres. Je suis reçu très courtoisement par une dame qui fait tout pour satisfaire mes exigences et qui trie les billets un par un pour me donner des Euros tout neufs. Voilà, il est onze heures trente et j'ai mon argent pour pouvoir rester un mois au Myanmar. J'avais raison de penser que tout s'arrange ici quand on a l'argent, mais la prochaine fois, je serai un peu plus prévoyant. Je mange une délicieuse soupe de nouilles et de poulet sur le trottoir, et je reviens à l'hôtel pour boucler mon sac à dos et pour me rendre à l'aéroport. Le chauffeur de taxi, un jeune à la tignasse dépassant de son bonnet de Père Noël passe par des « soïs » si étroits qu'on a juste la place de se croiser. Il emprunte un dédale de ruelles avec des ralentisseurs tous les cinquante mètres, et nous n'en finissons pas de tourner et de virer. Il évite ainsi les bouchons. Nous finissons par retrouver une autoroute sur laquelle règne la loi du plus rapide qui double n'importe où, et après une demi-heure de trajet, je me sens soulagé en arrivant à l'aéroport. Dans le hall, voilà une nouvelle inquiétude : mon avion de la « Bangkok Airways » n'est pas affiché sur le panneau électronique. Je vérifie la date et l'heure sur mon horaire de vol, je ne me suis pas trompé, je devrais bien partir aujourd'hui. Je me présente au comptoir d'enregistrement comme si de rien n'était, et après avoir enregistré mes bagages, l'employée me signale que l'avion aura cinquante minutes de retard ; nous ne décollerons donc qu'à dix-sept heures. On m'a remis un bon de trois cents bahts de réduction pour manger, alors je me débrouille pour ne pas dépasser cette somme en prenant une soupe de nouilles et de canard et un soda. C'est très bien présenté, dans un joli bol avec un joli petit bouquet de persil dans un coin, mais c'est nettement moins savoureux que dans la rue, je dirais même que c'est insipide, et sept fois plus cher. L'avion vole bien, sans secousses, on nous donne un repas excellent : du poisson avec des pommes vapeur, et nous voici à Yangon au Myanmar ( Rangoon en Birmanie, pour ceux qui ne sont pas au courant que la junte militaire au pouvoir s'est amusée à changer tous les noms ). À la sortie de l'aéroport, je prends un taxi tellement vieux que la casse se ferait payer pour le reprendre. Je m'aperçois que les freins fonctionnent dès que le premier piéton traverse. La nuit chaude, humide, une nuit tropicale où l'on attend un peu de fraîcheur qui ne vient pas est tombée subitement comme toujours sous ces latitudes. Je ne sais pas pour l'arrière, mais pour l'avant, nous semblons avoir tous les feux en état de marche. Curieusement, tout est très vieux, les portières semblent vouloir se désolidariser de la caisse à la moindre ornière, mais tout fonctionne, même le chauffage qui me brûle les pieds. Il y a avec moi une Chinoise avec sa grande valise, et pendant tout le trajet, elle ne cesse de téléphoner. On la dépose dans un quartier d'immeubles gris et sales aux rues enfumées par les cuisines roulantes. Maintenant, à nous deux pensai-je en observant le jeune chauffeur qui ne pratique pas l'anglais, ce qui laisse entendre que sa scolarité s'est passée sur les trottoirs disjoints de la ville ; je parie que le gars n'a aucune idée de l'endroit où se trouve la Guest House « Ping Oo Lin ». En effet, il va n'importe où. J'ai beau lui dire que c'est à côté de Sule Pagoda, il ne cesse de s'en éloigner. C'est sans importance pour moi, car le prix de la course a été fixé à six dollars au départ. Finalement, comme je n'ai pas l'intention de passer la nuit à tourner en rond dans Yangon, je prends la situation en main, et je le guide avec autorité à tel point que nous prenons un sens interdit à cinquante mètres de l'hôtel, que nous nous faisons enguirlander comme un sapin de Noël par un policier en faction derrière le bâtiment de la municipalité, et que nous repartons pour un long trajet à travers la ville sinistre dans cette nuit de Noël où pas une guirlande lumineuse, pas le moindre petit sapin ne vient jeter une note de gaieté dans ce décor de façades lépreuses et salpêtrées. Je reprends les choses en main, je réprimande gentiment le pauvre chauffeur qui n'arrive pas à s'en sortir. Je l'oblige à faire le tour de la pagode Sule, à prendre la première à gauche, et nous stoppons devant l'hôtel comme par miracle. Je réalise maintenant que si je n'étais pas déjà venu l'an dernier et si je ne connaissais pas déjà un peu Yangon, nous serions encore en train de tourner dans l'ancienne capitale ! Les escaliers de l'hôtel sont toujours aussi crasseux, mais depuis l'an dernier, ils ont été balayés. Ici aussi, un Européen arrivant à Yangon pour la première fois fait demi-tour avant de grimper la première marche. Le hall, si l'on peut appeler ce qui ressemble plutôt à une souillarde sale et encombrée de vieux détritus un hall, a des murs d'un rouge bordeaux sombre maculés de crachats ou de je ne sais quelles projections douteuses. Une jungle de fils électriques couverts de poussière et de vieilles toiles d'araignées convergeant vers des compteurs si sales qu'on ne peut que deviner les cadrans, ferait peur à n'importe quel service de sécurité occidental. Je me dis avec fatalisme que si l'hôtel n'a pas pris feu depuis tant d'années qu'il existe avec ses installations obsolètes, je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème justement le jour où je suis là ? Je gravis les premières marches de pierre si hautes et si étroites que j'ai l'impression de gravir une échelle. Et avec mon sac de près de vingt kilos sur le dos, ce n'est pas facile ! La rampe en fer forgé massif fut repeinte tant de fois qu'on ne sait si elle doit son épaisseur au métal ou aux couches de peinture successives. Elle semble si sale que je me promets de commencer par me laver les mains dès que j'arriverai dans ma chambre. À partir du premier étage, l'escalier est un peu plus aisé à gravir, les marches ayant retrouvé une hauteur raisonnable. Sur le palier du deuxième, un groupe électrogène me rappelle que les coupures d'électricité sont fréquentes. Cependant, je suppose que quand ils le font démarrer, il vaut mieux ne pas avoir besoin de gravir les trois étages jusqu'à la guest house, car entre le bruit et les gaz d'échappement, l'ascension doit être plutôt désagréable. J'arrive à la porte de la guest house, et à travers la porte vitrée, je retrouve ce hall si chaud, aux cloisons de bois et aux meubles sculptés. Des enfants occidentaux regardent une vidéo ( « l'âge de glace III » ). Le patron me propose une chambre double à quinze dollars. L'hôtel est d'une propreté méticuleuse, de beaux meubles et de la moquette partout... Comme quoi il ne faut pas préjuger quand on cherche un hébergement, il vaut mieux aller visiter d'abord. Le patron m'a avancé dix mille kyats ( environ douze dollars ) pour que j'aille faire un réveillon d'enfer dans les rues qui se vident dès vingt et une heures. La fête de Noël n'est pas plus importante pour les Birmans bouddhistes que l'Aïd el Kébir pour nous. J'aime mieux cela plutôt que cette reprise d'une fête religieuse pour en faire un événement commercial comme en Thaïlande. Je vais à la terrasse d'un petit bar où j'avais mes habitudes l'an dernier, et je bois trois chopes de bière avec le dernier morceau de poulet qui restait, une malheureuse cuisse maigrichonne qu'on me sert coupée en petits morceaux dans une soucoupe, avec une coupelle de sauce tomate pimentée. Je me régale ! Contrairement à l'an passé où mon arrivée dans cette ville, que j'avais connue il y a trente ans bien vieille et que je retrouvais en piteux état, m'avait plongé dans une tristesse noire au bord de la dépression nerveuse, cette année je suis heureux de me trouver ici. J'ai tellement été séduit par ce pays l'an dernier, que je lui pardonne sa laideur, comme les rides que l'on ne voit plus, chez ces personnes que l'on aime !
Dimanche 25 décembre 2011. Yangon ( Myanmar ). J'ai mal dormi, car l'air conditionné du métro de Bangkok et le courant d'air dans le train de Surin m'ont provoqué un mal de gorge et un début de bronchite, ce qui m'inquiète un peu. J'ai mes médicaments, mais je n'aime pas avoir des problèmes de santé dans des pays où les soins dispensés sont peu rassurants. Je passe deux heures à écrire mon « carnet de bord » dans une pièce spécialement aménagée pour prendre le petit-déjeuner alors que, contrairement à la plupart des hôtels, celui-ci n'est pas compris dans le prix des chambres. Peu importe, on peut toujours descendre et traverser la rue pour aller chez « Mr Brown Café ». Je vais me connecter à Internet... dans la pagode Sule, ce qui en fait le cybercafé le plus beau que je n'ai jamais vu ! C'est dimanche, il fait beau, pas trop chaud, avec un petit vent tiède qui semble venir de la mer... C'est une belle journée de Noël ! Il est presque deux heures et j'ai devant moi quatre bonnes heures avant que le soleil ne se couche et que la ville plongée dans la pénombre que des réverbères fatigués arrivent à peine à percer ne prenne des allures de cité misérable d'un autre siècle. J'ai besoin d'argent local, des kyats, et les bureaux de change sont fermés. Il me faut donc avoir recours aux changeurs de rue. C'est risqué, il faut se montrer vigilant. Je vais en face de l'église baptiste Immanuel. Je suis aussitôt abordé par plusieurs changeurs aux allures de petits voyous. Je m'intéresse au plus jeune, vendeur de cartes postales de son état. Je me méfie un peu de son discours que je ne me donne même pas la peine d'écouter. « We are to go to see my boss » me déclare-t-il dans un anglais presque parfait. Il se faufile entre les étals de babioles les plus diverses, parmi une foule de badauds désœuvrés, sur le trottoir de la rue Mahabandoola. Soudain, il pénètre dans une de ces petites impasses dont le fond envahi d'ordures et de déchets divers est devenu le paradis de gros rats noirs. Il apostrophe un gars d'une vingtaine d'années qui se dégage d'un groupe de jeunes me regardant comme la bonne affaire tombée du ciel. « It's my boss » me déclare le petit racoleur. Méfiance ! Ce qui me paraît louche, c'est que le « boss » accepte aussitôt le taux de change que je lui propose, pour un billet de cinquante euros. Il doit me donner 52000 kyats en billets de mille, mais il veut que je lui donne d'abord mon billet de cinquante. Je ne suis pas tombé de la dernière averse : si je le lui donne, il risque de s'esquiver avec. Je le lui montre, je le range dans la pochette fixée à ma ceinture, et lui demande les kyats. Il commence par m'en donner dix. Je les recompte un à un, ça a l'air de l'impatienter, puis il m'en donne quinze... alors, un petit groupe commence à se former, des gamins dont certains n'ont pas quinze ans. J'ai laissé la quasi-totalité de « ma fortune » bien en sécurité à l'hôtel, je n'ai sur moi que cent cinquante euros, mais je crois que je vais les perdre dans quelques instants. Je me retourne : le groupe me barre toute retraite vers la rue fréquentée. Est-ce parce qu'ils ont peur que je parte avec la liasse de billets sans donner les euros, ou est-ce pour m'empêcher de poursuivre l'un d'entre eux qui aurait l'intention de « piquer un sprint » avec mon billet ? Je comprends très bien que l'affaire ne les intéresse plus : je recompte les billets un à un, je me méfie, je ne lâche pas ma monnaie, aussi, quand je lui rends ses quarante-cinq billets ( il ne voulait plus en donner davantage ), ils n'ont pas le temps de réagir, je suis déjà dans la rue Mahabandoola. Je vais à l'hôtel Central : le change est aussi peu avantageux que les 47000 que me propose un changeur sur le trottoir. La scène de tout à l'heure ne se reproduit pas, car je précise bien au gars que je ne change que dans une boutique. Il me conduit à une petite échoppe où « sa femme » me donne, en beaux billets de cinq mille, la somme voulue. Le soir, je vais manger une grande ration de canard au « Golden Duck ». De nombreux Birmans relativement fortunés viennent ici en famille ou entre amis. Ils boivent presque tous du Whisky avec de l'eau, les femmes de la bière, et quand ils ont un peu abusé de ces boissons euphorisantes, ils ne parlent plus, les hommes beuglent et les femmes jappent comme des Pékinois ! Cela devient infernal par moment, car je suis cerné par quatre tables où l'ambiance bat son plein. Le canard est délicieux, la bière fraîche, je suis seul sans quoi je me mettrais à beugler moi aussi !
Lundi 26 décembre 2011. Yangon ( Myanmar ). Normalement, je devrais changer mon argent et partir, car je n'ai rien à faire à Yangon. Mais une affreuse paresse me retient. Je devrais aller à la poste, mais je ne trouve pas l'énergie nécessaire pour me décider. Alors, je flâne, je déambule, je mange par ci, je grignote par là... Les passants me sourient, les petits marchands m'interpellent, les enfants me lancent des hello ! et sont heureux quand je leur réponds. C'est ainsi, pour aimer Yangon, il faut se donner la peine de prendre le temps de musarder, de s'arrêter à un coin de rue, d'observer, d'écouter, de sentir. Toutes ces sensations sont exacerbées : diverses musiques provenant de différents endroits se mêlent aux pétarades des bus, au cri lugubre des colporteurs récoltant les déchets recyclables, des odeurs de vase, de beignets frits, de curry, de bétel mâchouillé et recraché sur le trottoir sont mêlées aux fumées âcres produites par des moteurs agonisants... Quant à la vue, il y en a pour toutes les couleurs, du mur noir pourri d'humidité, aux façades blanches ou bleues au badigeon tellement écaillé qu'on ne sait plus de quelle couleur était la dernière couche, des vêtements sombres de quelques musulmanes au sari jaune d'une Indienne, et soudain, comme une tache de soleil, une pyramide d'oranges sur un étalage bancal derrière lequel une petite vieille ratatinée attend que tout cela cesse en espérant que l'éternité sera moins difficile à supporter. Les trottoirs sont défoncés, il manque parfois des dalles d'un mètre carré, et par l'ouverture, je vois couler, au fond du trou, une eau d'un noir d'encre. Je fais tellement attention où je mets les pieds que je marche les yeux rivés au sol, et ne vois rien autour de moi, si je ne m'arrête pas. J'ai pris l'habitude de revenir boire ma bière au petit restaurant où j'allais déjà tous les soirs l'an dernier. Rien n'a changé, même pas le petit tas de gravats au coin du gros groupe électrogène sur le trottoir. Une dizaine de tables en bois plus bancales les unes que les autres sont disposées sous quelques arbres poussiéreux, à même le trottoir. De temps en temps, un gros rat noir, la queue relevée, traverse sans hésiter entre les clients qui ne lui jettent même pas un regard. Le patron, un homme d'une quarantaine d'années, assis tailleur sur un rebord à l'entrée fait penser à cette statue bien connue du scribe égyptien. Je commande des frites, une chope de bière et du poulet. Le garçon sort deux cuisses frites d'une vitrine où elles ont passé la journée, et vient me les montrer. Elles ont l'air un peu desséchées, mais je n'ai pas le choix. Il prend des commandes à plusieurs tables, mes cuisses de poulet à la main... Quand je m'impatiente presque de ne pas les voir arriver sur ma table, je vois le garçon arpenter la salle avec mes cuisses de poulet qu'il tient comme des sucettes. Elles arrivent sur ma table au bout d'un moment, dans une soucoupe, juste quand j'ai fini la bière et les frites. Le garçon m'annonce rayonnant qu'il me faut une seconde bière. Et voilà, il y a bien une solution à tout !
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