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Voyage

en

Asie du Sud-Est

2015 – 2016.

 

Alain Menjot

 

 

Samedi 14 novembre 2015

Lube - Francfort

Il fait presque un temps estival... L'automne n'a certainement pas voulu se manifester avant notre départ... comme pour nous prouver que, nous qui allons vers le soleil et la chaleur, nous ferions mieux de rester dans notre Béarn pour finir de cueillir les tomates et les piments.

Hier soir, un horrible massacre a eu lieu dans Paris : on parle de cent trente victimes, de nombreux blessés de plusieurs fusillades dans six endroits différents. Les fanatiques islamistes ont réussi à nous faire prendre conscience que nous sommes en guerre.

Aline M. nous conduit à la gare. Il n'y a pas de contrôle particulier avant de monter dans le train où nous ne sommes vraiment pas nombreux. Amnoay avait préparé tout un tas « d'en-cas », et nous passons le voyage à manger du poulet, du canard laqué, du fromage, des yaourts... nous avons même du vin de Taron. Il nous manque l'apéritif et le café. Quand on part en voyage régulièrement, on devient de plus en plus prévoyant, on finit par ne plus partir à l'aventure. On y perd un peu en supprimant tous ces imprévus qui sont l'essence même du voyage, mais l'on y gagne en confort, et ce n'est pas négligeable !

À Toulouse, nous avons juste le temps de traverser entre la gare de chemin de fer et la gare routière, et la navette de l'aéroport démarre.

À dix-neuf heures, avant de monter dans l'avion de Francfort, les contrôles de police ne sont pas plus draconiens que d'habitude et nous ne sentons aucune inquiétude parmi les passagers.

Pendant le voyage, on a droit à un succulent sandwich au fromage et jambon, à une bière fraîche, et la compagnie Lufthansa parvient presque à faire concurrence au « menu Amnoay » de midi.

Nous arrivons à Francfort à vingt heures trente, et dans l'aéroport, nous nous trompons de couloir. Nous devons récupérer nos bagages, car notre escale dure plus de vingt-quatre heures. Nous nous perdons dans le labyrinthe des couloirs de cet énorme aéroport. Tant pis pour la discipline et la rigueur allemande : nous prenons un couloir interdit au public et réservé au personnel, et nous nous retrouvons dans la salle de livraison des bagages. Et c'est alors que commence le jeu de piste : il nous faut retrouver l'hôtel où nous avons réservé une chambre. Pour cela, il nous faut prendre la navette jusqu'au terminal 2, un joli petit train sans conducteur, tout automatique. Là, il nous faut trouver la porte 8. Heureusement, mes connaissances en allemand, bien que rudimentaires, nous tirent d'affaire, car je sais dire : « je ne comprends pas et ne parle pas allemand » ! Malgré toutes ces difficultés, nous arrivons tout de même à l'hôtel Meininger non loin de l'aéroport. La chambre est confortable, je trouve une chaîne belge sur la télé, et nous avons droit en boucle aux infos sur le massacre de Paris. Les journalistes belges ne sont pas mieux que les français, ils n'attendent pas de savoir si leurs sources sont fiables, ce qui compte, c'est de lancer la nouvelle la plus racoleuse, quitte à la démentir demain. Ils interrogent certaines personnes qui prétendent ne rien savoir, et d'autres qui ne savent rien, mais qui disent tout ! Il est neuf heures et demie et nous ne voulons pas partir au lit sans dîner, alors nous avons encore une fois droit au « menu Amnoay », le même que dans le train.

 

Dimanche 15 novembre 2015

Frankfurt - Bangkok

Déjeuner : canard laqué, poulet... le « menu Amnoay », dès neuf heures. Nous devons libérer la chambre à onze heures, donc nous revoilà dans la navette jusqu'à l'aéroport dans lequel nous allons devoir passer dix heures. Il y a du mouvement, des gens qui vont et qui viennent, et je m'amuse d’après leur physionomie, à deviner d'où ils viennent. Quant aux touristes trimbalant leur sac à dos, j'essaye de deviner, à voir leur tenue, vers où ils vont ! Amnoay ne veut pas aller manger une pizza ou un schnitzel dans un des nombreux points restauration, alors elle sort de son sac le poulet, le canard laqué... le « menu-Amnoay », pour la énième et dernière fois. Le contrôle des bagages à main est effectué dans une ambiance conviviale, car tous les passagers en toute conscience en sentent l'utilité.

L'avion est un Boeing 747. Nous avons de la place, car il n'y a, dans tout l’avion, qu'un seul siège vacant et il est juste à côté d'Amnoay. Le repas est délicieux comme au restaurant, presque aussi bien que le « menu d'Amnoay ». Pour passer le temps, nous avons le choix entre une bonne vingtaine de films et je jette mon dévolu sur « Winnie L'ourson », un dessin animé de Walt Disney. C'est très bien quand on n'a pas envie de réfléchir, et puis je pense que ça m'aide un peu à m'endormir.

 

Lundi 16 novembre 2015.

Bangkok.

Je me suis réveillé en cours de voyage, et j'ai vu alors sur le GPS que nous survolions la région sud de Kabul, en Afghanistan, c'est-à-dire que nous sommes en plein au-dessus du Pachtounistan, fief des Talibans. J'ai eu un peu de mal à me rendormir, car je sentais qu'en bas, il y avait des jumelles braquées sur nous.

Quand l'avion entame sa descente à l’approche de Bangkok, nous laissons au-dessus de nous, de majestueux cumulus éclatants sur un fond de ciel d'azur, pour nous rapprocher d'un patchwork vert, jaune ou brun dans lequel de petits étangs renvoient le soleil. De gros bourgs formés de petits pavillons tous identiques sont disséminés dans ce vert paysage, prouvant bien qu'Alphonse Allais avait raison quand il prétendait qu'il fallait construire les villes à la campagne. Et nous descendons et nous commençons à voir les embouteillages sur les autoroutes rectilignes, nous distinguons nettement les canaux scintillants, puis encore de petits pavillons aux toits rouges, et nous sommes maintenant si près qu'il me semble qu'on pourrait bien les décoiffer si la piste n'apparaissait pas soudainement sous l'énorme aile de l'avion. Le pilote nous fait prendre contact avec le sol avec une douceur remarquable, comme si nous étions sur du velours. Je regrette que la coutume d'applaudir un atterrissage en douceur se soit perdue. Je trouvais sympathique de manifester sa joie d'arriver et de plus avec le sourire !

Grâce à Amnoay, je peux passer au contrôle pour les Thaïlandais où il y a nettement moins de monde ! Le policier me lance, avec un sourire moqueur : « Vous avez coupé votre moustache » ! C'est vrai qu'il sait tout grâce à la petite caméra placée devant moi qui prend un cliché à chaque fois que je passe à un point frontière... Et en mars et avril dernier, j'étais moustachu. On ne peut plus rien leur cacher !

Nous prenons le train aérien jusqu'à Makassang au milieu des immeubles puis nous montons dans un taxi qui se retrouve aussitôt englué dans la circulation démente de cette fin d'après-midi. Amnoay raconte au chauffeur qu'elle cultive son jardin et fait des soupes pour les amis, et moi, je me gèle ; je suis frigorifié à cause de la climatisation poussée à l’extrême. Les Thaïlandais ne savent rien faire avec mesure ! Arrivés à l'hôtel S6 ( soi 6 de Sukhumvit ) quand nous descendons du taxi, nous avons l'impression de prendre un bain de vapeur. Il a plu ce matin et il fait une chaleur caniculaire en ce moment. Les flaques d'eau ne sèchent même pas tant l'air est humide.

Le soir, nous allons dîner au Suda du soi 14. À la carte, nous avons le choix entre cent-trente-cinq plats. Je ne sais pas, en cuisine, comment ils s’y retrouvent ! Ce restaurant n'a pas changé depuis trente-six ans que je le connais. La patronne, elle, elle s'est un peu fripée, mais elle est toujours aussi leste pour courir de table en table pour faire les additions des clients.

 

Mardi 17 et mercredi 18 novembre 2015.

Bangkok.

Chaleur de trente degrés dans la chambre d'hôtel puisque nous ne prenons pas de chambre climatisée. C'est parfois un peu désagréable, mais nous évitons ces bronchites qui terrassent bon nombre de touristes, et nous trouvons qu'il fait presque frais quand nous arrivons dans la rue. Entre le marché de nuit sur l'avenue Sukhumvit et les grands magasins, nous trouvons tout ce que nous cherchons sans la moindre difficulté. Il y a vraiment de tout à Bangkok !

Dans cette ville à l’urbanisme tout à fait anarchique, c’est l’heure de pointe perpétuelle ! Ne cherchons pas à quelle heure on peut rouler en évitant les embouteillages : ils sont continus. Ce qui est surprenant aussi, c’est l’intensive circulation nocturne. Mais où vont et d’où viennent ces automobilistes et ces cyclomotoristes qui sillonnent les avenues à trois heures du matin ? Dans la moiteur nocturne, on entend toujours le ronflement des grosses cylindrées qui redémarrent aux feux verts, et la pétarade agressive des touk-touk, ces petits taxis-triporteurs.

Pour aller d’un « soi » ( ruelle, et on prononce « soï » ) à un autre soi, il faut presque obligatoirement emprunter la grande avenue, car la plupart de ces « soi » se perdent dans des labyrinthes inextricables. À part quelques échoppes de soupes et quelques petites épiceries, on ne trouve aucun commerce dans ces ruelles bordées de hauts murs derrière lesquels se cachent des villas ou des résidences cossues. On peut même découvrir soudain une petite jungle fermée par des palissades de tôles rouillées. Aussi, quand le quartier est inondé, on peut rencontrer un superbe cobra nageant gracieusement dans l’eau trouble au-dessus du trottoir. J’en ai trouvé un, un jour, semant la panique sur l’avenue Sukhumvit, et personne n’aurait osé le tuer, car dans les croyances thaïlandaises, le serpent est un animal sacré. Les riverains armés de longs bambous ou de manches à balai faisaient en sorte qu’il n’aille pas chez eux, le chassant vers le magasin du voisin.

 

Jeudi 19 novembre 2015.

Bangkok - Surin.

Chaleur matinale, embouteillages… nous nous rendons à la gare Hualamphon pour monter dans un train nous menant à Surin. Il compte seulement quatre wagons autotractés, c’est-à-dire qu’un moteur diesel est placé sous le plancher de chaque voiture. Dans la partie troisième classe, c’est infernal à cause du bruit, de la chaleur et parfois des relents de mazout. L’an passé, notre voyage fut vraiment pénible avec, en plus, la poussière venant des rizières récemment moissonnées. Alors, nous avons pris nos places en deuxième classe. On paye huit euros chacun pour couvrir quatre cents kilomètres en sept heures de voyage. Durant le trajet, nous ne voyons pas grand-chose, car les vitres sont couvertes d’une épaisse couche de poussière. Tant mieux, comme ça, cela m’évite d’avoir à décrire le paysage. Dans les rizières, on devine tout de même les paysans terminant les moissons ; ils vont faire sécher leur récolte sur les routes ou dans leur cour pendant un ou deux jours.

Arrivés à Surin, nous prenons un touk-touk jusqu’à la maison. Les chiens, Noï et Laola, me reconnaissent et me font la fête… La sœur et le beau-frère d’Amnoay qui habitent au fond de la cour, ne se déplacent même pas pour nous accueillir. C’est comme ça en Thaïlande ! Moi, je sifflote la chanson de Pierre Perret : « Tonton Cristobal est revenu. Des pesos, des lingots, il en a le cul cousu. La famille hypocrite crie : « Vive le barbu » … Je ne suis pas barbu et je ne suis pas Tonton Christobal !

 

Novembre 2015

Surin.

C’est le jour du déjeuner des éléphants… On peut rencontrer trois cents pachydermes dans les rues de Surin, et cela ne me surprend même plus, car durant plusieurs années, je suis allé assister au déjeuner de ces aimables animaux… alors je me contente de les croiser de temps en temps sans même me donner le temps d’aller assister à leur banquet. Quand l’exotisme devient « la routine », je me sens frustré, mon séjour ici n’y gagne pas en intérêt ; je devrais aller plus loin, quelque part où je trouverais des occasions de m’étonner, où je me sentirais excité par des découvertes quotidiennes. Mais au lieu de cela, je me suis intégré dans ce décor qui n’a plus l’attrait de la nouveauté !

Le matin, je sillonne les petites routes de la région en faisant en sorte de revenir à la maison avant que la chaleur ne me cuise comme un lardon. Les paysans sont encore occupés à moissonner leurs rizières et ils font sécher les grains sur la route. Heureusement, il n’y a pas beaucoup de voitures, alors une moitié de route reste suffisante pour moi !

Je suis passé par le temple chinois de Surin, on dirait une laverie avec une machine de chaque côté… c’est pas très beau ! Le temple chinois hindouiste est un peu plus photogénique avec son stupa de couleur brique. Quant au cimetière chinois, il ressemble à un dépôt de munitions militaires, avec des tombes à demi-enterrées. Ces tombes sont individuelles, parfois pour un couple, mais pas, comme chez nous pour une famille. Seuls les gens riches peuvent se permettre ces inhumations, les autres sont incinérés.

Un de ces radieux matins, je roule tranquillement lorsqu’une voiture vient se coller à moi, l’aile avant à vingt centimètres de mon guidon, roulant à la même vitesse que moi, c'est-à-dire un peu plus de vingt kilomètres par heure… Puis elle me serre vers le bas-côté sur lequel je ne peux pas me rabattre à cause de petits arbustes cachant un profond fossé. Je ralentis, je m’arrête, la voiture en fait de même, ne me laissant plus de place. Bien que gêné par les branches, je réussis à revenir sur la route, et quand je me dirige vers le chauffeur du véhicule, je le vois sortir en s’accrochant à la portière : il ne tient plus debout et il ne m’avait même pas vu tant il est ivre. Il me regarde en bafouillant comme s’il se demandait d’où je pouvais bien sortir ! Il remonte dans sa voiture et il redémarre sans se préoccuper d’une voiture arrivant derrière lui. Au bout de huit kilomètres, je le retrouve traversant la route devant une voiture qui réussit à l’éviter de justesse. Il sort d’un dépôt de recyclage de déchets, et une employée arrive en courant sur la route pour lui donner l’argent correspondant à la ferraille qu’il vient de déposer. Il a même oublié de récupérer son argent… C’est dire s’il est ivre ! Je fais remarquer à la dame que ce conducteur n’est pas apte à conduire : elle se contente de rire. Ici, le sourire et le rire sont l’extériorisation d’une certaine gêne. Quand nous prendrions un air catastrophé ou un visage grave, ici, eux, ils rient ! C’est comme ça le sourire thaï… au pays du sourire. Le chauffeur de pick-up repart en louvoyant d’un côté à l’autre de la route et la dame fait semblant de ne pas s’en apercevoir.

 

Samedi 5 décembre 2015.

Le 5 décembre, c’est l’anniversaire du Roi ! Le monarque, Sa Majesté Bumipol ne paraîtra pas lors des festivités, car son état de santé ne le lui permet pas. Le Roi est l’emblème vivant du pays. Il règne depuis 1946, et a été couronné en 1950. On peut donc considérer qu’étant roi depuis soixante-dix ans, il fait partie, avec Ramsès II, Louis XIV et la Reine d’Angleterre, des monarques qui ont régné le plus longtemps. Pour comprendre le respect et l’adoration que lui portent les Thaïlandais, il faut savoir que toutes les personnes âgées de moins de soixante-dix ans n’ont connu que ce roi à la tête de leur pays. Manquer de respect au roi, est un blasphème puni de plusieurs années de prison. Il faut dire que dans les moments difficiles, le Roi a souvent su calmer les haines et ainsi éviter les débordements. Il a longtemps donné l’image d’un Dieu vivant s’opposant aux passions et aux violences du peuple. Pour les Thaïlandais, leur Roi est l’incarnation de la sagesse, tout comme Bouddha.

Le 5 décembre est aussi le jour de la fête des pères, tout comme le 12 août, anniversaire de la Reine Sirikit est le jour de la fête des mères. Cette année, pour la « fête des pères », on a invité le peuple à acheter une chemisette jaune sur laquelle est écrit le slogan « a bike for Dad » (une bicyclette pour papa) et à faire dans chaque ville, une petite promenade de quelques kilomètres à bicyclette, en suivant un circuit déterminé. J’ai trouvé cette idée intéressante, car cela vulgarise un peu le vélo qui n’est pratiquement pas utilisé ici, et cela permet aux gens de passer un moment ensemble dans leur quartier. À Bangkok, on a vu le Prince héritier et sa fille sillonner les rues de la capitale en tenue cycliste, avec la même chemisette que le commun des mortels. C’est peut-être un symbole qui ne m’a pas échappé !

 

Mardi 29 décembre 2015.

«Khun Tongdaeng s'est éteinte paisiblement dans son sommeil à l’âge de 17 ans, au palais Klai Kangwon le samedi 26 décembre à 23h10»

La nouvelle fait ce mardi la une des journaux de Thaïlande. Tongdaeng, la chienne du roi Bumipol est morte. Investie d’un fort pouvoir symbolique pour véhiculer des messages du souverain au peuple, l’animal avait été le héros d’un livre écrit par le Roi, et même d’un film. Le pays est en deuil !

 

Lettre à tous ceux avec qui je corresponds en cours de « voyage ».

Tiens, puisque j'ai le temps entre deux moments où je ne fais rien, je vais apporter quelques précisions pour satisfaire la curiosité de certaines personnes et surtout pour faire cesser les sarcasmes dont voici quelques extraits ci-dessous :

« Tu nous appâtes avec les mots « accidents », « points de suture » et puis rien ! ! !... C’est pire que les titres de « Gala », Paris Match ou Point de vue- Images du Monde ! »

« 12 points de suture quand même... tu es tombé du hamac ? T’es le genre de mec à ne pas mettre de ceinture quand tu fais la sieste... »

« On veut se jeter sur les pages intérieures pour satisfaire notre envie de sensationnel, de gravissime, « enfin du sang ! » et puis MOSSIEUR fait durer le suspense ! »

 Donc, me voilà arrivé au moment de préciser les circonstances de mon tragique accident. Bien sûr, je pourrais dire que jusqu'à ce jour je ne pouvais pas écrire, le seul fait de taper sur les touches de mon clavier m'arrachant des cris de douleur, mais je serai franc, en réalité, la banalité des circonstances de mon accident le rendait presque irracontable dans le détail. Mais me voilà tout de même forcé de donner des précisions à ceux qui croient que je suis tombé d'un cocotier ou que j'ai été férocement mordu par un zébu xénophobe. Je vous demande donc de remiser votre sens de l'humour et de considérer avec la plus grande gravité les faits que je vais vous dévoiler. Je tiens à préciser ( ceux qui me « suivent » depuis quelques années se souviendront que j'avais déjà évoqué ce cas tragique ) que mon voisin, de nationalité norvégienne est mort d'une glissade dans sa salle de bains. ( Il est vrai qu'on l'avait peut-être poussé ) En ce qui me concerne, faut pas pousser, je ne suis pas mort, la tragédie n'a pas eu lieu dans la salle de bains, mais à la porte de la salle de bains. Cela a son importance, car si le carrelage est antidérapant dans la salle de bains, il ne l'est plus dans la cuisine, pièce dans laquelle je me rendais après avoir fait un peu de lessive, ma tendre épouse étant absente à ce moment-là. ( Je revenais de ma sortie en VTT et je lavais ma chouette tenue « FDJ » ) Depuis ce pathétique accident, les carrelages thaïs étant de véritables patinoires quand ils sont mouillés, je suis certain qu'il faut, quand on veut satisfaire à des tâches ménagères ordinaires, des talents d'équilibriste ou au moins une grande souplesse dans les mouvements qui tendent à remettre notre corps dans la position verticale. J'étais là, mon linge dégoulinant à la main et voilà que le sol se dérobe ( en parlant de lessive, j'ai hésité à employer le mot « dérobe », mais je n'en trouve pas d'autre ). Ceux qui me connaissent bien et qui m'ont vu en pleine action sur les piste d'Artouste savent bien que autant je peux briller dans mes tâches ménagères, autant en ce qui concerne la notion de « centre de gravité », je laisse voir des faiblesses. Mais, je le répète, en Thaïlande le carrelage est tellement glissant que je suis étonné que les Thaïs n'aient pas pensé à construire une patinoire carrelée comme une cuisine. Il suffirait aux patineurs de s'équiper de chaussettes mouillées, et ils pourraient enfin se produire dans le ballet « le lac des cygnes » par un beau soir d'été au « théâtre de la verdure ».

Donc, venons-en aux faits. Je passais de la salle de bains à la cuisine lorsque soudain le sol se dressa à la verticale. Je fis ce que chacun aurait fait dans un tel cas, je m'accrochai au chambranle de la porte. Malheureusement, comme ma main était mouillée, elle glissa et mon avant-bras accrocha un nœud dans le bois qui laissait dépasser une aspérité tranchante. Je me retrouvais allongé sur le sol. Cela explique l'impression que j'ai eu de le voir se verticaliser. Avant même de me relever, j'ai vu mon bras, le sol, mon short se couvrir de sang. Et là, ça fait très peur ! Je ne comprends pas pourquoi, d'ailleurs Dieu a choisi la couleur rouge pour le sang. Il serait bleu pervenche ou jaune canari, d'abord ce serait plus joli, ensuite ça ferait un peu moins peur ! Je pose mon linge sur l'évier de la cuisine ( voyez que je n'occulte aucun détail ), et je fais, à l'aide de ma main gauche, un point de compression sur mon avant-bras. Je fis alors ce que chacun fait lorsqu'il est victime d'un accident : un bilan des dégâts. Mis à part mon bras béant, où ai-je mal ? Nulle part ailleurs ! Me voilà rassuré, j'aurais pu me casser le cul, j'ai de la veine ( j'ai hésité à employer le mot « veine » ). Une chance de plus, Amnoay revient juste à ce moment-là. Vraiment, le trèfle à quatre feuilles qui s'étale sur le maillot de la FDJ que je viens de laver me porte bonheur. J'avais peur qu'Amnoay me gronde d'avoir sali la cuisine en mettant du sang partout. Lorsqu'on est victime d'un accident grave, il paraît qu'on attache toujours de l'importance à des détails dont le côté dérisoire n'apparaît que par la suite... Quand on voit quelqu'un plein de sang dans une cuisine, on cherche d'abord le cadavre du poulet ou du lapin, mais Amnoay a tout de suite compris que quelque chose de tragique venait de se passer. Lorsque j'enlève la main pour lui montrer la plaie elle fait « pen aray ! pen aray » ce qui veut dire « hou là là ! hou là là ! » en thaï. Nous partons tout de suite au centre médical, sorte de petit hôpital se trouvant à deux pas de chez nous. Quand j'enlève la serviette entourant mon avant-bras, l'infirmière fait « pen aray ! pen aray » ce qui veut dire « hou là là ! hou là là ! » en thaï. Elle va chercher une autre infirmière, très souriante, au physique très agréable qui fait « pen aray ! pen aray » ce qui veut dire « hou là là ! hou là là ! » en thaï. Elle s'empare de flacons, d'une seringue, de coton, de charpies, d'un haricot en inox, elle me fait allonger. C'est alors que je vois une petite araignée au plafond. Une araignée dans un bloc opératoire ! Je vais mourir de septicémie, du tétanos, de l'hépatite virale... Pour la première fois j'ai peur ! Ah oui, parce que j'ai oublié de dire que jusqu'à présent je ne me suis jamais affolé ; quand on est victime d'un grave accident comme ça, on n'a pas le temps de céder à la panique. Et voilà que l'infirmière commence à me faire plein de piqûres sur le bras pour une anesthésie locale. Les piqûres me brûlent, c'est le moment le plus douloureux depuis l'instant où mes pieds ont perdu le contact avec le sol. D'ailleurs, ces piqûres ne m'insensibilisent pas du tout, je pense que le produit est soit un ersatz d'anesthésiant, soit un produit ayant séjourné de longs mois à trente degrés de température dans quelque placard. Et voilà la gentille jeune femme qui commence à me recoudre. J'ai affaire soit à une Pénélope locale, soit à une parque. Dans le deuxième cas, c'est un peu inquiétant, car ça voudrait dire que je devrais mourir au moment où elle coupe le fil. Elle s'applique, tire presque la langue, ses mains sont douces, mais son aiguille me provoque des sensations de brûlure. Elle me demande à plusieurs reprises ( j'ai hésité à employer le mot « reprises » ) si elle me fait mal. Moi, je fais le dur et je réponds : « may pen ray » ce qui veut dire : « ça n'fait rien ! » Et je m'accroche à ses yeux de chatte qui sous l'effet de la concentration ne sont plus que deux petites lignes. Je vois quelques minuscules gouttes de sueur comme des perles sur son nez camus. Elle s'applique, je devrais être reprisé correctement. De plus, c'est la plus belle du centre médical. Je suis bien tombé ( j'ai hésité à employer le verbe tomber... ). Encore une fois le trèfle à quatre feuilles de la FDJ m'a porté chance. La séance de ravaudage arrive tout de même à sa fin. Pénélope fait alors, comme si elle parlait à elle-même : « ouan, tou, tli, fô, faïf, sex, sévên, ail, naïn, tên, éléveun, touelv » et d'un air triomphant, ses yeux redevenus en amande, dans un sourire qui m'anesthésie mieux que mille de ses piqûres « Ay mêke touelv ! » dit-elle satisfaite. Ah mince alors ! Pénélope parle anglais ! Voilà en quelques lignes, raconté d'une façon succincte, le récit de mon accident.

Maintenant je vais mieux, un point c'est tout ! ( j'ai hésité à employer le mot « point » )

 

Jeudi 14 janvier 2016.

Surin – Tha Tum. 62 km

8h30 pas de soleil 27 degrés il fait frais sur la route qui relie Surin à Roi Et. Circulation intense sur une route à deux voies relativement étroite. La plupart des camions tractent une remorque et ils me font du vent. Cela m'aide un peu. Au bout de 35 km, je m'arrête pour manger une soupe de nouilles. Le soleil est sorti, brûlant, le vent souffle dans mon sens et me permet de rouler plus vite j'avance à 25-30 km/h. Je suis obligé de tenir ce rythme si je veux avoir un peu d'air sur le visage. Je m'arrête à vingt kilomètres de Tha Tum, car un temple tout neuf vient de surgir au bord de la route. Il est rutilant de dorures et de couleurs vives. Un immense Bouddha assis compte sur la générosité des fidèles pour revêtir sa tunique dorée.

Avant d'arriver à Tha Tum, dans la seule descente de la journée j'ai bien failli m'encastrer dans une voiture qui m'a coupé la route. Je n'arriverai jamais à m'habituer au fait que les automobilistes ne respectent absolument pas les cyclistes. Je suis sans arrêt sur le qui-vive cela devient fatigant au bout de quelques heures de route. Je trouve un petit « resort », ce genre d'hôtel où l'on propose des petits bungalows pour un prix très correct. Le soir, je mange un grand plat de riz frit pour un prix dérisoire. J'ai fait 62 km et j'ai bien besoin de reprendre des forces !

 

Vendredi 15 janvier 2016.

Tha Tum - Yasothon 90 km

Je ne suis pas très vaillant pour partir de bonne heure. Ma chambre est peut-être un peu trop confortable. Je prends la route tout de même à 8 h 30 avant que la chaleur ne soit trop pénible. La circulation est infernale. Je ne comprends pas où vont tous ces véhicules. Je ne suis pas entre deux grandes villes, et pourtant des camions, des motos, des véhicules tout terrain vont et viennent : c'est la grande migration. Le danger venant de l'arrière je ne le vois pas. Par contre, les véhicules qui doublent en venant en face semblent me foncer dessus à chaque instant ! C'est fatigant, car je suis toujours à l'affût de celui qui va m'aplatir comme une crêpe. J'ai toujours le même problème avec le vent qui souffle dans mon dos. Je suis obligé de rouler à plus de 20 km/h pour avoir un peu d'air. C'est étouffant. Je dois avouer que je m'ennuie tout le long de la route. Heureusement, finalement, que les automobilistes venant en face me font quelques frayeurs : ça fait passer le temps. Le paysage est d'une monotonie ! Des rizières, quelques flaques de boue dans lesquelles se vautrent des buffles, des bouquets d'arbres épars... Les Moissons ont été faites, alors les rizières sont de couleur jaune brun. J'ai du mal à imaginer qu'il y a moins d'un siècle, les tigres et les rhinocéros foisonnaient dans les jungles impénétrables couvrant ces plaines écrasées de soleil ! Le ciel se dégage, le soleil devient difficile à supporter et si je m'arrête à peu près tous les quinze kilomètres, ce n'est pas pour reposer mes vieilles jambes, c'est tout simplement pour essayer de refroidir le moteur ! 

Dans cette région les habitants n'ont jamais eu l'occasion de côtoyer un touriste. Donc, dès que je m'arrête je sens une certaine frayeur chez les gens qui se disent : « Comment vais-je pouvoir m'exprimer puisque je ne parle pas anglais ? » Mais quand ils se rendent compte que je maîtrise un peu le thaï, les questions sont toujours les mêmes : « d'où je viens ? où je vais ? si je suis marié ? pourquoi est-ce que je suis tout seul ? » Alors pour cette dernière question ils ne comprennent pas ma réponse... Pourquoi voyager à bicyclette, faire de si longues distances tous les jours tout seul, cela les dépasse ! Pour eux, la bicyclette est réservée aux gens qui ne peuvent pas s'acheter une moto ou une voiture. Donc je dois être très pauvre, ou alors peut-être très radin, ou tout simplement fou ! Depuis deux jours que je voyage, je n'ai vu aucun cycliste à part les paysans qui vont dans leur champ avec leur bicyclette qui couine. En arrivant à Yasothon, je voudrais aller à l'hôtel « Zigzag » dont j'ai vu la photo sur Internet. Personne ne peut m'indiquer exactement où il se trouve. Pourtant, tout le monde connaît cet hôtel. C'est curieux comme les Thaïlandais sont incapables de faire un plan sur un papier ou d'indiquer correctement une direction... Et le pire c'est que quand ils ne savent pas, ils m'envoient tout de même tout droit... « C’est par devant, tout droit… » disent-ils comme pour se débarrasser de moi. En réalité, c’est impoli de ne pas me renseigner, alors ils font pour le mieux ! De plus, ils n'ont aucune notion des distances. J'ai chaud, je viens de faire 90 km... je voudrais bien une bonne douche froide !

Je finis par trouver l'hôtel « Green Park », de grand luxe pour dix euros. C'est deux fois plus cher que ce que je paye en général, mais parfois on a besoin de confort ! Le soir, je ne vais dans le restaurant de l'hôtel que le temps de compulser la carte ! Les prix me semblent un peu élevés, de plus un orchestre risque de m'assourdir avec les derniers « tubes » à la mode. Je me replie sur le petit restaurant du coin qui propose de la cuisine thaïe et une bonne bouteille de bière « Chang » bien fraîche ! Vers 22 h, il fait une grosse averse, un véritable déluge : le parking de l'hôtel est inondé.

 

Samedi 16 janvier 2016.

Yasothon - Laem Nok Tha  72 km

Je quitte l'hôtel à neuf heures, il fait déjà 27 degrés, et pourtant il me semble qu'il fait frais. Il a fait un gros orage cette nuit, mais tout est déjà sec. J'ai pourtant vu la cour de l'hôtel inondée : je me demande si je n'ai pas rêvé. La route à deux voies a un revêtement tellement lisse que je roule sur un billard. Je roule d'ailleurs à 25 km heure de moyenne sur les 40 premiers kilomètres. Je m'arrête dans un de ces petits restaurants qui bordent la route et je mange ma soupe de nouilles quotidienne. Quand je repars, je suis en pleine forme, mais la chaleur ne tarde pas à m'assommer à nouveau. Je m'arrête dans un petit abri comme on en trouve au bord des routes, bien à l'ombre. J'ai l'impression qu'il fait froid. Il ne fait que 32 degrés, mais le vent donne une agréable sensation de fraîcheur ! En repartant, je me sens frais et dispos et je vole pratiquement sur la route... Mais au bout de quelques centaines de mètres, je m'aperçois que je n'ai plus mon sac à dos : je l'ai oublié sur le plancher de l'abri. Je fais demi-tour ; je crois que je n'ai jamais aussi bien sprinté que sur ces quelques centaines de mètres qui me séparent de mon sac. Je le retrouve sagement assis par terre. Il y avait, dans mon sac, tout ce qui me permet de continuer le voyage ! Je reprends la route. Le pire c'est le soleil qui assomme, qui me rôtit comme ces poulets que je vois de temps en temps tourner sur une broche sur le bord de la route. Je m'arrête pour boire tous les dix kilomètres, car je me déshydrate et j'ai peur de devenir comme un raisin de Corinthe ! Quand je m'arrête, les gens s'intéressent surtout à mon vélo. C'est nouveau. Je pense que cela est dû à la publicité de la télé : « une bicyclette pour papa ». C'était le slogan lors de l'anniversaire du roi, et ça a marqué les esprits ! L'an dernier pas grand monde ne s'intéressait à ma bicyclette. Cette année on me demande combien je l'ai payée, où je l'ai achetée... Je sens que les gens sont motivés pour faire du vélo !

Avant d'arriver à Laem Nok Tha, je m'arrête pour visiter le temple Wat Phrom Vihan dont le Bouddha immense domine le village. Des ouvriers sont en train de carreler le sol d'autres ont terminé les travaux de peinture et de dorure. Je suis toujours admiratif devant cette foi et cette participation des gens, même pauvres pour construire des temples toujours plus beaux !

Je cherche un hôtel, mais j'ai toujours les mêmes difficultés pour obtenir des renseignements, les gens n'ont aucune notion de distance, et ils ne savent pas me renseigner par exemple par rapport à un marché ou un lieu caractéristique. Mon hôtel est juste sur la place du marché, mais personne ne m'a signalé cette particularité. Pourtant si on m'avait dit de me rendre au marché j'aurais tout de suite trouvé l'hôtel ! L'hôtel Phou Din est correct, mais un peu ancien, et le prix un peu plus élevé qu'à Yasothon. Les enfants du quartier viennent se baigner à la piscine de l'hôtel et ils piaillent à qui mieux mieux. Des adultes se baignent également, ce sont tous des jeunes. Ils portent des bermudas et les filles également, avec un t-shirt et un soutien-gorge. La Thaïlande est un pays très pudique alors que nous en Europe nous ne voyons que le côté sexuel des lieux pourris par le tourisme, comme Pattaya ou Phuket entre autres. Il faut dire qu'en contrepartie, pour beaucoup d'Asiatiques, la France, c'est Pigalle, le Moulin Rouge, le Lido la liberté sexuelle et les seins nus sur les plages. Chacun a ses idées préconçues !

Le soir je vais à environ un kilomètre, jusqu'au « 7 eleven », à pied. Ici, les piétons, ça n'existe pas. Encore une fois, on me regarde comme un personnage atypique. Je vais dîner dans un restaurant qui voudrait être à la page, mais à part moi, il n'y a qu'une table occupée où un homme d'un certain âge et deux jeunes filles se saoulent consciencieusement. C'est samedi, on s'amuse !

 

Dimanche 17 janvier 2016.

Laem Nok Tha - Mukdahan 64 km.

J'ai beaucoup de mal à partir ce matin. Je resterais bien à l'hôtel vautré sur mon lit. Je ne pars que vers 9h. C'est une erreur car aujourd'hui le ciel est plus dégagé que les autres matins, et il fait chaud avec un beau soleil dans un grand ciel bleu. J'arrive à Mukdahan assoiffé, fatigué, et, je dois l'avouer, un peu écœuré. La journée n'a pas été une promenade ! Heureusement, je n'ai pas besoin de chercher l'hôtel : je reviens au même que l'an dernier. Je passe l'après-midi dans la chambre sur mon lit à regarder la télévision française : TV5. Le soir je vais manger au marché de nuit une bonne ration de canard avec une bière bien fraîche, et le moral revient un petit peu.

 

Lundi 18 janvier 2016.

Mukdahan - Savannakhet 25 km.

Aujourd'hui c'est une étape courte et pas très difficile. Je quitte donc l'hôtel seulement à 11h. Je longe le fleuve Mékong, mais je ne peux pas dire que la vue soit très belle, car entre le fleuve et la route se trouvent des masures à moitié bancales, des petits restaurants peu esthétiques et ce qui est curieux, et que j'avais déjà remarqué lors de mon voyage l’an dernier le long du Mékong, c'est que lorsqu'on construit une maison en bord de fleuve on tourne la façade vers la route et l'arrière de la maison du côté du fleuve. Cela prouve que les Thaïlandais ne se soucient guère de la vue sur le fleuve.

J'arrive au poste frontalier pratiquement désert. Mon passeport est tamponné par une employée peu avenante, et qui ne me laisse pas traverser le pont à bicyclette. Il me faut donc trouver un pick-up, mais ils sont tous bien chargés, ou attendre le car. Dans le sens Thaïlande-Laos, les marchandises sont acheminées vers les marchés et les petites épiceries, car rien n’est fabriqué au Laos, tout vient de Thaïlande. Les vêtements, les ustensiles de cuisine, les produits alimentaires… jusqu’au sel et au poivre ! Alors, le coût de la vie est environ vingt pour cent plus cher au Laos. Les investisseurs ne se bousculent pas, les industries sont inexistantes.

Le car arrive, plein comme un œuf. Entre les passagers et les ballots ou les cartons, il ne reste plus de place pour caser ma bicyclette. Je sens que je vais rester ici un bon moment. Le prochain car arrivera dans une demi-heure. Alors, je parle avec les policiers, avec des gens qui semblent être employés ici à la frontière, je manifeste mon désir de traverser le pont en vélo ; j’explique que l’an dernier, j’ai ainsi traversé le pont de Nakhon Pathom à Thakek… Je deviens le genre collant, celui qui finit par déranger. Et puis je ne peux plus revenir en Thaïlande, mon passeport ayant été tamponné, alors que faire ? Je propose cent bahts ( 2,50 € ) pour traverser. Alors là, on s’intéresse à mon cas, et me voilà casé dans une vieille guimbarde à moitié rouillée : l’autobus qui fait la navette entre la Thaïlande et le casino se trouvant au Laos. En Thaïlande, théoriquement, les jeux de hasard sont interdits, alors les casinos se trouvent dans les pays voisins aux frontières : au Laos, au Myanmar, au Cambodge. Bon, me voilà de l’autre côté du pont ! Au bout de quelques kilomètres, je suis à Savannakhet. Attention, car contrairement à la Thaïlande, en théorie on roule à droite. En réalité, on roule là où il y a de la place ! La circulation est très lente, les véhicules s’arrêtent aux carrefours, on ne voit pas de motocyclistes kamikazes comme en Thaïlande. On sent que les Laotiens ont encore conservé leur flegme légendaire.

Je vais à l’hôtel « Savanbanhao » que je connaissais déjà. Je prends une chambre des moins chères et j’ai droit à un matelas trop mince posé sur un sommier en planche. Je sens que demain, je vais être mâché comme si j’avais dormi sur un tas de cailloux. Quand la nuit tombe, je vais dîner à un petit restaurant sur la place de l’église : le « Xok Xay ».

 

Mardi 19 janvier 2013

Savannakhet.

Je vais à l'ambassade de Thaïlande pour apporter mon passeport de façon à obtenir un visa. La foule des touristes qui attendent a l'air si morose qu'on se croit à un enterrement. Il n'y a aucun Français que des Anglais ou des Nordiques. Certains ont l'air tellement patibulaire que si c'était moi qui donnais les visas, je crois que je les expulserais directement. On repère facilement, dans cette population, les Occidentaux qui vivent de trafic en Thaïlande. La junte militaire thaïe a décidé de pourchasser toute une population qui jongle avec les visas, qui reste dans le pays en toute illégalité, et maintenant, malheur à celui qui est appréhendé avec un visa périmé ! Cela coûte très cher !

Comme j'ai très mal dormi à l'hôtel où je me trouvais la nuit dernière, à cause du ronflement de la climatisation des chambres voisines, j'ai décidé de changer. Je traverse la rue, je vais à « Savamimmith », un autre hôtel où la chambre est bien triste avec des cloisons en bois, toute petite, mais l'endroit a l'air plus calme que celui d'hier. Le prix est le même : 70.000 kips ( 7 € ). Je ne sais pas quoi faire de ma journée ; il n'y a rien à visiter dans cette ville et Savannakhet, de plus est un endroit qui ne me plaît guère. C'est une ville de passage vers le Vietnam ou alors un endroit où viennent les touristes uniquement pour renouveler leur visa thaïlandais. On ne trouve pas comme à Takhek une bonne ambiance avec des gens qui viennent visiter le pays. De plus, les autochtones ne sont pas particulièrement chaleureux ! Bref, il me tarde de revenir en Thaïlande. Heureusement que j'arrive à m'exprimer en thaï, car cela rend les gens un peu plus affables. Vraiment Savannakhet est une ville où je n’ai pas envie de m’attarder.

Le long du fleuve des restaurants se sont installés. Ils ont modernisé leur mobilier par rapport à ces dernières années, et maintenant, on est assis sur des chaises en plastique avec des tables un peu moins bancales. On a une vue splendide sur le fleuve et sur la rive thaïlandaise, surtout au coucher de soleil, mais les moustiques sont là et gâchent un peu le plaisir ! Je vais dîner au même restaurant qu'hier soir. On me donne une carte dont la couverture en plastique qui fut blanche dans le temps est devenue de couleur brune tant elle est couverte de crasse ! Personne n'aurait idée d’y donner un coup d'éponge ! C'est ce qui dépasse souvent notre entendement : ici, les gens ne se formalisent pas avec les détails !

 

Mercredi 20 janvier 2016.

Savannakhet. 22 km

J'ai encore une fois mal dormi, peut-être parce que même les yeux fermés, la chambre n'est pas très agréable à regarder ! Il y a juste la place pour le lit, pas de table, pas même une chaise, avec des cloisons en lambris. Je suis complètement déprimé ce matin : le ciel est gris, il a plu vers six heures, je m'ennuie ! Je quitte l'hôtel « Savamimmith », pour aller vers des lieux plus hospitaliers. En arrivant au bord du Mékong,  comme pour me narguer, la Thaïlande, sur l'autre rive, est en plein soleil. Je vais à la petite guesthouse « Nongsoda » juste au bord du fleuve. Je connaissais déjà ce petit hôtel pour y être déjà allé. J'ai une chambre plus agréable et surtout il y a la télé française TV5, et je peux donc regarder des documentaires français, en français ! Depuis un mois je n'ai pas parlé avec un seul Français, car je n'en ai pratiquement pas rencontré, alors je finis par me sentir isolé. Je déjeune à la terrasse de la petite guesthouse. Une gentille jeune fille me prépare un sandwich laotien. Le « sandwich laotien » est fait dans une baguette d'une longueur de vingt centimètres, dans laquelle on met du pâté comme le pâté de campagne de chez nous, des carottes râpées, des concombres, une feuille de salade et quelques ingrédients asiatiques qui donnent un goût exotique à ce sandwich qui pourrait fort bien être de chez nous ! Les Laotiens ne mangent du pain qu'au déjeuner. Il faut se lever de bonne heure pour trouver dans la rue des marchands de baguettes toutes identiques toutes de la même longueur, et l'on peut prendre un café au lait en trempant sa baguette ou en mettant de la confiture sur son pain. La seule chose qui manque, c'est le fromage introuvable au Laos. Eh bien tant pis je me contente du pâté !

À 14 h je vais à l'ambassade de Thaïlande pour récupérer mon passeport. Il n'y a presque personne et l'on me remet ma pièce d'identité dans les cinq minutes. Je vais déjeuner juste à côté, dans une petite gargote où j'ai pris une soupe hier. Le jeune couple qui tient cet établissement sommaire me reconnaît et m'accueille avec un sourire jusqu'aux oreilles. Curieux comme les Laotiens sont froids au premier abord, et finalement assez chaleureux quand ils voient qu'on revient chez eux. J'ai pris la précaution de prendre avec moi une de ces fameuses petites baguettes, alors je commande deux œufs sur le plat que l'on me sert avec de la viande de porc hachée un peu comme de la chair à saucisse. Donc, me voilà en train de saucer mes œufs frits avec ma baguette toute fraîche en mangeant presque des saucisses ! Le bonheur vient quelquefois de choses très simples, tout simplement de deux œufs frits dans une assiette !

Pour terminer mon après-midi, je pars en excursion avec mon vélo le long du fleuve. C'est tranquille, mais il n'y a rien d'extraordinaire. Il ne faut pas trop s'approcher du parapet et se pencher de l'autre côté, car on a alors une vue splendide sur toutes les poubelles et les détritus que viennent jeter les riverains. Ces détritus sont emportés par le fleuve lors des crues, mais il faudra donc attendre le mois d'août pour que le niveau de l'eau monte. D'ici là, les rives du Mékong seront de véritables décharges publiques ! La pollution est endémique. Les bords des routes, les villes, le moindre terrain vague entre deux maisons, tout est jonché de poches en plastique, de bouteilles en plastique, de détritus en tout genre. Les particuliers brûlent quotidiennement leurs déchets dans leurs jardins. Nous qui sommes si vigilants pour la couche d'ozone et pour les gaz à effet de serre, il faut se dire que dans la plus grande partie du monde, les habitants n'ont pas d'autre solution que de polluer !

Le soir je vais dîner au restaurant Xok Xay,  comme tous les soirs. Je vais en vélo ; pas besoin de lumière : les rues sont bien éclairées bien bétonnées.

 

Jeudi 21 janvier 2016

Savannakhet -  Mukdahan . 28 km

Je prends mon petit déjeuner avec mon sandwich au pâté et mon café, et je vais jusqu'au pont en vélo. Il est 11h. Je choisis cette heure-là, car il n'y aura certainement pas beaucoup de monde. Il faut que je trouve une place dans le bus pour caser ma bicyclette. Je sens que du côté laotien je suis à deux doigts de pouvoir traverser le pont à bicyclette. En insistant j'y arriverais peut-être, mais un chauffeur de bus, contre un petit billet cent bahts, accepte de mettre le vélo dans son car, et de me prendre comme passager, juste pour traverser le pont.

Me voici revenu en Thaïlande. C'est curieux comme à chaque fois que je viens ici, je me sens chez moi ! Il est vrai que la vie est beaucoup plus confortable, la route est large et bien asphaltée, mais je prends une petite route qui longe le fleuve. J'arrive à Mukdahan. Je vais toujours au même hôtel, à l'hôtel « Huanum », et j'installe la bicyclette bien sagement à côté de mon lit. Je vais au marché d'Indochine. C'est un grand quartier commercial qui ressemble tout à fait aux « ventas » que l'on trouve à la frontière espagnole. On y trouve tout : du coupe-ongles à la casserole en passant par tous les appareils électroménagers. Les Laotiens viennent ici pour faire les emplettes. Moi, je ne fais qu’une minuscule emplette, j’achète un coupe-ongles minuscule, pour ne pas alourdir mon petit sac à dos.

En fin d’après-midi, je regarde « questions pour un champion » sur TV5. Le soir je vais manger au marché de nuit. Comme d'habitude, on me sert mon canard bien rôti sur une bonne assiette de riz, avec une bière bien fraîche que je vais acheter au « 7-eleven » ( supérette ) du coin, car le marchand de canard ne vend pas de bière. Je fais le tour du marché juste pour acheter quelques petits desserts et surtout le « mokeng », flan aux œufs que j'adore. Ça me fera un bon déjeuner pour demain matin !

Vendredi 22 janvier 2016.

 Mukdahan-Laem Nok Tha.  53 km

Je ne pars que vers 9 h, car le soleil est timide et je ne pense pas avoir trop chaud ce matin. La route monte et descend et c'est bien agréable, car si je souffle un peu dans les faux plats montants, je me laisse aller dans les descentes. C'est mieux que dans les parties toutes plates où il faut pédaler sans interruption. La circulation est très raisonnable. Je suis sans arrêt sur une autoroute à quatre voies séparées par un terre-plein. Le seul problème ce sont les gens qui arrivent à contre sens, aussi bien des voitures que des motocyclettes, sur la bande d'urgences. Il faudra qu’un jour la police fasse un peu de ménage sur la route ! J'arrive à l'hôtel « Phudin ». Je m'installe dans ma chambre claire ensoleillée, et vers midi je vais manger dans un petit restaurant juste à côté. L'après-midi, je reste dans la chambre et je vais voir les enfants jouer au bord de la piscine. Dès qu'ils me voient, ils essayent de me montrer leurs prouesses : plongeons, sauts périlleux... Je m'en vais parce que je sens que l'un d'entre eux va se casser la tête sur la bordure de la piscine.

Le soir je vais manger un excellent poulet riz frit dans le même restaurant que lors de mon premier passage.

 

Samedi 23 janvier 2016

Laem Nok Tha - Yasothon. 70 km.

Je pars à 8h30. Le soleil est voilé et il souffle un léger vent du nord au sud c'est-à-dire dans le même sens que moi et cela me permettra de faire les 70 kilomètres de la journée à une moyenne de 26 km heure ! Le paysage est toujours aussi monotone : rizières, petits bouquets d'arbres, buffles se baignant dans les flaques de boue... La route est bonne. Je prends une petite route tranquille pratiquement parallèle à la grande route trop fréquentée par de nombreux camions. Je suis tranquille ; je traverse par moments des forêts d'hévéas et j'arrive à Yasothon aussi frais et dispos qu'au départ. Je vais au même hôtel qu'à l'aller, au « Green Park ». Je passe l'après-midi dans ma chambre. Le vent devient un peu plus violent, et il souffle même par moments par rafales. La température passe de 32 degrés à 27 et je pense que le froid annoncé pour demain n'est pas une plaisanterie. Le soir je vais au restaurant à côté de l'hôtel, je suis tout seul, car un vent froid souffle sur la terrasse et personne n'a envie de manger au courant d'air !

 

Dimanche 24 janvier 2016.

Yasothon - ThaTum 90 km. ( à 29 de moyenne ! )

Il fait froid ce matin c'est-à-dire que le thermomètre est descendu à dix-huit degrés. Le vent souffle par rafales courbant les palmes des cocotiers et les grandes feuilles des bananiers. J'attends que l'atmosphère se réchauffe un peu avant de partir. De plus, ma chambre est tellement confortable que je préfère en profiter au maximum. Je ne quitte donc l'hôtel qu’à onze heures. Sur la route il fait presque froid. Le vent souffle dans mon dos. À un moment que vois-je ? Une feuille, une feuille morte qui me double ! Peut-être pourrais-je profiter moi aussi du vent ? Donc je mets mon plus grand développement, j'appuie un peu sur les pédales et voilà que je prends tellement de vitesse que j'arrive à frôler les quarante kilomètres par heure. Alors là il se passe quelque chose de vraiment curieux : j'ai la sensation d'être arrêté, je n'ai plus un souffle d'air sur le visage et pourtant le paysage défile à mes côtés. C'est un peu comme si j'étais sur un tapis roulant. Pendant les quatre-vingt-dix kilomètres parcourus aujourd'hui je frôle à plusieurs reprises les quarante à l’heure. Je n'ai jamais été aussi vite et sans me fatiguer. Je regrette d'être parti à onze heures, car si j'étais parti un peu plus tôt je pense que j'aurais pu parcourir les 135 km qui me séparent de Surin. Je reviens au même petit hôtel qu’à l’aller. Je m'installe dans un bungalow et comme c'est dimanche je passe le reste de l'après-midi à regarder les matchs de boxe thaïlandaise. Ce n'est pas particulièrement passionnant, mais ça me fait passer le temps. À cinq heures, juste avant que la nuit tombe, je vais dîner dans un petit restaurant, le même qu'à l'aller et le patron me reçoit avec des courbettes des sourires. Il me prépare un riz frit aux crevettes succulent, avec un œuf frit par dessus, plus la bouteille de bière... Me voilà en pleine forme ! Quand je reviens à mon bungalow, il fait presque froid. C'est curieux comme une température de vingt degrés ici semble vraiment une température hivernale !

 

Lundi 25 janvier 2016.

ThaTum – Surin 63 km.

Le ciel gris, noir à l’horizon, pourrait laisser présager quelque averse, mais la météo se montre rassurante. Par contre, le vent devrait souffler avec parfois des pointes à trente kilomètres par heure. Il fait très froid : seulement quatorze degrés. J’attends donc dix heures pour que l’atmosphère se réchauffe un peu. La route n’est pas très large et la bande d’urgences plutôt étroite. Le danger venant de derrière, je ne le vois pas, mais les véhicules arrivant en face qui semblent vouloir me foncer dessus lorsqu’ils doublent, ça, c’est parfois effrayant ! Je ne jette même pas un regard au paysage, je suis trop occupé à éviter les débris de verre jonchant parfois la chaussée. Malgré cela, j’ai droit à une crevaison. C’est la première en plus de six mille kilomètres en Asie. Je démonte, je colle une « Rustine », je remonte la roue, je vais manger une soupe au village voisin et je repars ! J’ai bien calculé mon coup, j’arrive à Surin à l’heure où presque tout le monde mange, alors je suis tranquille en ce qui concerne la circulation.

Quand j’arrive à la maison, Amnoay a l’air d’être contente de me revoir sain et sauf, Laola, la chienne me fait la fête et les deux petites tourterelles sont nées dans le lustre de la terrasse.

 

Du 26 janvier au 9 février 2016.

Surin.

Je reste à la maison, et je sillonne les routes du secteur, de petites routes tranquilles où je suis presque seul. Partout on fait d’immenses trous pour créer des lacs artificiels de façon à pouvoir irriguer les rizières avec l’espoir de faire deux récoltes de riz par an. Mais certainement que la qualité du riz ne sera plus la même. En Isan, et principalement dans la région de Surin, on récolte le meilleur riz de Thaïlande, celui qu’on appelle « dok mali », un riz parfumé qu’on trouve chez nous sous l’appellation « riz jasmin ».

 

Mercredi 10 février

Surin - Ban Kruat 87 km.

Je pars le matin à 9h avec une température très agréable puisqu'il fait seulement 23 degrés, un peu de vent dans le dos... c'est parfait. La route est tranquille, car je passe par les chemins détournés de façon à éviter les grands axes où la circulation est trop importante. Le paysage est toujours aussi monotone : des rizières, des petits bosquets, des buissons, de temps en temps quelques vaches faméliques, quelques buffles noirs, de plus en plus rares qui essayent de se vautrer dans quelques flaques de boue. Je vais vers le sud car je compte arriver au bord du golfe de Thaïlande, à Trat, près de l'île de Koh Chang. À partir de dix heures du matin le soleil commence à chauffer. Le ciel est sans nuage et je pense que les derniers kilomètres vont être pénibles. Je passe à Prakon Chai, il me reste à parcourir vingt kilomètres et c’est alors qu’un gros camion qui tracte une énorme remorque chargée de canne à sucre arrive à ma hauteur. Il va à peu près à la même vitesse que moi. Je me cache donc derrière le convoi, et profitant de l'appel d'air, je fais ainsi les 15 derniers kilomètres presque sans pédaler. Je suis un peu crispé parce que s’il freine je vais aller dans les cannes à sucre et je risque d'avoir très mal à la tête ! Donc, je garde les mains sur les freins ! J'arrive à Ban Kruat, chez la fille d'Amnoay. Douche fraîche, sieste l'après-midi... La première journée de voyage n'a pas été trop difficile !

 

Jeudi 11 février.

Ban Kruat 36 km.

Aujourd'hui je pars faire du repérage pour demain. Je pars vérifier à quinze kilomètres, si la route que je compte emprunter demain, un raccourci qui longe la frontière du Cambodge, est praticable. J'ai une bonne idée parce que arrivé sur place je me rends compte que la petite route n'est pas goudronnée, est recouverte d'une poussière rouge qui au passage de chaque véhicule risque de me repeindre de neuf. De plus, dans cette zone frontalière peu fréquentée, les petits bandits venants du Cambodge voisin sévissent, et je pourrais me retrouver à pied et sans sac à dos dans quelque campagne isolée. Donc, demain je prendrai la route principale ce qui change mon étape : j'irai un peu moins loin que prévu, mais peu importe j'ai le temps...

 

Vendredi 12 février.

Ban Kruat - Non Din Daeng 53 km.

La route est étroite la bande d'urgences tellement mince que je n'arrive pas à rouler dessus car en plus elle est souvent couverte de sable. De gros camions tirant des remorques vont et viennent dans tous les sens et par moment c'est impressionnant car ils se suivent et je suis sans arrêt bousculé par leur appel d'air. Je prendrais bien un petit chemin plus tranquille, mais je n'ai repéré que des petits chemins non goudronnés, donc je supporte la cohabitation avec les autres usagers de la route. À part quelques papys avec leur vélo qui couine, je ne vois aucun cycliste ! Le paysage est toujours le même, toujours aussi monotone.

J'arrive à Non Din Daeng à moitié sonné par la chaleur écrasante d'une fin de matinée. Je me réfugie dans un petit bungalow d'un hôtel « resort » juste à côté d'une station service « PTT ». Rien à voir avec la poste, ce sont des stations qui ont toutes des « 7-eleven » dans leur enceinte. Le « 7-eleven », c'est mon oasis, c'est un petit supermarché dans lequel je trouve toujours mon bonheur. J'y trouve aussi des « croque-monsieur » avec du jambon et du fromage ou bien des croissants jambon-fromage qu'on me fait réchauffer sur place...

 

Samedi 13 février 2016. 

Non Din Daeng - Aranyaprathet : 88 km. 

Je pars de l'hôtel à 7h30 avec un petit air presque frais. ( Je parle « d'air » je veux bien dire le zéphyr parce que moi je n'ai plus l'air très frais. ) Je commence à fatiguer ! La route est très fréquentée, trop étroite pour une circulation aussi importante et toujours pas de bande d'urgence ; donc je suis obligé de rouler presque sur la chaussée. Si les poids lourds respectent les distances de dépassement, je ne peux pas dire la même chose pour les voitures, et surtout pour les motos qui me frôlent. Certains arrivent même en face à contre-sens. C'est pas toujours facile ! À quelques kilomètres de Non Din Daeng, je trouve sur le bord de la route beaucoup d'enfants qui vendent des couronnes de fleurs ce sont des fleurs jaunes enfilées sur un collier alternant avec des pétales de jasmin. En principe on donne ce collier aux gens qui partent pour un grand voyage, qui reviennent d'un grand voyage ou qui vont entreprendre des démarches périlleuses. L'explication je l'ai quelques kilomètres plus loin : j'entame une longue descente assez pentue sur une chaussée humide, dans une forêt. Tous les camions descendent au pas, « cul à cul », comme on dit. La route est étroite, mais comme personne n'arrive en face, je double cette interminable procession. J'atteins même  la vitesse de soixante kilomètres par heure. Heureusement, avant d'arriver à un virage assez serré, j'essaye mes freins : je suis sur une patinoire ! L'humidité de la route est couverte d'huile et d'autres substances provenant des camions. Je me félicite d'avoir de bons crampons sur mes pneus. Je comprends alors pourquoi les voitures ne doublent pas, pourquoi les camions roulent au pas, et je comprends aussi pourquoi on vend des colliers porte-bonheur avant d'entamer cette périlleuse portion de route ! La descente est longue de cinq kilomètres, et je rattrape même un camion peint comme un arbre de Noël parti en même temps que moi il y a 25 km ! La fraîcheur dans la descente, le plaisir d'avoir roulé vite, tout ça m'a redonné le moral. 

Cependant, la morne plaine est redevenue mon décor familier, la chaleur devient écrasante. Le soleil chauffe la route, me cuit le dos, me rôti la tête ! Je suis une brochette, une saucisse sur un gril ! Les gens qui me voient passer doivent me prendre pour une merguez à roulettes ! Il est onze heures, le soleil est presque au zénith et il fait un bon trente-sept degrés. Je m'arrête tous les dix kilomètres pour remplir le bidon et pour me réhydrater. Lors d'un de ces arrêts, je bois une bouteille d'un demi-litre d'eau cul sec sous le regard incrédule de deux consommateurs. Mon regard vers eux doit également trahir mon étonnement : ils boivent de l'eau de vie frelatée fabriquée à partir d'un mauvais alcool de riz ! L'alcoolisme et la chaleur ne font pas bon ménage ! Pourtant, en Thaïlande, il y a des buveurs invétérés dans chaque famille. Ils ne vivent pas très vieux. Le samedi et le dimanche, ils commencent à consommer de l'alcool dès potron-minet ! À midi ils sont ronds comme des portions ! 

Je ne vois pas arriver la fin de mon étape... Encore huit kilomètres, puis six, puis trois... Je rêve tellement de douche froide que je n'arrive même pas à Aranyaprathet. Je m'arrête au premier hôtel dans les faubourgs de la ville. La douche chaude, puis progressivement plus fraîche me remet sur pied. Je vais au restaurant de l'hôtel, et je dévore une côte de porc avec une assiette de frites. Tiens ! J'avais faim, aussi !

 

Dimanche 14 février.

Aranyaprathet 20 km. 

Jour de repos. Il fait trop chaud ! Alors je vais jusqu'à la frontière du Cambodge, juste pour ne pas passer la journée dans ma chambre. C'est un véritable chaos, au poste-frontière. Il y a des camions partout, des cars, des esclaves cambodgiens tirant ou poussant des charrettes débordant d'énormes ballots, des démarcheurs proposant leur « aide » pour faire le visa, des vendeurs de sorbets, de grillades de poulet... Je me sens tout petit dans cette confusion générale ! Je suis bien content de ne rien avoir à faire ici, ça me permet de fuir ! 

À quelques kilomètres de cet enfer bruyant et agité, je visite un jardin tout fleuri. C'est mieux !  En arrivant à l'hôtel, je fais un petit tour dans le temple voisin, le Wat Khao noi. Parmi des arbres effeuillés, ( c'est la saison qui veut ça ) un joli petit temple luit, étincelle, de toutes ses couleurs vives sur un ciel lapis lazuli. Des jeunes filles Cambodgiennes travaillent à l'entretien de l'édifice. Elles ont vingt ans, l'âge où les filles sont en fac dans des pays moins défavorisés. Elles ne parlent ni thaï ni anglais, elles sont certainement en situation irrégulière... Je leur fais peur. Pourtant, même si elles n'ont pas connu la sinistre période Khmers Rouges des années soixante-dix, ni la triste occupation viet qui a suivi, elles pensent qu'elles ont de la chance par rapport à leurs parents. Tout est relatif !

Durant les sinistres années où la folie meurtrière de Pol Pot extermina un tiers de la population, Aranyaprathet accueillait les réfugiés dans des camps gérés par l'ONU. Il y avait de nombreux camps tout le long de la frontière. Il y en avait aussi pour les réfugiés laotiens, à Nong Khay notamment. Il y en avait en Malaisie, aux Philippines pour les réfugiés vietnamiens... À l'époque, on ne laissait pas les malheureux fuyant l'horreur livrés à eux-mêmes, on ne les abandonnait pas !

 

Lundi 15 février 2016.

Aranyaprathet - Klong Tha. 55 km.

Je déjeune à l'hôtel avec une bonne soupe de riz. J'ai été gâté dans cet hôtel comme si j'étais le fils de la maison. Hier soir le patron m'a même offert gratuitement un délicieux dessert à la noix de coco. Aujourd'hui on me fait la soupe de riz sur commande avec de la viande hachée de porc, et un œuf dans le grand bol... je sens que je vais pouvoir tenir la route ! Il ne fait pas trop chaud, le soleil n'est pas encore sorti des nuages ; il est huit heures quand je pars. Il y a beaucoup de circulation dans la ville parce que c'est l'heure où tous les écoliers et les collégiens vont au travail. Il y en a partout ! Sur les trottoirs, en vélo, les plus âgés à trois sur une moto... Des fourgonnettes débordent d'enfants. Certains sont même installés sur le toit ! Quand je pense aux consignes draconiennes de sécurité en France ça me donne envie de rire. J'aimerais savoir s'il y a de nombreux accidents ? Je pense que les enfants sont tellement habitués à vivre dans cet équilibre précaire qu'ils ont à la fois conscience du danger, et mépris des règles de sécurité les plus élémentaires !

La route est tranquille dans un paysage un peu plus variés que celui que j'ai connu jusqu'à présent. Sur ma gauche à quelques dizaines ou centaines de mètres, je longe la frontière cambodgienne. Les champs sont labourés, on cultive surtout de la canne à sucre et des ignames. Sur ma droite quelques montagnes commencent à apparaître : des petites collines. Par moments des montagnes un peu pointues comme des fantômes. La route me semble plate, mais quelque chose, insidieusement me force à appuyer sur les pédales sans que je m'aperçoive que la route monte. C'est parfois inquiétant, parce que je n'avance pas, j'ai de gros efforts à fournir et j'ai l'impression d'être sur une route plate. Comme ma montre comporte un altimètre ( car que j'ai une montre qui fait altimètre, météo, compas... un véritable ordinateur au poignet ) je constate qu'effectivement la route monte ! Ça me rassure. À chaque intersection, des militaires, dans un petit poste grillagé, semblent s'ennuyer. Il y a quelques années, la situation était tendue entre la Thaïlande et le Cambodge, mais aujourd'hui les relations sont redevenues amicales. Vers dix heures, le soleil apparaît et il chauffe terriblement. Je comptais aller jusqu'à Soy-Dao, à 86 km, mais finalement je m'arrête à Khlong-Tha, au bout de 53 km parce qu'il fait trop chaud. Je n'arrive plus à me rafraîchir. J'ai beau m'arrêter pour boire des boissons fraîches, rien n'y fait j'ai l'impression que mon sang est en train de bouillir. Je trouve un « resort » où ils n'ont rien trouvé de mieux que de peindre la chambre en violet. Une chambre sans fenêtre... c'est sinistre, mais c'est original ! Je vais manger dans un petit restaurant où ils ne voient jamais de touristes et où ils me servent un « Khao phad » ( riz frit ) à tomber à genoux ! Un régal pour même pas un euro ! Il y a un « Seven-eleven » à qui je ne fais même pas l'honneur d'une visite, et ça c'est très rare ! Je reviens dans ma sinistre chambre violette pour faire une sieste avec l'air conditionné. Je n'ai pas le choix il n'y a pas de ventilateur. Les chambres avec ventilateur ont tendance à disparaître pour cette climatisation qui ne me convient pas... Dès que je ressors, le soir j'ai l'impression en ouvrant la porte, d'entrer dans un four.

 

Mardi 16 février 2016.

Khlong Tha - Soiy Dao. 46 km.

Je pars vers 7h30 sous un ciel tout gris. Quelques kilomètres après le départ la route est mouillée et le ciel menaçant. J'arrive tout de même à éviter l'averse. Il fait très frais, du moins c'est une impression que j'ai, car en réalité le thermomètre annonce vingt-sept degrés ; évidemment par rapport au jour précédent c'est un froid de canard. Les montagnes se font plus nombreuses un peu comme l'an dernier au Laos vers Thakek. Ce sont des concrétions calcaires et, chose bizarre, l'une des montagnes semble posséder une fenêtre. Il s'agit en réalité d'une grotte qui perce la montagne de part en part, donc de la route je vois le ciel de l'autre côté de la montagne. Il n'y a pas beaucoup de monde sur la route, il ne fait pas chaud, et le tracé évite toutes les collines. J'arrive à Soiy Dao en pleine forme. On m'indique un « resort » trop cher pour mes finances ( 800 baths ), alors je trouve un petit hôtel à 300 baths ( 7,50 € ) très confortable, tenu par un couple de quinquagénaires charmants. On me donne un Pepsi, un petit seau de glaçons, et le patron veut même me prêter la moto pour que j'aille manger au marché. Ici, les gens sont accueillants.

L'après-midi, j'entends tambouriner sur le toit de ma chambre. D'énormes gouttes s'écrasent sur le sol, dessinant une multitude d'étoiles qui disparaissent aussitôt ! Il me semble qu'il va grêler, mais non, l'air est trop chaud, les grêlons fondent avant d'atteindre le sol. Je me demande même si les gouttes de pluie ne sont pas déjà sèches quand elles tombent sur la route car elles ne mouillent même pas !

 

Mercredi 17 février 2016.

Soiy Dao - Makham. 67 km.

Je déjeune sommairement avec un peu de chocolat au lait et un gâteau acheté au « Seven Eleven ». Le patron de l'hôtel voudrait que je prenne le café avec lui mais je décline son offre car je veux partir le plus tôt possible tant qu'il fait encore frais. Quand je dis qu'il fait frais je veux dire par là qu'il ne fait que vingt-sept degrés, mais le ciel promet d'être bleu. Donc, le soleil va cuire. La route est souvent en travaux. D'une route relativement étroite et assez fréquentée, ils vont faire une immense route à quatre voies séparées par un terre-plein. C'est curieux comme les Thaïlandais ont le souci d'améliorer le réseau routier. Les bus de ville de Bangkok sont toujours les mêmes depuis 40 ans. Les trains sont toujours les mêmes depuis 60 ans mais le réseau routier va devenir l'un des plus modernes d'Asie. Presque partout les nationales sont à deux voies séparées les petites routes sont souvent bétonnées et on aurait honte de faire promener les Thaïlandais sur nos petites routes de villages pleines d'ornières et de rapiéçages !

J'arrive à Pon Nam Ron, un petit village en haut d'une longue descente la pente d'abord très raide puis en long faux-plat, pendant environ douze kilomètres. Je réalise alors que pour revenir à Surin je ne vais pas reprendre cette route rien que pour éviter dans l'autre sens cette interminable montée en plein soleil. Ce serait un calvaire ! Partout il y a des engins de travaux la route zigzague au milieu des tas de sable des bulldozers et des pelles mécaniques. J'arrive à Makham, et cinq kilomètres après le bourg, en pleine campagne, je me réfugie dans un petit « resort ». La chambre est tapissée de gris, le lit est rose, jaune et bleu marine, il n'y a qu'une minuscule fenêtre. Le soir, à part une soupe de nouilles instantanée, et une bière fraîche, rien d'autre ! Le patron et la patronne viennent causer avec moi alors que je prends le frais dehors. Ils me recommandent de me méfier des motos et des voitures qui doublent sur la route. Eux aussi me confirment qu'il y a beaucoup d'accidents avec les cyclistes.

 

Jeudi 18 février

Makham - Trat 67 km.

Heureusement hier soir la patronne m'a donné des bananes ce qui fait que j'ai pu améliorer un peu mon dîner et manger quelques fruits ce matin je n'avais rien d'autre au bout d’un kilomètre, sur le bord de la route, je trouve cependant un petit restaurant où l'on me propose des grillades de porc et de poulet. La route est tranquille la température clémente le paysage un peu plus agréable : quelques colline dans le fond, des champs d'igname, des plantations d'arbres fruitiers, aucune rizière. À mi-parcours au bout de trente kilomètres, je rejoins la grande route qui va du Cambodge à Bangkok. C'est une autoroute à quatre voies, avec sur le côté, une piste cyclable très confortable. Malheureusement je croise sans arrêt des motos et même parfois des voitures roulant à contre-sens sur cette bande d'urgence. Rien ne peut être parfait ! Quand j'arrive à Trat, il commence à faire sérieusement chaud. Je vais dans un hôtel où j'ai l'habitude d'aller, en plein centre, et je paye ma chambre le prix dérisoire de sept euros. Je vais au marché du matin. C'est incroyable le nombre et la diversité des marchandises qui sont vendues dans ce marché. On trouve de tout : des outils, des jouets, des vêtements, du poisson, des légumes, des fruits. Je mange un délicieux riz frit aux fruits de mer. L'après-midi je vais faire un peu de sieste, puis le soir je vais flâner, alors que la nuit tombe, sur la rue principale.Il n'y a pas grand chose à faire ni à voir à part les motos qui zigzaguent entre les voitures ! Sur le marché du soir il y a toutes sortes de plats cuisinés. Je jette mon dévolu sur un poisson frit au poivre et à l'ail Il y a longtemps que j'attendais ce plat.

 

Vendredi 19 février. 30 km.

Trat - Koh Chang.

Sur le bord de la route, entre Trat et Koh Chang, je trouve un village de Lilliputiens dont les maisons sont en bien piteux état ! Que s'est-il passé ? Tremblement de terre ? Attaque de géants ? Ne fantasmons pas, ce sont des maisons des esprits. Il y en a une devant presque toutes les habitations. Les esprits y sont abreuvés, nourris, choyés... On leur offre même des cigarettes, car ils fument parfois. Tous les matins, on y fait brûler des bâtonnets d'encens. Mais voilà, ces maisonnettes ne sont pas éternelles ! Alors, quand on les remplace, on ne les jette pas à la poubelle. On les dépose dans un « cimetière » spécial pour elles, souvent au bord d'une route. Et tous les automobilistes ou les motocyclistes klaxonnent en passant devant pour calmer les esprits et s'attirer leurs bonnes grâces !

Il me faut parcourir vingt kilomètres, ce matin pour atteindre l'embarcadère où est amarré  le ferry qui permet de rejoindre Koh Chang. Il y a un bateau toutes les heures. Nous ne sommes que six personnes à bord, et quatre voitures. À l'horizon, les montagnes couvertes de jungle émergent d'une brume bleutée.

Me voilà sur la route qui fait le tour de l'île. Et ce sont des théories de minibus, de « songtaew », de motos. J'ai du mal à croire que c’est cette même île que j'ai connue avec un étroit chemin de terre, et quelques rares misérables papillotes ! Toutes ces îles thaïlandaises sont passées du moyen-âge à l'époque moderne en l'espace de vingt ans.

Pour atteindre la plage principale de Had Sai Khao, il faut franchir une barre montagneuse par une route qui grimpe comme un escalier. Je suis obligé de mettre pied-à-terre à plusieurs reprises car la pente est tellement raide que même les roues des voitures qui montent patinent par endroit. J'arrive enfin à la grande plage. C'est un gros village touristique avec une rue très animée. D'un côté des immeubles, la plupart sont des hôtels, de l'autre côté des commerces ou d’autres hôtels, et derrière, la plage. Au bord de la plage, il y a des restaurants. Ils affichent tous les mêmes prix, ils se sont mis d'accord. C'est à peu près trois fois plus cher que dans les restaurants du pays. J'ai horreur de ces endroits touristiques où le visiteur est pris pour une vache-à-lait et où le personnel est sous-payé et exploité. Ce qui me fait le plus râler, c'est de voir la naïveté des touristes, sous prétexte que c'est moins cher qu'à Biarritz ou qu'à Miami, s'extasier devant le bon marché des produits. En ce qui concerne le prix des hôtels il a été multiplié par 25 depuis les premières années où je venais. Bien sûr le confort n'est plus le même mais je regrette le côté rustique de ces petites paillotes de bambou couvertes de palmes de cocotier et dans lesquelles un petit air frais remplaçait facilement l'air conditionné. Ces petites paillotes étaient plantées juste au bord de la plage à quelques mètres de l'eau. Quand la marée montait, les bungalows avaient les pieds dans l'eau, et c'était bien mieux que ces grands hôtels où les chambres des étages dominent une piscine où barbotent quelques retraités.

Le soir, je mange sur la plage, à quelques mètres des vagues. C'est bien, j'ai choisi un endroit calme avec pour seule musique le souffle du ressac.

 

Samedi 20 février 2015. 

Koh Chang 15 km.

Ce matin, je décide de partir en excursion à vélo le long des plages du côté ouest de l'île. Je connais déjà la région pour l'avoir visitée, à vélo également il y a une quinzaine d'années. À l'époque la route n'était pas goudronnée. Encore une fois, inévitablement, le décor a bien changé. D'abord le petit village au bord de la grande plage de Had Sai Khao, c'est-à-dire « sable blanc » sur laquelle je me trouve, ce petit village s'est tellement agrandi qu'il longe la route sur plusieurs kilomètres. Ensuite on trouve partout des boutiques, même dans les endroits les plus incongrus ! Forcément les touristes passent et repassent en moto et chaque personne ayant une maison installe un magasin devant sa porte. Je vais au bord de la mer, sur une plage où je suis seul, les touristes étant en train de déjeuner avec leurs « pankakes » au miel ou au chocolat...

Au bout de sept kilomètres, je m'arrête à un petit restaurant où je mange une soupe de nouilles au prix normal de Thaïlande, c'est-à-dire trois fois moins cher que près de la plage. Quand je dis que je voudrais faire le tour de l’ile, la patronne me conseille de faire plutôt ce genre de promenade entre cinq et huit heures, le matin. Il est dix heures du matin, et en effet, je suis dérangé sans arrêt par les fourgons de livraisons et surtout par les touristes qui conduisent les motos comme en Europe c'est-à-dire à une vitesse excessive. Donc, je fais demi-tour et je reviens tout simplement me réfugier dans mon bungalow à l'hôtel « Touk-touk ». Dans l'après-midi, je vais le long de la plage. Il fait chaud, la mer est bleue, des vaguelettes blanches viennent mourir sur la plage de sable blanc. Je ne sais pas comment font ces gens-là pour rester allongés sous un soleil aussi agressif !  Le soir, je reviens manger sur la plage, au même restaurant qu'hier soir. Je me régale avec des moules et des coquilles Saint-Jacques et une bonne bière fraîche. C'est le moment de la journée que je préfère. Il fait nuit, les vagues scintillent dans l'obscurité, un petit vent presque frais vient rendre l'atmosphère plus respirable. De nombreux touristes trouvent les prix un peu trop élevés, sur la plage, alors il y a foule au « marché de nuit », le long de la route. On y trouve tout ce qui se mange : grillades, poissons cuits sur le gril, omelettes de moules, nems, et tous les desserts à base de fruits. L'inconvénient, c'est qu'il n'y a pas de quoi s'asseoir, alors les touristes vont s'installer sur les marches des magasins voisins.

Dimanche 21 février. 

Koh Chang. 

En fin de matinée, je vais manger du canard avec des frites, je passe un moment au supermarché, juste pour me rafraîchir un peu, et je reste tout l'après-midi dans mon bungalow. J'ai besoin d'un peu de repos.

 

Lundi 22 février 2016. 

Koh Chang - Trat 40 km. 

Je pars à 7 h, et je commence par un petit échauffement, car la route monte sec dès la sortie du village. Je m'arrête à l'endroit le plus raide pour profiter du panorama. Je n'ai fait qu’un kilomètre et pourtant Had Sai Khao paraît très loin en contrebas. Comme la chèvre de Mr Seguin, tout me paraît si petit que je me demande comment j'ai fait pour y rester trois jours ! Je suis content de partir. Dans la descente de l'autre côté de la montagne, la route est tellement raide que, dans les virages en épingle, j'avais l'impression de plonger du haut d'un mur ! 

J'arrive à l'embarcadère en même temps que le ferry. Aujourd'hui il y a du monde : des touristes ébouriffés, tatoués, bronzés, avec des trous dans les shorts, des trous dans les narines, des « piercings » partout, des ménagères avec des airs de mégères, quelques enfants de « farangs » qui courent partout, et quelques gamins thaïs dormant sur les genoux de leur mère qui somnole. Les Thaïlandais, dès qu'on les assoit dans un transport en commun, ils dorment ! En arrivant sur la terre ferme, je visite le mémorial de Laem Ngop. Il a la forme du château d'un cuirassé, tout blanc. C'est le mémorial de la bataille de Koh Chang.  C'est la seule victoire navale jamais remportée par la France, durant la Seconde Guerre mondiale. Les Français n'ont pas eu de mal, leurs canons avaient une portée bien supérieure à ceux des trois navires thaïlandais. Ils les dégommèrent comme dans un tir au pigeon. Trois mille marins thaïlandais disparurent à jamais. Pourtant, les Thais considèrent qu'ils ont remporté une victoire, mettant en fuite les navires français qui, évidemment n'avaient plus rien à faire dans le secteur ! Dans le musée, on ne trouve que des portraits de différents rois, et, en cherchant bien, une seule et unique photo d'un navire la quille en l'air. Pour la France, cette victoire ne compte pas, car elle a été remportée par l’armée de Pétain qui collaborait, comme on le sait avec les nazis en France, et avec les Japonais en Indochine...

Arrivé à Trat, je vais manger au marché couvert, et le soir au marché de nuit !

Mardi 23 février 

Trat - Chanthaburi. 74 km. 

Rien à dire du trajet, je reste sur ma bande d'urgences d'une autoroute relativement tranquille. 

À Chanthaburi, je cherche un hôtel, et une dame vraiment aimable a payé une mototaxi pour me convoyer jusqu'à « River guesthouse ». On trouve parfois des gens très accueillants. Je passe une partie de l'après-midi dans le grand magasin « Robinson », juste parce qu'il y fait frais ! L’hôtel étant au bord de la rivière, je passe la soirée sur la terrasse en compagnie de moustiques voraces !

 

Mercredi 24 février

Chanthaburi - Klaeng 67 km.

Le soleil est resté timide derrière un voile nuageux toute la matinée. Je n'ai donc eu aucun mal à rallier Klaeng sur une route à quatre voies séparées par un large terre-plein. À huit heures, quand je passe devant les écoles, c'est le moment du lever du drapeau, de l'hymne national, et de quelques gentilles chansons sur la paix et la fraternité universelles ! Demain, les élèves partiront peut-être en camion faire un stage de deux jours avec les militaires, mais ce ne sera certainement que pour mettre en pratique de si bonnes intentions...

À Klaeng, je trouve un hôtel très sympa et vraiment pas cher ! Je paye 200 bahts ( 5€ ) pour une chambre avec deux lits. ( Hôtel Weera Charoen ).

 

Jeudi 25 février

Klaeng - Rayong. 65 km.

Ce matin je pars vraiment à la fraîche, au lever du jour. Il fait vingt-quatre degrés la température idéale ! Je suis presque seul sur la route.

De temps en temps, comme si je suivais une bande dessinée, des fantômes sont reproduits sur l’asphalte, à la peinture blanche. À chaque accident mortel, pour les besoins de l’enquête, la police dessine le contour des véhicules ou même parfois des corps des victimes. Ce sont les pauvres usagers tués par des véhicules et que l’on a décalqués sur la route. Quand l’accident a eu lieu récemment, on peut même voir la tache sombre du sang ! C’est d’un réalisme impressionnant, et je pense que c’est un peu cruel pour les membres de la famille s’ils habitent dans le secteur… Les petits marchands de soupe ou de fruits installent leurs étalages dans le silence, sur le bord de la route. Un petit vent frais me pousse gentiment, et je fais les dix-sept premiers kilomètres sans m'en rendre compte, quand soudain, dans un virage, sur la droite, je vois en face de moi une mer étincelante sous un soleil levant. Je suis au bord de la mer ! Une plage déserte, bordée d'arbustes, s'étend sur plusieurs kilomètres. Le secteur n'est pas encore massacré par les promoteurs ! C'est curieux comme les touristes se ruent sur les îles et dédaignent les plages sur le bord de la côte. Cet endroit est pourtant bien agréable ! J'arrive dans une zone où le bord de la mer est agrémenté d'une jolie petite promenade ombragée, sur le bord de laquelle on a construit quelques hôtels assez discrets. Il n'y a pas foule. Le coin est tranquille. Quelques petits restaurants se sont installés sous les arbres, mais aucun ne me propose de soupe. C'est pourtant l'heure de mon déjeuner ! Ils ne vendent que des jus de fruit, des sorbets, des milk-shakes, bref des boissons rafraîchissantes. Moi, ce que je veux c'est une bonne soupe de nouilles avec des crevettes, des morceaux de calmars : une soupe aux fruits de mer !

La route traverse une forêt de pins, toujours en bord de mer. La lumière devient verte, ça fleure bon le sous-bois, d'autant plus qu'il a plu la nuit dernière. Entre les arbres, je vois scintiller des vagues frangées d'écume. Quelques barques, bleues comme le ciel, sont alignées sur le sable. À l'horizon, je distingue, dans une brume bleutée, le dos rond de la petite île de Koh Samet. C'est là que vont les touristes pour s'amalgamer sur la plage, s'entasser dans les restaurants, s'agglomérer devant les boutiques de souvenirs. Bien sûr, il y a aussi de petites criques isolées, plus tranquilles, mais les tarifs des « resorts » bâtis en bord de mer dans ces endroits ne sont pas pour les routards !

C'est en arrivant à Ban Phé que je trouve enfin ma bonne soupe. Une jeune fille a installé trois tables boiteuses sur le bord de la route. Les « farangs » dédaignent ces petits marchands de soupes ; c'est pourtant là que l'on trouve les meilleurs bols de nouilles ! La marchande, qui n'a guère l'occasion de causer avec des étrangers, me presse de questions. Elle veut tout savoir, à croire qu'elle veut éditer ma biographie ! Elle me laisse à peine le temps de manger mes nouilles qui glissent entre mes baguettes.

Le gros village de Ban Phé est en effervescence. C'est d'ici que partent les bateaux pour Koh Samet. Magasins d'articles de plage, de ventes de coquillages, de chemisettes, agences de voyages, bars, boutiques... Je me retrouve au milieu d'une circulation anarchique de triporteurs, de minibus, de motos pétaradantes, de gros 4x4... Je suis à trois kilomètres, et à mille lieues de mon joli bois de pins de tout à l'heure !

Je file sur Rayong par une petite route tranquille, puis je retrouve l'autoroute, la poussière, la fumée des diesels, le rugissement des moteurs, le vrombissement des camions tractant leur remorque. À Rayong, un jeune mototaxi me guide jusqu'à un hôtel presque luxueux où je ne paye que 130 baths.

Vers sept heures, je vais dîner dans un petit restaurant populaire où j'ai failli m'enflammer ! Quand ils font frire du piment, tout le monde tousse, et moi, je deviens rouge comme un poivron !

 

Vendredi 26 février 2016.

Rayong - Pattaya - Chachoengsao. 74 km.

Ce matin encore je me lève de bonne heure, de façon à être plus tranquille sur la route. Je quitte Rayong en pleine effervescence. Il est 7h. Les uns partent au travail, les autres au marché, les écoliers à l'école, bref tout le monde est sur la route. J'emprunte une autoroute dont le bruit est assourdissant. Des voitures, des camions tirant des remorques, des motos... La plupart arrivent en face à contre sens sur la bande d'urgences. L'odeur des gaz d'échappement et la fumée des véhicules irritent ma gorge. Je suis ainsi en enfer, pendant trente kilomètres, jusqu'à ce que je prenne une route plus tranquille. Je m'arrête à un petit magasin de cycles pour faire nettoyer mon vélo dont la chaîne commence à sauter tellement elle est encrassée par la poussière qui s'est collée dessus. J'ai affaire à deux jeunes vraiment serviables et aimables. Nous passons un bon moment à parler et ils sont soucieux de me rendre service. En repartant, je me trompe de route, ce qui me fait faire une vingtaine de kilomètres en plus. Heureusement, je suis plus tranquille qu'au départ. En approchant de Pattaya, la circulation devient à nouveau trop importante. Il y a en plus des « farangs » qui ont loué de grosses motos et qui pensent ébahir « les minettes » en short sexy... Je viens de faire un peu plus de 70 km, je ne vais même pas vers la plage ni vers le quartier animé de Pattaya : je me réfugie à la gare. Il est bientôt l'heure de l'unique train quotidien. Je m'enfuis vers des lieux plus calmes ! J'ai un peu de mal à faire passer mon vélo dans le soufflet, sous le regard étonné des passagers. Vraiment, ces étrangers sont bien étranges ! Ils montent dans les trains avec des vélos !

Durant les deux heures de voyage, j'ai tout mon temps pour observer le paysage. Les élevages de poissons et les champs d'ignames ou de canne à sucre remplacent de plus en plus les rizières dans une plaine monotone où, par-ci par-là, un temple aux couleurs rouge et or jette une note de gaîté.

À Chachoengsao, j'ai bien failli ne plus arriver à sortir le vélo du train. Les gens me regardaient avec des yeux de bovidés sans avoir l'idée de me donner un petit coup de main. Heureusement, des étudiants sont venus m'aider, sans quoi j'aurais été obligé d'aller jusqu'à Bangkok !

À Chachoengsao, je vais au « Dji-pi resort » un hôtel que je connais déjà, et je dois vraiment insister pour avoir une chaise, devant le bureau se trouvant dans la chambre. Ici, il ne faut s'étonner de rien : il manque toujours le nécessaire dans les chambres !

 

Samedi 27 février 2016.

Chachoengsao – Ongkarak 64 km.

Je pars comme d’habitude avant la chaleur. Je pensais être tranquille sur la route, mais je me suis trompé. J’en déduis que dans la région de Bangkok, où que j’aille, j’aurai droit à une circulation démentielle. La région de Bangkok est pratiquement impraticable à bicyclette ! Je prends une route qui devrait être plus tranquille vers le nord, mais en fait, elle est plus étroite et fréquentée de nombreux camions. La bande d’urgences est inexistante, et en plus, des branches d’arbustes poussant sur le bas-côté viennent jusque sur la route. Comme je suis obligé de serrer contre ces arbustes, j’ai sans arrêt mon bras gauche fouetté par des branches qui, heureusement, ne sont pas épineuses. Un vent léger souffle de côté, mais quand les camions me dépassent, en laissant juste un mètre entre eux et moi, je sens comme une aspiration qui remet mon équilibre en question… La plupart des routiers laissent un espace suffisant en me dépassant, mais lorsqu’un autre camion arrive en face, ils sont obligés de me frôler. De plus, les bas-côtés sont souvent complètement défoncés. Je roule sur des monticules de goudron, des plaques de sable, dans des trous. À un moment, devant moi, la route brille comme un arbre de Noël. Il s’agit de casiers de bouteilles de bière Chang ( ma préférée ) tombés d’un camion. Il y a des tessons partout et j’essaye de ne pas passer sur les plus gros ! Je ne sais pas comment ça se fait, mais je ne crève même pas ! Le problème, c’est que toutes les bouteilles ne devaient pas être cassées, donc, des automobilistes ont dû en récupérer, car pendant plus de dix kilomètres, j’ai droit à des bouteilles de bière cassées sur le bord de la route. Je pense qu’elles ont été bues dans les voitures et jetées par les fenêtres.

La région est une plaine plantée d’arbres fruitiers, de canne à sucre et les rizières se font de plus en plus rares. De grands canaux parfois couverts de feuilles de lotus tracent des sillons rectilignes dans ce paysage sans grand intérêt. Des étangs artificiels resplendissent au soleil : ce sont des élevages de poissons. Les rivières ne sont pas alevinées, elles sont souvent polluées et leur faune a été pillée au cours des années.

J’arrive à Ongkarak avant que la chaleur ne m’écrase. On m’indique un hôtel à l’extérieur de la ville. J’y trouve un confort de rêve. Il ne manque rien dans la chambre, et il y a même à la fois le ventilateur et la climatisation. Pour moi c’est bien car je n’aime pas la climatisation qui me fait souffrir de la chaleur le lendemain. Le patron est certainement un ancien policier ou militaire, car il remplit la fiche consciencieusement alors que dans d’autres hôtels on ne me demande même pas le passeport. De chaque côté de la porte d’entrée, au lieu des nains que l’on trouve, chez nous, dans les jardins de retraités, lui, il a mis deux petits flics casqués faisant le salut militaire. Je pense être l’un des premiers clients à utiliser ma chambre, car il y a encore les feuilles de plastique protégeant les chaises et le réfrigérateur.

Dans l’après-midi, je vais faire des emplettes au marché et je mange une soupe de nouilles… Ah non, je me trompe, je mange deux soupes de nouilles, car elle est tellement bonne que j’en redemande. Pour le soir, je fais des provisions au « 7-eleven » Dans ma chambre, je mangerai une cuisse de poulet pané, avec des pommes chips, avec une bonne bière et une mangue pour le dessert. Que peut-on avoir de plus ?

 

 

Dimanche 28 février 2016.

Ongkarak – Saraburi 66 km.

Départ, comme toujours le matin à sept heures, « à la fraîche » avec le soleil levant. Le début du trajet est agréable. Je longe un canal sur une très large autoroute dont le terre-plein central est décoré d'arbustes tout fleuris. Ça fait comme des gros pompons violets, orange et roses. Je roule à bonne allure, mais je reste vigilant à cause des motocyclistes arrivant à contre-sens. Parfois le secteur semble s'urbaniser, des boutiques ou des ateliers bordant la route... Mais ce n'est qu'une façade, la campagne est juste derrière ! Je traverse des plantations de palmiers à huile, cette nouvelle calamité écologique et culinaire. L'huile de palme on la trouve partout dans les aliments et ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour notre santé. 

Les vingt derniers kilomètres, je les parcours sur l'autoroute qui relie Bangkok à la région du sud-est. La circulation est affolante, car elle est fluide, donc, certains véhicules roulent à 120 ou 130 km/h. Alors, quand il y a des jonctions de deux autoroutes, il me faut traverser deux voies pour partir sur la droite, et c'est vraiment stressant. Quand je suis sur la bande d'urgences, je vois arriver à contre-sens des motocyclistes, des voitures, et même parfois des petits camions de livraison. Cela m'oblige à me déporter sur la chaussée en espérant que les véhicules arrivant derrière moi feront un écart. Je n'en peux plus, je suis tellement concentré et inquiet qu'à un moment, je m'arrête sous un pont, et je m'aperçois que j'ai les genoux qui jouent des casquettes. Je me jure alors que si je m'en sors indemne, j'arrête tout aujourd'hui ! 

Quand j'arrive à Saraburi, je vais directement à la gare. Mon périple est terminé. Je sais que la route vers Khorat et Surin sera très fréquentée, je ne provoque pas le destin, j'ai fait exactement mille kilomètres. Pour les trois cents qui restent, je les ferai en train demain !  

Je vais dans un hôtel pas loin de la gare, c'est un vieil établissement poussiéreux. Derrière son comptoir en bois noirci par le temps, un vieux dont la truffe surmontée de lunettes presque opaques le fait ressembler à Gepetto, ne cache pas son étonnement de voir un « farang » pénétrer dans son gourbi. L'ascenseur est en panne depuis belle lurette, alors je monte par un escalier dont les tringles d'aluminium avaient dû servir à fixer un tapis rouge. Sur le palier poussiéreux, un chat famélique s'enfuit à mon approche. Des appliques pendent aux murs. L'établissement a dû connaître des jours plus fastes. La femme sans âge qui me conduit jusqu'à la chambre semble marcher les yeux fermés. Elle éructe des phrases que je ne comprends même pas. La chambre ? Un mur vert « caca d'oie » maculé, un ventilateur qui fait un bruit de moulin à café, et qui risque de me découper en rondelles s'il se décroche pendant la nuit ! Bah ! Il y a bien un demi-siècle qu'il tourne, il ne va tout de même pas me faire le coup de se décrocher aujourd'hui ? La salle de bains est dans le même style. La cuvette des toilettes est noire de tartre, le bas des murs aussi...

 

Lundi 29 février 2016.

Saraburi - Surin.

C’est décidé, j’abandonne ma promenade. La route entre Saraburi et Korat est trop fréquentée, il y a une longue côte où les gaz d’échappement des camions vont me suffoquer, et de plus, le paysage est le même que celui que je trouve tous les jours dans les alentours de Surin. Je n’ai donc aucun intérêt à prendre des risques sur la route.

Maintenant que je suis arrivé au bout de mon voyage, il est peut-être temps que je donne les statistiques qui confirment mes craintes sur la route. La Thaïlande est un pays dont la population est légèrement supérieure à celle de la France pour une superficie égale. On compte sur les routes, par an, 26.000 morts, soit à peu près 500 par semaine. Les trois quarts sont des motocyclistes. ( Ces chiffres sont donnés par le journal « Courrier International » ). Actuellement, la police essaye de lutter contre l'alcoolisme au volant. Le taux d'alcool toléré est de 0,15 c'est-à-dire nettement inférieur à celui autorisé en France. La conduite avec un taux d'alcool supérieur au taux autorisé est sanctionnée par une amende très dissuasive pour les Thaïlandais. On ne vend pas d'alcool ni de bière dans les « Seven eleven » des stations-service. Pour la sécurité sur la route la Thaïlande est sur le podium, à la deuxième marche après la Libye dont les résultats sont un peu faussés puisque c'est un pays en guerre et sur le même podium se trouve l'Érythrée. On pense même que la Thaïlande occupe le premier rang ! Elle atteint tout de même tous les ans le taux de 40 morts pour 100.000 habitants ce qui est énorme. Si j'ai eu de fortes sensations tous les jours, l'explication est donc dans ces données qui sont même, malheureusement, certainement en dessous de la vérité. Il n'y a aucune éducation pour les usagers de la route. Le permis, on ne le « passe » pas, on l'achète, comme un simple passeport ! Pas d'auto-écoles ! Une grande partie des usagers roulent sans permis et la plupart n'ont aucune notion de ce que doit être un bon comportement au volant ! Les motos sont des 100 ou 110 cm3 parfois pilotées par des gamins de 8 ou 10 ans. Une autre cause d'accidents est due au fait que tous les véhicules ont des vitres noires : on ne sait jamais si le conducteur du véhicule arrivant sur la voie perpendiculaire nous regarde. Quant au téléphone au volant, c'est systématique ! À chaque journal télévisé, entre deux relations de cambriolage ou de trafic de drogue, on peut voir des voitures écrabouillées, des camions renversés ou des motocyclistes gisant sur le macadam. La police commence à utiliser les radars pour contrôler la vitesse et on est parfois stoppé par un contrôle systématique de la police routière. Pour juger des bienfaits des contrôles de vitesse en France, il faut venir ici, passer une semaine sur la route… et alors, on a tout compris !

Pour les trois cents kilomètres qui me restent pour revenir au bercail, je prends donc le train. C’est tout de même moins stressant ! Et voici que défilent à longueur de trajet, des boissons fraîches, des fruits, des brochettes appétissantes, des crêpes à la noix de coco, des assiettes de « khao phad » ( riz frit ) proposés par une incessante théorie de petits vendeurs. Le voyage se termine en apothéose !

 

Mars 2016.

Surin

J’ai retrouvé la maison, avec une chaleur accablante. J’ai bien tenté une petite sortie à bicyclette sur les petites routes tranquilles du secteur, mais il me faudrait partir à six heures pour avoir une température supportable. À partir de dix heures du matin, le soleil commence à chauffer, l’air devient lourd, la route si chaude que je me prends pour un petit lardon sur une plancha !

La tourterelle s’occupe de sa progéniture, les chiens tirent la langue, la petite grenouille est partie se cacher dans quelque trou, seuls les geckos continuent la chasse aux rares moustiques ; car les moustiques, eux aussi, ils transpirent dès qu’ils agitent leurs ailes, alors ils restent dans les petits coins humides ! Dans la journée, il fait un petit 39° ( ressenti 43, d’après la météo ), et la nuit, le thermomètre ne descend pas en dessous de 27 ! Comme disait mon tonton, « j’ai les mains moites, les pieds poites et le bonbon qui colle au papier ».

 

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