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Jeudi 30 décembre 2004.

Kampot - Trat.

Les informations de la télé thaïlandaise et de CNN sont de plus en plus pessimistes : on compte les victimes du raz-de-marée par dizaines de milliers, les images de l'énorme vague retrouvées sur des caméras ou des appareils photos de touristes sont absolument apocalyptiques.

Dès sept heures Amnoay est allée en éclaireur au bout de la rue, à la gare routière, et le minibus pour Koh Kong doit partir à huit heures. J'ai juste le temps de régler ma note d'hôtel et de courir avec mon sac un peu trop lourd. Les minibus sont garés sur la place, et l'on charge sur leur toit des cages en osier desquelles les cous déplumés des poulets inquiets dépassent. Des cartons volumineux, des ballots divers viennent s'ajouter au chargement. Une femme essaye bien de glisser un sac de riz sous mes pieds, mais comme je n'ai pas envie de voyager accroupi, je défends mon territoire avec succès. Elle place son gros sac à l'endroit où elle ira s'asseoir, mais je pense que ça ne la dérange pas le moins du monde. D'ailleurs, on va voir pire puisqu'une grosse dame se présente avec un arbuste d'un peu plus d'un mètre de haut. Il n'est pas question de le mettre sur le toit ! D'abord, il pourrait s'effeuiller au gré du vent, s'enrhumer, et les poulets si farceurs de nature ne manqueraient pas de jeter un sort aux dernières feuilles ayant survécu au désastre... Alors que je pensais avoir compris que la grosse dame allait ramener son espèce de laurier chez elle, sur son balcon, contre toute attente, la voilà qui s'engouffre dans le minibus, trouvant une place pour elle et pour sa belle plante. Elle disparaît parmi le feuillage, me faisant penser à ces jeux de gosses où il fallait retrouver Sylvain et Sylvette dans le dessin des branches du gros chêne. Amnoay qui ne cesse de me surprendre par ses connaissances en botanique, arrache discrètement une feuille, la malaxe dans sa main qu'elle vient plaquer sur mon museau. Quelle bonne odeur de menthe légèrement citronnée ! Voilà que l'arbuste remonte dans mon estime : c'est une adorable plante d'ornement qui mérite tous les soins, et n'allant tout de même pas jusqu'à envisager de l'accueillir sur mes genoux, je trouve que sa place parmi nous est bien justifiée ! J'ai sous les pieds la caisse à outils qui n'est autre qu'une boîte de biscuits en tôle rouillée contenant des clés plates et à pipes noires de cambouis. Un cric risque à tout moment de m'écraser les orteils, alors je fais comme chacun des passagers du minibus, j'essaye de m'aménager un espace vital le plus confortable possible. Il faut plus d'une heure pour charger le véhicule. En plus, comme il reste un peu d'espace libre à l'intérieur, on fait deux fois le tour de Kampot en klaxonnant de façon à remplir les « trous » qui restent. Nous sommes les uns sur les autres, les femmes ont les bambins sur les bras, la grosse a son arbre sur les genoux et moi, je ne me plains pas avec mon matériel de dépannage sous les pieds. Amnoay s'accommode bien de la situation : elle s'est pelotonnée sur son siège, les jambes repliées sous ses fesses. Elle a bien les feuilles odorantes qui lui caressent les oreilles, mais elle prétend que c'est plus romantique de voyager sous un arbre. Elle ressemblerait presque à ces fresques représentant le Bouddha méditant sous son banian. 

 

clique sur la tôle ondulée  "notre" minibus sur le "bac"  clique pour agrandir

 

Nous avons sept heures de route en perspective ! Jusqu'au croisement de l'axe Kompong Som - Phnom Penh, nous roulons à bonne vitesse, mais c'est lorsque nous prenons la route vers l'ouest en direction de Koh Kong que l'aventure commence : la poussière, le bruit des barres stabilisatrices et des suspensions cognant sous le plancher, et surtout la tôle ondulée rendent les conditions de voyage un peu plus difficiles. Large et bien tracée, la piste ne serait pas mauvaise si elle était bien entretenue, mais il y a cette horrible tôle ondulée formée par le passage des véhicules. Il faudrait rouler à quatre-vingts kilomètres-heure pour que les roues survolent ces ondulations, mais notre minibus surchargé ne peut pas atteindre une telle vitesse. Nous avons la désagréable impression de le sentir se désintégrer. Nous sommes assis sur un vibromasseur : je ne sais pas si c'est bon pour les fessiers ? Quand nous arrivons sur une portion lisse, le silence soudain est aussi inquiétant que le vacarme précédent. Les ponts n'ont pas encore étés construits, alors à quatre reprises, nous traversons des rivières aux eaux dormantes sur des bacs d'une étonnante rusticité : un plancher poussiéreux monté sur des flotteurs ou sur des barques rouillées, l'ensemble flanqué de deux moteurs de camions prolongés d'arbres d'hélices. Vu la vétusté du matériel, il y a au moins dix ans qu'il navigue sans couler alors je ne pense pas que le naufrage soit pour aujourd'hui ! 

 

un petit air de western

 

Nous arrivons à Koh Kong en bonne forme. Le chauffeur avait raison : il nous a fallu sept heures pour faire la route. Nous montons sur une moto pour aller jusqu'à la frontière, à dix kilomètres de l'immense pont désert que nous traversons. À la frontière, les formalités sont rapides. Les policiers cambodgiens nous font placer face à une caméra reliée à un ordinateur. Ils sont fiers de leur nouvelle technologie, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient la base de données contenant les photos des « persona ingrata ». En Thaïlande, l'accueil est presque chaleureux. Nous revenons « chez nous ». Le soir, sur le marché de nuit de Trat, nous retrouvons la nourriture que nous aimons, et peut-être aussi l'ambiance que nous affectionnons. Malgré la grande catastrophe qui touche le pays, les gens expriment une joie de vivre communicative.

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