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Mercredi 15 décembre 2004.

Champassak - Don Det. 

 

clic! sur la baigneuse nue au fond...

 

Dès le matin, le soleil transforme le Mékong en miroir étincelant et chasse la fraîcheur de la nuit. Il fait bientôt trop chaud. Nous devons passer sur l'autre rive pour rejoindre la route 13 qui mène à Nakasang près des chutes de Kône. La négociation est un peu difficile avec le taxi de l'auberge qui nous demande 60 000 kips, mais avec un peu de système D, on réussit à s'en sortir à 20 000 en prenant un songtaew chargé de sacs de riz. Nous traversons sur le bac rustique avec quelques piétons et un camion âgé de cinquante ans… Un demi-siècle de bons et loyaux services, et, si j'en juge au ronronnement régulier du moteur Isuzu, il va bien continuer à rouler quelques décennies de plus. La banquette, dans la cabine, est en authentique bois d'arbre, les portières ont été remplacées par de basses portes de bois. Un petit balcon avance au-dessus du pare-brise, permettant à d'éventuels passagers de s'y installer presque confortablement ! Les ridelles sont peintes d'un superbe bleu turquoise et décorées de fleurs colorées. Tout est vieux, tout a été cassé et réparé au moins une fois, mais le chauffeur est fier de son « vieux compagnon » et il en parle avec tendresse, en donnant des tapes amicales sur le capot poussiéreux ! Il est comme ces marins qui se sont pris d'amour pour leur navire.

Nous attendons au croisement sur la route 13. Les femmes et les enfants vendent des tubercules blancs semblables à des navets, mais qui ont un bon goût de pomme sucrée. Nous prenons un songtaew jusqu'à Nakasang avec un couple de jeunes Français et deux Anglaises. Pendant les quatre-vingts kilomètres du trajet, le chauffeur ne s'arrête pratiquement pas pour prendre des passagers, il les laisse sur le bord du chemin avec leurs sacs de légumes et leurs petits baluchons. Il doit estimer qu'il gagne suffisamment d'argent avec les 150 000 kips que nous allons lui donner à l'arrivée ! Les Laotiens ne me semblent pas attirés par l'argent comme leurs voisins Thaïlandais ou Vietnamiens. Leur souci, c'est de gagner suffisamment pour passer une bonne journée. J'ai l'impression qu'ils ne voient pas plus loin !

À Nakasang, nous arrivons dans une petite gare routière cernée de marchands de boissons qui ne vendent certainement pas vingt canettes par jour. Ils proposent tous les mêmes marchandises sur leurs étalages !

Avant de prendre le bateau pour Don Det, nous nous installons à la table d'une marchande de soupes. Elle nous sert un potage au bœuf avec des vermicelles transparents et, dans une assiette, l'articulation du bœuf ayant servi à faire le bouillon. C'est un festin de prince ! 

 

clic dans le courant  clic dans le chemin

 

Nous prenons le bateau, un « hang yao », une de ces barques longues queues équipées d'un moteur de voiture prolongé par un long arbre d'hélice. En faisant pivoter l'ensemble, on peut diriger la barque. Nous traversons un bras du Mékong parmi quelques-unes des quatre mille îles. L'eau glisse lentement, reflétant la majestueuse corolle d'un arbre ou les gracieux plumets des bouquets de bambous. L'on ne sait plus si c'est l'eau ou les îlots qui bougent. Sur la rive, parmi les arbres, je remarque une petite auberge isolée, sympathique, avec son restaurant juché sur des pilotis juste au bord de l'eau : « chez Bounhome ». Pour le prix d'un café dans un bar de mon village en France, nous nous installons dans un petit bungalow au toit de chaume, et nous avons la salle de bains et les toilettes. Il n'y a pas d'électricité, mais ce n'est pas gênant du tout.

À quatre heures nous partons vers le coucher de soleil sur les chutes de Somphamit. Nous traversons le pont de pierre sur lequel passait la seule voie ferrée jamais construite au Laos, celle qui permettait de convoyer les marchandises et… les bateaux de l'aval vers l'amont des chutes ou inversement. 

 

clique doucement sur le tableau  clique doucement...chut !

 

Amnoay n'est pas très volontaire pour parcourir les quatre kilomètres. Nous traversons un temple aux couleurs vives et nous nous enfonçons dans une épaisse forêt de bambous. On entend le souffle des chutes sans les apercevoir. C'est comme une mise en condition, comme si le spectacle auquel nous allons assister demandait un peu de préparation psychologique. Ce sont les trois coups avant le lever de rideau ! Quand nous arrivons sur l'esplanade de terre battue, face aux rochers gris et ocre d'où l'eau dévale en cascades bouillonnantes, c'est un superbe instant ! Partout où l'on regarde, on a des tableaux charmants ou impressionnants. Ici, un héron blanc guette sa proie, et, déployant ses grandes ailes blanches plonge vers les rochers voisins au bord de l'eau écumante où l'on ne le distingue plus que difficilement, blanc sur blanc, là, un effrayant remous explose à intervalles réguliers, projetant ses jets de vapeur vers un ciel de plus en plus rouge. Toutes ces cascades se rejoignent dans un défilé où le soleil doré illumine l'eau écumante. Amnoay oublie, l'espace d'un instant, que le retour sera aussi « long » que l'allée. Elle n'avait jamais vu de cataractes jusqu'à ce jour, et elle est d'autant plus émerveillée que les Asiatiques donnent aux grottes et aux cascades des pouvoirs surnaturels. C'est pour cette raison que des chutes d'eau tout à fait ordinaires ont parfois une réputation qui ne nous semble pas méritée à nous, Occidentaux, qui ne voyons pas le côté magique des lieux !

Le soir, nous allons à un « pèle-porc » organisé par Jean-Loup, un Palois se trouvant à la « guest-house » voisine ( le monde est petit ! ). Ils se sont cotisés à dix pour acheter un cochon, et les Laotiens le leur font cuire à la broche. C'est un spectacle ! Ils ont fait un feu d'enfer, puis au-dessus des braises, ils ont placé des bambous sur lesquels le porc est embroché. Pour le tourner, il faut s'y mettre à plusieurs, en prenant le risque de voir tout tomber dans les braises à chaque fois… Mais l'accident ne se produira pas ! Encore une fois, l'ingéniosité des Laotiens est extraordinaire !

Chacun se régale d'un festin de viande tendre et cuite à point. Il y a ce Suisse passionné par les nouvelles découvertes essayant différents types de cuissons, se promenant toute la soirée avec ses banderilles de viandes trempées dans des sauces piquantes ou sucrées, il y a ceux qui engloutissent de savoureux morceaux en se léchant les doigts, et puis il y a ce curieux personnage, Canadien ou Australien, peu importe, vêtu de noir, coiffé d'un bob noir enfoncé jusqu'au menton et qui rôde autour du feu, subtilisant de temps à autre un morceau qu'il part dévorer dans son coin, à l'écart… Un étrange silence pèse sur cette assemblée carnivore !

Jeudi 16 décembre 2004.

Don Det.

Dès le matin, les « hang yao » pétaradantes commencent à sillonner le bras du fleuve au bord duquel nous nous trouvons ; mais ce ne sont pas les moteurs pétaradants qui m'ont sorti du sommeil, ce sont les coqs. Ils ont chanté toute la nuit, mais ce matin, ils ont mieux organisé leur chorale, et c'était à la limite du supportable ! À travers les fines parois de palmes de cocotier tressées de ma paillote, j'entends même les feuilles des arbres chuchoter au moindre souffle de vent, alors les coqs !

Une grenouille a élu domicile dans l'encoignure de bois de la petite fenêtre de notre salle de bains. Elle tient tellement à rester ici que même si je la caresse doucement, elle ne bouge pas. Je vais la doucher de temps en temps pour lui témoigner mon amitié. Curieux pays où les animaux et les hommes vivent en bonne intelligence ! 

 

clique trois fois à la porte  sur la bouteille de "nampla"

 

Nous étions venus avec l'intention de ne rester qu'une ou deux journées, mais nous retardons notre départ : on est si bien auprès du clapotis du fleuve qu'on a envie de laisser couler le temps ! Je ne fais strictement rien de la journée. Amnoay lave le linge dans les eaux troubles du Mékong, elle prépare mes repas, car la patronne des lieux ne sait pas très bien cuisiner. Alors Amnoay se met au travail. Dans la petite cuisine noire de fumée, elle accommode du riz frit ou des nouilles sautées avec des herbes bizarres dans le « krata », cette grande poêle circulaire posée en équilibre sur un minuscule brasero. Pas d'électricité, pas de réfrigérateur, donc, pas de provisions : alors, on fait avec ce qu'on a ! Avant de préparer ma soupe, je vois la patronne couper, sur le talus bordant le fleuve les herbes nécessaires, et Amnoay, de son côté part à la cueillette de plantes odorantes qui améliorent le bouillon. J'ai la désagréable impression d'être livré aux sorcières !

Le soir, nous allons de l'autre côté de l'île pour admirer le coucher de soleil. Un sentier bordé de paillotes où des enfants jouent en s'esclaffant mène au bord d'un bras du Mékong. Ces enfants n'ont aucun jouet, sauf quelques billes… Ils se baignent en batifolant, ils jouent avec des bambous. Les camions et les autos ne font pas partie de leur monde : leur univers, c'est le fleuve. Ils savent diriger la pirogue dès leur plus jeune âge avec d'étroites pagaies ou de longues perches, ils savent lancer le filet comme une corolle sur les eaux miroitantes du fleuve, ils savent piéger le poisson ou capturer de petits animaux susceptibles d'améliorer leur menu quotidien… Leurs connaissances sont uniquement pratiques ; ce qu'ils apprennent à l'école, quand ils y vont, leur permet tout juste de lire et de compter. Ils travaillent dès leur plus jeune âge dans les rizières ou avec leur barque. Ils remontent les berges pentues du Mékong avec un balancier et deux seaux d'eau.

Dans ce décor de rêve, avec ce soleil qui donne des teintes chaudes aux masures sur pilotis, tout est beau, la vie semble facile… Je ne sais pas si la réalité est aussi dorée, mais ce que je remarque, c'est que la joie de vivre se lit sur les visages. La pauvreté de ces gens est une pauvreté respectable, mêlée de gaîté et de relations amicales. On en arrive presque à les envier et à se demander si la principale richesse, ce ne sont pas eux qui la détiennent !

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