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Lever à six heures pour prendre le premier car pour Surin. Nous descendons dans la rue avec armes et bagages, et Amnoay part chercher un taxi au marché. Elle revient dans une sorte de brouette jaune toute pourrie. Je le lui pardonne : elle n'avait pas le choix, c'était le seul véhicule libre du marché. Nous installons les sacs, et nous nous asseyons sur les banquettes sur la plate-forme arrière de la brouette et nous démarrons dans un bruit de moulin à café. On fait une centaine de mètres quand soudain le moulin se met à tousser ! Nous retrouvons un silence peu rassurant. Le chauffeur arrête son char, se gare au bord du trottoir, ouvre le capot, bricole un peu dans le moteur, et nous voilà repartis, juste quelques mètres avant que l'inquiétant silence ne s'impose à nouveau. Nous serions en droit de penser que nous allons rater le car, mais ce serait sans compter sur l'ingéniosité du chauffeur qui laisse descendre la brouette dans la rue en pente. Nous roulons sur du velours ! Le feu passe au rouge, mais nous avons de bonnes raisons de ne pas nous arrêter... et nous arrivons, sur l'élan, jusqu'à la station service pour mettre cinq litres d'essence ! La journée s'annonce bien aventureuse... Nous arrivons à la gare routière juste à temps pour sauter dans le car de sept heures.
Nous longeons la frontière cambodgienne dans un paysage boisé et vallonné jusqu'à Aranyaprathet, puis nous arrivons sur le plateau d'Isan aux rizières dorées. Ce paysage est tout nouveau pour moi qui n'ai connu la Thaïlande qu'à la saison des vertes rizières ! Des paysans coiffés de chapeaux de paille aux larges bords, armés de faucilles, moissonnent les épis de riz qu'ils lient en gerbes alignées ensuite sur les chaumes.
Nous nous arrêtons pour manger à Ding Deng, un petit village où nous avons le choix, pour calmer notre faim, entre du poulet, du poulet, du poulet et des saucisses. En cours de cuisson, les grillades sont régulièrement trempées dans une délicieuse sauce légèrement épicée, ce qui leur donne une belle couleur jaune orangée. Amnoay choisit pour moi une belle cuisse enfilée sur une tige de bambou, et pour elle une saucisse si appétissante que me voyant baver, elle en prend une pour moi aussi. Il y a quelque temps on nous aurait enveloppé tout ça dans une feuille de bananier, aujourd'hui, on nous le donne dans une poche en plastique. Est-ce que l'évolution s'est faite dans le bon sens ? Je n'en sais rien, mais ce que je constate, c'est que le bord des routes est devenu un véritable dépotoir où la poche de bonbons acidulés tient la dragée haute au sac plastique et à la canette de Coca.
Je mords dans la saucisse, et quel n'est pas mon étonnement de voir sortir par l'autre bout, des vermicelles transparents... Une saucisse aux nouilles de riz, il fallait y penser ! Si le goût n'a rien de surprenant, l'aspect n'est guère engageant.
Amnoay a jeté son dévolu sur de petits tubercules noirs et ridés, dont l'une des extrémités ornée de petites racines les fait ressembler à des trophées de réducteurs de têtes. Le goût serait plus proche de celui de la châtaigne que de celui de la pomme de terre. Elle a raison, ça va très bien avec la saucisse à nouilles !
Nous passons par de petites routes souvent dégradées et le car avance au ralenti. Quand nous rejoignons la bonne route, nous n'allons pas plus vite, et pendant une heure, nous nous traînons à une vitesse d'escargot vers Tako. Il est normal, me dira-t-on qu'à Tako les véhicules automobiles aillent lentement, mais la raison de cette lenteur trouve son explication à Nang Rong, ville de moyenne importance où de nombreux employés d'entreprises cravatés pour les hommes et vêtus de tailleurs pour les femmes, montent dans le car. Le chauffeur roulait lentement pour ne pas passer avant l'heure de sortie des bureaux : il ne voulait pas manquer une clientèle susceptible de gonfler un peu sa recette. Et comme les passagers pris hors des gares routières montent sans billet, c'est un revenu non négligeable pour les deux employés du car : on s'arrange...
Nous changeons de car à Buriram. Il nous faut presque une heure pour parcourir les cinquante kilomètres qui restent jusqu'à Surin, car nous faisons « le laitier » encore plus qu'avec l'autre car ! Cela devient presque insupportable, car voilà dix heures que nous sommes assis sur le siège, sans bouger, et je commence à avoir des fourmis dans les pattes.
Nous arrivons enfin chez Lam, la sœur d'Amnoay. On nous attendait avec de l'eau si fraîche que je m'y suis baigné. Le soir, il a fallu aller tous ensemble au restaurant. C'est la tradition : quand « l'étranger » arrive, il paye le repas à toute la famille, et s'il se laisse faire, il se peut qu'un voisin profite de sa générosité... Nous grimpons tous dans la petite camionnette de Yut, le mari de Lam. Elle est si petite, la voiture, que je l'avais prise pour l'auto à pédales des gosses. L'avantage, c'est qu'il n'y a pas de place pour les voisins ! Heureusement aussi pour ma bourse, Lam ne choisit pas le restau le plus sélect de la ville, alors pour six personnes, je m'en sors avec douze euros ! J'aurais presque pu dire aux voisins de prendre leurs vélos et de nous rejoindre !
On m'a donné une petite serviette, et quand j'ai fait remarquer qu'il y en avait déjà une dans la salle de bains, on m'a répondu que c'était pour m'essuyer le visage. En effet, il faut deux serviettes : l'une pour le visage, l'autre pour le corps. Dans les toilettes, je retrouve l'indispensable bassin avec sa casserole pour les ablutions intimes. La chemise du matin part inévitablement à la lessive alors que je pensais la remettre l'après-midi, les chaussures restent toujours sur le pas de la porte... La propreté méticuleuse de Thaïs me surprend d'autant plus que l'extérieur de leur maison ressemble souvent à une décharge publique ! Il est vrai que le sol doit être aussi propre que la table puisqu'on mange par terre, qu'on dort par terre...
Le matin, je vais filmer des paysans moissonnant le riz avec des faucilles. Amnoay prend un outil et me montre son savoir-faire. Si ce n'était son chapeau qui s'envole à chaque coup de vent, elle ferait mon admiration ! Les pieds de riz ont environ un mètre de hauteur, et on les coupe à soixante centimètres du sol. On lie les gerbes, et on les pose sur les chaumes où elles forment de belles frises dorées. Les paysans plaisantent, rient, jacassent, et la présence de la caméra n'est pas faite pour les calmer. Le soleil n'est pas encore au zénith, et chacun s'emploie à faire le plus de gerbes possible afin de pouvoir arrêter aux heures les plus chaudes. Que deviendront ces gens, dans quelques années quand une seule machine aura remplacé dix personnes ? Pour l'instant, ils ne semblent pas s'en soucier, ils gardent leur joie de vivre !
L'après-midi, je vais à Surin en bus. C'est une vieille casserole rose qui avance au pas, et j'aurais mis autant de temps pour faire les quatre kilomètres qui me séparent de la ville en allant à pied ! Dans les rues, de nombreux éléphants déambulent placidement avec leurs jambes de pantalons un peu trop larges. Sur leur dos, un panier chargé de fruits et de légumes et, juste derrière leur tête, à cheval sur leur cou ridé, un cornac armé d'un crochet métallique. Cet instrument n'est pas destiné à blesser ni à martyriser la bête, tout comme la cravache du cavalier, il sert à guider l'animal, soit en lui accrochant l'oreille droite ou gauche, soit en lui donnant de petits coups sur le crâne, ce qui résonne dans sa tête comme les ordres criés par un gradé dans les oreilles du soldat. Il arrive que quelques gouttes de sang perlent sur la peau ridée du pachyderme, mais il ne s'agit pas de cruauté ou de barbarie, mais cela est nécessaire quand la bête n'est pas encore tout à fait dressée. Le cornac doit lui montrer que c'est lui le plus fort, et qu'il peut faire mal en cas de nécessité. Si cela peut empêcher un accident, je préfère, effectivement, que ce soit la bête qui saigne ! Dans la rue, un homme propose les victuailles se trouvant dans le panier à des passants qui les achètent pour les offrir à l'éléphant qui les prend délicatement avec sa trompe, les amène à sa bouche, les croque, et remercie en agitant ses oreilles, et en poussant un petit barrissement aigu. Ce petit cri venant d'une aussi grosse bête me surprend toujours, et ramène l'éléphant à l'échelle humaine, tout en lui donnant un petit côté comique ! Le fait d'offrir à manger à l'éléphant a un côté religieux. Les Thaïs appellent cela « faire tamboun », c'est-à-dire faire une offrande, en espérant que cela leur apportera chance, richesse et bonheur ! Il faut savoir que Ganesh occupe une place importante dans la mythologie du Sud-Est asiatique, et qu'on voit souvent sa statue dans les temples.
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