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À sept heures du matin, je prends mon café, sur la terrasse. Le ciel bleu sans nuages annonce une bonne journée, mais il fait vraiment frais. Actuellement, le climat de cette région de Thaïlande ( Isan ) ressemble à notre climat en été, le risque de pluie ou d'orages en moins. C'est ce que les Thaïs appellent la « saison froide »... C'est tout de même exagéré ! Je montre le film que j'ai réalisé à Gugguenheim à Yut : il est fasciné. C'est un esthète, Yut ! C'est un spécialiste de la soudure : il travaille avec un poste à souder bien plus moche que tous ceux que l'on peut voir dans les déchetteries.
À trois heures, nous prenons le car de Roï Et. C'est une antiquité du genre du poste à souder de Yut. Le plancher en alu vibre et laisse entrevoir la route sur laquelle les sièges éventrés risquent de tomber un jour ou l'autre. Le pare-brise à moitié obstrué par les autocollants et les panneaux indiquant la destination a la transparence du verre-cathédrale, mais ce n'est pas important, car le chauffeur connaît la route, et elle n'est pas très fréquentée. Il roule à 49 km/h avec des pointes à 56... ( Je le surveille avec mon GPS ). Surin est séparé de Roï Et par cent cinquante kilomètres de route monotone dans un paysage de plaine cultivée de rizières jaunes dorées, saccagées par les moissons. Durant la première heure, nous ne parcourons même pas cinquante kilomètres, et nous nous arrêtons sans arrêt pour laisser monter ou descendre des passagers. Les fenêtres à guillotine vibrent, le levier de vitesses tressaute, le chauffeur semble avoir branché le pilotage automatique, et il cause gentiment avec son collègue préposé aux ventes de billets en se retournant et en faisant des gestes l'obligeant à lâcher le volant. Par moments, il roule à droite obligeant les motos arrivant en face à se rabattre sur la bande d'urgence. Parfois, en pleine ligne droite, on passe sur un léger dos d'âne, alors le chauffeur se met à jongler avec son volant... On croirait voir Yves Montand dans le salaire de la peur ! L'après-midi passe ainsi, lentement dans le ferraillement du vieux car agonisant, le soleil embrase les rizières qui passent du doré aux tons cuivrés, et la nuit tombe subitement, comme toujours dans ces contrées tropicales où l'on passe du jour à la nuit en quelques instants. Mais le problème, c'est que de nombreux usagers de la route n'allument pas pour autant leurs lanternes, alors on les devine parfois éclairés en ombres chinoises par le véhicule qui les suit. C'est très beau, même à travers le pare-brise opaque. Mais j'aimerais bien savoir pourquoi le chauffeur se met à accélérer comme s'il voulait rattraper le temps passé à se traîner sur la route, ou comme s'il voulait, dans un sursaut de fierté, nous montrer les possibilités de son véhicule. 60, 65, nous frôlons les 70 km/h... ce n'est pas raisonnable ! Il nous arrive même de doubler ! Par moments le chauffeur se démène tellement que je me demande s'il n'essaye pas de dévisser son volant ! Quand nous arrivons enfin à la gare routière de Roï Et, à six heures et demie, Amnoay a le dos rompu et moi les fesses ankylosées ! Il me faut une bière Chang bien fraîche pour me remettre. Nous prenons un touk-touk sympa qui nous amène à l'hôtel Bangjong. Ce sera certainement le moins cher du voyage à cent cinquante bahts la chambre avec ventilateur et salle de bains. Bien sûr, l'eau est froide, mais en ce qui me concerne je trouve cela vivifiant. Les Asiatiques se douchent à l'eau froide et boivent de l'eau chaude, alors que nous faisons le contraire !
Le soir, nous allons au marché de nuit. C'est inondé de lumière, coloré et animé... J'adore ces endroits où la nourriture est toujours savoureuse, les petits desserts à la noix de coco succulents et je suis toujours pris par cette ambiance de fête. On rit, on s'interpelle, on fait des réflexions un peu moqueuses mais jamais méchantes sur ce « farang » qui s'intéresse à tout avec une naïveté d'enfant. Je mange un demi-canard rôti qu'Amnoay vient d'acheter, et je trempe les morceaux dans la délicieuse sauce aux cacahuètes et à la noix de coco qu'on lui a servie avec ses brochettes de porc au curry. Je suis un goinfre installé à cette table de tôle verte au milieu du marché, et je sens que les vendeuses du voisinage me regardent d'un air amusé. Je suis Gargantua qui engloutit tout seul, ce qu'une famille de quatre personnes mange en un repas. Il est vrai que si les Thaïs mettent un peu de viande sur leur riz, moi, je mets un peu de riz sur ma viande ! Ils ont la taille plus fine que la mienne... Demain je commence le régime thaï !
Dès le lever du soleil, nous partons visiter le temple dominé par un immense Bouddha doré, debout, de style Dvaravati. Dans la cour, sous un superbe arbre au tronc enchevêtré de lianes et de racines aériennes, des personnages grandeur nature en ciment peint de couleurs un peu trop vives retracent la vie du Bouddha. C'est un peu naïf, presque de mauvais goût...
Pour déjeuner, je vais au marché où l'on me sert un typique thé au lait de couleur orange, accompagné de petits beignets de forme allongée, chauds et croustillants. Je deviens de plus en plus gourmand !
Le car, jusqu'à Khon Kaen, roule vite : nous allons à cent kilomètres-heure régulièrement. Quand un passager veut descendre, il appuie sur un bouton rouge, au plafond, le chauffeur se met debout sur les freins, le passager descend devant la porte de sa maison. Quand le car redémarre dans un rugissement de diesel assourdissant, ça sent un peu les garnitures de freins malmenées, mais comme toutes les fenêtres sont ouvertes, ce n'est pas gênant trop longtemps. Quand un passager veut prendre le car, il se met devant sa porte ou à n'importe quel endroit au bord de la route, il fait signe, et le car ne lui laisse que le temps de monter avant de redémarrer en trombe. Parfois, les bus ordinaires font la course entre eux, car celui qui est devant est celui qui ramasse les passagers. Mais ces longs moments d'angoisse pendant lesquels les deux bus côte à côte luttaient dans un duel sans pitié pendant plusieurs centaines de mètres pour prendre l'avantage, se font de plus en plus rares ! Bien qu'on continue à ne pas respecter les signalisations au sol, les chauffeurs deviennent plus prudents et les policiers plus sévères.
À Khon Kaen, nous arrivons dans une immense gare routière en plein coeur de la ville. Nous allons à pied jusqu'à l'hôtel Khon Kaen ( tiens, c'est original comme nom ! ) On nous propose une chambre à 550 bahts ( 10 euros ), et comme nous trouvons un peu cher, un employé nous fait traverser le hall, une cour, et il nous mène au Roma Hôtel où le prix de la chambre n'est plus que de 230 bahts. Télé, ventilateur, c'est suffisant ! Juste comme nous arrivons, un défilé coloré et bruyant a envahi la rue. On croirait presque que c'est pour bien nous accueillir, mais non ! c'est tout à fait pas hasard que nous arrivons le premier jour des festivités qui vont durer une semaine. Le soir, nous allons donc au stade où des spectacles sont donnés. C'est un peu comme la foire-exposition de Pau, mais avec beaucoup plus d'ambiance. Plusieurs allées mènent au grand terrain découvert où ont lieu les spectacles. Elles sont bordées de marchands de meubles en bois massif, côtoyant des restaurants dont les cuisines, au bord de l'allée, nous incitent, par la présentation des mets proposés, à nous attabler. On a le choix entre les calamars sautés à l'ail, les soupes de nouilles, les ragoûts de porc, les préparations de poulet au curry ou en sauce rouge bien piquante, les brochettes d'abats ou de cuisses de poulet... le tout accompagné de riz blanc frit, ou de légumes sautés avec ou sans le virulent petit « prik khi nhou » ( piment crotte de souris ). Pour ceux qui ne veulent pas s'attabler, il y a les traditionnelles sèches aplaties, déshydratées que le vendeur passe dans une sorte d'essoreuse qui les transforme en feuille presque transparente... Mais ça, c'est réservé à ceux qui aiment le coton, car c'est si sec qu'on a la désagréable impression de manger son mouchoir... On peut aussi acheter une poche de mignons petits insectes frits : on a le choix entre des larves de ver à soie, des chenilles, des criquets, des sauterelles, des libellules et même de gros scorpions noirs bien relevés d'une sauce bien piquante !
Les spectacles me semblent de qualité, et je reste un long moment, avec Amnoay, à regarder des danses Lao. Malheureusement, sur le podium d'en face, c'est un groupe de danse moderne qui se produit, et le vacarme de la musique « disco » couvre presque les mélodies des flûtes et des orgues de bouche.
Sur le retour, nous nous arrêtons et nous nous installons à l'un de ces restaurants ouverts sur la rue, avec la cuisine toujours devant l'entrée, et nous commandons de petits encornets frits à l'ail, du canard et des légumes cuits à la vapeur, puis passés à la poêle. C'est bon ça !
Nous restons sur place. On va déjeuner au marché avec la soupe de nouilles au poulet, puis je passe une bonne partie de la journée sur Internet. Le soir, nous revenons au stade, mais comme il y a un monde fou, nous préférons fuir.
les cars sont parfois de véritables oeuvres d'art !